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Article de revue

Minorités et nouvelle Europe

Pages 4 à 18

Notes

  • (1)
    Nous entendons par minorités les groupes culturels et linguistiques différenciés de la majorité environnante, conscients de cette différence et revendiquant une dose plus ou moins importante d’auto-gouvernement. Les institutions internationales, et notamment européennes, ne sont jamais parvenues à adopter une définition unanimement reconnue du concept de minorité. La raison en est que, si l’on avait été trop précis, on aurait dissuadé une bonne partie des Etats concernés de signer les instruments internationaux élaborés avec tant de difficultés.
  • (2)
    Il faut se rappeler que l’Europe comptait alors quelque 30 millions de minoritaires.
  • (3)
    Certains de ces combattants, en particulier des Caucasiens (Arméniens, Azéris) et des représentants des peuples d’Asie centrale (Idel-Ural) se retrouveront d’ailleurs sur le front de l’Ouest.
  • (4)
    Plus de 10 millions d’Allemands (appelés, sous le IIIe Reich, Volksdeutsche) sont alors expulsés vers l’Ouest. Près d’un tiers périra en chemin.
  • (5)
    On parle alors, et cela n’est pas neutre eu égard au rôle de la grande puissance soviétique, d’« Europe de l’Est » concernant l’ensemble de la région.
  • (6)
    Rares sont les intellectuels, historiens ou juristes qui, tel le professeur français Guy Héraud, se souviennent encore et entretiennent la flamme. En dehors de quelques personnalités, la majorité des « défenseurs des minorités » à l’Est sont alors proches de la droite radicale et naturellement anti-communistes !
  • (7)
    Il en ira ainsi après la Seconde Guerre mondiale de la déportation massive d’un certain nombre de peuples réputés « collaborateurs », ou des Allemands de Prusse orientale, des expulsions des Allemands des Sudètes par Prague, des maltraitances à l’encontre des Hongrois en Roumanie, ou des Turcs en Bulgarie dans les années 1980.
  • (8)
    Les intelligentsias européennes, et notamment française, sont alors souvent pro~soviétiques.
  • (9)
    Staline en avait lui-même déjà joué durant la Grande Guerre patriotique, suscitant un ostracisme terrible vis-à-vis de certains groupes minoritaires (qualifiés plus tard de peuples punis), allant jusqu’à la déportation, voire le génocide.
  • (10)
    Allant jusqu’à une quasi-réhabilitation du Conducator antisémite de la Seconde Guerre mondiale, le maréchal Ion Antonescu.
  • (11)
    Près de trois millions aujourd’hui, selon des estimations officieuses.
  • (12)
    Déjà, en 1958, la fermeture d’écoles turques avait été entreprise.
  • (13)
    Bon nombre d’entre eux reviendront au pays après l’abandon de cette politique répressive et, notamment, après le retour de Sofia à la démocratie.
  • (14)
    En particulier, la réouverture, en 1989, de l’université intercommunautaire de Babes-Bolyai à Cluj-Napoca (Koloszvar en hongrois).
  • (15)
    Très importants en Pologne (KOR) et en Tchécoslovaquie (Charte 77, puis Forum civique en Bohème-Moravie, Public contre la violence en Slovaquie), ils sont presque inexistants en Albanie.
  • (16)
    Ce terme de « minorités nationales » est celui couramment utilisé au sein des institutions européennes de nos jours.
  • (17)
    Le premier titulaire du poste, l’ancien ministre néerlandais des Affaires étrangères Max van der Stoel, a joué un rôle éminent pour maintenir la paix sociale dans plusieurs Etats de l’ex-Europe de l’Est au cours des années 1990.
  • (18)
    En raison de leur indépendance d’avant-guerre, ceux-ci échappent à l’expression disqualifiante d’Etats « post-soviétiques ».
  • (19)
    L’historien britannique Timothy Garton Ash a imaginé l’expression de « chaudron nationaliste » reprise ici pour caractériser la situation dans les Peco, au lendemain de la chute des régimes communistes.
  • (20)
    Voir Antonela Capelle-Pogacean, « La Hongrie et les minorités magyares. Une relation complexe à l’heure de l’intégration européenne », Le courrier des pays de l’Est, n° 1028, septembre 2002, pp. 69-77.
  • (21)
    Des groupes revendiquant la même origine ethnique (ruthène) et invoquant le peintre américain Andy Warhol, lui-même d’origine ruthène, comme figure emblématique, se retrouvent ? parfois sous des dénominations différentes ? dans tous les Etats de la région : Slovaquie orientale, Ukraine occidentale, Hongrie et même Roumanie (Boukovine du Sud) et Serbie (Voïvodine).
  • (22)
    Mais ayant dans l’ensemble plutôt bien conservé leurs langues.
  • (23)
    Aroumains (Vlaks ou encore Koutso-Valaques, populations dispersées parlant une langue proche du roumain), Juifs, Roms...
  • (24)
    Citons le Minority Rights Group (MRG), dont le Groupement pour les Droits des Minorités (GDM) est l’organisation sœur en France.
  • (25)
    On les y accuse de nombreux maux, et notamment de collaboration avec les anciennes autorités communistes.
  • (26)
    En Europe médiane, la « nationalité » identifie l’ethnicité (en France, Corse ou Basque par exemple), ce que les Français nomment nationalité étant appelé citoyenneté.
  • (27)
    En 1991, deux options s’offraient à cet égard aux nouveaux Etats : soit conférer la citoyenneté à tous les résidents qui le souhaitaient, alternative connue sous le nom d’« option zéro », soit ne la donner qu’aux descendants des citoyens d’avant l’annexion de 1940. Craignant pour l’avenir de leurs nations à peine majoritaire dans les Etats éponymes, Tallinn et Riga choisirent cette seconde solution.
  • (28)
    On aurait aussi pu parler de la région de Narva en Estonie ou de celle de Daugavpils (Dvinsk) en Lettonie.
  • (29)
    Sur ce concept, voir Alexandre Nekritch, Les peuples punis, Op. Cit. in bibliographie.
  • (30)
    Stéphane Pierré-Caps, La Multination, Op. Cit. in bibliographie.
  • (31)
    La Russie a elle-même adopté ultérieurement un système analogue pour les Rrom.

1Les minorités, souvent qualifiées de « nationales », se sont révélées des acteurs importants de la scène européenne au XXe siècle. Toutefois, leur visibilité étant rarement à la hauteur des enjeux, elles attirent peu l’attention, et la méconnaissance des problématiques liées à leur existence est, dès lors, l’une des causes les plus fréquentes des difficultés rencontrées [1]. Or, entre la période de la guerre froide et les années qui ont suivi l’effondrement du communisme européen, on assiste en Europe médiane à un bouleversement total de la perception qu’elles ont d’elles-mêmes et des politiques les concernant. C’est à l’examen de ces réaménagements, de leurs causes et de leurs modalités que sont consacrées les pages qui suivent. Mais afin de bien saisir le pourquoi des événements examinés, il faut avoir en mémoire l’histoire des décennies qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale.

Un lourd héritage

2Après la Grande Guerre, les idées du président Wilson sur l’émancipation des peuples et les préoccupations concernant la consolidation des frontières inter-étatiques amènent la communauté internationale à mettre en place, dans la foulée de la conclusion des traités de paix qui suivent celui de Versailles (1919), une organisation complexe et lourde. Celle-ci est articulée autour d’une série de traités dits de minorités entre Etats européens vainqueurs et vaincus et de dispositifs internationaux décidés dans le cadre de la Société des nations (SDN). Mais elle ne fonctionnera ? dans l’ensemble, de façon assez satisfaisante ? que pendant une dizaine d’années.

3A la fin des années 1920, la question des minorités occupait encore une place importante dans les préoccupations des chancelleries et des milieux intellectuels en Europe [2]. On se situait alors, il faut s’en souvenir, dans le sillage de l’émancipation d’un certain nombre de peuples d’Europe centrale, intervenue au XIXe siècle (Bulgarie, Grèce, Roumanie, Serbie...), puis à l’issue de la Première Guerre mondiale (Hongrie, trois pays baltiques, Tchécoslovaquie...) ; ils avaient longtemps fait figure de minorités au sein de ces « prisons de peuples » que constituaient, aux yeux des « petites nations en souffrance » et de leurs amis, les Empires austro-hongrois, ottoman et russe.

4Dans ce contexte bien particulier, les minorités « nationales » (environ 30 millions d’individus) étaient perçues de manière plutôt favorable.

5Des organisations pan-européennes, au sein desquelles les Bretons, les Flamands et les Germano-Baltes, comme le Congrès européen des minorités (CEM), jouaient encore un rôle moteur, collaboraient de façon étroite avec la Société des nations (SDN) dans la recherche d’un nouvel ordre de paix et de sécurité frontalière européenne.

6On était alors en droit de penser que le bon sens et la justice internationale avaient fait un pas important et que communautés majoritaires et minoritaires européennes allaient enfin pouvoir coopérer dans une Europe finalement réconciliée avec elle-même.

7Malheureusement, à la fin des années vingt et au début des années trente, les régimes autoritaires ou fascistes qui s’emparent du pouvoir dans la majorité des Etats d’Europe (Italie, Allemagne, Pologne, Yougoslavie...) entreprennent d’utiliser « leurs » minorités à des fins irrédentistes, impérialistes, voire tout simplement bellicistes. Ce qui avait été l’exception, avec l’écrivain et aventurier italien Gabriele d’Annunzio et l’affaire de Fiume (Rijeka en serbocroate) en 1919-1920, tend alors à devenir la règle.

8Les idées généreuses et humanistes de personnalités telles que Richard de Coudenhove-Calergi (1894-1972, créateur, au lendemain de la Première Guerre mondiale, du mouvement Pan-Europa pour une Europe ? Puissance) ou Paul Schiemann (âme de la communauté germano-balte de Lettonie), perdent rapidement de leurs couleurs et l’heure est de plus en plus aux militarismes. Nationalismes majoritaires et minoritaires entonnent la même antienne. Du leader juif Zeev Jabotinsky (minoritaire), fondateur à Riga du Betar (organisation de jeunesse paramilitaire juive), au fasciste britannique Oswald Mosley (majoritaire), l’heure est aux parades et aux discours guerriers.

9Dès la fin des années trente, Hitler instrumentalise Konrad Henlein, le Führer autoproclamé des Allemands des Sudètes, pour démanteler la Tchécoslovaquie (1938) et s’empare du Territoire de Memel (Klaipeda en lituanien) au détriment de la Lituanie (1939), inaugurant ainsi une série d’annexions à caractère irrédentiste, alors que Mussolini revendique Nice et la Savoie. Le régent de Hongrie, Miklos Horty, profitera, lui, de la guerre pour enlever à la Roumanie (1940) un morceau de Transylvanie alors que, plus au Sud, les oustachis du dirigeant croate Ante Pavelic se livreront à force exactions, notamment antisémites et anti-serbes.

10A travers l’Europe, nombreux seront les émules de ces précurseurs. En vertu de leurs intérêts et des principes ethnistes qui sous-tendent leur idéologie, les nazis financent et utilisent les mouvements nationalistes minoritaires (le plus souvent autonomistes) préexistants contre les Etats occupés. Des Bretons aux Corses, des Baltes aux Ukrainiens, tous les mouvements autonomistes ou indépendantistes se voient ainsi promus… et souvent manipulés.

11Certains, la guerre venue, seront même encouragés à lever des légions de volontaires (en l’occurrence, estonienne, galicienne et lettone) pour « combattre le bolchevisme » au nom de « l’Europe nouvelle » [3].

12Le phénomène prendra une telle ampleur et fera tant de victimes que, dans l’après-guerre, les minorités, considérées « en bloc » comme d’incorrigibles fauteuses de troubles, deviendront un sujet honni et même tabou en Europe. Tout au plus ose-t-on encore parler à leur sujet de facilités linguistiques tant, jusque parmi les minoritaires eux-mêmes, le thème est discrédité !

13Après les génocides et tant d’autres crimes inexpiables, c’est désormais l’ère des droits de l’homme, les droits des groupes passant à la trappe, manifeste d’un regrettable malentendu, l’un ne sachant véritablement exister sans l’autre.

Minorités et guerre froide

14Après la Seconde Guerre mondiale, du fait de la Shoah, qui a fait près de 6 millions de victimes, des pertes dues au conflit et des déplacements massifs de populations consécutifs à celui-ci [4], le nombre de minoritaires d’Europe centrale tombe à quelque 10 millions d’individus seulement. Simultanément, le vigoureux processus d’assimilation en cours depuis des décennies se poursuit dans l’ombre ; exode rural aidant, il érode la pratique des « langues sans Etat » et contribue à dissoudre les consciences identitaires particularistes.

15Par ailleurs, conséquence des partages de Yalta (janvier 1945) et de Potsdam (juillet-août1945), l’Est européen devient rapidement « communiste », alors que l’Ouest se retrouve au contraire dans la position de protégé des Américains.

16Par-delà ces différences systémiques, deux régimes complètement différents s’imposeront de ce fait à l’égard des minorités, même si, esprit du temps aidant, les similitudes s’avèreront nombreuses entre les deux côtés du Rideau de fer.

17Nous concentrerons ici notre attention sur le sort des minorités dans ce que l’on a appelé depuis, en Occident, « l’Autre Europe », sans nous interdire toutefois de jeter également un regard sur ce qui se passe plus à l’Est.

? Europe de l’Est et minorités nationales

18Dans l’ensemble de l’Europe, tout se passe comme si la victoire des Alliés en Europe le 8 mai 1945 avait consacré le triomphe définitif de l’idée jacobine (et de son corollaire, l’Etat-nation) sur une philosophie girondine plus respectueuse des droits des minorités. Al’Est, tous les Etats, à l’exception peut-être de l’Union soviétique et de la Yougoslavie de Tito, se considèrent désormais comme des Etats-nations. La République populaire (RP) bulgare est l’Etat des Bulgares, la RP roumaine ? celui des Roumains et ainsi de suite.

19Au sein de ces Etats, les groupes différenciés ne sont que des minorités, soumises au bon vouloir d’un pouvoir censé représenter la majorité, selon des modalités connues sous le nom de « centralisme démocratique » !

20Devenus, entre 1945 et 1948, officiellement et souvent contre leur gré, « communistes », les peuples d’Europe centrale et orientale [5] (qu’ils soient majoritaires ou minoritaires) se sont vu contraints d’adopter les conceptions moscovites : aucun Etat n’est plus autorisé à susciter ou à encourager la moindre velléité autonomiste ou irrédentiste où que cela soit au sein du « camp socialiste » et notamment, bien sûr, chez ses voisins.

21Au demeurant, « l’amitié fraternelle » et « l’internationalisme prolétarien » entre pays frères communistes prohibent radicalement toute velléité de « nationalisme bourgeois ». Cette vulgate hypocrite qui se résume au fond à une fidélité sans faille à la « patrie du socialisme » demeurera le dogme officiel quarante-cinq ans durant. Des centaines de milliers de patriotes, baltes, biélorussiens, polonais ou ukrainiens en feront l’amère expérience, et nombre d’entre eux périront au goulag pour avoir manifesté ces sentiments honteux et honnis.

22Les Occidentaux eux-mêmes, respectant une sorte de pacte tacite avec Moscou, se désintéressent d’ailleurs largement de la situation des minorités à l’Est [6] et les Etats communistes sont laissés libres de gérer cette question comme ils l’entendent [7]. Seules les communautés émigrées outre-mer (Etats-Unis, Canada...) ? traitées, dans les Etats d’origine, de cliques fascistes ? portent encore ces idées subversives dans les rares forums internationaux d’inspiration américaine [8] au sein desquels ces sujets sont évoqués. Ces manifestations de soutien aux mouvements minoritaires sont parfois encouragées en sous-main par des agences comme Scotland Yard, l’United States Information Service (USIS) ou la CIA, qui voient là une possibilité de déstabiliser des régimes fantoches créés et approuvés par Moscou. Toutefois, elles trouvent une limite naturelle dans l’action des diasporas des peuples « titulaires », parfois représentés en Occident par des gouvernements en exil, ou autres institutions maintenues en survie assistée depuis les années de guerre.

23Au sein des Etats–nations « communisés » de l’Est, l’éradication des différences (initialement, il faut s’en souvenir, beaucoup moins érodées qu’à l’Ouest) est menée à la hussarde. Ainsi, en Pologne, désormais « République populaire », sortie de la guerre amputée de 3 millions de Juifs et d’environ 500 000 Roms, de Ruthènes, et autres Ukrainiens, la politique de polonisation se poursuit activement avec la bénédiction tacite du Kremlin. Les quelques centaines de milliers d’Allemands demeurés dans le pays (Poméranie, Silésie, Prusse orientale...) se terrent et tentent de se faire oublier.

24Des pogroms (Kielce, en Pologne, 1947) poussent les quelques survivants juifs à s’exiler ou à s’assimiler, alors que les Ukrainiens et les Biélorussiens de l’est d’un territoire pourtant étendu, par un diktat de Staline, sur 300 kilomètres à l’ouest, au détriment de l’Allemagne, sont pourchassés et déportés vers l’ouest du pays où ils viennent remplacer les Allemands récemment expulsés vers la RFA.

25En Europe communiste, si les importantes communautés « résiduelles » issues des bouleversements territoriaux sont ignorées, les minorités autochtones réputées « historiques » ? encore très actives sur le plan culturel ? ne le sont pas, comme c’est souvent le cas à l’Ouest. Au contraire, elles sont fréquemment exhibées et valorisées officiellement (Italiens d’Istrie, Saxons du Banat, Sorabes de Saxe et du Mecklembourg, Tatars de Lituanie et de Pologne, etc.). Malheureusement pour ces petits peuples, une telle mise en exergue est purement formelle. Du fait, à la fois, de la prédominance des partis communistes et des vestiges de la politique soviétique d’« enracinement » (korenizatsia), c’est un rôle purement décoratif, voire cosmétique, qui leur est dévolu. Même s’il existe (comme dans maintes républiques soviétiques ou encore dans le cas des Sorabes de RDA) de véritables structures politiques minoritaires, celles-ci se trouvent souvent vidées de tout contenu réel ; c’est le cas en URSS notamment, avec le projet, en permanence sous-jacent, de rapprochement, voire d’intégration (sblijenie) puis de fusion (slianie) avec le « grand » peuple russe, guide et paradigme incontournable des nations minoritaires de l’Union.

26Au sein de l’Europe communiste, la Yougoslavie de Tito constitue, nous l’avons évoqué, un cas radicalement à part. Contrairement, en effet, à ce qui se passe dans l’aire d’influence soviétique (républiques soviétiques et républiques populaires normalisées), l’Etat yougoslave, dissident du camp stalinien depuis les années cinquante, est officiellement organisé sur la base du fédéralisme ethnique. Six républiques fédératives y correspondent aux six peuples (drzavni tvorni narodi) fondateurs de l’Etat (Serbie, Croatie, Slovénie, Macédoine, Monténégro, Bosnie-Herzé-govine). L’Etat titiste reconnaît aussi des nations (narodi) ainsi que, au sein de chacune des républiques, des nationalités (narodnosti) bénéficiant de droits culturels et politiques fondés sur une certaine dose d’autonomie territoriale.

27Certes, comme dans tous les Etats communistes, l’ensemble est placé sous la houlette de la Ligue (parti) des communistes mais, comme celle-ci est aussi fortement ethnicisée, la situation des minorités s’avère beaucoup plus favorable qu’ailleurs en Europe médiane. Dans ces conditions, au sein de cet ensemble, comme en URSS, les ethnogenèses et autres processus de construction nationale se poursuivront à un rythme souvent rapide !

28Au fil des décennies, avec l’accumulation des difficultés économiques et politiques engendrées notamment par la guerre froide et les désillusions quant au projet internationaliste, les dirigeants des démocraties populaires et même ceux de l’Union soviétique sont de plus en plus souvent tentés de détourner l’attention du peuple en faisant vibrer la fibre patriotique [9] majoritaire.

29Ce faisant, ils attisent les humeurs antiminoritaires.

30Ainsi, vers la fin des années 1970, le Président roumain, Nicolae Ceausescu, en butte à de sérieuses difficultés intérieures, flattera sans vergogne le nationalisme roumain dans ses expressions les plus radicales [10] au détriment des minorités et, notamment, des Hongrois de Transylvanie et des Souabes (Allemands) du Banat. Les Roms en revanche, dont la Roumanie abrite la plus importante communauté d’Europe [11], seront plus ou moins épargnés, dans la mesure où ils sont, depuis des années, utilisés par le régime à divers titres et, notamment, comme indicateurs de la Securitate !

31De même, dans les années 1980 [12], la Bulgarie lancera une politique de bulgarisation forcée des noms et notamment des patronymes, au détriment des Turcs (réputés ennemis héréditaires) et des Pomaks, provoquant le départ précipité vers la Turquie de 300 000 personnes [13].

32Toutefois, plus globalement, entre les accords Est-Ouest d’Helsinki (1975) marquant le début de la « détente » en Europe et la chute de l’URSS (1991), la situation des minorités d’Europe de l’Est aura de nouveau, statutairement s’entend, tendance à s’améliorer. La Hongrie est la première à amorcer un timide « décrochage » par rapport à la ligne moscovite. Considérée comme une sorte de laboratoire d’une libéralisation tôt reconnue comme indispensable par les dirigeants soviétiques, celle-ci expérimente une politique à la fois plus volontaire et plus cohérente en faveur des nombreuses minorités magyares (environ 3 millions de personnes en Roumanie, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, en Autriche et en URSS) laissées « hors des murs » par le traité de Trianon (1919).

33La plus importante de ces minorités (plus de 2 millions d’individus) résidant en Transylvanie roumaine, un dialogue suivi et houleux entre Budapest et la Roumanie de Ceausescu aboutit à quelques avancées sur le terrain [14]

34mais, surtout, à la réouverture du dossier sur le plan international. L’activisme hongrois au sujet de la ? combien chère ? Erdély (Transylvanie) a brisé le tabou minoritaire et l’on commence à reparler publiquement des minorités à l’Est. C’est d’autant plus le cas que, simultanément, le sinistre et cynique Conducator bucarestois, financièrement aux abois (il tient curieusement à payer rubis sur l’ongle la dette extérieure du pays !), a entrepris de « vendre » (au sens propre) « ses Allemands » à Bonn et « ses Juifs » à Tel-Aviv.

35Durant les années d’agitation qui précèdent la chute des régimes communistes d’Europe, des mouvements démocratiques de plus ou moins grande envergure [15] agitent les peuples de ces Etats, les minoritaires n’étant pas les moins actifs. Ainsi, en URSS, les Baltes fourniront une « base arrière » à des dissidents largement ignorés du reste de la population russophone de l’Union. De même, les Magyars de l’Union démocratique des Magyars de Roumanie (UDMR), créée en 1989 mais dont les idées ont commencé à être exprimées bien avant, constitueront l’un des laboratoires privilégiés de la réflexion sur l’après-Ceausescu. On pourrait citer de nombreux autres exemples.

Au plan international, une vague de textes fondamentaux

36Après être longtemps demeurées peu actives, les organisations intergouvernementales commencèrent à se préoccuper à nouveau des minorités vers la fin des années 1960. Un certain nombre d’instruments internationaux furent ainsi élaborés par les Nations unies et le Conseil de l’Europe, notamment à partir de 1968.

37Au sein de ces institutions, des structures telles que le groupe de travail des Nations unies sur les minorités œuvrent depuis le milieu des années 1990 à la mise en place et à la gestion d’un véritable droit international des groupes minoritaires. Conséquence de l’héritage individualiste de l’ère du « tout droits » de l’homme, nombreux sont cependant encore les Etats qui refusent la notion de droits collectifs à un groupe et s’en tiennent à l’idée d’une protection limitée aux « personnes appartenant à une minorité nationale ».

38Pour ce qui est de l’Europe médiane, deux institutions ont joué un rôle essentiel lors de la sortie de ces Etats du communisme : le Conseil de l’Europe et l’OSCE. En ce qui concerne cette dernière, il convient de noter le rôle spécifique joué par le Haut Commissaire aux minorités nationales [16]. Ce poste est confié à des personnalités reconnues, bénéficiant d’une longue expérience internationale [17] et d’une autorité incontestée. Le Commissaire se positionne comme un acteur central de l’interaction majorités-minorités dans les Etats où il intervient. C’est largement grâce à son action que les tensions inter-ethniques ont fini par s’apaiser en Slovaquie, en Roumanie et, peut-être plus encore, en Estonie et en Lettonie, pays où l’actuel titulaire du titre, Rolf Ekeus, fut très actif.

39En revanche, il est à noter que le même médiateur s’est abstenu d’intervenir en Europe occidentale dans des conflits d’origine ancienne, comme les cas basque, corse ou irlandais, suscitant de ce fait une certaine irritation chez les responsables politiques des Etats de la « nouvelle Europe », qui ne purent qu’y voir une nouvelle application de la politique « deux poids, deux mesures ».

L’après-communisme

40Les années 1989-1991, avec la fin du communisme d’Etat en Europe, marquent un tournant significatif pour les minorités européennes de l’Ouest comme de l’Est. Ce virage débouche sur le meilleur mais, parfois aussi, sur le pire.

? Une « nouvelle Europe »

41Avant même la chute du régime soviétique, il était clair que la plupart des démocraties populaires et même certains Etats soviétisés (les pays baltiques en particulier) [18] avaient une vocation naturelle à intégrer à terme l’Union européenne. C’était bien la vision des pères fondateurs (K. Adenauer, R. Schuman, A. de Gasperi) et cela demeurait conforme à la logique et à l’intérêt de l’Europe contemporaine.

42En 1991, l’Occident est confronté brutalement, plus tôt que prévu, à une réalité nouvelle et ne sait pas comment y répondre : les frères de l’Est sont sur le pas de la porte, forts de la conviction qu’ils étaient attendus avec impatience !

43De toute évidence, cette intégration ne saurait intervenir sans préparation, sauf à s’exposer à de graves désordres, notamment économiques. Mais, si celle-ci doit être différée, alors quelles conditions poser à l’entrée de tous ces nouveaux candidats dans l’Union ?

44L’économie ne saurait manifestement suffire. Faute d’un autre corpus de critères disponibles, on retiendra la « corbeille » OSCE des droits de l’homme, au sein de laquelle le droit des minorités élaboré par les Nations unies et, plus encore, par le Conseil de l’Europe joue un rôle déterminant.

45Pour les mécanismes de mise en œuvre, c’est le dispositif de l’OSCE, héritière de la CSCE d’Helsinki-1975, qui fournira une base adéquate.

? Le « chaudron nationaliste »

46Ce choix s’avère à vrai dire d’autant plus judicieux qu’il y a, de fait, quelques soucis à se faire dans ce domaine [19].

47Dans la foulée de l’effondrement du communisme et des tendances nationalistes apparues durant les dernières décennies de ce système, le nationalisme ethnique ? qu’il soit majoritaire ou minoritaire ? fait partout un retour en fanfare. D’une extrémité à l’autre de l’Europe centrale et orientale, les groupes les plus faibles (par exemple, les Serbes de la Krajina croate ou les Polonais de Lituanie) se trouvent ou se croient menacés et le seul recours des minoritaires est du côté des organisations internationales, et notamment européennes. Le droit des minorités se trouve ainsi réintégré, avec une position stratégique, dans l’arsenal communautaire, situation qui n’est pas sans rappeler celle occupée par les mécanismes de protection de ces mêmes minorités dans les débuts de la SDN.

48Au cours des quelques années suivantes, on assiste à une flambée de violence dans la zone, entre Etats-nations (Serbie/Croatie, Azerbaïdjan/Arménie), et entre « nations titulaires » et minorités (conflits du Kosovo contre la Serbie, de Bosnie opposant les Musulmans aux Croates de la Herceg-Bosna et aux Serbes de la Republika Srbska avec, en 1995, l’effroyable épisode des massacres de Srebrenica, pour ne citer que quelques exemples).

49Partout, pour mettre fin aux conflits, des forces militaires d’interposition (Onu, Otan, etc.) sont appelées à rétablir un semblant d’ordre. Au terme d’importants efforts internationaux, au tournant du millénaire, la plupart des conflits ouverts sont finalement soit terminés (Croatie, Serbie...), soit mis en veilleuse (Haut-Karabakh que se disputent Bakou et Erevan, Kosovo, conflit intercommunautaire en Macédoine...). Une controverse historique entre Tchèques et Slovaques trouve, en revanche, une solution raisonnable en 1993 dans le divorce tranquille et par « consentement mutuel » des deux peuples fondateurs de la Tchécoslovaquie.

50Au terme de ces divers développements, un peu partout à l’est et au centre du continent, la problématique minoritaire est redevenue et demeure désormais d’actualité. Le tabou autour de toute référence aux minorités éponymes a fait long feu et l’on en revient en la matière aux règles internationales traditionnelles.

51Quelques exemples illustrent cette nouvelle situation. A la fin des années 1990, Budapest revendique publiquement un « droit de protection » concernant les minorités magyares des Etats successeurs de la Hongrie d’avant 1914 et vote à cet effet, en 2000, une loi dite « du statut », conférant aux Hongrois ethniques de l’extérieur un certain nombre de droits en Hongrie [20].

52Les voisins, Roumanie et Slovaquie en tête, contestent immédiatement cette mesure considérée comme une « intervention dans leurs affaires intérieures » à même d’attenter à leur souveraineté.

53A la même époque, en Pologne, les Allemands de Silésie et de Poméranie orientale, silencieux depuis la Seconde Guerre mondiale, se réveillent brusquement (avec l’aide de la RFA) et cherchent à recouvrer leurs droits historiques. Lituaniens, Biélorussiens et Ukrainiens des confins orientaux du pays se regroupent et se mettent à organiser eux-mêmes, avec l’assistance de la « nation-mère », la vie de leurs communautés, en sommeil depuis des décennies.

54Cette reviviscence n’épargne pas les « minorités dispersées » et les « peuples sans Etat ». Ainsi, les Cachoubes, cette micro-minorité slave de la région de Gdansk rendue célèbre par Günter Grass dans son roman Le Tambour, revendiquent à leur tour leurs droits culturels « historiques ». On assiste même au réveil de groupes à l’identité incertaine (pour certains même carrément « fantasmée »), comme les Silésiens (de langue polonaise) de Pologne occidentale ou les Ruthènes ? aussi appelés Ruzins ? des confins sud-orientaux [21] de ce pays, dont l’identité était jusqu’alors traditionnellement assimilée à celle des Ukrainiens.

55Dans l’ensemble de l’Europe médiane, bien que considérablement affaiblis par rapport aux années 1940 [22], ce sont tous les groupes minoritaires ou diasporiques [23] qui, s’appuyant sur le corpus des instruments juridiques existants, refont apparition. Tous revendiquent le respect de leurs droits à l’existence, à la reconnaissance et au plein exercice de leurs libertés culturelles, tels qu’ils sont définis, depuis 2001, par la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle. Au sein de forums comme la sous-commission des minorités nationales du groupe de travail « Droits de l’homme » de l’Onu, qui se réunit à Genève chaque printemps, ils ont établi des coopérations et, parfois, envisagé de se fédérer. Comme dans les années 1930, ils sont aujourd’hui regroupés en une nébuleuse de structures associatives et leurs revendications, relayées par un certain nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées [24], bénéficient d’un écho croissant.

? Des fantômes du passé

56En ouvrant la boîte de Pandore précipitamment fermée en 1945, les Européens de l’Ouest ont eu la surprise d’y trouver un certain nombre de fantômes dont ils avaient oublié l’existence. Au nombre de ces derniers, figure notamment la « question allemande » en Europe centrale. Dans l’entre-deux-guerres, on s’en souvient, les « nouveaux » Etats d’Europe centrale comportaient tous des communautés germaniques plus ou moins importantes, héritage du « monde d’avant Versailles ».

57On avait cru ce problème résolu avec les « épurations ethniques » des années d’après-guerre. En fait, il restait de petites communautés qui, étant donné le caractère « attractif » de la RFA, ont prospéré au fil des décennies, quitte à n’être pas très regardantes sur l’origine réellement germanique de leurs membres.

58Ainsi, en Pologne, depuis quelques années, les Allemands de Silésie et de Poméranie orientale, réduits au silence depuis la Seconde Guerre mondiale, se sont réveillés brusquement (avec l’aide des associations de Vertriebene et ensuite de Bonn puis de Berlin) et ont entrepris d’obtenir la reconnaissance de leurs droits historiques. De même, en Tchécoslovaquie, la question sudète (alors qu’il ne reste pratiquement plus d’Allemands dans la région) est subitement venue empoisonner les relations entre Berlin et Prague, la République tchèque refusant catégoriquement, comme le réclame Berlin, aiguillonné par les puissantes associations d’expulsés, l’abrogation des décrets Benes aux termes desquels 2,5 millions d’Allemands ont été chassés des Sudètes.

? Les « Roms de l’Est » ou la grande peur de l’Occident

59Parmi les peurs ressenties par l’Occident du fait de l’ouverture des frontières de l’Est, le « déferlement de hordes de Tsiganes roumains » est sans doute l’une des plus répandues. Un certain nombre d’éléments factuels accréditent au demeurant ce fantasme, surtout avec la perspective prochaine des adhésions de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne. Ces deux pays comptent en effet des populations roms très importantes (respectivement, 7 à 800 000 et 1,8 à 2,5 millions d’individus) qui, de plus, ont le sentiment (souvent à juste titre) d’être maltraitées dans leur pays [25]. Nombreux sont, dans ces conditions, ceux qui cherchent à émigrer vers l’Ouest ; en outre, l’expérience de la Hongrie, qui éprouve de sérieuses difficultés avec sa communauté tsigane roumaine, n’est pas de nature à dissiper les craintes.

60Les autorités de l’Union européenne attachent aujourd’hui une grande attention à cette situation et ont mis en place des dispositifs d’assistance aux communautés sur place et dans les pays d’accueil. Par ailleurs, Bucarest qui ressent cette question (du fait notamment de la proximité des ethnonymes Roumain et Rom) comme embarrassante et nuisible à l’image du pays, cherche par tous les moyens à se démarquer des Roms en favorisant notamment l’utilisation du néologisme Rrom.

? Citoyens et non-citoyens

61En principe, tous les minoritaires mentionnés ci-dessous sont citoyens, c’est-à-dire détiennent ce qu’en France on nomme la nationalité [26] des Etats où ils résident. Ce qu’ils revendiquent, c’est donc non pas de disposer de droits identiques à ceux reconnus aux autres citoyens de l’Etat mais, bien au contraire, de jouir de droits particuliers à leur communauté (enseignement dans leur langue, affichage public bilingue, droit d’utiliser leur langue maternelle dans leurs rapports avec les administrations, emploi des graphies traditionnelles des toponymes, patronymes...).

62Or, avec la dislocation de l’URSS et l’apparition de quatorze Etats héritiers de l’Union, en plus de la Russie, un nouveau problème « minoritaire » s’est posé avec la présence « résiduelle » de communautés russophones nombreuses dans la plupart de ces ex-républiques soviétiques (près de 25 millions d’individus au total). Ceux-ci, autrefois citoyens soviétiques, et qui n’avaient alors fait que se déplacer sur le territoire de leur Etat, devinrent subitement, en 1991, culturellement au moins, des « étrangers dans leur pays ».

63Ainsi, en Azerbaïdjan, en Biélorussie, au Kazakhstan ou en Ukraine, des millions de russophones furent du jour au lendemain coupés de leur « patrie historique ».

64En outre, la Fédération de Russie ne leur ayant pas automatiquement conféré la citoyenneté russe, ils se retrouvèrent parfois (à savoir, en Estonie et en Lettonie, deux Etats qui choisirent de ne pas accorder la nationalité à tous leurs résidents) privés de toute citoyenneté [27]. Conformément aux règles internationales, ces personnes ne possédant pas la citoyenneté de leur Etat de résidence sont des étrangers ou des apatrides, et non des minoritaires et, de ce fait, ne bénéficient ni des droits des citoyens, ni des franchises et garanties réservées aux minorités.

65Cette position, défendue par Riga et Tallinn, les oppose à Moscou dans un bras de fer qui dure depuis maintenant quinze ans.

66Ceci étant, même dans les Etats où ils sont tous citoyens, comme au Kazakhstan, les « pieds-rouges » russes se plaignent généralement de leur sort et les problèmes que posent leur intégration ne sont pas pleinement résolus à ce jour. Nombreux sont ceux qui décident de quitter les Etats musulmans (tel l’Azerbaïdjan) pour rentrer en Russie.

67Il n’est pas sans intérêt de noter que la Russie, affaiblie par rapport à la grande puissance qu’était l’URSS, expérimente aujourd’hui une situation assez comparable à celle où se trouvait, en son temps, la République de Weimar (à la suite du traité de Versailles) vis-à-vis des minorités allemandes d’Europe centrale (Etats baltiques, Hongrie, Roumanie, Tchécoslovaquie...) à la fin des années 1920. Comme Berlin à cette époque, Moscou, frustré de la perte de territoires qu’il tenait pour siens, tente d’utiliser les communautés « résiduelles » de « compatriotes » des nouveaux Etats comme instrument d’une politique post-impériale. En accusant les « Etats successeurs » de violer les droits fondamentaux des « minorités », autrefois allemandes, aujourd’hui russes, on tente de vulnérabiliser ces Etats et d’encourager l’opinion publique mondiale à les classer dans la catégorie grise des quasi-Etats ou, pire, d’« Etats faillis » (Failed States), ouvrant peut-être ainsi la voie à une remise en cause à terme de leur existence même.

68L’Ukraine, par exemple, pourrait, aux yeux de certains à Moscou, être vouée à un destin analogue à celui de la Tchécoslovaquie de 1938, la région de Kharkov jouant le rôle alors dévolu aux Sudètes [28].

? Autonomie... territoriale ou culturelle ?

69Dans la plupart des Etats post-commu-nistes d’Europe centrale et orientale, les minorités géographiquement concentrées ont, à un moment ou à un autre au cours de ces quinze dernières années, été tentées par la solution de l’autonomie territoriale. Les Hongrois de Slovaquie (au nombre de 500 000), regroupés au nord de la frontière hongroise, leurs frères de Transylvanie (entre 1,7 et 2 millions), tout particulièrement implantés dans les régions de Harghita et Covasna, les Russes de la région de Narva (200 000) en Estonie ont ainsi, tous, réclamé une autonomie territoriale, mais sans avoir obtenu satisfaction à ce jour.

70Partout, cette revendication, ayant eu l’effet d’un véritable chiffon rouge pour les gouvernements en place, se vit opposer un refus brutal et catégorique.

71La hantise d’un démembrement de l’Etat, le plus souvent perçu, on l’a vu, comme un Etat-nation (l’Etat de la nation titulaire) formant une entité indivisible, était naturellement la cause de cette réaction de rejet violent.

72Une exception remarquable à cette règle concerne la Crimée qui obtint en 1993 de Kiev le statut de république autonome. Cette région, rattachée à l’Ukraine en 1954 et depuis longtemps peuplée majoritairement de Russes, était, au début de la décennie 1990, au bord de la sécession ; pour sauver l’essentiel, c’est-à-dire l’appartenance de la région à l’Etat ukrainien, le gouvernement à dû accepter l’autonomie administrative de la péninsule.

73Ce mode de gestion n’a pas soulevé de difficultés particulières et on a assisté, par ailleurs, au retour des Tatars, peuples autochtones longtemps exilés au Kazakhstan et dans d’autres régions d’Asie centrale. Peuple puni [29], les Tatars, expulsés de Crimée par Staline à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, se partagent aujourd’hui avec les Russes et les Ukrainiens (peu nombreux) le territoire de la petite république autonome.

74Si l’autonomie territoriale n’a donc guère rencontré de succès en Europe médiane, il en va différemment d’une autre forme d’auto-gouvernance connue sous le nom d’« autonomie culturelle extra-territoriale ». Invention des austromarxistes Karl Renner et Otto Bauer à la fin du XIXe siècle, cette formule définissant une appartenance ethnique non liée à un territoire, a connu un début de mise en œuvre avant la Première Guerre mondiale en Moravie et en Galicie au sein de la double monarchie et un véritable baptême du feu à partir de 1925 en Estonie [30].

75Ce dispositif assez complexe prévoit de réunir les minoritaires dispersés de chaque groupe ethnique (national) au sein de « cadastres nationaux » (listes de personnes se déclarant appartenant au groupe en question), permettant l’élection d’assemblées représentatives des porteurs d’une culture donnée. On aboutit ainsi, par un système pyramidal allant de la commune à l’Etat, à la mise en place de structures d’autoadministration culturelle communautaire.

76C’est ce mécanisme qu’ont adopté, avec certaines adaptations, les Estoniens (en 1992) et les Hongrois (en 1993) [31], procédant ainsi à une réelle innovation sociale en Europe. Le système estonien commence tout juste à fonctionner, tandis que le système hongrois, opérationnel depuis plus de dix ans, donne d’ores et déjà des résultats intéressants.

77Du fait de son caractère exemplaire, nous consacrerons quelques développements à la législation hongroise.

78Le préambule de la loi sur l’autonomie culturelle définit bien l’intention du législateur : « L’Assemblée nationale déclare qu’elle considère le droit à l’identité nationale et ethnique comme faisant partie intégrante des droits universels de l’homme, qu’elle reconnaît les droits individuels et collectifs spécifiques des minorités nationales et ethniques comme étant des droits et libertés civiques fondamentaux, et qu’elle s’emploie à les faire respecter dans leur totalité dans la république de Hongrie ». Budapest s’interdit ainsi de mener une politique « visant ou conduisant à l’assimilation des minorités ou ayant partiellement ou totalement pour objectif ou pour résultat la modification de la composition ethnique des territoires habités par les minorités » (art. 2).

79Le Parlement de Budapest ajoute que cette loi est notamment destinée à « compenser les désavantages découlant de la situation minoritaire [des populations]». Cette discrimination positive ? une démarche peu courante en Europe ? correspond à l’Affirmative Action des juristes américains, selon lequel l’appartenance à une minorité ne peut résulter que d’une volonté déclarée en ce sens (art. 6) ; le droit de s’assimiler est pleinement respecté. Le texte, fort complexe, détaille ensuite, en les énumérant, les droits individuels des minorités (art. 9 à 12) et les droits collectifs (art.13 à 18), ainsi que les moyens pratiques nécessaires à la mise en œuvre desdits droits.

80Cette loi innove non seulement par son caractère concret, mais aussi en envisageant l’autonomie culturelle selon deux approches : territoriale (lorsque la minorité représente au moins 5 % de la population locale) et communautaire (lorsque la minorité est éparpillée). Les minorités, constituées en corporations de droit public dans un cadre municipal, bénéficient, au plan national, d’une assemblée (aux pouvoirs surtout consultatifs) chargée de coopérer avec le ministère de l’Education nationale pour la gestion des écoles bilingues.

81Avec ce texte, la Hongrie a doté ses minorités du plus haut niveau de protection existant au monde, comparable à celui dont bénéficient les germanophones de Belgique ou les Suédois de Finlande.

? Evolutions en Europe médiane et en Europe occidentale

82Les contraintes imposées aux Etats d’Europe médiane candidats à l’entrée dans l’Union européenne en ce qui concerne le traitement des minorités ne pouvaient pas rester sans conséquences sur la réflexion et l’action des militants pro-minorités de l’autre moitié du continent qui travaillent dans les organisations internationales (OIG et ONG).

83Ainsi, s’agissant de la ratification des instruments juridiques internationaux fondamentaux, tels que la Charte européenne des langues régionales et minoritaires (1992), la Convention-cadre du Conseil de l’Europe sur les minorités (1994) ou la mise en œuvre des textes d’application correspondants, comment expliquer aux intéressés que des Etats comme la France ou la Grèce, toujours profondément jacobins, qui n’ont ratifié aucun des traités en question et ne reconnaissent même pas l’existence de minorités ethniques autochtones sur leur sol, puissent contraindre des Etats comme la République tchèque ou Chypre à souscrire à de tels engagements ?

84Le « fais ce que je dis, pas ce que je fais » désinvolte ne pouvait avoir qu’un temps, et devait inéluctablement se retourner comme un boomerang. Aujourd’hui, les militants turcs de Grèce collaborent naturellement avec leurs frères de Bulgarie et les Occitans cherchent spontanément l’appui des Hongrois de Slovaquie. La perspective a ainsi radicalement changé en Europe et les fruits d’une telle évolution sont encore à venir.

85Si, au terme de ce rapide examen, on cherche à poser un regard distancié sur l’évolution de la situation des groupes minoritaires en Europe au cours de ces cinquante dernières années, on constate que, dans l’ensemble, elle s’est sensiblement améliorée sur le plan institutionnel, que le droit positif à leur égard est désormais assez complet et que les recours possibles sont nombreux. La diversité culturelle est partout reconnue comme une valeur fondamentale et la survie des minorités figure parmi les obligations internationalement imposées aux Etats.

86Dans la réalité, toutefois, il en va trop souvent bien différemment. Pour certains Etats qui respectent presque à la lettre le corpus de droit qui les lie (Hongrie, Slovénie), combien d’autres « traînent les pieds », comme la Pologne ou la République tchèque, pour ne rien dire de la Russie ? Quant au plus grand nombre, il a adopté au sujet des minorités une gestion « à géométrie variable », en fonction de la conjoncture du moment (agitations internes, pressions internationales…), qui aboutit à une politique inefficace, voire nettement négative en ce qui concerne ces dernières.

Bibliographie

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Notes

  • (1)
    Nous entendons par minorités les groupes culturels et linguistiques différenciés de la majorité environnante, conscients de cette différence et revendiquant une dose plus ou moins importante d’auto-gouvernement. Les institutions internationales, et notamment européennes, ne sont jamais parvenues à adopter une définition unanimement reconnue du concept de minorité. La raison en est que, si l’on avait été trop précis, on aurait dissuadé une bonne partie des Etats concernés de signer les instruments internationaux élaborés avec tant de difficultés.
  • (2)
    Il faut se rappeler que l’Europe comptait alors quelque 30 millions de minoritaires.
  • (3)
    Certains de ces combattants, en particulier des Caucasiens (Arméniens, Azéris) et des représentants des peuples d’Asie centrale (Idel-Ural) se retrouveront d’ailleurs sur le front de l’Ouest.
  • (4)
    Plus de 10 millions d’Allemands (appelés, sous le IIIe Reich, Volksdeutsche) sont alors expulsés vers l’Ouest. Près d’un tiers périra en chemin.
  • (5)
    On parle alors, et cela n’est pas neutre eu égard au rôle de la grande puissance soviétique, d’« Europe de l’Est » concernant l’ensemble de la région.
  • (6)
    Rares sont les intellectuels, historiens ou juristes qui, tel le professeur français Guy Héraud, se souviennent encore et entretiennent la flamme. En dehors de quelques personnalités, la majorité des « défenseurs des minorités » à l’Est sont alors proches de la droite radicale et naturellement anti-communistes !
  • (7)
    Il en ira ainsi après la Seconde Guerre mondiale de la déportation massive d’un certain nombre de peuples réputés « collaborateurs », ou des Allemands de Prusse orientale, des expulsions des Allemands des Sudètes par Prague, des maltraitances à l’encontre des Hongrois en Roumanie, ou des Turcs en Bulgarie dans les années 1980.
  • (8)
    Les intelligentsias européennes, et notamment française, sont alors souvent pro~soviétiques.
  • (9)
    Staline en avait lui-même déjà joué durant la Grande Guerre patriotique, suscitant un ostracisme terrible vis-à-vis de certains groupes minoritaires (qualifiés plus tard de peuples punis), allant jusqu’à la déportation, voire le génocide.
  • (10)
    Allant jusqu’à une quasi-réhabilitation du Conducator antisémite de la Seconde Guerre mondiale, le maréchal Ion Antonescu.
  • (11)
    Près de trois millions aujourd’hui, selon des estimations officieuses.
  • (12)
    Déjà, en 1958, la fermeture d’écoles turques avait été entreprise.
  • (13)
    Bon nombre d’entre eux reviendront au pays après l’abandon de cette politique répressive et, notamment, après le retour de Sofia à la démocratie.
  • (14)
    En particulier, la réouverture, en 1989, de l’université intercommunautaire de Babes-Bolyai à Cluj-Napoca (Koloszvar en hongrois).
  • (15)
    Très importants en Pologne (KOR) et en Tchécoslovaquie (Charte 77, puis Forum civique en Bohème-Moravie, Public contre la violence en Slovaquie), ils sont presque inexistants en Albanie.
  • (16)
    Ce terme de « minorités nationales » est celui couramment utilisé au sein des institutions européennes de nos jours.
  • (17)
    Le premier titulaire du poste, l’ancien ministre néerlandais des Affaires étrangères Max van der Stoel, a joué un rôle éminent pour maintenir la paix sociale dans plusieurs Etats de l’ex-Europe de l’Est au cours des années 1990.
  • (18)
    En raison de leur indépendance d’avant-guerre, ceux-ci échappent à l’expression disqualifiante d’Etats « post-soviétiques ».
  • (19)
    L’historien britannique Timothy Garton Ash a imaginé l’expression de « chaudron nationaliste » reprise ici pour caractériser la situation dans les Peco, au lendemain de la chute des régimes communistes.
  • (20)
    Voir Antonela Capelle-Pogacean, « La Hongrie et les minorités magyares. Une relation complexe à l’heure de l’intégration européenne », Le courrier des pays de l’Est, n° 1028, septembre 2002, pp. 69-77.
  • (21)
    Des groupes revendiquant la même origine ethnique (ruthène) et invoquant le peintre américain Andy Warhol, lui-même d’origine ruthène, comme figure emblématique, se retrouvent ? parfois sous des dénominations différentes ? dans tous les Etats de la région : Slovaquie orientale, Ukraine occidentale, Hongrie et même Roumanie (Boukovine du Sud) et Serbie (Voïvodine).
  • (22)
    Mais ayant dans l’ensemble plutôt bien conservé leurs langues.
  • (23)
    Aroumains (Vlaks ou encore Koutso-Valaques, populations dispersées parlant une langue proche du roumain), Juifs, Roms...
  • (24)
    Citons le Minority Rights Group (MRG), dont le Groupement pour les Droits des Minorités (GDM) est l’organisation sœur en France.
  • (25)
    On les y accuse de nombreux maux, et notamment de collaboration avec les anciennes autorités communistes.
  • (26)
    En Europe médiane, la « nationalité » identifie l’ethnicité (en France, Corse ou Basque par exemple), ce que les Français nomment nationalité étant appelé citoyenneté.
  • (27)
    En 1991, deux options s’offraient à cet égard aux nouveaux Etats : soit conférer la citoyenneté à tous les résidents qui le souhaitaient, alternative connue sous le nom d’« option zéro », soit ne la donner qu’aux descendants des citoyens d’avant l’annexion de 1940. Craignant pour l’avenir de leurs nations à peine majoritaire dans les Etats éponymes, Tallinn et Riga choisirent cette seconde solution.
  • (28)
    On aurait aussi pu parler de la région de Narva en Estonie ou de celle de Daugavpils (Dvinsk) en Lettonie.
  • (29)
    Sur ce concept, voir Alexandre Nekritch, Les peuples punis, Op. Cit. in bibliographie.
  • (30)
    Stéphane Pierré-Caps, La Multination, Op. Cit. in bibliographie.
  • (31)
    La Russie a elle-même adopté ultérieurement un système analogue pour les Rrom.
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