Couverture de CPE_079

Article de revue

Charisme et arythmie du discours.

Le cas d'Adam Michnik

Pages 140 à 145

Notes

  • [*]
    Cet article est la traduction du texte écrit à l’occasion du 60e anniversaire d’Adam Michnik, célèbre opposant au régime communiste en Pologne, aujourd’hui rédacteur en chef du quotidien Gazeta Wyborcza. L’auteur remercie les initiateurs de l’ouvrage Nasz przyjaciel Adam [Notre ami Adam], et notamment Madame Krystyna Mierzejewska, pour leur aimable autorisation de le reproduire.
  • (1)
    Un journaliste français réputé, Bernard Guetta, a écrit qu’il se sentait le jumeau d’Adam Michnik. Et pas seulement parce qu’il a, lui aussi, une diction légèrement entravée. « Je le regardais. C’était un autre moi... même bousculade des mots sur ses lèvres... » ou encore «... nous sommes jumeaux. C’est prouvé ». Voir Kaléidoscope franco-polonais (sous la direction de B. Geremek et M. Frybes), Editions Noir et Blanc, pp. 108-110. Aurait-il osé cette affirmation aujourd’hui alors que la gémellité en politique est devenue, grâce aux frères Kaczynski, une attraction pour les sciences sociales du monde entier ? Je n’en suis pas sûr.
  • (2)
    Ses détracteurs qui l’accusent d’être le complice des communistes oublient curieusement ce rôle majeur qu’il a joué en Europe centrale.
  • (3)
    Leszek Kolakowski pourrait souscrire dans ce passage à l’hypothèse d’un rôle décisif du bégaiement (l’arythmie de l’élocution) pour hypnotiser la communauté émotionnelle à l’écoute d’un bègue charismatique. Voir « Charyzmatyczny przywodca, charyzmatyczny nauczyciel » [Le leader charismatique, l’éducateur charismatique], Gazeta Wyborcza, 14 mai 2006.
  • (4)
    « Les bègues ont souvent des difficultés énormes à dire leur propre nom. C’est extrêmement embarrassant et certains bègues ont même demandé à changer leur nom pour un autre qu’ils peuvent prononcer facilement. Une fois que le changement a été approuvé par les autorités, le bègue découvre souvent qu’il peut maintenant facilement prononcer son ancien nom, mais qu’il bloque sévèrement sur son nouveau nom », voir hhttp :// www. begaiement. net/begaiement-fait.html.
  • (5)
    Cet essai est paru dans la presse clandestine, durant la loi martiale (décembre 1981 - juillet 1983).
  • (6)
    Le maréchal Pilsudski, lié au mouvement socialiste, fut le cofondateur du Parti socialiste polonais (PPS). Les légions polonaises qu’il constitua en 1914 se battront aux côtés des troupes des empires centraux pendant la Première Guerre mondiale. Après avoir dirigé l’Etat polonais indépendant en 1918, il combattit l’Armée rouge. Revenu au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat en mai 1926, il instaura un régime autoritaire.
  • (7)
    Remarquons que justement chez Max Weber, Yahvé « au contraire des prophètes chrétiens ne descend pas vers la communauté des fidèles ». Je me réfère à la traduction française du Gesamelte Aufsätze zur Religionssocziologie, Band III , Tübingen, Mohr, 1920 ; Le judaïsme antique, Plon, Paris, 1970.
  • (8)
    M. Dobry, Sociologie des crises, PFNSP, Références, 1992, p. 228.
  • (9)
    L. Kolakowski, op. cit.
  • (10)
    Ce passage est cité d’après Georges Mink, Introduction de l’ouvrage d’Adam Michnik, La deuxième révolution, Paris, La Découverte, 1990.

1Pour certains, il est un objet d’adoration, ils le considèrent comme une autorité incontestable et copient jusqu’à son style d’écriture ou de discours [1]. D’autres, pour affirmer leur propre personnalité, en font un adversaire. Quelqu’un a écrit avec un sérieux pathétique qu’Adam Michnik était une véritable institution. Qu’il habitait dès à présent l’« espace de l’immortalité polonaise », car comme personne en Pologne, il a remis au goût du jour la principale des qualités : le courage. Qu’en tant qu’écrivain et politicien, il est la référence identitaire des écrivains, des idéologues, de tous ceux qui participent à la vie publique polonaise.

2Rares sont ceux à avoir remarqué qu’il incarne un phénomène extraordinaire dans la vie politique. Aucun politiste n’a jamais pris soin de lui consacrer une recherche approfondie. Il s’agit là d’une grave erreur. C’est la raison pour laquelle je souhaitais commémorer le 60e anniversaire d’Adam Michnik, qui depuis longtemps m’honore de son amitié, en me penchant sur ce phénomène digne de la science politique.

Une forme particulière du charisme

3Tout le monde est d’accord pour reconnaître que c’est un homme doté de charisme. Je crains cependant qu’on utilise cette notion dans son sens le plus ordinaire. Or, il n’est pas question ici de ce charisme que tout un chacun essaie de s’approprier à l’aide des manuels de stratégie de gestion des collectifs humains, qui envahissent les étagères des librairies, et à laquelle sont dédiés des centaines de blogs de l’internet. Dans le cas présent, il s’agit du concept scientifique, celui-là même dont Max Weber fut le théoricien le plus éminent. En sciences politiques, le phénomène du charisme est décrit par deux approches opposées : intentionnaliste, qui attribue la responsabilité de l’événement à un héros, ou structuraliste, qui minore le poids du leader et impute les causes d’un événement exceptionnel aux structures responsables de la radicalisation idéologique. Ces deux approches ne peuvent s’appliquer au cas Michnik : son charisme ne peut en effet être ramené ni à l’intentionnalisme ni au structuralisme, car il n’a rien à voir avec le leadership au sens de celui d’un meneur des mobilisations de rue, mais relève d’une conduite morale, sans prétention dirigiste. De surcroît, et ceci est attesté par l’observation empirique, l’autorité charismatique de Michnik est extraterritoriale. Elle est tout aussi efficace en Pologne qu’à Paris (à la Sorbonne), à Madrid, qu’à New York, voire à Grand Quevilly (où A. Michnik s’est rendu à l’invitation de Laurent Fabius, alors Premier ministre et députémaire de la ville). C’est là, qu’interrogé sur les intentions de l’Europe post-communiste, il a répondu : « nous voul-o-ons devenir l’a-a-arrière garde de l’E-E-urope plutôt que l’a-a-avant-garde de l’A-A-Asie. (...)».

4Rappelons que les foules enthousiastes s’inclinaient devant sa personne partout où se jouait le dernier acte du communisme est-européen : à Prague avec Vaclav Havel, à Moscou avec Andreï Sakharov, à Budapest avec Janos Kis [2]. Moi-même, j’ai vu de mes propres yeux, à plusieurs reprises, comment il magnétisait ? le mot n’est pas trop fort ? les participants des rencontres, quel qu’en soit le nombre, charmant son auditoire et provoquant une véritable communion émotionnelle.

5Cet internationalisme post-moderniste ne pouvait être décrit par Max Weber. Comment aurait-il pu, au début du XXe siècle, imaginer un personnage universellement et extraterritorialement charismatique ? Pour que des figures comme Che Guevara ou le pape Jean Paul II parviennent à fasciner le monde entier, il fallait qu’arrive l’époque de la globalisation. Nous avons pu suivre des reportages télévisés de la visite d’Adam Michnik dans Prague envahie par la foule des touristes. La caméra s’est arrêtée sur la digne descendance aristocratique, moitié hussite moitié habsbourgeoise, qui s’est agenouillée devant lui dans un geste d’allégeance, alors qu’il se promenait rue Celetna, à la recherche d’une bonne svickova accompagnée d’un knedlik de pommes de terre, le tout arrosé d’une bouteille de Budovar.

6Certes, le charisme est une énigme, mais il a des attributs observables comme l’exceptionnelle intelligence, la sémantique particulière, la musicalité de la parole et du discours. M. Weber a souligné que chaque charisme pouvait s’épuiser, qu’on pouvait le réduire. Ainsi, le principal ennemi du charisme est sa « routinisation », l’institutionnalisation des règles du leadership, l’entrée dans la sphère de la quotidienneté, la « bureaucratisation de l’étincelle de Dieu ». Il est vrai que, comme indiqué plus haut, Adam Michnik est devenu une institution. Et puisqu’il y a institution, il y a routine, ce qui, selon la logique scientifique, devrait entraîner l’extinction du charisme. Pourquoi donc n’en est-il rien ? Et ce, malgré les prophéties malveillantes de ses anciens camarades de victoires et de défaites ? Pourquoi ce charisme est-il aussi intense qu’au premier jour ?

7Et si la raison résidait dans le fait que ? c’est l’hypothèse centrale de travail que je soumets à mes collègues chercheurs en sciences sociales ? A. Michnik est doté d’un instrument spécial pour attirer l’attention et produire de l’émotion. Si le charisme perdure c’est parce qu’il dispose d’un support particulier qui constitue en soi un phénomène dont la découverte serait aussi majeure, du moins pour les politistes, que celle d’une espèce jusque-là inconnue sur la planète.

8Ce support, n’est autre que le bégaiement charismatique. (Une rumeur m’est parvenue selon laquelle Adam Michnik appartiendrait à l’Association polonaise des bègues. Je m’élève contre cette tentative de calomnie. Dénué de tout fondement nationaliste, son bégaiement n’est pas ordinaire).

A propos du bégaiement charismatique

9Certes, la liste des bègues célèbres est très longue : Aristote, Charles Darwin, Démosthène, Marylin Monroe, Isaac Newton, entre autres. Mais seuls Napoléon Bonaparte, le roi de France Louis II surnommé le Bègue, Winston Churchill, Théodore Roosevelt sont susceptibles de susciter la curiosité des politistes du fait de l’existence d’une corrélation entre le charisme et ce défaut d’élocution.

10Prenons le risque d’une autre hypothèse de recherche : le bégaiement d’A. Michnik est un don mystérieux et non le fruit d’un traumatisme du passé ou l’effet d’un entraînement éthylique. Tout comme son autorité charismatique, les attributs qui lui sont liés ne peuvent pas être « effectivement copiés (ou imités ? Nda) quel que soit mon effort pour le faire », note le philosophe Leszek Kolakowski, lequel s’approche de nos hypothèses dans sa description du « rayonnement charismatique ». « On se soumet à son autorité non pas parce que nous sommes rationnellement convaincus qu’il a raison, mais du fait de la puissance particulière de sa personnalité » [3].

11Une telle thèse, appliquée au cas Michnik ne peut faire abstraction d’une composante importante de sa personnalité, celle du bégaiement charismatique.

12Il est temps de montrer que nous disposons de la preuve irréfutable qu’il ne s’agit point d’un bégaiement lié au trac ou à la peur mais d’une stratégie charismatique, décrite par les politistes critiques quand ils analysent, par exemple, le cas du Mahatma Gandhi qui aurait utilisé sa maigreur à des fins de communion émotionnelle avec ses disciples.

13La théorie comme la pratique nous enseignent que tous les bègues réagissent au stress de la même façon, en serrant les muscles de leurs cordes vocales. Ceci explique pourquoi le bégaiement s’intensifie lorsque l’intéressé se trouve sous pression.

14Pourtant, alors que, vers la fin des années quatre-vingt-dix, A. Michnik se trouvait avec son fils Antos à Methoni, dans le bas Péloponèse, les choses ne se sont pas passées ainsi. C’étaient les premières vacances durant lesquelles les secrétaires de rédaction de Gazeta Wyborcza l’avaient condamné à être tenu en « laisse » grâce à la diabolique invention du téléphone portable. C’était aussi la première fois de sa vie qu’il était obligé de surmonter son dédain pour la technologie moderne, instruit par celles qu’il appelait moje dziewczyny (mes « nanas »). L’appareil était posé sur une serviette de plage. A. Michnik était en train de se baigner, lorsque soudain retentit la sonnerie. Quelqu’un lui tendit le téléphone. L’eau lui montant jusqu’aux genoux, il s’est mis à pérorer dans l’appareil sans bégayer, tandis que l’expression de son visage passait alternativement de la peur devant la technologie moderne à la colère contre ceux qui venaient ainsi de le déranger. Ni l’angoisse devant les nouvelles technologies, ni le trac n’avaient réveillé son bégaiement. En particulier lorsqu’il confirma à son interlocuteur son nom et son prénom, ce qui en général est impossible à prononcer par des gens affligés d’un tel défaut d’élocution [4].

15Voici donc la preuve qu’il ne s’agit pas d’un bégaiement ordinaire. Et comme A. Michnik n’a point bégayé en ce moment précis, aucune communauté émotionnelle ne s’est alors formée autour de lui et même les méduses se sont cachées. Le charisme s’est provisoirement endormi. J’en conclus que son bégaiement se manifeste uniquement dans le but de faire apparaître son charisme.

Qui est Adam Michnik ?

16Nombreux sont les spécialistes qui tentent de définir A. Michnik. D’ailleurs, à quoi serviraient les sciences sociales si elles ne s’adonnaient pas à la recherche de définitions (labelliser, typologiser, classer, étiqueter) ?

17Qui est donc A. Michnik, cet acteur de tous les combats en Pologne depuis bientôt 50 ans ? Un représentant de cette gauche laïque (le nom que lui-même a inventé dans les années soixante-dix) ? Un moraliste égaré dans le monde de la politique (comme il s’est autodésigné dans son essai Sur le compromis[5] ) ? Descend-il réellement de la tradition des insoumis polonais du siècle des partages ? Ou est-il plutôt un de ces néo-révisionnistes (au sens de la critique interne au communisme) de la gauche post-communiste ? On le qualifie volontiers de romantique, d’adepte du « pilsudskisme » [6] moderne, d’incorrigible sympathisant de la gauche, tout en lui collant l’adjectif de cosmopolite.

18Bien sûr toutes ces hypothèses ont leur part de vérité. Mais personne n’osera affirmer (il est le seul à le faire) qu’il a simplement beaucoup de chance. Car il a été pourvu de cet exceptionnel don de la nature qu’est le bégaiement charismatique. Je comprends les doutes, et même une certaine inquiétude des positivistes et des néopositivistes à l’égard de telles affirmations, ne serait-ce que parce qu’ils ne peuvent construire des indicateurs empiriques de ce phénomène, comme il sied en matière de sciences sociales. Car, outre ses qualités rares comme l’attitude chevaleresque, l’intelligence, la mémoire, la fidélité dans l’amitié et l’incroyable appétence pour la vie, A. Michnik dispose d’une arme secrète, dont les idiots se moquent, mais que la communauté de ses adeptes, fascinée par son charisme, ne perçoit même pas. C’est justement ce bégaiement charismatique qui constitue pour Adam Michnik (il serait épistémologiquement inconvenant de subjectiviser mon objet de recherche en l’appelant par son diminutif amical Adas ? Nda) l’équivalent de la « botte secrète » du d’Artagnan des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. Aucun gardien de prison ne pouvait la lui confisquer en même temps que les lacets de ses chaussures et la ceinture de son pantalon. Ils étaient chaque fois trop occupés à chercher à comprendre ses paroles en se saisissant de chaque faille de sa diction chaotique pour pouvoir se hisser à la hauteur de son propos et en appréhender quelques bribes.

19Différents théoriciens soulignent l’existence d’une certaine diversité parmi les personnalités charismatiques. Certains postulent qu’il n’y a pas de charisme sans le faisceau des conditions sociales nécessaires à son apparition (de fait, pour eux, ce sont ces conditions qui engendrent le charisme, et non pas l’inverse). Bien que ces théories ? marquées par une volonté nostalgique de redorer le blason du paradigme matérialiste ? ne fassent que renouveler une discussion anachronique sur ce qui est le plus important, de l’infrastructure ou de la superstructure, nous pouvons tolérer de tels questionnements dans ce projet de recherche.

20Dans le cas précis d’Adam Michnik, nous sommes confrontés à un apparent paradoxe : chez lui, le charisme ne s’accompagne pas de la volonté de commander dans le champ politique [7]. Personne ne se souvient aujourd’hui du sacrifice qu’il lui en a coûté d’abandonner en 1991 son siège de député de la Diète, élu dans une circonscription silésienne : il a dû se priver du traditionnel plat silésien, le jarret de porc. Or, ne plus partager ce repas royal avec ses électeurs fut le prix à payer pour s’évader de la politique politicienne. Grâce à cela d’ailleurs, A. Michnik a préservé son charisme de l’envahissant cholestérol et de l’overdose du carriérisme politique (confirmant la chance qu’il a à la loterie de la vie).

21Il nous reste à discuter le cas de charisme décrit par Leszek Kolakowski et Michel Dobry, professeur de science politique à la Sorbonne. Voici ce qu’en dit ce dernier : « nous nous intéressons ici (...) aux stratégies charismatiques (...) au profit d’un individu donné, (qui a besoin) d’une attestation sociale de sa qualification charismatique » ou, pour le dire de manière un peu plus sécularisée, « de son aptitude à offrir une issue, (...), une “solution” à la crise dans laquelle il intervient » [8]. Il ajoute plus loin que cela exige un certain « travail charismatique » s’appuyant sur un usage particulier du discours et du mode (surnaturel et prophétique) de sa transmission (sic !). Nous voici revenus à cet attribut qu’est le bégaiement charismatique. Leszek Kolakowski le conceptualise un peu différemment. « Il existe des hommes dotés de l’autorité charismatique, dont nous avons vraiment besoin. Ce ne sont pas des chefs politiques mais, pour ainsi dire, (...) des guides ou des auxiliaires » [9]. Personne ne peut nier qu’en 1990 nous avons bénéficié d’un acte salutaire d’Adam Michnik, lorsqu’il nous a aidés à rompre la chaîne nous rattachant à Solidarnosc qui avait cessé d’être ce mouvement glorieux des années de lutte. Ses croyants et adeptes ont pu pousser un soupir de soulagement lorsque A. Michnik a admis sans bégayer (il l’a fait par écrit !) ceci : « J’ai cru que Solidarnosc ? avec toutes ses dissensions internes ? saurait maintenir l’unité au nom du bien commun et suprême. Aujourd’hui je suis conscient de mon échec. L’idée de solidarité tire à sa fin. C’est Lech Walesa qui en est responsable. Jusqu’à la fin de mes jours, je demeurerai l’homme de Solidarnosc. Mais aujourd’hui je range l’insigne de Solidarnosc, qui m’accompagna pendant 10 ans, à côté de quelques-uns de mes souvenirs les plus personnels. A côté des actes de condamnation à la privation de liberté, à côté des livres écrits en prison. Je ne cache pas ma douleur. Je ne désire pas ? jamais je ne l’ai voulu ? me reposer sur un symbole, qui veut dire maintenant le pouvoir et la puissance. Je portais cet insigne lorsqu’il n’apportait que l’emprisonnement, je ne veux pas le porter lorsqu’il ouvre la voie aux privilèges. Je vis cela comme un moment d’épreuve : maintenant on saura ce que vaut chacun d’entre nous, sans l’insigne » [10].

22Toutes ces hypothèses sur le rôle exceptionnel de l’arythmie discursive chez une personnalité charismatique devraient être vérifiées à partir du cas exceptionnel d’Adam Michnik. Voici donc un modeste projet de recherche pour le 60e anniversaire d’Adam Michnik. Si les eurocrates en charge du 7e PCRD (Programme-cadre Recherche et développement de l’Union européenne) daignent le financer, alors j’aurai pendant de longues années le plaisir de demeurer en compagnie d’Adam. Ceci étant, pour le bien de la science, je serais prêt à autofinancer une telle recherche.

23Nous, les politistes, sommes conscients que de longues années de travail nous attendent avant de résoudre l’énigme du charisme michnikien. Et tant mieux !

Notes

  • [*]
    Cet article est la traduction du texte écrit à l’occasion du 60e anniversaire d’Adam Michnik, célèbre opposant au régime communiste en Pologne, aujourd’hui rédacteur en chef du quotidien Gazeta Wyborcza. L’auteur remercie les initiateurs de l’ouvrage Nasz przyjaciel Adam [Notre ami Adam], et notamment Madame Krystyna Mierzejewska, pour leur aimable autorisation de le reproduire.
  • (1)
    Un journaliste français réputé, Bernard Guetta, a écrit qu’il se sentait le jumeau d’Adam Michnik. Et pas seulement parce qu’il a, lui aussi, une diction légèrement entravée. « Je le regardais. C’était un autre moi... même bousculade des mots sur ses lèvres... » ou encore «... nous sommes jumeaux. C’est prouvé ». Voir Kaléidoscope franco-polonais (sous la direction de B. Geremek et M. Frybes), Editions Noir et Blanc, pp. 108-110. Aurait-il osé cette affirmation aujourd’hui alors que la gémellité en politique est devenue, grâce aux frères Kaczynski, une attraction pour les sciences sociales du monde entier ? Je n’en suis pas sûr.
  • (2)
    Ses détracteurs qui l’accusent d’être le complice des communistes oublient curieusement ce rôle majeur qu’il a joué en Europe centrale.
  • (3)
    Leszek Kolakowski pourrait souscrire dans ce passage à l’hypothèse d’un rôle décisif du bégaiement (l’arythmie de l’élocution) pour hypnotiser la communauté émotionnelle à l’écoute d’un bègue charismatique. Voir « Charyzmatyczny przywodca, charyzmatyczny nauczyciel » [Le leader charismatique, l’éducateur charismatique], Gazeta Wyborcza, 14 mai 2006.
  • (4)
    « Les bègues ont souvent des difficultés énormes à dire leur propre nom. C’est extrêmement embarrassant et certains bègues ont même demandé à changer leur nom pour un autre qu’ils peuvent prononcer facilement. Une fois que le changement a été approuvé par les autorités, le bègue découvre souvent qu’il peut maintenant facilement prononcer son ancien nom, mais qu’il bloque sévèrement sur son nouveau nom », voir hhttp :// www. begaiement. net/begaiement-fait.html.
  • (5)
    Cet essai est paru dans la presse clandestine, durant la loi martiale (décembre 1981 - juillet 1983).
  • (6)
    Le maréchal Pilsudski, lié au mouvement socialiste, fut le cofondateur du Parti socialiste polonais (PPS). Les légions polonaises qu’il constitua en 1914 se battront aux côtés des troupes des empires centraux pendant la Première Guerre mondiale. Après avoir dirigé l’Etat polonais indépendant en 1918, il combattit l’Armée rouge. Revenu au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat en mai 1926, il instaura un régime autoritaire.
  • (7)
    Remarquons que justement chez Max Weber, Yahvé « au contraire des prophètes chrétiens ne descend pas vers la communauté des fidèles ». Je me réfère à la traduction française du Gesamelte Aufsätze zur Religionssocziologie, Band III , Tübingen, Mohr, 1920 ; Le judaïsme antique, Plon, Paris, 1970.
  • (8)
    M. Dobry, Sociologie des crises, PFNSP, Références, 1992, p. 228.
  • (9)
    L. Kolakowski, op. cit.
  • (10)
    Ce passage est cité d’après Georges Mink, Introduction de l’ouvrage d’Adam Michnik, La deuxième révolution, Paris, La Découverte, 1990.
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