Notes
- (1)Voir François-Xavier Delisse, « Les réfugiés en Bosnie-Herzégovine », Le courrier des pays de l’Est, n° 1033, mars 2003, pp. 60-70.
- (2)La libéralisation des lois relatives à l’avortement intervient en 1956 en Bulgarie et en Roumanie, et en 1960 en Yougoslavie. L’Albanie, pour sa part, faisait un premier par vers la libéralisation en 1988.
- (3)C’est en Roumanie que les restrictions à l’avortement (1966 et 1984) ont été les plus radicales. La Bulgarie a également adopté des lois dans ce sens en 1968 et en 1974.
- (4)Soit 1,04 enfant par femme.
- (5)L’année de l’offensive militaire par l’Otan (1999), le nombre de naissances a atteint le niveau le plus bas de ces 50 dernières années.
1Pendant toute la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, et jusqu’à la chute du communisme, le terme de Balkans n’était plus guère employé : on parlait d’Europe de l’Ouest et d’Europe de l’Est, notions plus politiques que géographiques. Situés entre la Méditerranée, le Danube et la mer Noire, les Balkans (mot turc signifiant montagne boisée) ont été de tous temps une zone de rencontres où se mêlent cultures occidentale et orientale, chrétienne et islamique et dont l’histoire tourmentée a toujours été marquée par les migrations. Avant 1990, les Balkans comprenaient cinq pays : l’Albanie, la Bulgarie, la Grèce, la Roumanie et la Yougoslavie. Depuis l’éclatement de cette dernière, ils sont au nombre de neuf, avec désormais la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, la Slovénie, et la République Fédérale de Yougoslavie (RFY), devenue depuis 2003 la Communauté des États de Serbie et Monténégro. Deux de ces pays, la Roumanie et la Bulgarie, étaient partie intégrante de la zone d’influence soviétique, tandis que l’Albanie et la Yougoslavie, s’en étaient détachées. Seule la Grèce, pays balkanique sur le plan géographique, appartenait au bloc occidental. Enfin, on rappellera que la Slovénie a toujours été plus proche, sur le plan économique mais aussi démographique, de l’Europe centrale ou de l’Europe de l’Ouest que des Balkans. En outre, elle est située à l’extérieur de la frontière nord des Balkans qui part de Rijeka, sur l’Adriatique, et longe le cours de la Kupa, de la Save et du Danube. Elle sera cependant incluse dans la présente étude en tant qu’Etat issu de la Yougoslavie.
2Les pays balkaniques ont souvent été perçus comme « retardataires » du point de vue politique, économique et culturel par rapport aux autres pays européens. C’est ainsi que, sur le plan démographique, les Balkans se trouvaient dans les années 1950 à l’est de la ligne Saint-Pétersbourg-Trieste définie par le démographe J. Hajnal, dans la partie de l’Europe où les mariages étaient précoces, la nuptialité fréquente et la proportion de célibataires faible, contrairement à la situation prévalant à l’Ouest, et où la fécondité et la mortalité étaient également plus élevées, avec certaines nuances cependant selon les pays. Avec le temps, les écarts se sont réduits, de nouveaux modes de vie se sont imposés et les Balkans se sont mis à ressembler de plus en plus aux autres pays d’Europe.
3Les bouleversements politiques et socio-écono-miques, survenus dans les années 1990, ont eu des conséquences directes sur les comportements des populations. En outre, les guerres qui ont sévi dans certains pays et l’ouverture des frontières ont provoqué des déplacements massifs de populations qui se refléteront sans doute sur l’évolution démographique à moyen, voire à long terme.
Evolution de la population
4Pour les pays balkaniques, la dernière décennie du XXe siècle a été une période marquée par une baisse importante de la population en raison des guerres, des migrations massives et d’un accroissement naturel négatif. Ainsi, d’un point de vue démographique, la fin du XXe siècle rappelle son début. En effet, les guerres balkaniques, puis la Première Guerre mondiale avaient entraîné une réduction de la population d’un cinquième en moins de dix ans. La Seconde Guerre mondiale et les conflits qui l’ont immédiatement suivie (guerre civile en Grèce, rebellions au Kosovo) ont engendré de nouvelles pertes. C’est dans ce contexte que se sont inscrites des vagues de migrations forcées de la population, conséquences directes des guerres et du nouveau rapport des forces politiques dans le monde. Celles qui ont suivi la Première et la Seconde Guerre mondiale ont touché, en majorité, des communautés spécifiques (par exemple, l’émigration des Grecs de Turquie, des Allemands de Roumanie et de Yougoslavie), persécutées pour des raisons politiques.
5Les années 1950 ont représenté une période de « récupération » avec une hausse de la fécondité et une diminution de la mortalité, ce qui a eu pour conséquence un accroissement naturel relativement élevé. Mais ce phénomène a été contrebalancé par un fort mouvement d’émigration, consécutif à la guerre froide, aux tensions entre les pays du Pacte de Varsovie et la Yougoslavie de Tito, ainsi qu’à l’isolationnisme de l’Albanie.
6Au début des années 1960, les Balkans comptaient environ 55,4 millions d’habitants. Jusqu’à la fin des années 1980, ce chiffre s’est constamment accru, pour atteindre le niveau maximum de 68,9 millions. La dernière décennie du XXe siècle s’est caractérisée par une réduction du solde naturel : la population a diminué dans la majorité des pays et, en 2000, elle n’était plus dans l’ensemble de la région que de 67,6 millions d’habitants.
7Au cours de la période 1960-2000, la population a augmenté dans tous les pays balkaniques. Dans cinq d’entre eux sur neuf (Albanie, Grèce, Macédoine, Slovénie et RFY), la croissance de la population a été forte (24,8 % en moyenne) tout particulièrement en Albanie et en Macédoine où le nombre d’habitants a doublé en quatre décennies seulement. Il faut noter qu’en Macédoine et en RFY cet accroissement est imputable à celui la population albanaise (dans la partie occidentale de la Macédoine, au Kosovo et dans le sud de la Serbie centrale). Dans les quatre autres pays (Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie et Roumanie), l’accroissement était inférieur à la moyenne balkanique, les taux les plus faibles étant enregistrés en Bulgarie (4,6 %), en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. On soulignera que les chiffres de la population pour 2000 sont des estimations (tableau 1) et ne sont pas issus des recensements qui, quand ils ont eu lieu, se sont déroulés en 2001 et 2002. Or, leurs résultats montrent que les projections pour 2000 ont été surestimées partout (tableau 2), car les migrations n’avaient pas été prises en compte ou avaient été sous-évaluées. Les seules exceptions sont la Grèce, où le recensement a fait apparaître un nombre plus élevé d’habitants que ne l’avaient établi les estimations et la Macédoine où la différence entre les deux chiffres est relativement faible. Il faut également mentionner que des changements sont intervenus dans la comptabilisation de la population dans les pays de l’ex-Yougoslavie, qui n’enregistre plus les personnes absentes du pays pendant plus d’un an. La conséquence en a été une modification notable des chiffres de population dans les pays qui ont connu une forte émigration temporaire durant les années 1960 et 1970.
Population 1960-2000 (au 1er janvier)
Population 1960-2000 (au 1er janvier)
Population d’après les recensements effectués
Population d’après les recensements effectués
8Bien que l’on ne dispose pas de données fiables pour la Bosnie-Herzégovine ni pour la RFY, on peut conclure que, pendant les années 1990, la population n’a augmenté qu’en Grèce et en Macédoine ainsi que, dans une moindre mesure, en Slovénie. Nombre d’indices laissent à penser que la diminution de la population a été très prononcée en Bosnie-Herzégovine : pendant la guerre qui a duré quatre ans (1992-1995), le nombre de morts a été supérieur à 100 000, et celui de personnes déplacées et de réfugiés s’est élevé à plus de 2 millions [1]. Il faut également prendre en compte la baisse très marquée du nombre de naissances par rapport à la normale et l’augmentation de celui de décès. La population de ce pays a diminué de 700 000 habitants, soit 17 % du total. Le dernier recensement en Bosnie-Herzégovine a eu lieu en 1991 ; on ne sait pas quand se tiendra le prochain et il n’existe pas d’estimations officielles de la population.
9Les autres anciennes républiques de Yougoslavie ont été plus ou moins touchées par la guerre, mais les conséquences directes sur la situation démographique y ont été moins accusées qu’en Bosnie-Herzégovine. Elles ont néanmoins été sensibles en Croatie : en dix ans, la population totale de ce pays a reculé de plus de 5 % en raison d’un accroissement naturel négatif et d’un solde migratoire négatif également, découlant des départs massifs et forcés des Serbes (plus de 300 000 ont émigré en Serbie, et sur ce chiffre moins de 15 % étaient revenus en Croatie en 2001).
10C’est sur la RFY que l’on dispose du moins d’informations. Pendant les années 1990, on dénombrait environ 700 000 réfugiés et plus de 200 000 personnes déplacées à l’intérieur (PDI), provenant en majorité du Kosovo et qui s’étaient installées en Serbie centrale, en Voïvodine et au Monténégro. En 1999, près de 1 million de personnes ont quitté le Kosovo, mais la plupart d’entre elles (850 000) y sont revenues avant la fin de l’année. On peut supposer que, pendant les années 1990,400 000 personnes faisant partie de minorités ethniques ont quitté la Serbie centrale et la Voïvodine pour un pays tiers. Il n’existe pas de donnés précises concernant les habitants du Kosovo ayant émigré vers des pays européens ou non européens. Selon des estimations, durant la période qui a précédé la mise en place de la Mission intérimaire de l’Onu (MINUK), en 1999, près de 300 000 personnes, principalement des membres de la communauté albanaise, ont quitté la province et demandé asile dans un pays tiers. Le nombre de victimes des opérations militaires de 1999 a été estimé à 9 000 par des organisations internationales, comme le Fonds des Nations unies pour la population et l’Organisation internationale pour les migrations, ce qui correspond à la moyenne annuelle des décès entre 1990 et 1997, années de paix. Les données sur les migrations ou sur les mouvements naturels de la population postérieures à 1999 sont également incertaines, la MINUK n’ayant pas encore mis en place de bureau des statistiques fiable. Les derniers chiffres officiels du Kosovo remontent à 1997.
11Le seul recensement récent effectué sur le territoire de la RFY n’a concerné que la Serbie centrale et la Voïvodine (2002). Au Monténégro, il ne sera organisé qu’en novembre 2003 et au Kosovo en 2004. D’après les résultats de 2002, la population de la Serbie centrale comptait 5,5 millions de personnes, soit 116 000 de moins qu’en 1991. En même temps, celle de la Voïvodine a augmenté de 65 000 personnes (passant de 1,966 à 2,031 millions, exclusivement grâce à l’arrivée de 150 000 immigrants). Selon les estimations de la MINUK, environ 2 millions de personnes résidaient au Kosovo au milieu de 2000, ce qui correspond au nombre d’habitants du début des années 1990. Pour la première fois dans ce territoire, qui s’est illustré jusqu’au début des années 1990 par une forte augmentation de sa population (elle a doublé entre 1961 et 1991, passant de 964 123 à 1 956 123 personnes), cette dernière connaît la stagnation, en raison d’un solde migratoire négatif (l’accroissement naturel, lui, est positif). Les estimations pour le Monténégro montrent une très légère augmentation dans les années 1990 (la population totale est estimée à 650 000 personnes).
12L’Albanie n’a pas été directement exposée à la guerre, mais elle est le pays balkanique le plus touché par l’émigration. Jusqu’à la fin des années 1980, elle se caractérisait, avec le Kosovo, par les taux de croissance démographique les plus élevés (en trois décennies, de 1960 à 1990, la population a plus que doublé). L’effondrement du régime communiste, le chômage massif et l’ouverture des frontières, autrefois hermétiquement fermées, ont provoqué un véritable exode de la population. Pendant les années 1990, plus de 600 000 personnes ont ainsi quitté le pays (il s’agissait, en général, d’hommes jeunes), l’accroissement naturel a diminué d’un tiers et le taux de croissance de la population est devenu négatif, le chiffre total reculant de 3,182 millions en 1989 à 3,069 millions en 2001.
13La Bulgarie fait partie du groupe des pays qui ont enregistré une baisse de population pendant la dernière décennie du XXe siècle. Elle a également connu une émigration importante, concernant surtout des membres de la minorité turque qui sont partis en Turquie. Cependant, même pendant ces années, et à la différence de l’Albanie ou de la Bosnie-Herzégovine, par exemple, la Bulgarie a enregistré un accroissement naturel négatif. Dans la période intercensitaire (1992-2001), la population a diminué de 560 000 personnes, cette baisse s’expliquant pour 55 % par l’accroissement naturel négatif et pour 45 % par le solde migratoire négatif.
14La Roumanie a, elle aussi, connu un mouvement de dépopulation pendant les années 1990. Après les bouleversements politiques de 1989 et les changements qui les ont accompagnés, avec en particulier la relibéralisation de la planification des naissances, le pays s’est trouvé confronté à un fort recul des naissances et de l’accroissement naturel, ce dernier ayant également pâti de la chute de la fertilité (il est demeuré invariablement négatif depuis 1992). L’émigration est également importante et, en conséquence, le nombre d’habitants a régressé de 1,1 million entre le recensement de 1992 et celui de 2001.
15Enfin, la Grèce, la Macédoine et la Slovénie sont les seuls pays balkaniques à avoir vu leur population augmenter pendant les années 1990. Toutefois, en Grèce, l’augmentation de 700 000 personnes durant la période intercensitaire 1991-2001 n’est due qu’à une migration nette positive (dans les dix années précédentes, l’accroissement naturel a été de 20 000 habitants seulement). Il faut noter que la majorité des migrants proviennent des autres pays balkaniques, en particulier d’Albanie. En Macédoine, la progression de la population a été plus modeste : de 1994 à 2002, elle s’est accrue de 92 000 personnes et a été, pour l’essentiel, le résultat d’un accroissement naturel positif. Enfin, en Slovénie, l’augmentation de la population, entre 1991 et 2001, a été faible (50 000 personnes) et due en grande partie à un solde migratoire positif (l’accroissement naturel est négatif). C’est le pays de la région où l’évolution démographique a été la moins défavorable au cours des années 1990.
Structure par âge : les grands bouleversements
16Bien que la tendance soit à l’homogénéisation, il subsiste encore entre certaines parties de la région de fortes différenciations dans les structures par âge que l’on ne retrouve pas dans le reste de l’Europe. Dans certaines régions balkaniques, la majorité de la population est jeune, tandis que dans d’autres, elle est la plus âgée de tout le continent. En outre, on discerne dans la structure par âge actuelle ou, plus précisément, dans les déformations des pyramides des âges, les effets des changements démographiques récents.
17Au début des années 2000, on pouvait classer les pays balkaniques en trois groupes (tableau 3). Le premier réunissait les Etats et régions où la part des jeunes était très nettement dominante (Albanie, Macédoine et Kosovo), le deuxième, les pays avec une proportion de jeunes relativement faible et de personnes âgées très élevée (Bosnie-Herzégovine, Croatie, Roumanie, Monténégro). Les autres pays et régions (Grèce, Bulgarie, Serbie centrale, Voïvodine et Slovénie) constituent le troisième groupe, où le pourcentage des personnes âgées dans la population totale est soit plus élevé, soit égal à celui des jeunes.
18Tous les pays des Balkans se caractérisent par un fort rétrécissement de la base de la pyramide des âges (à savoir la population de 0 à 15 ans), reflet du recul considérable de la fécondité, c’est-à-dire du nombre des naissances, notamment au cours des années 1990 (figure 1). Les pyramides des âges des pays, qui ont subi les conséquences de la guerre, ou plus précisément l’émigration massive de leurs ressortissants, se caractérisent par des classes creuses vers leur milieu, notamment en ce qui concerne les hommes. Par ailleurs, les données des recensements (2000 et 2001) font apparaître des déformations dans la structure par âge plus marquées que celles observées à partir des estimations de la population pour 2000. Il est clair que cette structure va déterminer, en très grande partie, l’avenir démographique des pays balkaniques et qu’elle risque, dans la plupart des pays, de fortement limiter leur développement socio-économique.
Répartition de la population par groupes d’âges, 2000 (en %)
Répartition de la population par groupes d’âges, 2000 (en %)
Pyramides des âges des pays balkaniques en 2000 (en %)
Pyramides des âges des pays balkaniques en 2000 (en %)
Mortalité : une amélioration modeste
19Bien que durant les années 1950, et surtout 1960, les pays balkaniques aient connu une amélioration importante de leur situation sanitaire et une baisse significative des taux de mortalité, on ne peut pas dire qu’ils aient tous achevé leur transition épidémiologique. Au début des années 1960, les pays balkaniques présentaient des taux de mortalité particulièrement élevés pour les femmes et les enfants, notamment ceux ayant moins d’un an. Les chiffres les plus alarmants étaient enregistrés au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, en Albanie et en Macédoine, toutes régions où, en 1960, l’espérance de vie à la naissance était très basse (de 55,6 ans au Kosovo à 62,1 ans en Macédoine ; voir tableau 4) et la mortalité infantile très importante (tableau 5).
20Les premiers résultats visibles des efforts visant à faire baisser la mortalité selon les classes d’âge, notamment dans les régions où la transition épidémiologique avait pris du retard, ont été constatés pendant les années 1960 et dans la première moitié des années 1970. A cette époque, les différences régionales dans les niveaux de mortalité, particulièrement ceux relatifs à la population féminine, se sont fortement estompées. Cependant, contrairement aux pays développés d’Europe de l’Ouest, les pays balkaniques, notamment ceux appartenant au bloc soviétique (Bulgarie, Roumanie) ont accumulé, durant la décennie suivante, un certain retard dans la pratique de la médecine moderne ainsi que dans la réduction de la mortalité selon l’âge. Quant à la mortalité infantile, bien qu’en recul constant, elle demeurait en 1990 supérieure à 10 ‰ , sauf en Slovénie (8,2 ‰ en 1990) et en Grèce (9,7‰ ) (tableau 5), soit à un niveau plus élevé non seulement que la moyenne de l’Union européenne mais aussi, dans certains cas (Albanie, Kosovo, Macédoine et Roumanie), que la moyenne de l’ensemble de l’Europe. Au début des années 1990, seule la Grèce suivait les tendances des pays européens les plus développés aussi bien pour l’espérance de vie, qui en 1990 était de 74,6 ans pour les hommes et de 79,4 ans pour les femmes, que, de façon générale, dans le domaine de la santé publique.
Espérance de vie à la naissance
Espérance de vie à la naissance
Taux de mortalité infantile (enfants décédés dans la première année de vie pour 1 000 enfants nés vivants)
Taux de mortalité infantile (enfants décédés dans la première année de vie pour 1 000 enfants nés vivants)
21Au cours des années 1990, et en particulier au début de cette période, les guerres qui ont provoqué l’éclatement de la Yougoslavie et bien des bouleversements politiques et économiques dans les pays balkaniques, à l’exception de la Grèce, ont eu pour résultats une augmentation considérable de la mortalité et un recul de l’espérance de vie. L’explication tient non seulement au nombre de victimes (plusieurs centaines de milliers) mais aussi à la paupérisation des populations et à l’effondrement du système de santé que les conflits ont entraînés.
22C’est en Bosnie-Herzégovine que l’on enregistre la plus forte augmentation de la mortalité, mais on ne dispose pas de données fiables pour la période 1991-1996. Il en est de même pour le Kosovo en 1999. On peut néanmoins affirmer que l’espérance de vie dans ces régions a reculé de façon très importante pendant les années de guerre. Cependant, on a pu également observer une baisse de celle-ci, surtout pour les hommes, dans des pays qui n’ont pas été touchés par les conflits. Par exemple, en Bulgarie et en Roumanie, dans la période 1990-1995, elle a diminué, en ce qui concerne les hommes, de 0,6 et de 0,8 an respectivement. En revanche, en Serbie (Serbie centrale et Voïvodine) et même en Croatie, les indicateurs de mortalité n’ont pas été particulièrement affectés au cours de cette période.
23Il semble qu’avec la mise en place des réformes économiques, des changements positifs se soient produits dans la plupart des pays sur le plan de la mortalité. Certes, les taux, en ce qui concerne les femmes en particulier et sauf en Slovénie, sont encore éloignés des standards européens, mais il est fondamental que les tendances négatives aient été stoppées.
Fécondité : le renouvellement des générations n’est pas assuré
24A la fin des années 1990, le nombre moyen d’enfants par femme était très bas, inférieur à 2,1, un taux qui ne permet pas le renouvellement des générations. L’Albanie et le Kosovo, avec trois enfants par femme, constituent une exception. Il faut rappeler qu’au début des années 1960, la fécondité présentait, dans l’espace balkanique, des contrastes très marqués (tableau 6). Le niveau le plus élevé était observé en Albanie et au Kosovo, avec plus de 6 enfants par femme, et le plus bas (entre 2,2 et 2,6 enfants), en Slovénie, en Croatie, en Yougoslavie, en Grèce, en Bulgarie et en Roumanie. Le nombre de naissances avait déjà diminué dans les années 1960, notamment en Bosnie-Herzégovine, en Albanie, en Macédoine et au Kosovo.
25La légalisation de l’avortement a sans doute favorisé la baisse de la fécondité. Cette mesure a été adoptée dans tous les pays socialistes plus tôt (aux alentours de 1960 [2] ) que dans les pays d’Europe de l’Ouest. Ce procédé a constitué le principal moyen de contrôle des naissances, notamment dans les républiques yougoslaves où sa libéralisation n’a pas été suivie, comme dans d’autres pays balkaniques, de politiques restrictives. En Roumanie et en Bulgarie, par exemple, lorsque la fécondité est tombée au dessous de deux naissances par femme, on a mis en place une politique nataliste qui s’est notamment traduite par l’interdiction de l’avortement [3].
26Les changements politiques et socio-économiques des années 1990 ont eu des effets variés sur l’évolution de la fécondité dans la région. Leur influence semble avoir été plus grande en Roumanie et en Bulgarie, où le niveau de fécondité a diminué brutalement pour tomber, en 1997, à 1,09 enfant. Parmi les pays membres du Conseil de l’Europe, il n’y a que dans les nouveaux Länder allemands que ce taux est plus faible [4]. Ce changement radical dans l’évolution de la fécondité en Roumanie et en Bulgarie peut s’expliquer par le choc de la transition et par l’absence de soutien à la natalité après 1990. S’y ajoute, en Roumanie, la relibéralisation de l’avortement.
27Dans l’espace ex-yougoslave, c’est seulement en Croatie que l’on observe une chute brutale de la fécondité dans les premières années de la guerre, qui s’est ralentie durant la période 1993-1997, pour reprendre ensuite : en 1999, l’indicateur était retombé au niveau de 1992. On ne dispose pas de chiffres fiables pour la Bosnie-Herzégovine, mais il est très probable que ce pays a connu une phase de rattrapage comme la Croatie. On observe en outre, comme en Croatie également, une diminution de la fécondité à partir de 1997 qui se stabilisait à 1,5 enfant par femme en 1999.
28Les bouleversements politiques de la décennie 1990 ne se sont presque pas fait sentir en Slovénie. Dans ce pays, le recul de la fécondité a suivi l’évolution déjà entamée dans les années 1980, pour atteindre le niveau le plus bas des Balkans en 2001, avec en moyenne 1,21 enfant par femme. En RFY (Serbie et Monténégro, y compris le Kosovo), les changements ont été modérés ; la fécondité a poursuivi sa tendance à la baisse, mais selon un rythme un peu plus prononcé que dans les années précédentes. En Macédoine, au contraire, la fécondité a augmenté pendant quatre ans à partir de 1990, puis est retombée au niveau de 1,73 en 2000.
29Dans les Balkans, seuls l’Albanie et le Kosovo ont pu maintenir une fécondité relativement élevée en raison du retard pris dans le processus de transition démographique. Mais par rapport au début de la période observée (années 1960), le recul de la fécondité dans ces pays a été remarquable après 1985, notamment au Kosovo.
Indicateur conjoncturel de fécondité - nombre moyen d’enfants par femme
Indicateur conjoncturel de fécondité - nombre moyen d’enfants par femme
Naissances hors mariage : l’espace balkanique partagé
30Pendant une longue période (de 1960 à 1990), les naissances hors mariage étaient très rares dans les pays balkaniques : elles représentaient moins de 13 % du total (tableau 7). La seule exception était la Slovénie qui, à la fin des années 1980, connaissait déjà un taux de naissances hors mariage très élevé, de l’ordre de 40 % en 2001, ce qui montre bien que cette petite république ex-yougoslave ressemble davantage à l’Autriche qu’à son voisin balkanique le plus proche, la Croatie.
31Dans les autres pays, l’évolution des naissances hors mariage est pratiquement restée étale jusqu’en 1990. Mais, depuis, on observe une croissance rapide de ce phénomène dans les trois grands pays de tradition orthodoxe : la Roumanie, la Bulgarie et la Yougoslavie. Le nombre d’enfants nés de parents non mariés a notamment augmenté de façon spectaculaire en Roumanie et en Bulgarie, puisqu’il est passé respectivement de 3,5 % et 8,5 % en 1970 à 26,7 % et 42 % en 2001, ce dernier chiffre étant supérieur à celui enregistré en Slovénie (39,4 %). Cette formidable progression est un signe on ne peut plus clair des changements de comportements qui sont à l’œuvre dans ces sociétés. Au Kosovo, région à population majoritairement musulmane, les fréquentes naissances hors mariage ont une origine différente, le droit coutumier voulant que les unions ne soient pas enregistrées par l’état civil. Ailleurs (Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Macédoine et Croatie), la proportion des naissances hors mariage est restée très faible (environ 10 %), quand elle n’est pas marginale comme en Grèce (moins de 5 %).
Naissances hors mariage, pour 100 naissances vivantes
Naissances hors mariage, pour 100 naissances vivantes
La nuptialité en baisse
32Jusqu’en 1990, dans l’espace balkanique, la nuptialité était très forte et les unions précoces. Seule la Slovénie se distinguait des autres car, dès les années 1980, des mesures favorables aux mères célibataires avaient entraîné un recul du nombre de mariages. En même temps, de nouvelles formes d’union ont progressivement été adoptées, comme en atteste la proportion des naissances hors mariage. En 1991, la Slovénie atteignait le niveau des pays occidentaux : seules 43% des femmes âgées de moins de 50 ans étaient mariées. L’âge moyen au premier mariage est passé de 23,7 à 27 ans en 11 ans seulement (1990-2001), ce qui montre que les femmes slovènes se rapprochent dans ce domaine de celles d’Europe occidentale (tableau 8).
33Depuis 1990, un nouveau modèle matrimonial est en voie de s’imposer dans les pays balkaniques, faisant apparaître non seulement la baisse générale du nombre d’unions, mais aussi le caractère de plus en plus tardif de leur conclusion, en Bulgarie et en Roumanie notamment, où se marier devient de plus en plus rare. En 1990, dans ces deux pays, plus de 90 % des femmes, donc la quasi-totalité, se mariaient, mais dix ans plus tard, la proportion n’était plus que de 52 % en Bulgarie et de 62 % en Roumanie. Par ailleurs, en une décennie (1990-2 000), l’âge moyen au mariage a augmenté de deux ans en Roumanie et de trois ans en Bulgarie. En Yougoslavie également, le nombre de mariages a diminué, en partie à cause de la situation politique et économique [5], mais aussi parce qu’il s’agit d’une évolution s’inscrivant dans le long terme.
34En Croatie l’insécurité politique a fortement influencé la vie des couples dès 1990. Cette année-là, il y avait 70 % de femmes mariées, et un an après 54 %. Puis, les unions légitimes se sont faites de plus en plus rares, baisse plutôt imputable à la situation politique qu’à un changement de comportement des femmes, car on constate par la suite une reprise des mariages et, en 1996, le niveau de la nuptialité avait retrouvé celui de 1990. Il faut sans doute y voir un mouvement de rattrapage, un certain nombre de mariages n’ayant pu être célébrés du fait de la guerre, mais aussi le résultat de la politique nataliste adoptée par le gouvernement. Il est tout à fait possible que la Bosnie-Herzégovine, pour laquelle on ne dispose pas de données, ait connu une situation similaire. Enfin, en Macédoine, le mariage reste encore la forme d’union la plus fréquente. La propension à se marier demeure supérieure à 80 %, soit le niveau le plus élevé en Europe.
Age moyen des femmes au premier mariage
Age moyen des femmes au premier mariage
35La chute des régimes communistes dans les pays balkaniques et les difficultés économiques et sociales qui l’ont suivie ont provoqué des changements considérables dans l’évolution démographique. Dans certains pays, les conséquences sont très importantes (Bulgarie, Roumanie), alors qu’elles le sont nettement moins dans d’autres, comme les républiques exyougoslaves, qui poursuivent des tendances lourdes amorcées avant 1990. C’est notamment le cas de la Slovénie, où les changements politiques n’ont pas eu de répercussions sur la situation démographique. Bien qu’on constate certaines disparités au sein de l’espace balkanique, qui présente des situations extrêmes pour l’Europe (la population la plus âgée et la plus jeune, la fécondité la plus basse et la plus élevée, ou des fréquences de mariage élevées et faibles), il existe une tendance vers l’homogénéisation. Toutefois, la démographie de l’espace balkanique, en particulier la structure par âge et par sexe, a été fortement perturbée par la guerre (notamment en Bosnie-Herzégovine) et par les migrations (Albanie), dont les effets ne manqueront pas de se faire sentir encore longtemps.
Références bibliographiques :
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Notes
- (1)Voir François-Xavier Delisse, « Les réfugiés en Bosnie-Herzégovine », Le courrier des pays de l’Est, n° 1033, mars 2003, pp. 60-70.
- (2)La libéralisation des lois relatives à l’avortement intervient en 1956 en Bulgarie et en Roumanie, et en 1960 en Yougoslavie. L’Albanie, pour sa part, faisait un premier par vers la libéralisation en 1988.
- (3)C’est en Roumanie que les restrictions à l’avortement (1966 et 1984) ont été les plus radicales. La Bulgarie a également adopté des lois dans ce sens en 1968 et en 1974.
- (4)Soit 1,04 enfant par femme.
- (5)L’année de l’offensive militaire par l’Otan (1999), le nombre de naissances a atteint le niveau le plus bas de ces 50 dernières années.