Couverture de CPSY2_070

Article de revue

Le vécu psychique post-opératoire des patientes transsexuelles MtF (Masculin vers féminin) : une nouvelle façon de problématiser le féminin ?

Pages 99 à 109

1 Le patient qui vient consulter dans un service de chirurgie plastique, vient parler de prime abord de son corps dans sa dimension anatomique, physiologique, car pour lui, la souffrance psychique qu’il éprouve ne trouvera un soulagement que par une intervention chirurgicale qui aura valeur de réparation, de restitution ou de traitement. Dans ce lieu dédié avant tout au soin du corps, les représentations imaginaires liées à ce corps confié pour un temps à la médecine et à la chirurgie, sont donc reléguées au second plan, derrière ce corps « objectalisé » qui tend à envahir tout l’espace psychique de ces sujets.

2 C’est dans ce cadre bien particulier que je rencontre aussi des patients dits transsexuels qui, inscrits dans un protocole de traitement Hormono-Chirurgical (THC) depuis deux ans minimum, viennent demander une intervention de réassignation sexuelle, c’est à dire, une opération qui a pour but de construire un sexe anatomique en adéquation avec le genre ressenti subjectivement. Les patientes transsexuelles MtF (Masculin vers féminin) sur lesquelles je concentrerai ma réflexion aujourd’hui, attendent donc de cette opération qu’elle fasse « coïncider » la représentation imaginaire de leur identité féminine sur le réel du corps.

3 Sur le plan chirurgical, dans le sens homme-vers-femme (MtF), cette opération consiste dans le même temps opératoire en l’ablation des testicules ainsi que de la verge pour créer à la fois un vagin, un clitoris sensible, des petites et des grandes lèvres. Ce geste opératoire, loin d’être anodin et habituel, est pratiqué par un nombre restreint de chirurgiens spécialistes qui travaillent au sein d’une équipe pluri-disciplinaire composée de psychiatres, de psychologues et d’endocrinologues. Cette intervention de transformation génitale appelée « vaginoplastie » a comme particularité, en dehors même des risques auxquels s’expose toute chirurgie, de s’accomplir, le plus souvent, dans un bain de sang, cette région du corps étant fortement hémorragique. Les suites post-opératoires sont longues et douloureuses et nécessitent parfois des reprises chirurgicales.

4 Pour autant, en écoutant ces patientes qui viennent demander cette opération, on peut d’abord être frappé par la banalité que représente, en apparence pour elles, une telle intervention de transformation génitale dans leur parcours. Focalisées sur les bénéfices généralement idéalisés qu’elles projettent sur cette opération, cela ne leur apparaît souvent que comme une étape supplémentaire, qu’elles qualifient parfois de formalité complémentaire à accomplir dans ce long parcours pour devenir une « femme à part entière », c’est-à-dire sur le registre d’état civil et sur leur corps. Détail d’importance néanmoins puisqu’il parachève leur transition et les autorise à demander un changement d’état civil. La programmation de l’intervention prend alors pour elles le sens de la promesse d’un soulagement possible face à une souffrance qui les consumait depuis longtemps.

5 Or, j’ai pu remarquer que l’intervention chirurgicale, plutôt que de parachever leur transition vers le sexe désiré – ce à quoi on aurait pu s’attendre – venait en réalité fragiliser chez elles leurs représentations du féminin et les installer parfois dans une autre forme de souffrance. En effet, c’est avec cette opération que prend corps un premier questionnement sur ce qui leur apparaissait plus tôt comme une évidence, une certitude. L’intervention vient ébranler une conviction depuis longtemps établie, non pas celle d’être une femme mais celle d’avoir un savoir sur ce qui fait le féminin de la femme. Ainsi, c’est l’inscription du féminin sur le corps qui les ferait passer du côté de l’énigme. Si elles restent, pour la plupart, convaincues de leur destin féminin, une interrogation néanmoins se fait jour, non dénuée d’angoisse, car après tout, « Qu’est-ce qu’être une femme ? ».

6 La chirurgie marque alors, pour certaines, le point de départ d’un travail psychique par l’interrogation de ce qui fait le féminin de la femme.

7 Dans son texte de 1933 sur la féminité, Freud rappelle que si la différence des sexes est la première différence que nous sommes habitués à effectuer sans hésitation quand nous rencontrons une personne, nous sommes cependant forcés d’admettre que « ce qui fait la masculinité ou la féminité est un caractère inconnu, que l’anatomie ne peut saisir » (S. Freud, 1933, p. 153). Il montre ici que la différence sexuelle est souvent d’abord appréhendée du côté des apparences mais que du point de vue analytique, la biologie n’est pas porteuse d’un savoir sur le féminin ni le masculin. « Nous disons donc qu’un être humain, mâle ou femelle, se comporte sur tel point d’une façon masculine, sur tel autre d’une façon féminine. Mais vous comprendrez bientôt que ce n’est là que se conformer à l’anatomie et à la convention. Vous ne pouvez donner aucun nouveau contenu aux notions de féminin et de masculin. Cette distinction n’est pas psychologique (…) ».

8 Lacan, dans son retour à Freud, prolongera cette idée dans Le séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, il dit : « Dans le psychisme, il n’y a rien par quoi le sujet puisse se situer comme être de mâle ni être de femelle » (J. Lacan, 1964 cité par L. Laufer, 2014, p.199). Dans un article sur « Normes et sexualités », Alain Vanier (2012, p23) reprend cette thèse dans le prolongement lacanien. Il n’y a pas de normal, pas de norme sexuelle puisqu’il n’y a pas de représentation de la différence des sexes dans l’inconscient, ce qui conduit à l’édification de semblants sociaux pour déterminer cette distinction homme femme. Il ajoute qu’il y a des normes sociales, à défaut de normes sexuelles comme l’a souligné Lacan.

9 Dans notre clinique, on peut émettre l’hypothèse que c’est la rencontre avec la médecine qui fait norme et les autorise à se situer, d’une façon « tranchée », d’un côté ou de l’autre de la sexuation. Pour les patientes que nous rencontrons, malgré l’éprouvant parcours du combattant que représente pour elles le « protocole de réassignation hormono-chirurgicale », la reconnaissance de leur identité féminine par la Médecine (psychiatrie, endocrinologie et chirurgie) renforce néanmoins un sentiment de légitimité. La position de savoir et l’action concertée de ces trois spécialités médicales les renforcent dans leur appropriation d’un statut féminin.

10 La réassignation se joue bien sûr à 2 niveaux, la réassignation signifiante, accession au statut de femme par l’accession à une nouvelle identité sur le registre d’état civil et la réassignation du corps, par la création d’un corps féminin. Si ces deux niveaux sont imbriqués, je n’aborderai ici que les enjeux du changement sur le corps.

11 Ce que j’ai pu observer, c’est qu’un remaniement psychique s’effectue chez nos patientes transsexuelles une fois le corps recréé, sculpté et redéfini par les doigts agiles du chirurgien. Le passage à l’acte chirurgical, dans sa dimension de marquage sur le réel, semblerait ainsi agir comme une entame sur la question du féminin et ouvrir à la possibilité d’un autre discours.

12 La rencontre avec le chirurgien, ce « façonneur de corps féminin », représente pour elles un moment privilégié, un tournant dans leur devenir femme car c’est lui qui leur offre la possibilité de ce qu’elles se représentent comme une « retrouvaille » avec ce corps féminin jusque-là intimement fantasmé. Le transfert à l’égard de celui-ci est souvent massif et elles n’hésitent pas à dire que le chirurgien est leur créateur ou encore que le Dr X les a fait « renaitre dans un corps de femme ». Pour exemple, alors que le chirurgien vient de lui annoncer la fin du suivi post-opératoire puisque d’un point de vue chirurgical, la transformation est terminée, Jeanne s’effondre en consultation en me disant « mais c’est horrible, c’est comme si je venais de perdre mon père car c’est lui qui m’a fait naitre, qui m’a fait renaître ».

13 Bien souvent les patientes n’hésitent pas à parler du chirurgien comme d’un père. Devant lui, elles deviennent petite fille et son regard est primordial pour se sentir portées dans leur nouvelle identité sexuée. Elles viennent alors, dans l’après, vérifier quelque chose du regard du père sur leur féminité. Elles attendent de lui des compliments, lui demande si elles sont « crédibles » ou « réussies » en tant que femme. En somme, elles lui demandent de venir les confirmer, les nommer, dans leur identité féminine. Le chirurgien est alors convoqué comme une figure symbolique majeure du devenir femme là où les identifications au féminin de la mère restent silencieuses. Dans le fantasme, la filiation semble ici recherchée du côté du père tout en évacuant toute dimension sexuelle puisqu’il est rarement fait mention d’un père géniteur dans leur histoire mais le chirurgien prend souvent la place d’un créateur.

14 L’intervention chirurgicale vient aussi trancher dans le roc d’une certitude. Avant l’opération, les femmes transsexuelles répondent à l’énigme de la féminité du côté du « Savoir ». Elles « savent » qu’elles sont femmes mais surtout elles savent ce qu’est la femme. Quand on tente de les interroger sur ce « je sais que je suis une femme », leurs réponses sont souvent identiques et stéréotypées. Contrairement à ce qu’a pu dire Freud, d’après nos patientes, il existe des prédispositions et des qualités psychologiques proprement féminines dont elles adoptent, dans un mimétisme parfois caricatural, les traits et les postures. Elles décrivent ainsi des postures proprement féminines dans la façon de marcher, de s’asseoir, de prendre des objets, de parler mais être une femme, pour elles, c’est avant tout penser comme une femme, c’est-à-dire, « avec sensibilité, douceur et délicatesse ». Pour ces femmes transsexuelles, ce sont d’abord les qualités psychologiques qui déterminent le sexe. Aussi, elles se sentent « une âme féminine emprisonnée dans un corps d’homme ». La représentation du féminin est souvent très idéalisée et semble recouvrir massivement une imago féminine plus inquiétante.

15 La difficulté semble toutefois se négocier pour elles dans le passage d’une conviction féminine, se sentir femme malgré les apparences, à son inscription dans la réalité, celle du corps. Comme l’a formulé une patiente, « ce n’est pas la même chose d’avoir un sexe dans la tête et de voir, par la suite, ce sexe mis au grand jour ». En effet, la plupart des patientes finissent par le dire, leur « renaissance » dans un corps féminin n’est pas exempte de souffrances et le combat ne s’arrête pas à l’opération comme elles pouvaient se l‘imaginer parfois. La clinique nous montre que les suites sont en réalité toujours complexes.

16 Tout d’abord, la période d’hospitalisation est très souvent mal vécue psychiquement par les patientes. Alitées pendant une dizaine de jours si ce n’est plus quand il y a des complications, sondées, faibles, dépendantes et douloureuses, la représentation de ce corps affaibli et diminué n’est pas sans mobiliser un certain nombre d’angoisses chez elles. En effet, lors d’une hospitalisation en chirurgie, c’est le corps biologique qui est mis au premier plan. Le corps imaginaire quant à lui, corps image privilégié par nos patientes, est mis pour un temps en sourdine et on a bien souvent l’impression que le chirurgien et la patiente ne parlent pas la même langue quand il s’agit de parler du corps.

17 Le corps de la féminité que les patientes s’employaient à embellir voit alors son éclat diminuer. Pas de maquillage, pas de bijoux, pas de vêtement féminin habillant ce corps qui appartient pour un temps à la médecine et à des soins techniques. On assiste à une véritable effraction dans le réel du corps. Et cette rencontre avec le corps biologique en induit une autre, la rencontre avec la réalité anatomique de la différence des sexes.

18 Elles ont alors à se confronter au réel de leur nouvelle anatomie, et ce réel, c’est qu’en tant que femme, elles manqueront toujours de quelque chose. Femme sans utérus, sans ovaires, sans règles, sans possibilité d’enfanter. Cette rencontre avec le manque ne semblait pas pouvoir être pensée avant.

19 Au réveil, ce n’est pas vers les « retrouvailles » avec le sexe reconstruit qu’elles se dirigent mais bien vers la vérification de la disparition de leur sexe masculin. S’agissait-il avant tout de ne plus être homme ? Cette question demeure primordiale mais je ne la traiterai pas ici. L’accession au féminin, reste quant à elle, plus difficile. Les représentations de ce sexe en cicatrisation induisent des angoisses à son endroit. Il apparaît alors comme un point de vulnérabilité, de fragilité. Le sexe féminin fait en premier lieu figure de blessure.

20 Ainsi, par exemple, malgré les propos rassurants du chirurgien sur les risques hémorragiques, ces saignements réels ou supposés convoquent chez les patientes de fortes angoisses de mort. Elles craignent souvent de se vider de leur sang et d‘en mourir. Pour contenir cette angoisse, elles tentent alors, dans l’après coup, de ramener ce sang qui s’écoule de leur sexe à une identification féminine en l’associant à hémorragie provoquée par un accouchement ou à des premières règles, tout en réalisant que c’est précisément ce dont elles seront privées.

21 À partir de ce vécu d’un corps douloureux et diminué, elles peuvent évoquer des angoisses de perte qu’elles ne manifestaient pas auparavant (perte de la vie, perte de sang, de vitalité, d’objets aimés). Sur la scène consciente, la perte du pénis n’est jamais abordée. Pourtant, dans les rêves, il apparaît souvent comme celui dont elles ne pourront jamais se séparer, celui qui, malgré leurs tentatives pour l’éradiquer, demeure. La perte du pénis semble alors déplacée sur la peur de perdre l’amour de l’entourage.

22 La peur de mourir est souvent mise en lien avec la culpabilité d’avoir transgressé les lois de la nature pour devenir femme. Avant les premiers pansements, elles peuvent manifester leur inquiétude d’avoir enfanté un « corps monstrueux ». Elles n’hésitent pas à comparer leur état à celui de la gestation d’une mère qui craindrait de mettre au monde un enfant handicapé, déformé, malade ou non conforme à ses attentes.

23 Dans le milieu « trans », on les avait mises en garde sur ce phénomène d’intense tristesse post-opératoire appelé « babyblues ». Alors qu’elles s’attendaient à être des femmes « complètes » avec cette opération, c’est un sentiment d’inquiétante étrangeté qui les anime dans la rencontre avec cet étranger familier.

24 Alors qu’avant l’intervention, le féminin était toujours située du côté du phallique, du côté du plus de l’idéalisation (plus d’intelligence, de beauté, de compréhension, de jouissance sexuelle car la femme a deux organes sexuels, clitoris et vagin), après l’intervention, le féminin s’exprime sur le registre du manque. On peut d’ailleurs émettre l’hypothèse que ce « plus du féminin » que l’on peut aussi entendre comme un « au-delà du féminin » soutenait le désir d’être femme. Quelque chose, du côté du manque, ne peut s’envisager que dans l’après.

25 On peut alors émettre l’hypothèse que ce qui intéressait la femme transsexuelle jusqu’ici concernait la féminité et non pas le féminin. Beaucoup sont maquilleuses, coiffeuses, esthéticiennes, dans la vente et le conseil de vêtement féminin ou exercent dans des professions d’aide à la personne (aide médico-psychologique, aide-soignante, auxiliaire de vie…). Elles nourrissent une véritable passion pour la féminité. Se maquiller, se coiffer, s’habiller, être belle et désirable, s’occuper du bien-être des autres, c’est pour elles, la véritable vocation d’une femme. La question du regard est très importante. Elles camouflent les stigmates du masculin jusqu’à devenir « indétectables ». Dans la salle d’attente, elles se scrutent, se comparent et se disputent le statut de la transsexuelle la plus féminine et n’hésitent pas à être hostile vis à vis de celles qui ne partagent pas leur goût pour les apparats de la féminité.

26 Pour elles, ce supposé féminin se situait du côté de la féminité. En post opératoire, il est d’ailleurs surprenant de constater qu’elles laissent souvent tomber les artifices d’une féminité mascarade, se rendant compte que ce ne sont ni le corps féminin ni les attributs phalliques de la féminité qui font la femme.

27 L’expérimentation de la nouvelle inscription du féminin, du féminin comme autre sexe, se fait aussi dans la rencontre avec la sexualité non plus en tant qu’homme mais en tant que femme. Les rapports sexuels sont souvent redoutés et la jouissance féminine leur apparaît plus mystérieuse. Est-ce que les femmes jouissent nous demandent-elles et comment font-elles ? Sarra tente de résoudre ce mystère de la sexualité féminine par la conclusion suivante : « les hommes jouissent avec leur sexe alors que les femmes, elles, jouissent avec tout leur corps et avec leur tête ».

28 La sexualité féminine leur apparaît alors dans le moins de jouissance. Si les hommes jouissent des femmes mais les femmes alors, de quoi jouissent-elles ? Elles peuvent alors se plaindre du manque de profondeur de leur vagin, qu’elles comparent avec la taille d’une verge. La plainte est souvent adressée au chirurgien qu’elles peuvent alors considérer comme un empêcheur de jouir.

29 Au départ, la création de cette cavité, le vagin, fait figure d’inquiétante étrangeté. Fatima, très angoissée par les suites post-opératoires me confie : « moi, mon vagin, je le montre à tout le monde, comme un diplôme et j’ai demandé à ma mère d’aller vérifier si il était comme le sien mais moi je ne peux pas le voir ni le toucher et j’ai très peur quand on essaie d’y introduire quelque chose à l’intérieur ». Elle fait ici référence au conformateur, au spéculum et aux soins qui prennent valeur d’intrusion. Le vagin est souvent représenté comme un lieu mystérieux, fermé, abritant des sensations qui les déroutent et peuvent les inquiéter. Rachel me dira en parlant de son vagin qui s’est rétréci lors de la cicatrisation : « moi ça me va bien que ça reste fermé, comme ça, l‘intimité reste à l’intérieur, cachée. ».

30 Dans le temps préopératoire, Olivia m’interpelle lors de notre première rencontre : « Vous ne savez pas, Madame, ce que c’est d’être un homme » ! C’est dire à quel point, lui, le sait. Être un homme pour Olivia, c’est être sans cesse parasité par la sexualité. Un homme ça ne pense qu’à ça, tout le temps, me dit-elle. La libido masculine apparaît comme un fauteur de troubles, une puissance désorganisante qui empêche de se stabiliser et de se construire. Exprimée sous forme de plainte, il n’en reste pas moins qu’Olivia, âgé alors de 25 ans, sait ce que c’est d’être un homme. Débarrassée aujourd’hui de ses hormones masculines par l’androcur, Olivia exprime son soulagement et la sérénité à laquelle elle aspire enfin. C’est dans la rencontre amoureuse avortée avec les hommes qu’Olivia, anciennement Philippe, a affirmé sa volonté de changer de sexe. Avec les hommes, en tant qu’homme, il ne se sentait pas considéré. « Entre hommes, il n’y a qu’une rencontre sexuelle possible, pas d’amour ». Pour Olivia, l’amour des hommes est réservé aux femmes. Olivia prend alors conscience que ce qu’elle souhaite depuis toujours c’est avoir une place de femme auprès des hommes. Pour Olivia, l’angoisse primordiale est de ne pas être aimée par les hommes et la seule issue possible est alors d’incarner ce qui manque aux hommes, la femme.

31 Pour celles qui étaient en couple avant l’intervention, elles éprouvent alors souvent le besoin de changer de partenaire une fois opérées. Angèle, en couple depuis de nombreuses années, attendait l’intervention pour se marier avec son compagnon. Mais après l’opération, me dit-elle, « j’ai eu besoin d’avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes qui ne m’avaient jamais connue en homme ». Elle ajoute : « la femme physique que j’étais devenue avait besoin de se réfugier dans les bras d’hommes qui aiment les femmes. »

32 C’est aussi dans la rencontre amoureuse avec les hommes que la question du féminin semble véritablement émerger et les déstabiliser. Nos patientes transsexuelles avaient jusqu’ici la certitude de savoir ce qu’est La femme mais l’expérimentation de la femme qu’elles sont devenues semble différente. Dans ce passage de La femme à une femme, la rencontre amoureuse les ramène au moment où le sujet est appelé à s’inscrire dans une position féminine ou masculine, semblant homme ou semblant femme vis à vis d’un autre.

33 Avant son intervention, Sarra vivait en couple depuis de nombreuses années avec un homme qu’elle pensait hétérosexuel car il n’avait eu auparavant que des relations avec des femmes et l’avait toujours connue féminine. La sexualité n’avait pas beaucoup de place dans leur relation et Sarra attendait beaucoup de l’opération pour avoir une sexualité plus épanouie et devenir une femme à part entière. Quelques mois après son intervention, elle déplore le manque d’intérêt de son ami à l’égard de la sexualité féminine et décide de se séparer de lui. « C’est à l’homme de désirer la femme et pas le contraire » me précise-t-elle. Considérant que son ami était probablement plus homosexuel qu’elle ne le pensait, elle se tourne alors vers des hommes qui ne savent rien de son histoire et décide de se faire aimer par les hommes comme toutes les autres femmes. C’est à ce moment-là qu’elle revient me voir, complètement bousculée par les émotions qui la traversent. Après quelques histoires sexuelles sans lendemain, Sarra est de nouveau très amoureuse d’un homme auprès duquel elle souhaiterait recevoir de l’amour en retour mais en vain. Ce qui l’inquiète le plus, ce n’est pas tant cet homme, elle me dit savoir comment les hommes fonctionnent, mais son nouveau positionnement dans la vie amoureuse, celui de la femme délaissée et mélancolique. Depuis son opération, elle est devenue fragile, elle qui était une battante. Elle constate alors qu’elle ne domine plus ses partenaires amoureux mais cherche maintenant l’amour de la part d’hommes qui ne veulent pas s’engager et ne cherchent que des histoires sans lendemain. « Est ce que c’est ça être une femme ? Être fragile, dépendante et chercher l’amour ? » me demande-t-elle. Pour la première fois dans ses relations, elle cherche ce qui lui manque et c’est cela même qui lui est insupportable. Quand je lui demande ce qui a changé, elle me répond : « Maintenant j’ai peur de tout perdre ! ».

BIBLIOGRAPHIE

  • CHILAND, C. (2008). « Identité sexuée » In Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, VOL. 56, 328-334.
  • CHILAND, C. (2014) « La construction de l’identité de genre à l’adolescence », Adolescence, 32, 1, 165-179.
  • FREUD, S. (1933) « La féminité », Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris : Gallimard, Coll. Folio Essais, 1984, 150-181.
  • LACAN, J (1964) cité par LAUFER L (2014) « Ce que le genre fait à la psychanalyse », Qu’est-ce que le genre. Paris : Petite bibliothèque Payot, 191-212.
  • MITCHELL, J (2006) « Utiliser Winnicott pour comprendre le genre (sexe social) », Figures de la psychanalyse, 2006/2, 14, 119-131.
  • NAHON, C. (2006) « Trans-sexualité : Défiguration, déformation, déchirement », Cliniques Méditerranéennes, 5-26, 74, 2006.
  • SCHNEIDER, M. (2006) « Surimpressions sexuelles », Cliniques Méditerranéennes, 74, 2006, 27-42.
  • VANIER, A. (2012) « Normes et sexualités », Le carnet psy, N°174, 23-26.

Mots-clés éditeurs : Chirurgie, Sexualité féminine, Transsexualisme, Féminin

Date de mise en ligne : 09/03/2017

https://doi.org/10.3917/cpsy2.070.0099

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.87

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions