Couverture de CPE_072

Article de revue

Les centres de rétention en Europe centrale

Pages 25 à 37

Notes

  • (1)
    Isabelle Saint-Saëns, « Des camps en Europe aux camps de l’Europe », Multitudes, n° 19, hiver 2004, pp. 61-72.
  • (2)
    wwww. echanges-partenariats. org.
  • (3)
    Le réseau Migreurop rassemble des chercheurs, des élus et des militants associatifs de plusieurs pays européens dans le but de collecter, d’analyser et de diffuser des informations relatives aux politiques européennes d’asile et d’immigration menant à la relégation d’étrangers dans des camps. Il est né, fin 2001, d’une initiative collective après le constat que le centre de Sangatte n’était autre que le symbole d’une politique d’asile et d’immigration défaillante puisqu’elle aboutissait à rassembler des populations sans statut juridique dans des lieux hors droit. Ses recherches lui ont permis d’aboutir à une définition et une typologie des camps, ainsi que d’élaborer une « carte des camps d’étrangers en Europe ». Voir le site wwww-migreurop. org.
  • (4)
    Une explication du choix sémantique du mot « camp » est disponible sur le site de Migreurop http ://pajol.eu.org/article675.html.
  • (5)
    Notamment le gouvernement belge. La France a soutenu cette position avant que la loi ne confère une existence officielle aux zones d’attente en 1992.
  • (6)
    Dans l’arrêt Chahal c. UK du 15 novembre 1996, la Cour a estimé que la durée de la détention était justifiée au regard de la complexité du dossier et qu’il n’y avait donc pas eu violation de l’article 5, paragraphe 1f) de la Convention européenne des droits de l’homme.
  • (7)
    C’est le terme employé par deux parlementaires belges après une visite du centre fermé de Bruges en 1999. Voir N. Mayer, « Les centres fermés : vue de l’intérieur », in P.-A. Perrouty, La mise à l’écart de l’étranger. Centres fermés et expulsions, Bruxelles, Labor, 2004, p. 73 et suivantes.
  • (8)
    Medici Senza Frontiere, « Rapporto suis Centri di pennanenza temporanca e assistenza ». Missione Italia, janvier 2004.
  • (9)
    Programme pour un espace de Liberté, Sécurité et Justice, approuvé par le Conseil européen de Bruxelles les 4 et 5 novembre 2004.
  • (10)
    Jesuit Refugee Service, 2004, http :// wwww. detention-in-europe. org/ .
  • (11)
    L’Ukraine partage désormais une frontière avec quatre Etats membres de l’Union européenne, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie.
  • (12)
    Ces accords ont été signés en 1993 et sont entrés en vigueur en avril 1994.
  • (13)
    Cet accord a été signé le 27 octobre 2006 et entrera en vigueur deux ans plus tard ; à titre de « réciprocité », l’UE a décidé une simplification des formalités nécessaires à l’obtention d’un visa au profit de certaines catégories de citoyens ukrainiens. Cet accord s’inscrit dans le cadre du Plan d’action (volet Justice et Affaires intérieures) appelé à concrétiser la Politique européenne de voisinage. Par ailleurs, la mise en place par l’UE de « Programmes de protection régionaux », en vue d’aider des pays tiers à créer ou à renforcer des structures d’asile, concerne au premier chef l’Ukraine : ce pays, ainsi que la Biélorussie et la Moldavie, à l’Est, la Tanzanie, au Sud, ont en effet été désignés pour qu’y soient réalisés des « programmes pilotes ».
  • (14)
    La notion de « pays sûrs », introduite par l’Union européenne en 1992, autorise le refoulement des réfugiés dans les pays d’origine et, plus fréquemment de transit, dès lors que ces derniers sont considérés comme offrant des garanties pour leur sécurité. Il n’existe pas de liste commune, chaque Etat membre étant libre d’établir la sienne.
  • (15)
    En 2006, les gardes-frontières ont appréhendé 25 782 immigrants illégaux, soit 43,7 % de plus qu’en 2005. parmi eux, les Moldaves étaient les plus nombreux (38 %); venaient ensuite des Ouzbeks (10 %), des Arméniens (9 %), des Azerbaïdjanais (8 %), des Tadjiks (5 %)...
  • (16)
    De fait, l’accord conclu fin 2006 n’entrera en vigueur qu’en 2008.

1Face à l’immigration illégale, l’Union européenne entend faire preuve de fermeté; aussi a-t-elle mis au point un arsenal juridique adossé à toute une série de moyens matériels et policiers dont l’importance ne cesse de croître, comme en témoigne la décision d’avril 2007 de création d’équipes d’intervention rapide de gardes-frontières. Au nombre de ces moyens, les centres de rétention pour étrangers en situation irrégulière, où sont rassemblés des migrants en attente d’une décision sur leur statut ou, bien plus souvent, d’une expulsion, se sont multipliés au cours de ces dix dernières années sous les formes les plus variées au sein de l’Union européenne. Mais plus frappant encore, l’évolution va dans le sens d’une délocalisation de ces lieux d’internement administratif des Etats membres vers des pays tiers limitrophes, tandis qu’avec les deux élargissements à l’Est de mai 2004 et de janvier 2007, la frontière extérieure est repoussée toujours plus loin : « la Pologne exige maintenant de l’Ukraine ce que l’Allemagne exigeait d’elle avant son entrée dans l’UE »[1]. Ainsi, en externalisant les procédures d’asile et d’immigration, avec à la clé des aides financières non négligeables, comme le prévoient d’ailleurs les Plans d’action conclus avec ses nouveaux voisins, l’Union européenne laisse à d’autres le soin d’intercepter les nouveaux arrivants avant même qu’ils ne pénètrent sur le territoire européen ou, quand elle les leur renvoie en vertu des accords de réadmission, celui de statuer sur leur sort. Or, la plupart de ces pays, pourtant labellisés « sûrs » par Bruxelles en ce qui concerne la protection des droits des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants économiques, sont loin de posséder les structures et les connaissances (linguistiques, juridiques, géopolitiques...) que requiert une telle mission. Une réalité dénoncée par de nombreuses ONG et associations, ainsi que par des parlementaires européens...

2La question des centres de rétention est abordée ici au travers d’extraits de plusieurs contributions faisant autorité en la matière. Après l’éclairage d’une situation, qui a tout d’un maquis inextricable, apporté par la typologie de Caroline Intrand et Pierre-Arnaud Perrouty dans la revue Cultures & Conflits (n° 57,2005), on trouvera un recensement de ces lieux d’internement administratif dans les nouveaux Etats membres (sans la Bulgarie et la Roumanie), réalisé à partir des informations réunies par l’organisation internationale Jesuit Refugee Service : ils seraient un peu plus de 50 dans ces pays sur un total de 174 pour toute l’UE-25. Enfin, seront exposés des témoignages de terrain, d’une part, sur le centre de Debrecen, en Hongrie, par Thomas Jézéquel qui a participé au programme européen de mobilité géré par l’association Echanges et partenariats[2], et d’autre part, sur la situation en Ukraine, telle qu’elle ressort d’une importante enquête menée en 2005 par l’ONG Human Rights Watch.

Grille de lecture

3(...)

4La notion de camp d’étrangers pour Migreurop [3] n’est pas uniquement définie par les lieux de privation de liberté tels que les camps de rétention, de détention ou les prisons [4]. Afin de ne pas occulter une partie de la réalité des conséquences des politiques migratoires en Europe, le réseau a étendu le concept de « camp » à tout lieu de relégation où l’étranger est privé de ses droits ?parfois seulement partiellement.

5Le terme va donc définir tous les types de lieux de mise à distance des étrangers : ainsi certains centres ouverts, d’accueil, de transit ou d’hébergement, dans lesquels les étrangers sont cantonnés parce qu’ils n’ont pas d’autre choix que celui de s’y trouver, seront entendus comme des camps. Les lieux de regroupement informels des étrangers en errance, ou de regroupement dans l’attente du passage clandestin d’une frontière, comme en son temps Sangatte ou actuellement les camps du nord du Maroc, font également partie de ce que Migreurop rassemble sous le mot camp.

6Toutes les techniques de mise à l’écart, du maintien à distance et la politique des visas jusqu’à l’expulsion en passant par la notion « d’externalisation » qui se dessine de plus en plus nettement dans le paysage européen font également partie de l’objet d’étude de Migreurop dans la mesure où ce sont des politiques créatrices de camps.

7Les recherches de Migreurop ont abouti à faire émerger la grande diversité de ces camps, de par leurs régimes, leurs fonctions, leur configuration spatiale... Elles ont également eu pour objectif de montrer leurs caractéristiques communes : leurs occupants ? étrangers n’ayant commis aucun délit en dehors de celui du franchissement illégal d’une frontière ?, la disparition de l’individu au profit du groupe et la difficulté d’y assurer le respect des droits fondamentaux. Ces traits dominants illustrent les conséquences des politiques européennes d’asile et d’immigration qui utilisent les camps comme outil de gestion des migrations.

8Les tout récents projets de camps ou « centres d’accueil » dans les pays frontaliers à l’extérieur de l’Union ne sont qu’un élément de plus qui confirme la logique européenne.

? Typologie des lieux de mise à l’écart

9Tous les Etats de l’Union européenne procèdent, sous une forme ou une autre, à la mise à l’écart des étrangers trouvés sans titre de séjour sur leur territoire.

10La première image qu’évoque le terme « camp », c’est celle d’un lieu fermé, physiquement identifiable et localisable, dont la fonction première est de maintenir sous contrôle des personnes indésirables. Présents en grand nombre sur le territoire de l’Union, ces camps prennent des formes multiples : camps ouverts, fermés, construits ad hoc pour l’enfermement en vue de l’expulsion, anciens bâtiments réaffectés durablement ou réquisitionnés dans l’urgence pour faire face à une crise, prisons, locaux divers. Des camps de fortune improvisés dans les îles grecques ou au sud de l’Italie aux centres de rétention français ou aux centres fermés belges, des prisons allemandes aux camps-tampons des enclaves de Ceuta et Melilla au Maroc, la réalité des camps en Europe est donc avant tout multiforme.

Lieux fermés

11Toute tentative de typologie est dès lors délicate, d’autant que cette figure classique du camp, entité physique localisable, ne rend pas très bien compte de la diversité des dispositifs administratifs et policiers déployés pour maintenir à l’écart ceux qui tentent de gagner l’Europe. Politique de délivrance des visas, opacité des décisions administratives, découragement sous des formes diverses, contrôles aux frontières, maintien en zone de transit des aéroports, regroupement dans des centres « ouverts » aux fins de contrôle, les barrières ne manquent pas. En ce sens, le camp ne recouvre pas seulement des lieux identifiables mais l’ensemble des processus et des dispositifs qui visent à maintenir à l’écart, à rendre invisible et à éloigner. II reste que le caractère ouvert ou fermé des camps paraît être la distinction de départ la plus claire et la plus intuitive.

Lieux ouverts

12Ces lieux ont pour objectif premier d’enregistrer les migrants, de surveiller leurs activités et, surtout, de pouvoir les localiser facilement dans l’hypothèse ?tellement souvent vérifiée ?où il faudrait exécuter une décision d’éloignement. En d’autres termes : opérer un contrôle administratif et social sur les migrants.

13Ces lieux sont, eux aussi, multiples. Ils peuvent prendre la forme de centres d’accueil pour demandeurs d’asile où les candidats au statut de réfugié sont nourris et logés. (...) Mais ces lieux peuvent aussi prendre des formes moins visibles, comme l’obligation de se présenter régulièrement à un guichet de l’administration chargée du traitement de leur dossier. Il n’est pas rare que le fait de ne pas répondre à une de ces convocations entraîne automatiquement un rejet de la demande.

14(...)

15Si on s’attache aux camps fermés, le plus pertinent semble être de les classer selon la fonction qui leur est assignée.

16On peut globalement en distinguer trois types, en fonction de la situation administrative des personnes qui s’y trouvent.

17Le premier type regroupe les camps d’attente où les personnes sont détenues en vue de leur identification, d’un examen de leur situation et d’une éventuelle admission sur le territoire. Les camps d’attente sont situés à proximité immédiate du point de passage d’une frontière : aéroports, gares et ports. (...)

18Les personnes qui ne sont pas admises sur le territoire seront directement refoulées dans leur pays ou dans le pays dont elles viennent, sans jamais avoir eu formellement accès au territoire. Du point de vue de certains Etats [5], les personnes qui sont maintenues dans ces zones ne sont pas détenues : elles sont libres de repartir pour leur pays ou pour tout autre Etat qui les accepte. En d’autres termes : « vous pouvez aller partout, mais pas chez nous », le « nous » devant s’entendre au sens de l’Espace Schengen ?illustration du célèbre principe «not in my backyard».

19L’autre enjeu de ces zones d’attente est économique. Si, du point de vue de la personne détenue, il importe peu qu’elle le soit dans un centre réputé « à la frontière » ou sur le territoire, la distinction est importante du point de vue de l’Etat. La Convention de Chicago du 7 décembre 1944 relative à l’aviation civile internationale oblige une compagnie aérienne à reprendre à ses frais les personnes qu’elle a transportées et qui sont refoulées faute de documents. Obligation qui cesse dès que ces personnes ont été admises sur le territoire. (...)

20Les camps de détention constituent le deuxième type : ils visent des personnes déjà entrées sur le territoire. (...) Ces lieux sont aussi destinés à détenir les demandeurs d’asile en cours de procédure qui sont soupçonnés de vouloir s’évanouir dans la nature avant l’issue de la procédure.

21Enfin, troisième type, les camps d’éloignement où les personnes sont détenues en vue de leur expulsion du territoire.

22(...)

23Si cette typologie présente le mérite d’attirer l’attention sur les différentes fonctions des camps, il faut garder à l’esprit que la plupart des camps en Europe cumulent au moins deux fonctions et se situent donc à cheval sur plusieurs types. C’est notamment le cas des centres de séjour temporaire en Italie, des camps espagnols, des centres de rétention français (qui cumulent les fonctions de détention et d’éloignement), des centres fermés belges et de la plupart des centres anglais, italiens ou polonais.

24Al’inverse, certains lieux fermés s’accommodent mal de cette typologie parce qu’ils sont, par exemple, initialement prévus pour un autre usage. C’est le cas des prisons qui sont utilisées dans plusieurs pays pour détenir des migrants qui n’ont commis que le seul délit de franchissement illégal d’une frontière. L’Allemagne y recourt largement. Des ailes spéciales sont parfois aménagées mais, le plus souvent, les migrants côtoient les détenus de droit commun. En Belgique, les prisons sont utilisées quand il n’y a plus de places disponibles dans les centres. Dans certains cas, il s’agit de lieux informels, pas ou peu visibles, dont il n’existe le plus souvent pas de liste officielle.

25C’est le cas des locaux de rétention en France que chaque préfecture peut créer par simple arrêté en fonction de ses besoins. Commissariats de police, gendarmeries ou chambres d’hôtel réquisitionnées, on peut dénombrer près d’une centaine de ces lieux sur le territoire. Les conditions matérielles de détention y sont très variables et l’exercice de leurs droits est loin d’être garanti aux migrants qui y sont retenus.

Limites de la distinction

26 Si la distinction entre centres ouverts et fermés est apparemment cruciale du point de vue des personnes qui s’y trouvent, la réalité est à nuancer. D’une part, parce que les contraintes administratives et les règles internes de fonctionnement des centres ouverts peuvent aboutir à limiter sérieusement la liberté de circulation des migrants. Par exemple, en Allemagne, les migrants placés dans les Ausreizencentrum (centres « de départ ») peuvent circuler dans la ville attenante au centre mais ne peuvent s’aventurer au-delà d’une certaine limite géographique. Dans certains centres ouverts en Belgique, des règles de couvre-feu imposent aux personnes de rentrer avant une certaine heure.

27D’autre part, parce que les centres ouverts procèdent en réalité d’une même logique de contrôle et de mise à l’écart que les centres fermés. Il s’agit de garder le contrôle sur des personnes potentiellement éloignables dans un avenir proche. (...) Ainsi, ni du point de vue de l’Etat, ni même de celui des personnes concernées, la distinction entre centres ouverts et fermés n’est totalement pertinente. (...)

La durée de la détention

28Les durées de détention varient beaucoup d’un pays à un autre et certaines peuvent être extrêmement longues.

29Symbolique de la fermeté des systèmes et de la puissance des Etats, une longue durée de détention participe d’un moyen de dissuasion et d’écrasement des individus. Comptée dans la plupart des pays en mois plutôt qu’en jours ou en semaines, la durée de la détention n’a juridiquement pas de limite dans certains pays, ce qui permet la détention pendant des années de personnes qui n’ont fait qu’enfreindre la législation sur les étrangers. C’est le cas de la Grande-Bretagne, qui a échappé à une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Chahal, malgré une détention de près de deux ans [6]. C’est le cas également à Malte où des personnes ont été détenues plus de dix-huit mois dans le centre de Floriana. L’Allemagne limite la détention à dix-huit mois, suivie de près par la Pologne où l’on peut détenir au maximum pendant un an. La Belgique autorise une détention qui peut aller jusqu’à huit mois, mais il n’est pas rare de rencontrer des personnes détenues depuis plus de dix mois. En Slovénie, Slovaquie et République tchèque, la détention est limitée à six mois. (...)

Les conditions de détention

30Dans les pays où les durées de détention sont très longues, les conditions sont généralement « correctement inhumaines » [7] : malgré les conditions de garde strictes, les détenus ont accès à des facilités telles que salles de sport, ateliers artistiques et bibliothèques...

31On y organise des fêtes, des barbecues, des compétitions sportives et, occasionnellement, des concerts, ce qui renforce le sentiment carcéral, car par ailleurs les sorties sont minutées, les sanctions sévères et les détenus appelés par leur matricule.

32En revanche, là où la détention est plus courte, les conditions sont souvent beaucoup plus précaires. Les organisations non gouvernementales qui ont pu pénétrer dans certains lieux témoignent et dénoncent : en Italie, Médecins Sans Frontière fait longuement état dans son rapport [8] d’une insuffisance grave en matière d’hygiène et d’un manque de matériel médical dans la plupart des centres. (...)

33Les conditions sanitaires sont aussi liées au degré de visibilité des lieux de mise à l’écart. Les camps les plus inaccessibles, fermés ou informels, sont évidemment ceux dans lesquels elles sont les plus inacceptables. (...)

? L’externalisation des politiques d’asile et d’immigration et la création de nouveaux camps

34Réaffirmée dans le programme européen de La Haye [9], la politique d’externalisation de l’Union européenne consiste à faire reposer sur les pays d’origine et de transit des migrants le poids du traitement des demandes de migration et d’asile. Comment ? Par le biais à la fois de « partenariats » pour développer et renforcer les contrôles aux frontières et par l’exportation des systèmes d’asile et d’immigration dans ces pays. Ainsi transposés, ces systèmes générateurs de camps, continueront à faire émerger des lieux d’enfermement ou de regroupement, mais cette fois de l’autre côté de la frontière européenne.

35En effet, pour gérer les populations migrantes vers l’Europe, les pays de transit devront obligatoirement mettre en place des lieux fermés, centres de rétention ou de détention, gérés par les autorités, afin de détenir pour identifier, détenir pour examiner une demande d’admission sur le territoire, détenir pour expulser. Le traitement des demandeurs d’asile passe aussi par la création de centres de réception. La notion de «capacity building» tend à développer dans les Etats à l’extérieur de l’Union, sur le modèle de ce qui a été mis en place dans les nouveaux Etats membres de l’Union européenne, des lieux de détention et de nombreux centres d’accueil pour demandeurs d’asile. En Pologne, par exemple, ont été créés dans les cinq dernières années treize centres de réception et une dizaine de centres de détention [10]. (...)

36Ces efforts déployés par l’Union européenne pour se débarrasser de populations encombrantes ont pour conséquence inévitable la multiplication de lieux de détention ou de relégation des étrangers. Le camp est ainsi, sous ses aspects multiformes, un symbole d’une Europe en régression par rapport à ses valeurs et ses engagements internationaux.

37© Caroline Intrand, Pierre-Arnaud Perrouty, « La diversité des camps d’étrangers en Europe : présentation de la carte des camps de Migreurop », Cultures & Conflits, n° 57, printemps 2005, Paris, Centre d’études sur les conflits, L’Harmattan, pp. 71-90 (extraits).

Géographie des camps dans les NEM

38Les informations regroupées ici ont pour unique source le Jesuit Refugee Service, sont plus ou moins détaillées selon les pays et rendent compte de la situation fin 2004 ou début 2005.

? Estonie

39Il n’y a qu’un seul centre de détention dans ce pays : Harku, qui se situe à 13 km à l’ouest de Tallinn. Il est entouré d’une clôture de fil de fer barbelé.

? Hongrie

40Il existe, dans ce pays, trois types de centres de regroupement des immigrants. En premier lieu, les camps de détention sont destinés aux étrangers, à l’exclusion des demandeurs d’asile, en attente de l’exécution d’une procédure d’expulsion. Ils sont au nombre de huit, tous situés non loin des frontières avec cinq Etats (Slovaquie, Serbie, Croatie, Roumanie, Autriche) : Balassagyarmat, au Nord ; Budapest-Ferihegy (aéroport international); Györ, au Nord-Ouest; Kiskunhalas, au Sud; Nagykanizsa, au Sud-Ouest ; Nyirbator, au Nord-Est ; Oroshaza, au Sud-Est ;

41Szombathely, à l’Ouest. La durée maximum de détention est de un mois.

42Ensuite, les centres d’attente sont des lieux ouverts pour les étrangers : a) qui, en vertu d’engagements pris par la Hongrie dans un accord international, ne peuvent ni être interdits d’entrée sur le territoire, ni renvoyés chez eux, ni expulsés ; b) dont la période de détention a expiré, alors que le motif de la détention existe toujours ; c) qui ont l’autorisation de rester pour des raisons humanitaires. Les personnes placées dans ces centres n’ont pas une totale liberté de mouvement. Appartiennent à cette catégorie Nyirbator (Nord-Est) ; Györ (Nord-Ouest); Nagykanizsa (Sud-Ouest).

43Enfin, les centres d’accueil sont exclusivement réservés aux demandeurs d’asile. Il s’agit de Bekescaba, à l’Est; de Debrecen, à l’Est ; de Bicske, dans les environs de Budapest.

? Lettonie

44La durée maximum de détention dans ce pays est de vingt mois. Deux centres existent : Mucenieki (à une quarantaine de km au sud-est de Riga) et Olaine (à 20 km environ, au sud-ouest de la capitale). Ce dernier, géré par le Service des gardes-frontières, consiste en un immeuble rectangulaire d’un étage localisé dans le périmètre de la prison et d’une capacité de 66 lits. Il est destiné aux immigrants illégaux et aux demandeurs d’asile déboutés, la plupart d’entre eux étant citoyens d’ex-républiques soviétiques ou des personnes devenues apatrides au lendemain de l’éclatement de l’URSS.

? Lituanie

45Il n’y qu’un seul centre de détention, à Pabrade, à l’Ouest, près de la frontière avec la Biélorussie (information confirmée le 24 janvier 2005 par la Représentation permanente de la Lituanie à l’UE). Les étrangers peuvent y être maintenus six mois au maximum.

46Enfin, la loi sur le statut des étrangers ne comporte aucune disposition particulière pour les familles demandant l’asile en tant que telles.

? Pologne

47Début 2005, on y dénombrait 24 centres de détention : Klodzko, Wroclaw, Wloklavek, Lublin, Krosno Odrzanskie, Piotrkow Trybunalski, Nowy Sacz, Limanowa, Varsovie, Bemovo (Varsovie), Opole, Suwalki, Gdynia, Bielsko-Biala, Jaworzno, Katowice, Konin, Pila, Szcecin, Leznowola (Liste fournie le 26 janvier 2005 par la Représentation permanente de la Pologne à l’UE).

48Il y a deux types de centres de détention pour étrangers : les centres surveillés et ceux où sont placés les étrangers arrêtés et en attente d’une expulsion et qui se trouvent dans des locaux des gardes-frontières ou de la police. S’y ajoutent les centres pour réfugiés qui accueillent ceux qui ont déposé une demande d’asile après être entrés dans le pays (et non à la frontière).

49Il n’y a pas de législation particulière pour la protection des familles et les mineurs non accompagnés ne peuvent être détenus.

? République tchèque

50Le premier centre de détention a été ouvert en novembre 1998 sous la pression extérieure, notamment de l’Allemagne.

51Ce pays compte dix centres de détention : Balkova, Cerveny Ujezd, Frydek-Mistek, Postorna/Breclav, Prague- Ruzyne, aéroport international de Prague, Velke Prilepy/Prague I et II, Vysni Lhoty, Bela-Jezova, ce dernier étant réservé aux familles avec enfants (liste confirmée le 25 janvier 2005 par la Représentation permanente de la République tchèque à l’UE). Le plus grand d’entre eux, le centre de Balkova, peut accueillir 300 personnes. Selon les témoignages, les conditions y sont particulièrement dures.

52Il existe deux types différents de centres pour les demandeurs d’asile, qui correspondent à deux étapes distinctes dans la démarche. Les personnes arrivant à la frontière tchèque sont dirigées vers les centres d’accueil de Vysni Lhoty et de l’aéroport de Prague. Ils y subissent un examen médical et ont un premier entretien au sujet de leur demande. Puis, après une mise en quarantaine, ils sont, pour la plupart, transférés dans un centre de résidence où ils doivent rester le temps que soit examinée leur requête. Si l’asile leur est accordé, ils rejoindront un centre d’intégration.

53La détention ne peut excéder 180 jours, mais sans limites pour ceux en attente d’un rapatriement. Les moins de 15 ans ne peuvent être détenus.

54Les demandeurs d’asile jouissent d’une plus grande liberté dans les centres de résidence que dans ceux d’accueil : ils peuvent ainsi le quitter de façon temporaire, à condition du moins d’en demander l’autorisation. En outre, le centre ne leur sera pas imposé comme lieu de séjour, s’ils apportent la preuve qu’ils peuvent disposer d’un hébergement.

? Slovaquie

55Les deux centres de détention pour étrangers, situés à Secovce (à l’Est, près de la frontière avec l’Ukraine) et à Medvedov (dans la banlieue de Bratislava), relèvent de la police des frontières et des étrangers.

56La durée maximum de détention est de six mois.

? Slovénie

57Un centre de détention se trouve à Postojna (au Sud-Ouest, sur la route vers l’Italie) et un autre à Prosenjakovci (à l’Est, près de la frontière avec la Hongrie).

58Les demandeurs d’asile jouissent d’une relative liberté de mouvement et leur présence dans les centres ne peut dépasser quatre mois (six mois pour les immigrants illégaux).

59Source : Jesuit Refugee Service Europe (Bruxelles), hhttp :// wwww. detention-in-europe. org/ (traduction de la rédaction).

Zoom sur deux situations bien différentes

? Les camps se vident en Hongrie

60Le camp d’accueil de Debrecen est situé en bordure de la ville, dans une ancienne caserne soviétique. Vu le « look » des gardiens, il est très probable qu’ils aient eux aussi servi sous le régime communiste. D’une capacité d’hébergement de 3 000 personnes, le camp n’en contient que 300 aujourd’hui, un nombre pourtant « en augmentation par rapport aux derniers mois ». La chute des demandes d’asile en Hongrie s’explique, entre autres, par un système de contrôle des frontières sensiblement plus efficace.

61A l’entrée, un vieux barbu au nez en fraise s’insurge devant mon appareil photo. Etant à l’extérieur du camp, j’ignore royalement ses imprécations en hongrois. L’effet magique de l’uniforme et du badge semble être le même ici qu’en Turquie : ils confèrent un droit inaliénable à interdire toute photo, en dehors d’ailleurs de toute règle écrite... Si le camp est théoriquement un « centre d’accueil », les règles restent contraignantes : les demandeurs d’asile doivent se trouver dans le camp entre 22 heures et 8 heures et demander une autorisation pour une absence de 24 heures trois jours avant la date prévue. Les charmants « agents d’accueil » sont armés de matraques et en ont déjà fait usage.

62La frontière entre « accueil » et rétention a longtemps été floue en Hongrie.

63Sont placés en centre d’accueil les demandeurs d’asile qui sont rentrés légalement dans le pays et ceux dont l’expulsion est en général impossible (depuis des années : les Afghans et les Irakiens). En rétention : ceux entrés illégalement et ayant été arrêtés avant de pouvoir demander le statut de réfugié auprès des autorités. Il reste qu’à une époque les gardes-frontières patrouillaient devant le camp de Debrecen pour intercepter certains illégaux «bona fide» (de bonne foi) venus demander asile : une pratique apparemment révolue suite aux plaintes du Comité Helsinki hongrois. Des demandeurs d’asile se trouvent pourtant toujours en détention dans des conditions qui sont sans comparaison possible avec celles des « centres d’accueil ». A noter que les mineurs et leurs familles (s’ils en ont une) ne sont jamais placés en détention, contrairement à ce qui se passe en France donc.

64Le camp est très étendu et compte une dizaine de bâtiments, dont un consacré aux entretiens. Dans une des résidences, un étage était réservé aux personnes mises en quarantaine (tous les nouveaux arrivants avant examen médical), mais il était... libre d’accès. Il a été fermé et déplacé dans un endroit effectivement clos, en conformité avec les règlements.

65Dans l’allée principale, nous rencontrons un demandeur d’asile népalais.

66La décision est attendue pour juin, et nous avons très bon espoir. Enseignant dans un village, il a été persécuté par la rébellion maoïste. Il nous emmène dans sa chambre afin de nous donner un aperçu de leurs conditions de vie.

67Comme je l’ai dit, ce camp servait de caserne à l’armée soviétique. Les chambres sont donc celles occupées précédemment par les soldats. Il ne faut pas s’attendre à du grand luxe, et les couloirs ne sont pas particulièrement propres, mais cela me rappelle curieusement mon mois passé à la cité universitaire de Villejean à Rennes...

68La chambre fait environ 20 m² et est occupée par quatre personnes : un Népalais et trois Tibétains, comme l’indique la décoration. Dans cette aile, il n’y a que des hommes seuls. Les femmes seules disposent d’un bâtiment séparé, ainsi que les familles. Les lits semblent avoir supporté des générations de soldats de l’armée rouge. Il y a un coin cuisine, une grande table, un bureau avec une bibliothèque. Les locataires, bien que nourris au réfectoire peuvent aussi aller faire leurs courses à Debrecen (ils reçoivent une allocation de 10 euros par mois...), le camp étant desservi par une ligne de bus.

69L’hôpital du camp a été refait à neuf, est calme, propre et bien chauffé. Les médecins ne parlaient jusqu’à récemment aucune langue étrangère rendant la communication impossible en dehors de l’universel langage des signes.

70Commentaire fin et distingué des autorités du camp face aux récriminations des avocats : « un vétérinaire non plus ne comprend pas ce que ses patients lui disent ». Une aide psychologique est disponible deux heures par jour, assurée par la fondation Cordelia. Un généraliste, un pédiatre et un gynécologue sont présents tous les jours. La réserve de médicaments semble bien fournie, les conditions sanitaires irréprochables.

71L’étage de l’hôpital mérite un paragraphe. C’est le moment le plus dur de la visite, un des plus durs également depuis que je travaille avec des réfugiés.

72Lors de la guerre de Bosnie, un hôpital psychiatrique a été évacué devant l’avancée des milices serbes, et les patients installés en Hongrie dans le camp de Debrecen. Onze ans plus tard, ils sont toujours là, 28 malades mentaux oubliés ici. Une majorité de Bosniaques, quelques Serbes et Hongrois de Voïvodine. Hommes et femmes mélangés, à vue d’œil entre 35 et 70 ans.

73C’est très dur de parcourir le couloir principal où ils errent, désœuvrés. Je m’efforce de répondre aux sourires radieux et aux petits coucous, mais j’ai l’estomac serré. Il n’y a rien à dire sur la manière dont ils sont traités. Des infirmières sont présentes 24 h sur 24, et semblent adorées de leurs pensionnaires. La communication se fait en sabir bosno-hongrois, les infirmières ayant appris le bosniaque en même temps que leurs patients intégraient le hongrois. Quand la situation est inextricable, le Hongrois de Voïvodine vient à la rescousse. Une femme de ménage passe tous les jours, les vêtements sont propres, une infirmière se charge de la toilette quotidienne de la majorité des malades. Certains peuvent se débrouiller un peu mais la plupart, nous dit-elle, sont totalement dépendants. Des cigarettes sont distribuées régulièrement, denrée apparemment très prisée (c’est d’ailleurs le salaire de l’interprète hongrois). Par esprit d’équité, les non-fumeurs se voient attribuer un petit dessert supplémentaire.

74Nous visitons en dernier lieu le bâtiment abritant en vrac l’assistance sociale, la permanence juridique assurée par l’avocat du Comité Helsinki (un bureau qu’il doit partager occasionnellement avec... les gardes-frontières !).

75Une salle Internet où les réfugiés chattent avec ceux restés au pays. Une salle de musculation en mauvais état.

76Une salle de couture ; une salle de cinéma où l’association « Menedék » projette des films. La direction du camp avait ouvert une petite mosquée mais elle a été fermée, les musulmans préférant prier dans des salles prévues à cet effet dans leurs résidences.

77Thomas Jezequel, « Un camp dans la Grande Plaine. La frontière Est de l’Europe », 21 mars 2006, Programme européen de mobilité autour de la lutte contre l’exclusion urbaine, http ://emicfd.com/echanges-partenariats2/ article. php3 ?id_ article=643

? Afflux d’immigrants en Ukraine

78L’ONG Human Rights Watch a visité quatre centres d’accueil pour vagabonds, tous placés sous la tutelle du ministère des Affaires intérieures : Kiev; Cernihiv; Lviv; Ujgorod.

79L’ONG a eu également accès à six camps de détention, gérés par le Service des gardes-frontières : l’aéroport international de Kiev, Borispil ; Mukachevo, réservé aux femmes et aux enfants; Pavchino pour les hommes; Lviv ; Mostyska ; Rava Ruska, pour les détentions de courte durée. Il faut y ajouter le camp de détention de Chop dans lequel Human Rights Watch n’a pas été autorisée à se rendre.

80L’élargissement de l’Union européenne (UE) de mai 2004 [et celui du 1er janvier 2007] a propulsé l’Ukraine en première ligne dans le grand jeu des migrations internationales. Pays d’émigration durant les années du communisme, elle est devenue, en raison de sa position géographique et de frontières dont la démarcation a longtemps et souvent été floue et dont la surveillance demeure défaillante, un passage de plus en plus privilégié pour les personnes souhaitant entrer clandestinement dans les pays de l’UE [11].

81Des pressions de plus en plus fortes s’exercent désormais sur les frontières à la fois orientales et occidentales de l’Ukraine. De plus en plus de migrants et demandeurs d’asile venus de l’Est cherchent à gagner l’UE. En même temps, ces derniers sont aussi de plus en plus nombreux à être renvoyés de Pologne, de Slovaquie et de Hongrie en Ukraine en vertu des accords de réadmission signés avec ces pays [12].

82Or, les renvois de migrants par l’UE vers l’Ukraine vont encore augmenter quand entrera en vigueur l’accord de réadmission conclu avec Bruxelles [13].

83Les autorités ukrainiennes ne sont pas en mesure de gérer les arrivées de migrants et de demandeurs d’asile dans leur pays. Ces derniers y connaissent généralement des conditions effroyables : ils sont victimes d’actes de violence, voient leurs biens volés ou extorqués ; toute assistance légale leur est refusée; et certains d’entre eux sont renvoyés dans leur pays d’origine qu’ils ont fui, car y étant en butte aux persécutions et à la torture.

84De nombreux camps de détention sont surpeuplés. Aussi leurs occupants sont-ils fréquemment privés de literie et de vêtements, d’un lieu où pratiquer des exercices physiques, d’air frais et de lumière naturelle, de nourriture convenable et de soins médicaux. En outre, leurs droits élémentaires ne sont pas respectés, comme consulter un avocat ou un médecin, bénéficier des services d’un interprète, engager une démarche pour obtenir leur libération, informer leurs proches de l’endroit où ils sont.

85La plupart des personnes interviewées par Human Rights Watch ignoraient pour quelle raison elles avaient été arrêtées et combien de temps elles passeraient en détention.

86Les raisons pour lesquelles l’Ukraine ne peut être considérée comme un pays de refuge sont nombreuses. Les principales d’entre elles tiennent à son inexpérience dans le domaine de la gestion des flux migratoires, aux carences de son dispositif législatif, à l’inefficacité de nombre de ses institutions, à l’insuffisance de ressources dégagées pour aider les étrangers, à l’absence de traditions en ce qui concerne l’asile, voire de culture en matière de droits humains.

87En conséquence, l’Ukraine ne peut être considérée comme un pays « sûr » [14].

88L’Ukraine doit faire face à un double défi : interne étant donné les dysfonctionnements d’un système qui ne parvient même pas à assurer une protection minimum aux migrants et demandeurs d’asile, externe avec le nombre croissant d’étrangers qui cherchent à traverser le pays pour gagner l’un ou l’autre des pays de l’UE. Au cours des six premiers mois de 2005, les gardes-frontières ukrainiens ont arrêté 6 481 migrants sans papiers en règle, soit 79 % de plus qu’au cours de la même période de l’année précédente [15]. Par ailleurs, 4 343 personnes dans la même situation ont été refoulées à la frontière.

89Les enquêtes de Human Rights Watch montrent que l’Ukraine ne respecte pas les engagements qu’elle a pris auprès de la communauté internationale concernant la gestion des flux d’immigration et les droits des demandeurs d’asile. Pour commencer, les autorités ukrainiennes ne font aucun cas des documents délivrés par le Haut Commissariat aux réfugiés de l’Onu (HCR), si bien que tous les immigrants sans distinction risquent de faire l’objet d’une détention arbitraire. Ainsi, les Tchétchènes [qui pourtant ont, pour la plupart, obtenu du HCR le statut de réfugié avec les aides afférentes] font partie des personnes recherchées par la police, sont éconduits quand ils veulent entamer une procédure de demande d’asile et sont régulièrement renvoyés en Fédération de Russie, aucune protection n’existant contre l’expulsion.

90En revanche, la corruption est très répandue et le versement d’un pot-de-vin est bien souvent le seul moyen pour les migrants et les demandeurs d’asile d’obtenir une régularisation de leur situation.

91Chaque année, de 1 000 à 1 400 personnes déposent une demande d’asile en Ukraine ; 4 % d’entre elles sont acceptées. Les ONG savent pertinemment que le Comité d’Etat des nationalités et des migrations établit officieusement un quota annuel de réfugiés qui se verront accorder le droit d’asile : ce chiffre est fixé à 60. Quant à ceux dont les demandes sont rejetées, ils ne bénéficient d’aucune protection.

92Plus de 8 000 étrangers se trouvaient en 2004 dans des camps gérés par le Service ukrainien des gardes-frontières.

93Ceux qui ont été interviewés par Human Rights Watch étaient des migrants et des demandeurs d’asile arrêtés, soit parce qu’ils avaient cherché à entrer dans le pays sans les documents nécessaires, soit parce qu’ils y séjournaient sans pouvoir justifier leur présence par des raisons touristiques ou par une autorisation de résidence. Ils venaient d’Afghanistan, d’Arménie, d’Azerbaïdjan, du Bangladesh, de Biélorussie, de Chine, de Côte d’Ivoire, d’Egypte, de Géorgie, d’Inde, d’Iran, d’Irak, du Kazakhstan, du Liban, de Moldavie, du Pakistan, de Palestine, de Roumanie, de Russie (des Tchétchènes notamment), de Somalie, du Sri Lanka et du Vietnam.

94La plupart avaient été interpellés par la police dans les rues de différentes villes ukrainiennes ou par les gardes-frontières, alors qu’ils s’apprêtaient à transiter par le pays sans autorisation, pour gagner la Hongrie, la Slovaquie ou la Pologne. D’autres encore avaient été renvoyés de Slovaquie et de Pologne en vertu des accords de réadmission que l’Ukraine a signés avec ces pays.

95Après leur arrestation, les étrangers sont généralement placés en détention administrative dans des centres d’accueil pour vagabonds, le temps que les autorités vérifient leur identité. Ils y côtoient des citoyens ukrainiens sans domicile fixe ou qui ont été appréhendés pour état d’ébriété dans un lieu public, vagabondage ou prostitution. La durée légale de détention dans ces centres ne peut dépasser 30 jours. Cependant, Human Rights Watch a interviewé des étrangers qui étaient là depuis plus longtemps, parfois depuis plus de 50 jours.

96L’ONG a également rencontré des personnes qui avaient été arrêtées plusieurs fois de suite pour défaut de pièces d’identité que leurs ambassades tardaient à leur fournir ou leur refusaient.

97Dans les camps placés sous le contrôle du Service ukrainien des gardes-frontières, la durée de la détention, selon la loi, ne peut être supérieure à six mois, soit le temps nécessaire à la mise en œuvre d’une procédure d’expulsion. Ce délai peut néanmoins être dépassé en cas de maladie ou si l’étranger doit recevoir, à une date ultérieure, un passeport ou une somme d’argent pour financer son voyage de retour.

98Plus de 5 000 personnes ont été reconduites à la frontière ukrainienne en 2004. Sur ce total, plus de 2 000 ont été renvoyées dans les pays asiatiques, principalement la Chine, mais également l’Inde, et quelque 3 000 autres dans les Etats issus de l’URSS. Au cours des six premiers mois de 2005,2 346 étrangers ont été expulsés d’Ukraine, soit 70 % de plus que durant la même période de l’année précédente.

99En 2004, environ 400 personnes (principalement des Afghans et des Tchétchènes) ont été refoulées. La plupart d’entre elles n’ont eu aucun recours : elles n’ont pas pu contester leur arrestation, leur éventuelle détention, ni leur expulsion et n’ont pas eu la moindre possibilité de solliciter l’asile, qu’elle n’aient pas su comment s’y prendre ou qu’elles aient laissé passer la date butoir pour le dépôt d’une demande.

100Human Rights Watch, Ukraine : On the Margins.

101Rights Violations against Migrants and Asylum Seekers at the New Eastern Border of the European Union, vol. 17, n° 8, novembre 2005, 93 pages (extraits, traduction de la redaction)

102En septembre 2006, une équipe de Human Rights Watch est retournée en Ukraine pour constater les progrès réalisés dans le domaine de la protection des droits des migrants et des demandeurs d’asile. Toutes les personnes interrogées ont indiqué que les conditions de détention et la façon dont étaient effectuées les expulsions restaient extrêmement problématiques. L’Ukraine ne peut donc être considérée comme un « pays tiers sûr ». Aussi Human Rights Watch et d’autres organisations ont-elles demandé que l’accord de réadmission devant être signé avec l’UE comporte une clause « transitoire »: selon celle-ci, le renvoi de ressortissants de pays tiers par l’UE en Ukraine ne sera pas possible, tant que cette dernière ne sera pas à même d’assurer la protection des droits des migrants et des demandeurs d’asile [16].

103Human Rights Watch, European Union. Managing Migration Means Potential EU Complicity in Neigh-boring States’Abuse of Migrants and Refugees, n° 2, octobre 2006,22 pages (extrait, traduction de la rédaction)

Notes

  • (1)
    Isabelle Saint-Saëns, « Des camps en Europe aux camps de l’Europe », Multitudes, n° 19, hiver 2004, pp. 61-72.
  • (2)
    wwww. echanges-partenariats. org.
  • (3)
    Le réseau Migreurop rassemble des chercheurs, des élus et des militants associatifs de plusieurs pays européens dans le but de collecter, d’analyser et de diffuser des informations relatives aux politiques européennes d’asile et d’immigration menant à la relégation d’étrangers dans des camps. Il est né, fin 2001, d’une initiative collective après le constat que le centre de Sangatte n’était autre que le symbole d’une politique d’asile et d’immigration défaillante puisqu’elle aboutissait à rassembler des populations sans statut juridique dans des lieux hors droit. Ses recherches lui ont permis d’aboutir à une définition et une typologie des camps, ainsi que d’élaborer une « carte des camps d’étrangers en Europe ». Voir le site wwww-migreurop. org.
  • (4)
    Une explication du choix sémantique du mot « camp » est disponible sur le site de Migreurop http ://pajol.eu.org/article675.html.
  • (5)
    Notamment le gouvernement belge. La France a soutenu cette position avant que la loi ne confère une existence officielle aux zones d’attente en 1992.
  • (6)
    Dans l’arrêt Chahal c. UK du 15 novembre 1996, la Cour a estimé que la durée de la détention était justifiée au regard de la complexité du dossier et qu’il n’y avait donc pas eu violation de l’article 5, paragraphe 1f) de la Convention européenne des droits de l’homme.
  • (7)
    C’est le terme employé par deux parlementaires belges après une visite du centre fermé de Bruges en 1999. Voir N. Mayer, « Les centres fermés : vue de l’intérieur », in P.-A. Perrouty, La mise à l’écart de l’étranger. Centres fermés et expulsions, Bruxelles, Labor, 2004, p. 73 et suivantes.
  • (8)
    Medici Senza Frontiere, « Rapporto suis Centri di pennanenza temporanca e assistenza ». Missione Italia, janvier 2004.
  • (9)
    Programme pour un espace de Liberté, Sécurité et Justice, approuvé par le Conseil européen de Bruxelles les 4 et 5 novembre 2004.
  • (10)
    Jesuit Refugee Service, 2004, http :// wwww. detention-in-europe. org/ .
  • (11)
    L’Ukraine partage désormais une frontière avec quatre Etats membres de l’Union européenne, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie.
  • (12)
    Ces accords ont été signés en 1993 et sont entrés en vigueur en avril 1994.
  • (13)
    Cet accord a été signé le 27 octobre 2006 et entrera en vigueur deux ans plus tard ; à titre de « réciprocité », l’UE a décidé une simplification des formalités nécessaires à l’obtention d’un visa au profit de certaines catégories de citoyens ukrainiens. Cet accord s’inscrit dans le cadre du Plan d’action (volet Justice et Affaires intérieures) appelé à concrétiser la Politique européenne de voisinage. Par ailleurs, la mise en place par l’UE de « Programmes de protection régionaux », en vue d’aider des pays tiers à créer ou à renforcer des structures d’asile, concerne au premier chef l’Ukraine : ce pays, ainsi que la Biélorussie et la Moldavie, à l’Est, la Tanzanie, au Sud, ont en effet été désignés pour qu’y soient réalisés des « programmes pilotes ».
  • (14)
    La notion de « pays sûrs », introduite par l’Union européenne en 1992, autorise le refoulement des réfugiés dans les pays d’origine et, plus fréquemment de transit, dès lors que ces derniers sont considérés comme offrant des garanties pour leur sécurité. Il n’existe pas de liste commune, chaque Etat membre étant libre d’établir la sienne.
  • (15)
    En 2006, les gardes-frontières ont appréhendé 25 782 immigrants illégaux, soit 43,7 % de plus qu’en 2005. parmi eux, les Moldaves étaient les plus nombreux (38 %); venaient ensuite des Ouzbeks (10 %), des Arméniens (9 %), des Azerbaïdjanais (8 %), des Tadjiks (5 %)...
  • (16)
    De fait, l’accord conclu fin 2006 n’entrera en vigueur qu’en 2008.

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