Couverture de CPE_055

Article de revue

Le niveau de vie en Russie 1991-2004

Des inégalités croissantes

Pages 42 à 56

Notes

  • (1)
    R. Ryvkina. Ekonomitcheskaïa sotsiologuia perekhodnoï Rossii. Lioudi i reformy [Sociologie économique de la Russie en transition. Les hommes et les réformes], Moscou, 1998, p. 24.
  • (2)
    N. Zorkaïa, «Massoviyé predstavlenia o naibolee ostrykh problemakh rossiiskovo obchtchestva » [Représentations collectives des problèmes les plus aigus de la société russe] in Ekonomitcheskie i sotsialnyé peremeny : monitoring obchtchestvennovo mnenia [Les changements économiques et sociaux : baromètre de l’opinion publique], n° 6,1996, p. 43.
  • (3)
    R. Ryvkina, op. cit., p. 163.
  • (4)
    R. Ryvkina, op. cit., p. 18.
  • (5)
    Rossia v tsifrakh 2005. Kratki statistitcheski sbornik [La Russie en chiffres 2005. Recueil statistique abrégé], Moscou, 2005, p. 109.
  • (6)
    L’indice global des prix des produits alimentaires a été multiplié par 1 800 dans la période 1991-1995 et le montant des revenus monétaires nominaux par 1 100. Source : Ouroven jizni v Rossii. Statistitcheski sbornik [Le niveau de vie en Russie. Recueil statistique], Moscou, 1996, pp. 33,53.
  • (7)
    Les prix des services ont été multipliés par 10 900 dans la période 1991-1994 alors que les prix en général étaient multipliés par 1 700. Ouroven jizni v Rossii. Statistitcheski sbornik [Le niveau de vie en Russie. Recueil statistique], Moscou, 1996, p. 53.
  • (8)
    Rossiia v tsifrakh 2005. Kratki statistitcheski sbornik [La Russie en chiffres 2005. Recueil statistique abrégé], op. cit., Moscou, 2005, pp. 112-114.
  • (9)
    Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii [Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie], Moscou, 2004, p. 277.
  • (10)
    Rossiiski statistcheski ejegodnik [Annuaire statistique de Russie], Moscou, 1999, pp. 350, 351 ; Rossia v tsifrakh 2005. Kratki statistitcheski sbornik [La Russie en chiffres 2005. Recueil statistique abrégé], Moscou, 2005, p. 213.
  • (11)
    Rossiiski statistitcheski ejegodnik [Annuaire statistique de Russie], Moscou, 1999, p. 358 ; Rossia v tsifrakh 2005. Kratki statistitcheski sbornik [La Russie en chiffres 2005. Recueil statistique abrégé], Moscou, 2005, p. 213.
  • (12)
    Sotsialnoié polojénié i ouroven jizni naselenia Rossii. Statistitcheski sbornik [Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie. Annuaire statistique], Moscou, 2004, p. 277.
  • (13)
    Le coefficient de Gini permet de mesurer la concentration des revenus. Lorsqu’il tend vers 0, la répartition des revenus est égalitaire; à l’inverse, plus le coefficient tend vers 1, plus la concentration des revenus est forte.
  • (14)
    Région de Sibérie occidentale productrice de pétrole.
  • (15)
    Les salariés de la région de Magadan, comme ceux des autres territoires du Grand Nord, bénéficiaient sous le régime soviétique de majorations de salaires destinées à les attirer et à les fixer dans ces contrées inhospitalières.
  • (16)
    C’est-à-dire les régions les plus riches du pays.
  • (17)
    Ouroven jizni v Rossii [Le niveau de vie de la population de Russie], op. cit., p. 93.
  • (18)
    On a pris pour base la structure citée par N. Rimachevskaïa dans l’article « Sotsialnoekonomitcheskié i demografitcheskié problemy sovremennoï Rossii » [Les problèmes socio-éco-nomiques et démographiques de la Russie actuelle] in Ekonomika Severo-Zapada : problemy i perspektivy razvitia [L’économie de la région Nord-Ouest : problèmes et perspectives de développement), n° 2,2004, pp. 134-140, en prenant en compte les données de 2004.
  • (19)
    T. Maléva (sous la direction de), Srednie klassy v Rossii : ekonomitcheskié i sotsialnyé strateguii [Les classes moyennes en Russie : stratégies économiques et sociales], Moscou, 2003, p. 29.
  • (20)
    Rossia : na pouti k vozrojdéniou. Sotsialnaïa i sotsio-polititcheskaïa sitouatsia v Rossii v 2003 godou [La Russie sur la voie de la renaissance. La situation sociale et socio-politique en Russie en 2003], Moscou, 2004, p. 316.
  • (21)
    Ibidem, pp. 327-328. Le total dépasse les 100 % étant donné que les personnes sondées pouvaient fournir plus d’une réponse à la question posée.
  • (22)
    Ibidem, p. 316.

1Depuis la chute de l’URSS, de nombreux débats entre politiques, chercheurs et simples citoyens ont eu pour objet l’évolution de la situation matérielle de la population au cours de la période de transition. Cela n’a rien d’étonnant si l’on se rappelle que la frustration des consommateurs engendrée par les pénuries quasi générales de biens de consommation que l’URSS a connues dans les dernières années de son existence a en grande partie conditionné le soutien initial de la majorité des Russes aux réformes (ou tout au moins leur acceptation tacite). Par ailleurs, si celles-ci ne se sont pas soldées par des succès notoires, elles ont, du moins, de l’avis de tous, permis un bien meilleur approvisionnement en biens de consommation.

2Il est par conséquent intéressant d’étudier les changements intervenus depuis le début des années 1990 en ce qui concerne les revenus et la consommation des Russes, ainsi que le creusement des inégalités entre les différentes couches de la population.

3Sera également envisagée l’évolution de ces différents indicateurs selon les régions de Russie, qui revêt une importance toute particulière dans cette période de transformations.

4Les statistiques disponibles ne fournissent pas un reflet fidèle de la situation à la veille des réformes 1989-1991, car l’amélioration du niveau de vie « sur le papier » était démentie par la réalité : magasins aux rayonnages vides, files d’attente interminables et réinstauration des tickets de rationnement. Pour dresser un tableau plus objectif (autant que faire se peut), il faut donc se tourner vers les sondages d’opinion qui furent réalisés à cette époque sur des échantillons importants.

5Les enquêtes effectuées par le Centre d’étude de l’opinion publique (VTSIOM) au cours de la période 1989-1991 font apparaître les tendances suivantes :

  • la part des personnes interrogées jugeant que leur situation matérielle s’est détériorée est passée de 28 % en 1989 à 53 % en 1991, alors que la proportion de celles considérant qu’elle s’est améliorée est tombée de 24 à 10 % [1];
  • les personnes se disant préoccupées par les pénuries de biens alimentaires et autres étaient, en 1991, d’environ 70 %. En outre, dès cette période, trois quarts d’entre elles s’inquiétaient de la hausse des prix [2];
  • en décembre 1991,15 % seulement se prononçaient contre la transition vers l’économie de marché. Parmi les partisans de celle-ci, 30 % la souhaitaient rapide et 40 % progressive [3].

6La nécessité des réformes était donc évidente, mais sous quelle forme et à quel rythme ? Telle était la question.

7On sait que les autorités russes ont opté pour la thérapie de choc, ce qui n’a pas tardé à se répercuter sur la situation matérielle des citoyens.

Les débuts de la transition

8Les années 1990 ont été marquées par la chute des revenus réels de la population, qui s’est amorcée en fait dès 1991 après le relèvement des prix décidé par les autorités. En 1992, la libéralisation des prix des biens et des services a entraîné un effondrement encore plus net. Leur hausse étant plus rapide que celle des revenus, le salaire moyen a été pratiquement divisé par 3 entre 1992 et 1995, et le revenu moyen par plus de 2. Ces processus se sont accompagnés d’un accroissement rapide des impayés de salaires.

9Selon les sondages du même VTSIOM, la part de la population jugeant ses conditions de vie satisfaisantes a régulièrement diminué de 1991 à 1996 (de 57 à 42 %), celle des Russes considérant qu’elles s’étaient détériorées passant parallèlement de 33 à 49 % [4].

10En 1996-1997, les revenus sont repartis à la hausse, mais cette tendance a été stoppée par la crise financière de 1998 qui a entraîné une forte augmentation des prix des biens et des services. Celle-ci était logique, étant donné que l’approvisionnement en biens de consommation dépendait largement des importations et que le rouble avait perdu les deux tiers de sa valeur. En raison du bond de l’indice des prix à la consommation (+ 80 % entre décembre 1997 et décembre 1998), le salaire réel ne représentait plus, fin 1998, que le tiers de son niveau de 1997.

11La crise a eu cependant un effet bénéfique sur l’économie et la croissance a repris, par effet de rattrapage, et s’est répercutée sur les revenus. On constate ainsi à partir de 2000 une progression régulière de ces derniers en termes réels mais leur niveau demeure toute-fois inférieur à celui de 1991, année qui a précédé les réformes (tableau 1).

Tableau 1

Revenus monétaires de la population de la Fédération de Russie 1991-2004

Tableau 1
Tableau 1 Revenus monétaires de la population de la Fédération de Russie 1991-2004 Indicateur 1991 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Revenus monétaires moyens (roubles*) 466 516 942 1 013 1 664 1 371 2 281 3 061 3 947 5 171 6 337 Niveau des revenus réels : - année précédente = 100 121 85 101 106 84 88 112 109 111 115 108 - 1991 = 100 100 59 60 63 53 47 52 57 63 73 79 - 1995 = 100 - 100 101 107 90 79 89 97 107 123 133 - 1999 = 100 - - - - - 100 112 122 136 156 168 * Les données couvrant la période 1992-1997 sont en milliers de roubles. En 1998, fut créé un rouble lourd (trois zéros de moins) Sources : Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29 ; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

Revenus monétaires de la population de la Fédération de Russie 1991-2004

Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29 ; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

12La décentralisation de l’économie russe et sa conversion au marché ont eu des conséquences sur la structure des revenus monétaires de la population. Le principal changement a été, depuis le début des années 1990, la réduction de la part des salaires (tableau 2), celle-ci passant de 76 % en 1990 à 63 % en 1995. Au cours de la période suivante, cet indicateur, en dépit de quelques fluctuations, n’a pas sensiblement varié. Les salaires conservent ainsi une place dominante dans la composition des revenus monétaires.

13Par ailleurs, la part des revenus de l’activité de l’entreprise s’est rapidement accrue dans les premières années des réformes. Sa contraction ultérieure est à mettre en liaison avec la stagnation du développement du secteur des petites et moyennes entreprises (PME) à partir du milieu des années 1990, après une croissance spectaculaire dans la première moitié de la décennie. Parallèlement, celle des revenus du patrimoine a augmenté de façon assez nette, avec sa redistribution à l’occasion de la privatisation des biens d’Etat.

Tableau 2

Structure des revenus monétaires de la population de la Fédération de Russie

Tableau 2
Tableau 2 Structure des revenus monétaires de la population de la Fédération de Russie (en %) Sources des revenus 1990 1995 2000 2004 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 Salaires 76,4 62,8 62,8 63,2 Revenus de l’activité de l’entreprise 3,7 16,4 15,4 11,7 Transferts sociaux 14,7 13,1 13,8 13,8 Revenus du patrimoine 2,5 6,5 6,8 9,1 Autres 2,7 1,2 1,2 2,2 Sources : Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

Structure des revenus monétaires de la population de la Fédération de Russie

Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

? Salaires et pensions

14On a assisté entre 1991 et 2004 à une augmentation régulière du salaire nominal par tête. La hausse simultanée des prix de détail a cependant ralenti ou même totalement annulé la croissance du salaire réel (tableau 3). C’est la crise économique et financière de 1998 qui a porté le coup le plus dur au pouvoir d’achat des salariés. Dans la période qui a suivi, avec le redressement de la situation économique, le rythme d’accroissement du salaire réel s’est considérablement accéléré, ce qui lui a permis en niveau de doubler le résultat atteint en 1999 et d’augmenter de 60 % celui enregistré en 1995.

15Néanmoins, une tendance au ralentissement s’observe après 2000, alors même que le niveau de 1991 du salaire moyen n’a pas encore été retrouvé. Il faut toutefois noter que cet indicateur ne reflète plus que partiellement le niveau de ressources dont disposent les Russes puisque sa place dans cel-les-ci s’est réduite par rapport à la période soviétique. En 2004, le salaire moyen mensuel (en prix de 1991) représentait 70 % du montant de 1991 (548 roubles). Si avant le début des réformes il équivalait à 3,4 fois le montant du minimum vital fixé par le gouvernement, en 2004, il ne lui était plus supérieur que de 2,7 fois [5].

16Ce sont les couches les plus vulnérables, comme les retraités, qui ont connu la situation la plus difficile lors de la transition. Dans la première moitié des années 1990, le montant nominal moyen des pensions a en effet été pratiquement divisé par 2. La détérioration s’est poursuivie après la crise de 1998 et, en 1999, la pension moyenne ne représentait en termes réels que le tiers de celle versée en 1991. La stabilisation économique a permis une certaine amélioration, mais bien qu’elle ait doublé entre 2000 et 2004, elle n’atteint encore que 64 % de son niveau d’avant les réformes (tableau 4).

Tableau 3

Evolution des salaires dans la Fédération de Russie 1991-2004

Tableau 3
Tableau 3 Evolution des salaires dans la Fédération de Russie 1991-2004 Indicateur 1991 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Salaire moyen mensuel* 548 472 790 950 1 051 1 523 2 223 3 240 4 360 5 499 6 832 Niveau du salaire moyen réel : - année précédente = 100 97 72 106 105 87 78 121 120 116 111 111 - 1991 = 100 100 45 47 50 43 34 41 49 57 63 70 - 1995 = 100 -- 100 106 111 97 76 91 100 127 141 157 - 1999 = 100 -- -- -- -- -- 100 121 145 168 187 208 * 1995-1997, milliers de roubles Sources : Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

Evolution des salaires dans la Fédération de Russie 1991-2004

Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.
Tableau 4

Evolution des pensions de retraite dans la Fédération de Russie 1991-2004

Tableau 4
Tableau 4 Evolution des pensions de retraite dans la Fédération de Russie 1991-2004 Indicateur 1991 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Montant moyen mensuel des pensions (roubles*) 185 188 302 328 399 449 694 1 204 1 379 1 637 1 915 Evolution du montant mensuel réel des pensions : - année précédente = 100 -- 81 109 95 95 61 128 121 116 105 106 - 1991 = 100 100 54 58 55 53 32 41 50 58 61 64 - 1995 = 100 -- 100 109 104 98 60 77 93 108 113 120 - 1999 = 100 -- -- -- -- -- 100 128 155 180 189 200 * 1995-1997, milliers de roubles Sources : Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

Evolution des pensions de retraite dans la Fédération de Russie 1991-2004

Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

17Les statistiques officielles russes utilisent comme indicateur de base pour mesurer le niveau de vie le minimum vital, élaboré en 1992, et qui donne une estimation chiffrée du panier de la ménagère auquel viennent s’ajouter les prélèvements obligatoires. Le panier contient un assortiment minimal de biens alimentaires et non alimentaires et de services essentiels pour maintenir un être humain (en fonction de son âge) en bonne santé et lui permettre d’exercer une activité. Il s’agit donc au fond d’un « seuil de survie ». Comme le montrent les statistiques, au cours des années 1990, les revenus monétaires moyens par tête ont représenté le double du minimum vital. A partir de 2001, ce ratio s’est sensiblement amélioré, alors que les pensions ne dépassent que très légèrement le minimum vital.

Tableau 5

Montant des revenus par rapport au minimum vital (minimum = 100)

Tableau 5
Tableau 5 Montant des revenus par rapport au minimum vital (minimum = 100) 1992 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 Revenu monétaire moyen 210 195 206 226 205 183 189 205 220 244 266 Salaire moyen mensuel 281 159 190 206 189 152 168 199 222 239 263 Pension moyenne mensuelle 117 101 116 113 115 70 76 90 100 102 106 Sources : Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

Montant des revenus par rapport au minimum vital (minimum = 100)

Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, p. 141 ; Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie), Moscou, 2004, p. 29; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

? Pouvoir d’achat et structure de la consommation

18La perception de leurs revenus par les Russes fournit des résultats assez différents de l’état des lieux établi à partir des statistiques (tableau 6). Tout au long de la transition, leurs revenus réels ont été, selon eux, plus de trois fois inférieurs au montant qui leur aurait assuré une vie « normale ». Le rapport le plus défavorable entre revenus réels et souhaités a été enregistré durant la période initiale des réformes et dans les mois qui suivirent la crise de 1998. Les calculs effectués par les auteurs sur la base des enquêtes d’opinion réalisées dans la région de Vologda de 1996 à 2004 confirment d’ailleurs ce constat.

Tableau 6

Pouvoir d’achat réel des revenus monétaires moyens par tête (d’après des sondages

Tableau 6
Tableau 6 Pouvoir d’achat réel des revenus monétaires moyens par tête (d’après des sondages effectués par le VTSIOM) Indicateurs 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2004 Revenus réels de la population (roubles*) 29 259 552 624 1 423 2 418 2 890 Montant des revenus nécessaires à une vie «normale», (roubles*) 120 780 2 039 2 464 5 029 8 414 8 853 Revenus réels/revenus nécessaires (%) 24,2 33,2 27,1 25,3 28,3 28,7 32,6 * 1992-1997, milliers de roubles Sources : Ekonomitcheskie i sotsialnyé peremeny : monitoring obchtchestvennovo mnenia. (Les changements économiques et sociaux : baromètre de l’opinion publique, 1995, n° 2, pp. 52-53 ; Ibidem, 1999, n° 1, pp 61,64 ; Ibidem, 2000, n° 3, pp. 58,63; Vestnik obchtchestvennovo mnenia. Dannyé. Analiz. Diskoussii. (Le courrier de l’opinion publique. Données, analyse, débats). 2005, n° 1, pp. 67,74; Ibidem, pp. 68,72.

Pouvoir d’achat réel des revenus monétaires moyens par tête (d’après des sondages

Ekonomitcheskie i sotsialnyé peremeny : monitoring obchtchestvennovo mnenia. (Les changements économiques et sociaux : baromètre de l’opinion publique, 1995, n° 2, pp. 52-53 ; Ibidem, 1999, n° 1, pp 61,64 ; Ibidem, 2000, n° 3, pp. 58,63; Vestnik obchtchestvennovo mnenia. Dannyé. Analiz. Diskoussii. (Le courrier de l’opinion publique. Données, analyse, débats). 2005, n° 1, pp. 67,74; Ibidem, pp. 68,72.

19L’utilisation des revenus monétaires s’est également modifiée pendant cette période (tableau 7). Viennent en première place les dépenses liées à la consommation courante. Cependant, au cours la période 1990-2004, la part des sommes consacrées à celle-ci dans le total a sensiblement diminué (passant de 83 à 70 %). Au contraire, celle des placements financiers a considérablement augmenté.

20Dans la période d’instabilité des années 1990, on a assisté à une croissance rapide de l’épargne en devises étrangères. La stabilisation de la situation économique après 1999 s’est traduite, entre autres, par une augmentation des dépôts bancaires et des acquisitions de valeurs.

Tableau 7

Structure des dépenses monétaires de la population de la Fédération de Russie (%)

Tableau 7
Tableau 7 Structure des dépenses monétaires de la population de la Fédération de Russie (%) Chapitre 1990 1995 2000 2004 Biens et services 82,6 70,5 75,5 70,1 Prélèvements obligatoires 12,4 5,6 7,8 9,7 Achats immobiliers - 0,1 1,2 1,4 Augmentation des actifs financiers 5,0 23,8 15,5 18,8 dont : augmentation ou réduction (-) des liquidités détenues par la population 0,7 3,6 2,8 1,7 Sources : Rossiiskaïa Fédératsia v 1992 : statistitcheski ejegodnik (La Russie en 1992 : Annuaire statistique) Moscou, 1993, p. 149; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

Structure des dépenses monétaires de la population de la Fédération de Russie (%)

Rossiiskaïa Fédératsia v 1992 : statistitcheski ejegodnik (La Russie en 1992 : Annuaire statistique) Moscou, 1993, p. 149; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 101.

21Les changements intervenus dans la structure des dépenses de consommation des ménages donnent une idée des évolutions des besoins de la population (aussi bien matériels que non matériels) et des possibilités de les satisfaire. De ce point de vue, on a assisté dans les années 1990 à une augmentation de la part des dépenses alimentaires (tableau 8), reflétant une réorientation de la consommation vers les besoins essentiels. Cette évolution est due, d’une part, à une hausse des prix des produits alimentaires supérieure à celle des revenus [6] et, d’autre part, à un renchérissement considérable des services au cours de la période 1992-1994, bien supérieur à celui, déjà très prononcé, des autres biens [7], ce qui a contraint la population à recourir de moins en moins à ceux-ci, voire à y renoncer.

22Dans ce poste, les plus fortes hausses ont touché les services de proximité et à caractère culturel.

Tableau 8

Structure des dépenses de consommation de la population de la Fédération

Tableau 8
Tableau 8 Structure des dépenses de consommation de la population de la Fédération de Russie (%) Chapitre de dépenses 1990 1995 2000 2004 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 - produits alimentaires 31,5 49,0 47,6 36,0 - repas pris à l’extérieur 4,6 3,0 1,8 3,5 - boissons alcoolisées 5,0 2,5 2,5 2,1 - biens non alimentaires 45,8 31,8 34,3 37,2 - services 13,1 13,7 13,8 21,2 Sources : Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, pp. 166-167 ; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, pp. 112-114.

Structure des dépenses de consommation de la population de la Fédération

Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 1999, pp. 166-167 ; Rossia v tsifrakh 2005 : Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, pp. 112-114.

23Grâce à la stabilisation socio-écono-mique qui a débuté après 1999, la structure des dépenses de consommation s’est rééquilibrée : les achats de produits alimentaires ont diminué au profit des biens non alimentaires et des services (tableau 8). On a assisté à une réduction de la part des dépenses consacrées aux vêtements, chaussures, linge de maison et tissus (passée de 15,5 % en 2000 à 11,4 % en 2004), tandis que la proportion de celles destinées à l’achat de téléviseurs, de postes de radio, d’articles de tourisme et de loisirs et de véhicules progressait de 5,5 % à 8 %. Les services dont la part a le plus augmenté sont les charges liées au logement (passée de 4,6 % à 7,7 %), la culture et l’éducation (de 1,7 % à 3,7 %). Autant de signes témoignant du passage progressif du modèle de survie à celui de développement [8].

24Cependant, la situation de nombre de Russes demeure difficile. En 2003, 40 % de la population disposant des plus faibles ressources consacraient plus de la moitié de leurs dépenses de consommation à l’achat de produits alimentaires (un tiers pour les 20 % les plus aisés).

25Globalement, les Russes affectaient environ 20% de ce type de dépenses aux services. Cependant, si pour les 10 % les plus défavorisés venaient en tête (13 % du total des dépenses de consommation) les charges liées au logement, cette part n’était que de 4,6 % pour les 10 % les plus aisés. Les parts relatives étaient respectivement de 0,8 % et 3,7 % pour les services de proximité, de 1,5 % et 5,3 % pour l’éducation, la culture, la santé et les loisirs.

26La structure de ces dépenses de consommation varie également selon les régions. En 2003, dans neuf d’entre elles l’alimentation représentait plus de 50 % (64 % au Daghestan, 77 % en Ingouchie).

27Les statistiques montrent aussi, dans la période des réformes, une forte réduction de la consommation de produits comme la viande et ses dérivés, le lait et les produits laitiers, les œufs, le sucre (tableau 9). Un tel changement de comportement témoigne évidemment d’une diminution du pouvoir d’achat.

Tableau 9

Consommation annuelle de produits alimentaires par la population

Tableau 9
Tableau 9 Consommation annuelle de produits alimentaires par la population de la Fédération de Russie En kg par tête En % par rapport à la norme alimentaire* 1991 1995 2000 2003 1991 1995 2000 2003 Viande et dérivés 70 53 50 61 100 76 71 87 Lait et produits laitiers 378 250 199 225 102 68 54 61 Œufs (unités) 231 192 202 208 84 70 74 76 Sucre et confiseries 32 28 30 26 84 74 79 68 Huile végétale et autres graisses nd 6 10 10 nd 46 77 77 Poisson et dérivés 15 10 14 14 75 50 70 70 Pommes de terre 94 113 93 86 90 108 89 82 Légumes 85 83 82 84 61 59 59 60 Pain et viennoiseries 97 102 109 109 91 95 102 102 Fruits 37 30 27 36 49 40 36 48 * Il s’agit des normes recommandées par l’Académie de médecine de Russie (T. Lobatcheva. «Potréblénié prodouktov pitania v Rossii» (Consommation des produits alimentaires en Russie)» in APK : ekonomika, oupravlenié (Le secteur agroindustriel : économie et gestion), n° 3,2003, pp. 51-54. Sources : Ouroven jizni nasélénia Rossi : Statistitcheski sbornik (Niveau de vie de la population en Russie, annuaire statistique), Moscou, 1996, p. 105; Sotsialnoié polojénié i ouroven jizni naselenia Rossii : Statistitcheski sbornik (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie, annuaire statistique), Moscou, 2004, p. 275.

Consommation annuelle de produits alimentaires par la population

Ouroven jizni nasélénia Rossi : Statistitcheski sbornik (Niveau de vie de la population en Russie, annuaire statistique), Moscou, 1996, p. 105; Sotsialnoié polojénié i ouroven jizni naselenia Rossii : Statistitcheski sbornik (Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie, annuaire statistique), Moscou, 2004, p. 275.

28Mais après 2000, certains changements positifs sont intervenus dans la structure de la consommation alimentaire des Russes. Ainsi, celle de viande par tête et par an est passée de 50 kg en 2000 à 61 kg en 2003, celle de lait et de produits laitiers de 199 à 225 kg. Les niveaux de consommation de la majeure partie de la population demeurent cependant très bas, inférieurs aux normes alimentaires (tableau 9). En 1995, la valeur énergétique de la nourriture (en kcal) n’atteignait que 80 % de la norme, en 2003,87 % et seuls 20 % des Russes disposant des revenus les plus élevés pouvaient se nourrir correctement [9].

29La satisfaction des besoins alimentaires fait toujours problème : après les pénuries, c’est maintenant l’insuffisance des moyens financiers qui y fait obstacle.

30Ce phénomène est néanmoins minoré pour partie par le développement considérable des lopins. La première moitié des années 1990 a en effet été marquée par l’exploitation par les citadins de terrains proches des villes, en vue d’y pratiquer la culture maraîchère. Au cours de la période 1990-2004, leur apport à la production agricole du pays est passé de 26 à 51 %, et en particulier, de 66 à 92 % pour les pommes de terre, de 30 à 80 % pour les légumes, de 24 à 52 % pour le lait, de 25 à 53 % pour le bétail et la volaille (en poids à l’abattage) [10]. Entre 1991 et 2004, la production de pommes de terre est passée de 24,8 à 33 millions de tonnes, celle de légumes de 4,8 à 11,5 millions de tonnes et celle de lait de 13,5 à 16,7 millions de tonnes [11].

31Les rations alimentaires des Russes varient beaucoup selon les groupes sociaux : ainsi, la consommation de poisson et de produits dérivés, dans le décile inférieur de la population, représente le tiers de celle du décile supérieur ; celle de fruits et de légumes est de 4,8 fois inférieure, celle de viande et de produits dérivés de 3,5 fois, à l’instar de celle de lait et de produits laitiers.

32Il en est de même pour la composition nutritionnelle des aliments consommés et, en particulier, pour l’apport en protéines (2,3 fois moins), lipides (2,5 fois moins), acides aminés (1,9 fois moins). La valeur énergétique de la nourriture dans le décile inférieur est 2,2 fois moins élevée que dans le décile supérieur (1 527 kcal contre 3 286) [12].

Tableau 10

Equipement de la population de la Fédération de Russie en biens de consommation

Tableau 10
Tableau 10 Equipement de la population de la Fédération de Russie en biens de consommation durable (pour 100 ménages) Biens 1991 1995 2000 2003 Téléviseurs 112 116 124 133 Magnétoscopes, caméscopes -- 15 48 57 Magnétophones, baladeurs 59 62 66 57 Chaînes Hi-Fi -- -- 6 13 Ordinateurs -- -- 6 13 Réfrigérateurs, congélateurs 95 95 116 114 Lave-linge 78 81 100 93 Aspirateurs 52 53 77 78 Automobiles 19 28 18 31 Sources : Ouroven jizni nasélénia Rossi : Statistitcheski sbornik (Niveau de vie de la population en Russie, annuaire statistique), Moscou, 1996, p. 61 ; Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 2004, p. 213.

Equipement de la population de la Fédération de Russie en biens de consommation

Ouroven jizni nasélénia Rossi : Statistitcheski sbornik (Niveau de vie de la population en Russie, annuaire statistique), Moscou, 1996, p. 61 ; Rossiiski statistitcheski ejegodnik (Annuaire statistique de Russie), Moscou, 2004, p. 213.

33Durant les années 1990, l’équipement des ménages en biens durables s’est considérablement amélioré (tableau 10) du fait du faible niveau initial de cet équipement et du développement de l’offre, notamment de biens en provenance d’Asie du Sud-Est, en général bas de gamme, mais dont le prix est relativement accessible. Du temps de l’URSS, par contre, la quasi-totalité de la population était dans l’impossibilité d’acquérir des biens importés et ceux-ci étaient par conséquent une sorte de symbole de bien-être, et l’objet essentiel des aspirations.

Le creusement des inégalités

34De 1991 à 2004, on a assisté à un creusement sensible des inégalités ; ainsi, l’écart entre le décile inférieur et le décile supérieur de la population est passé de 1 : 4,4 à 1 : 4,8, le coefficient de Gini [13] de 0,260 à 0,406. Par exemple, dans la région de Vologda, selon les calculs des auteurs effectués à partir des statistiques régionales, malgré la croissance globale des revenus de la population, durant la période 2001-2004, les revenus du décile supérieur ont été multipliés par 1,7 pendant que ceux du décile inférieur ne s’accroissaient que de 8 %.

35La part des 20 % de Russes les plus fortunés dans le total des revenus distribués a augmenté, passant de 33 % en 1990 à 46 % en 2004, alors que celle des autres groupes s’est réduite (tableau 11).

36Il faut souligner que ces processus de différenciation des revenus se basent sur plusieurs facteurs. Tout d’abord, on ne saurait comprendre leur évolution sans rappeler que, du temps de l’URSS, le système de répartition des revenus permettait de maintenir l’équilibre entre les différents groupes de la population sur le plan territorial, professionnel ou autre. Dans ce contexte, ne jouissaient d’un statut à part que de rares représentants de l’élite politique et économique qui, dans une situation de pénurie généralisée, bénéficiaient d’un accès « légal » aux réseaux centralisés de distribution des biens matériels. La liquidation de fait de ces mécanismes a entraîné une aggravation des inégalités.

Tableau 11

Répartition du volume total des revenus de la population de la Fédération de Russie

Tableau 11
Tableau 11 Répartition du volume total des revenus de la population de la Fédération de Russie Indicateur 1990 2004 Revenus monétaires, total (%) 100,0 100,0 Dont, par tranche de population de 20 % : - première (revenus les plus bas) 9,8 5,5 - deuxième 14,9 10,2 - troisième 18,8 15,2 - quatrième 23,8 22,7 - cinquième (revenus les plus élevés) 32,7 46,4 Sources : Rossiiski statistitcheski ejegodnik 2004. (Annuaire statistique de Russie, 2004). Moscou, 2004, p. 193; Rossia v tsifrakh, Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 110.

Répartition du volume total des revenus de la population de la Fédération de Russie

Rossiiski statistitcheski ejegodnik 2004. (Annuaire statistique de Russie, 2004). Moscou, 2004, p. 193; Rossia v tsifrakh, Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, p. 110.

? Le renforcement des disparités régionales

37Le revenu moyen par tête (en termes nominaux) a été multiplié par 11,1 au cours de la période 1991-2003 dans l’ensemble de la Russie, mais par 23,3 à Moscou et par 14,9 dans la région de Tioumen [14], contre seulement 3,7 en Kalmoukie et 4 en Ingouchie. En conséquence, l’écart entre les revenus moyens mensuels par tête perçus dans les régions se situant aux deux extrêmes de l’échelle, qui était de 1 : 3,8 en 1991 (république de l’Altaï, 245 roubles ; région de Magadan, 951 roubles) [15] est passé à 1 : 12,1 en 2003 (ville de Moscou, 16 827 roubles, soit 445 euros environ; république d’Ingouchie, 1392 roubles, soit 37 euros).

38Dans la majorité des divisions administratives du pays, le coefficient de Gini oscillait en 2003 dans une fourchette de 0,3 à 0,4. Les régions les plus inégalitaires étaient la république des Komis (0,427), les régions de Samara (0,430), de Tioumen (0,450) et la ville de Moscou (0,650) [16]; c’est là également que le rapport entre les revenus du décile supérieur et ceux du décile inférieur était le plus défavorable. Si celui-ci était en moyenne de 1 : 14,3 dans l’ensemble de la Russie, il s’établissait à 1 : 17,4 dans la république des Komis, à 1 : 17,7 et 1 : 20,6 respectivement dans les régions de Samara et de Tioumen et à 1 : 51,8 à Moscou !

39La stabilisation de la situation dans la période 2000-2004 a entraîné une contraction de la catégorie des bas revenus : la part de la population disposant de revenus inférieurs au minimum vital est ainsi passée de 29 % (42 millions de personnes) en 2000 à 18 % (26 millions de personnes) en 2004. Toutefois, le montant de ce dernier étant extrêmement bas, le nombre de personnes touchées par la pauvreté est manifestement sous-évalué et serait, selon nos estimations, de 2 à 2 fois et demie plus important.

40En 2003, la part de la population dont les revenus étaient inférieurs au seuil de pauvreté était, pour l’ensemble de la Russie, de 21 %. Si, dans huit régions, elle ne dépassait pas les 20 % (la proportion la plus faible était enregistrée dans la région de Tioumen, avec 13 %), dans 36 autres elle se situait dans une fourchette comprise entre 20 à 30 % et dans sept, elle excédait les 40 %.

41Le niveau de la pauvreté dans une région donnée dépend en règle générale des ressources dont elle est dotée et de la façon dont les secteurs dominants se sont adaptés aux conditions du marché. Les régions défavorisées sont celles dont le potentiel de développement industriel est faible ou dont l’activité économique se concentrait avant la transition sur le complexe militaro-industriel et l’industrie textile.

42Cette situation se reflète dans le niveau du produit brut régional par tête : il était ainsi, par exemple en 2003, de 8,1 fois inférieur au niveau moyen en Ingouchie, où a été enregistrée la plus forte proportion de population à faibles revenus (83 %), de 2,7 fois dans la région d’Ivanovo (58 % de faibles revenus), de 3,4 fois au Daghestan (53 %), de 3 fois dans la république de Touva (49 %), etc.

? Disparités, selon les secteurs et la situation de famille

43Une cause majeure des disparités de revenus réside également dans les écarts de salaires entre les différents secteurs de l’économie. Traditionnellement dans la Russie post-soviétique, la finance, le bâtiment et les télécommunications offrent les meilleures rémunérations, celles-ci étant nettement inférieures dans l’agriculture, la sphère sociale (santé, éducation, culture, etc.), les services communaux et de proximité.

44On peut en outre noter des différences importantes au sein même de certains secteurs. C’est ainsi que les salariés des entreprises de branches liées à l’extraction et à la transformation des matières premières se trouvent particulièrement favorisés : en 2004, le niveau du salaire moyen dans l’industrie des hydrocarbures était de 19 300 roubles (509 euros), dont 23 700 roubles (625 euros) dans l’extraction du pétrole et 33 700 roubles (890 euros) dans l’industrie gazière, alors qu’il n’était que de 3 400 roubles (90 euros) dans l’industrie textile et de 5 400 roubles (142 euros) dans la filière bois.

Tableau 12

Niveau des salaires dans les principaux secteurs de l’économie de la Fédération

Tableau 12
Tableau 12 Niveau des salaires dans les principaux secteurs de l’économie de la Fédération de Russie (salaire moyen = 100) Secteurs 1990 1995 2000 2004 Salaire moyen 100 100 100 100 Industrie 103 112 123 118 Agriculture 95 50 40 41 Transports 115 156 150 142 Télécommunications 85 124 129 134 Bâtiment 124 126 126 116 Commerce et restauration 85 76 71 72 Services communaux et de proximité 74 102 88 85 Santé, sport, sécurité sociale 67 74 62 69 Education 67 65 56 62 Culture 62 61 55 63 Recherche 113 77 122 126 Finances, crédit, assurances 135 163 244 249 Gestion 120 107 120 122 Sources : Rossiiski statistitcheski ejegodnik 2004. (Annuaire statistique de Russie, 2004). Moscou, 2004, p. 180; Rossia v tsifrakh, Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, pp. 107-109.

Niveau des salaires dans les principaux secteurs de l’économie de la Fédération

Rossiiski statistitcheski ejegodnik 2004. (Annuaire statistique de Russie, 2004). Moscou, 2004, p. 180; Rossia v tsifrakh, Kratki statistitcheski sbornik (La Russie en chiffres, recueil statistique abrégé), Moscou, 2005, pp. 107-109.

45Le lieu de résidence joue également un rôle important. Ceux qui vivent dans les zones rurales connaissent les conditions matérielles les plus précaires, étant donné qu’ils sont employés, pour leur majorité, dans l’agriculture ou l’économie forestière, là où, comme on l’a déjà vu, les salaires sont parmi les plus bas. En 2003, la part des ménages ruraux dans le total des ménages était de 27 %, alors qu’ils constituaient 35 % du groupe le plus défavorisé de la population.

46A revenus égaux, les ménages ayant des charges de famille se trouvent moins bien lotis que les autres. Selon des études sur les budgets des ménages effectuées par le Comité des statistiques de Russie en 1996, le pourcentage des ménages sans enfant parmi les défavorisés était de 25 %, alors qu’il atteignait 44 % pour les familles avec un enfant de moins de 16 ans, 61 % pour celles ayant deux enfants, 83 % pour celles ayant trois enfants et 96 % pour celles ayant quatre enfants ou plus [17]. En 2003, alors que les foyers comptant des enfants de moins de seize ans ne constituaient que 36 % du total des ménages, leur part dans la catégorie la plus défavorisée atteignait 53 %.

47Selon les experts du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), une répartition plus égale des richesses a tendance à favoriser le développement humain, thèse confortée par un grand nombre d’études empiriques effectuées dans des pays aux situations socio-économiques fort dissemblables. En outre, toutes conditions égales par ailleurs, ce développement bénéficie davantage aux couches les plus défavorisées.

tableau im13

? La prime aux hauts revenus

48L’analyse des statistiques relatives à la région de Vologda pour la période 1999-2002 (tableau 13) [18] montre que ce sont les catégories de population disposant des plus hauts revenus qui ont avant tout tiré parti des opportunités de gains offertes par la transition à l’économie de marché. La part de tous les autres groupes s’est au contraire contractée. Parallèlement, en raison de l’instauration d’un taux unique pour l’impôt sur le revenu, la contribution du décile supérieur aux recettes fiscales et provenant des cotisations et autres prélèvements a diminué, passant de 28 à 25 %. Le poids des prélèvements obligatoires est par contre devenu plus lourd pour les couches moyennes (groupes 3 à 8). L’évolution du poste « autres dépenses », qui comprend l’épargne sous toutes ses formes, est tout à fait remarquable : la part relative du groupe supérieur s’est accrue considérablement, passant de 35 à 73 %, au détriment de celle de tous les autres groupes. Cette évolution témoigne du creusement des écarts de niveau de vie, seule une petite élite économique régionale réussissant à améliorer sa situation, et fait barrage à la formation d’une classe moyenne, fondement d’un développement socio-économique stable.

49Vers le milieu de la décennie en cours, la répartition des revenus était fortement différenciée (voir tableau 14).

Tableau 14

Répartition de la population de Russie en fonction des revenus (2004)

Tableau 14
Tableau 14 Répartition de la population de Russie en fonction des revenus (2004) Revenus mensuels % Riches Plus de 2 000 dollars 5 Hauts revenus De 1 000 à 2 000 dollars 10 Revenus moyens De 150 à 1 000 dollars 30 Faibles revenus De 85 à 150 dollars 30 Pauvres Moins de 85 dollars 25

Répartition de la population de Russie en fonction des revenus (2004)

50La majorité des observateurs considèrent qu’on a assisté au cours de la transition à l’émergence d’une classe moyenne. Mais son importance (elle constituerait selon les auteurs de 15 % à 60-70 % de la population) [19] et sa composition sociale donnent lieu à de vives discussions et controverses. Par ailleurs, elle se caractérise en Russie par des traits bien spécifiques liés à la conversion récente de l’économie russe aux mécanismes de marché et aux traditions nationales et il est difficile (tout au moins pour le moment) de la comparer à l’aune de celles présentes dans les pays développés.

51Selon nous, il existerait en Russie une « proto-classe » moyenne. Si la stabilité sociale et économique et la croissance se maintiennent pendant une période suffisamment longue, celle-ci peut se transformer en une classe moyenne conforme à la définition classique.

52Selon nos estimations, basées sur les résultats de nombreuses études de chercheurs et sur nos propres travaux, feraient aujourd’hui partie de cette catégorie sociale 25 % de la population au maximum, soit environ 35 millions de personnes. Pour l’essentiel, celles-ci résident dans les villes grandes et moyennes, sont employées dans l’administration publique et le secteur de la finance ou ont créé une petite entreprise. En sont exclus, pour le moment, la plus grande partie des enseignants, des professions de la santé et du secteur culturel ainsi que des ingénieurs et techniciens des secteurs industriels sinistrés.

53On ne saurait porter un jugement unilatéral sur l’évolution du niveau de vie des Russes dans la période post-sovié-tique, au cours de laquelle la vie du pays a été soumise à des influences contradictoires. Il faut mettre avant tout au crédit des réformes la liquidation des pénuries, un des « attributs » les plus marquants du système économique soviétique (surtout dans ses dernières années). Autre facteur positif, la population n’est plus enfermée dans le carcan d’une économie gérée centralement.

54Selon les résultats d’une enquête réalisée par l’Institut des recherches sociopolitiques de l’Académie des sciences de Russie, la part des personnes interrogées approuvant l’assertion selon laquelle : « aujourd’hui, tous ceux qui peuvent et veulent travailler ont la possibilité d’accéder à l’aisance matérielle » est passée de 20 % en 1994 à 40 % en 2003 [20].

55Mais ce processus de libéralisation économique s’est accompagné d’un désengagement de l’Etat de la sphère sociale. On est passé du jour au lendemain d’un système de réglementation rigide basé sur le paternalisme à une pratique n’opposant aucun frein à la satisfaction des intérêts privés, ce qui, avec une législation imparfaite et une population peu au fait des questions juridiques, a entraîné des distorsions sur le plan de la redistribution des ressources. Formellement, l’Etat a conservé toute une série d’obligations sociales inscrites chaque année au budget du pays. Mais dans la réalité, la politique de stabilisation macroéconomique mise en place par l’élite dirigeante a eu, entre autres effets, une réduction des dépenses publiques qui s’est répercutée en premier lieu sur le niveau de vie des fonctionnaires et des catégories les moins protégées de la population (retraités, handicapés, etc.).

56Il ne faut donc pas s’étonner si, selon un sondage réalisé par le même institut, en 2003, seule une très petite partie des personnes interrogées considérait que l’Etat menait une politique de soutien aux groupes les plus défavorisés de la population (1 %), aux catégories moyennes (8 %) et aux citoyens dans leur ensemble (9 %). En revanche, la majorité d’entre elles estimaient qu’il s’attachait à favoriser les riches (53 %) et les « puissants » (54 %) [21]. Ainsi, la part des personnes interrogées ayant coché l’affirmation : « les gens qui sont au pouvoir n’en ont rien à faire de moi » est passée de 66 % en 1994 à 73 % en 2003 [22].

57Le creusement des inégalités entre les différentes catégories socio-profes-sionnelles s’avère être la principale conséquence négative des réformes.

58L’appauvrissement de groupes importants de population parallèlement à l’enrichissement des élites a accentué le sentiment d’injustice et affecté le moral des citoyens, ajoutant encore à la crise de la démocratie dans le pays.

59Traduit du russe par Michèle Kahn
La Documentation française

Notes

  • (1)
    R. Ryvkina. Ekonomitcheskaïa sotsiologuia perekhodnoï Rossii. Lioudi i reformy [Sociologie économique de la Russie en transition. Les hommes et les réformes], Moscou, 1998, p. 24.
  • (2)
    N. Zorkaïa, «Massoviyé predstavlenia o naibolee ostrykh problemakh rossiiskovo obchtchestva » [Représentations collectives des problèmes les plus aigus de la société russe] in Ekonomitcheskie i sotsialnyé peremeny : monitoring obchtchestvennovo mnenia [Les changements économiques et sociaux : baromètre de l’opinion publique], n° 6,1996, p. 43.
  • (3)
    R. Ryvkina, op. cit., p. 163.
  • (4)
    R. Ryvkina, op. cit., p. 18.
  • (5)
    Rossia v tsifrakh 2005. Kratki statistitcheski sbornik [La Russie en chiffres 2005. Recueil statistique abrégé], Moscou, 2005, p. 109.
  • (6)
    L’indice global des prix des produits alimentaires a été multiplié par 1 800 dans la période 1991-1995 et le montant des revenus monétaires nominaux par 1 100. Source : Ouroven jizni v Rossii. Statistitcheski sbornik [Le niveau de vie en Russie. Recueil statistique], Moscou, 1996, pp. 33,53.
  • (7)
    Les prix des services ont été multipliés par 10 900 dans la période 1991-1994 alors que les prix en général étaient multipliés par 1 700. Ouroven jizni v Rossii. Statistitcheski sbornik [Le niveau de vie en Russie. Recueil statistique], Moscou, 1996, p. 53.
  • (8)
    Rossiia v tsifrakh 2005. Kratki statistitcheski sbornik [La Russie en chiffres 2005. Recueil statistique abrégé], op. cit., Moscou, 2005, pp. 112-114.
  • (9)
    Sotsialnoie polojenié i ouroven jizni naselenia Rossii [Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie], Moscou, 2004, p. 277.
  • (10)
    Rossiiski statistcheski ejegodnik [Annuaire statistique de Russie], Moscou, 1999, pp. 350, 351 ; Rossia v tsifrakh 2005. Kratki statistitcheski sbornik [La Russie en chiffres 2005. Recueil statistique abrégé], Moscou, 2005, p. 213.
  • (11)
    Rossiiski statistitcheski ejegodnik [Annuaire statistique de Russie], Moscou, 1999, p. 358 ; Rossia v tsifrakh 2005. Kratki statistitcheski sbornik [La Russie en chiffres 2005. Recueil statistique abrégé], Moscou, 2005, p. 213.
  • (12)
    Sotsialnoié polojénié i ouroven jizni naselenia Rossii. Statistitcheski sbornik [Situation sociale et niveau de vie de la population de Russie. Annuaire statistique], Moscou, 2004, p. 277.
  • (13)
    Le coefficient de Gini permet de mesurer la concentration des revenus. Lorsqu’il tend vers 0, la répartition des revenus est égalitaire; à l’inverse, plus le coefficient tend vers 1, plus la concentration des revenus est forte.
  • (14)
    Région de Sibérie occidentale productrice de pétrole.
  • (15)
    Les salariés de la région de Magadan, comme ceux des autres territoires du Grand Nord, bénéficiaient sous le régime soviétique de majorations de salaires destinées à les attirer et à les fixer dans ces contrées inhospitalières.
  • (16)
    C’est-à-dire les régions les plus riches du pays.
  • (17)
    Ouroven jizni v Rossii [Le niveau de vie de la population de Russie], op. cit., p. 93.
  • (18)
    On a pris pour base la structure citée par N. Rimachevskaïa dans l’article « Sotsialnoekonomitcheskié i demografitcheskié problemy sovremennoï Rossii » [Les problèmes socio-éco-nomiques et démographiques de la Russie actuelle] in Ekonomika Severo-Zapada : problemy i perspektivy razvitia [L’économie de la région Nord-Ouest : problèmes et perspectives de développement), n° 2,2004, pp. 134-140, en prenant en compte les données de 2004.
  • (19)
    T. Maléva (sous la direction de), Srednie klassy v Rossii : ekonomitcheskié i sotsialnyé strateguii [Les classes moyennes en Russie : stratégies économiques et sociales], Moscou, 2003, p. 29.
  • (20)
    Rossia : na pouti k vozrojdéniou. Sotsialnaïa i sotsio-polititcheskaïa sitouatsia v Rossii v 2003 godou [La Russie sur la voie de la renaissance. La situation sociale et socio-politique en Russie en 2003], Moscou, 2004, p. 316.
  • (21)
    Ibidem, pp. 327-328. Le total dépasse les 100 % étant donné que les personnes sondées pouvaient fournir plus d’une réponse à la question posée.
  • (22)
    Ibidem, p. 316.
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