Notes
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21 rue Voltaire 75011 Paris, http :// tchetchenieparis.free.fr Michèle Kahn
Colloque
La protection sociale dans une Europe en voie d’élargissement Forum organisé par le ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité Paris, 20-22 mars 2003
1L’Europe étudiée lors de ce forum était particulièrement « élargie », puisque des intervenants ont traité de la Croatie, de l’Ukraine, de la Turquie, et même de la Russie… Quoi qu’il en soit, voilà une initiative remarquable et les assistants ont regretté de ne pas jouir du don d’ubiquité qui leur aurait permis de participer à plusieurs ateliers se déroulant simultanément ! Nous avons choisi pour notre part ceux dans lesquels au moins une des interventions était consacrée aux régions couvertes par Le courrier des pays de l’Est.
2Lors de la première séance plénière, après une présentation des objectifs du colloque, Bruno Palier, du Centre d’étude de la vie politique française (CEVIPOF) a exposé les liens existant entre la circulation des idées en Europe et les avancées des réformes de la protection sociale. Après une analyse par Robert Lafore, de l’Institut d’études politiques de Bordeaux, des dynamiques juridiques susceptibles de renforcer la convergence entre les systèmes des différents pays, Lucy ap Roberts, de l’Association internationale de sécurité sociale (AISS, Suisse), a abordé le rôle de l’entreprise dans la protection sociale. La séance plénière du 21 mars s’est ouverte par une intervention de Gérard Cornilleau, de l’Office français des conjonctures économiques (OFCE). Celui-ci a tout d’abord évoqué les problèmes démographiques, en soulignant que la « vieille Europe » n’était pas celle que l’on croit, puisque c’est en Europe de l’Est que les taux de fécondité sont les plus bas. Il a ensuite fait remarquer que s’il existait des écarts significatifs dans le niveau de développement économique des pays de la future Union européenne élargie (le plus riche étant le Luxembourg, suivi du Danemark, et le plus pauvre la Lituanie), ils se situaient cependant dans l’ensemble dans la catégorie des pays développés et que leur intégration devrait être par conséquent réussie. Bernard Gazier, de l’Université Paris I, a ensuite exposé les deux modèles de protection sociale actuellement en vigueur en Europe, le premier, social-libéral, dont les théoriciens sont proches de Tony Blair et le second, « socialdémocrate flexible » selon sa formule, en vigueur dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas. Les adeptes du premier proclament vouloir mettre l’accent sur la responsabilité individuelle, avec tous les risques que comporte la philosophie du chacun pour soi, ceux du second mettant en avant l’égalité et la solidarité.
3La première séance d’ateliers s’est ensuite ouverte. L’un d’entre eux était consacré à la réforme des retraites dans les pays en voie d’accession, un autre se proposait d’étudier l’emploi et la protection sociale sous l’angle du « genre », traduction peu satisfaisante de l’anglais gender, mais personne n’en a encore trouvé de meilleure ! Quant au troisième, il était consacré aux systèmes sociaux en transition. Dans le cadre de ce dernier, Polyxeni Triantafillou, de l’Université européenne de Florence, a abordé les défis qui se posent au système de sécurité sociale grec. Le gouvernement, après avoir effectué des coupes budgétaires, a fait des efforts pour moderniser la protection sociale. Sinisa Zrinscak, de l’Université de Zagreb (Croatie), a expliqué, pour sa part, que dans les premières années de la transition, les pays d’Europe centrale et orientale ont accordé peu d’attention à la sphère sociale. Il faut voir là la pression des institutions financières internationales. Aujourd’hui, on assiste à une confrontation des modèles américain et européen et à une individualisation des risques. Oksana Chornomorets et Anna Sklepova, de l’Université de Kiev (Ukraine), ont exposé les graves problèmes rencontrés dans le domaine social par leur pays à la suite de l’éclatement de l’URSS. L’abandon du système soviétique de protection sociale n’a en fait pas été suivi de mesures de remplacement et il a fallu attendre 2001 pour que le gouvernement adopte un Programme national de réduction de la pauvreté qui, pour le moment, n’en est qu’au stade des vœux pieux. On comprend l’urgence des problèmes, si l’on se réfère à un chiffre cité par les intervenantes : les ouvriers à la retraite ne disposaient en 2002 que de 22,2 dollars par mois, somme nettement en-deçà du seuil de pauvreté.
4Lors de la deuxième séance, le premier atelier s’intitulait « Convergence juridique, convergence nominale », le deuxième « Genre, emploi et protection sociale » et le troisième, brièvement, « Roumanie ». Dans celui-ci, la première intervention, due à Simona Ilie, de l’Institut de recherche sur la qualité de la vie de Bucarest, était consacrée à l’analyse de la loi roumaine sur le revenu minimum garanti. Le système de protection sociale mis en place par le régime communiste ne couvrait que les salariés et ce principe se maintient encore plus ou moins de nos jours. En ce qui concerne les populations les plus défavorisées, les aides qui leur sont attribuées sont très insuffisantes, en particulier en ce qui concerne les enfants abandonnés. Elle a souligné également les problèmes concernant la minorité rom. Quant aux personnes âgées démunies, elles n’ont pas d’autre solution que de s’installer dans des maisons de retraite dont le niveau de services est déplorable. La loi sur l’aide sociale adoptée en 1995 était censée donner un cadre légal au financement d’une assistance destinée à 10 % de la population. Le nombre des bénéficiaires n’a ensuite cessé de décroître et ne constituait plus en 2001 que 20 % du chiffre initial, le financement des aides étant désormais assumé par les budgets locaux qui ne peuvent faire face. Alexandra Nacu, de l’Institut d’études politiques de Paris, a traité pour sa part plus spécifiquement de la question de la pauvreté. Elle a souligné d’emblée que les mesures prises par les autorités dans ce domaine relèvent plutôt de la politique de l’image. Soumis à une double pression ? externe, provenant des instances européennes, et interne en raison du creusement des inégalités sociales ?, les hommes politiques, au sein des différents partis, se livrent à une véritable surenchère idéologique. La population la plus démunie est composée notamment des enfants placés dans des orphelinats, des Roms et des sans-abri.
5La troisième séance comprenait des ateliers consacrés respectivement à la convergence des droits et principes juridiques européens, aux systèmes de retraites et enfin à l’Estonie. Dans le cadre de ce dernier, Anu Toots, de l’Université pédagogique de Tallinn, et Jüri Köre, de l’Université de Tartu, ont traité sous deux angles différents du système de protection sociale dans leur pays. La première a souligné, comme l’avaient déjà fait des intervenants d’autres pays, la pression des institutions financières internationales en vue de faire baisser les dépenses sociales. Là comme ailleurs, on retrouve le dilemme entre les deux modèles exposés par Bernard Gazier. La journée s’est achevée par une séance d’information sur le 6e programme-cadre de la Commission européenne touchant la protection sociale.
6Les ateliers de la quatrième séance, qui s’est tenue le samedi 22 mars au matin, étaient respectivement consacrés à la convergence des droits et principes juridiques européens, à la Lituanie et à la protection sociale d’entreprise. Dans le cadre de ce dernier, Philippe Martin, du Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (Bordeaux) s’est interrogé sur le point de savoir si la protection assumée par les entreprises était une spécificité européenne. Elle est présente en effet dans les pays européens depuis le XIXe siècle, mais a été intégrée par la suite dans le droit du travail et de la protection sociale. Elle contribue à fidéliser le personnel, mais revêt un caractère inégalitaire qui est pallié par des corrections au niveau des branches. L’Union européenne est un facteur d’extension de cette forme particulière de protection sociale. Pascale Turquet, directrice du Laboratoire d’économie et de sciences sociales de l’Université de Rennes II, s’est demandée pour sa part si la place de l’entreprise dans l’obtention d’une couverture complémentaire maladie constituait un particularisme français. Après avoir passé en revue les différents systèmes en vigueur dans quelques pays européens (en Allemagne, par exemple, le régime de base couvre très largement le risque), elle a souligné la place de plus en plus importante prise en France par les assurances complémentaires-santé, liée à la baisse des taux de remboursement de la sécurité sociale, près de la moitié de celles-ci étant souscrites par le biais de l’entreprise. Cécile Lefèvre, de l’Institut national des études démographiques (INED), a évoqué le rôle des entreprises russes dans la protection sociale. Celle-ci était centrale, on le sait, du temps de l’URSS, mais dans la Russie en transition si, dans les premières années, le discours dominant prônait la « municipalisation », voire même l’individualisation de la prise en charge, la protection sociale d’entreprise est toujours bien présente et connaît même une certaine dynamique. Elle joue en effet un rôle de régulateur et de pacificateur, mais est cependant aussi une source d’inégalités. C’est pourquoi la tendance semble se dessiner d’accords entre les entreprises et les municipalités afin de partager les responsabilités de la gestion.
7Les ateliers de la cinquième et dernière séance étaient consacrés à la convergence par le haut (législation) et par le bas (pratiques) dans le cadre de l’intégration européenne, aux liens entre la situation de l’emploi et la protection sociale et à l’adéquation des systèmes de protection sociale en Europe et en France en particulier. La dernière séance plénière a été consacrée à des débats.
8Les enseignements de ce forum sont multiples étant donné le large éventail des sujets abordés, mais le principal semble être le découplage entre les deux modèles, « libéral » et « social-démocrate », le premier étant plus ou moins appliqué dans les pays candidats et le second plutôt dans les actuels pays membres de l’Union européenne.
9Michèle Kahn
Notes de lecture
Les Etats post-soviétiques. Identités en construction, transformations politiques, trajectoires économiques Sous la direction de Jean Radvanyi Paris, Armand Colin, 2003,235 p.
10Plus de dix ans après la proclamation des indépendances, où en sont les Etats qui constituaient l’URSS jusqu’à son effondrement en 1991 ? Quel bilan peut-on dresser des transformations identitaires, politiques, économiques et stratégiques qui ont affecté l’ensemble des quinze Etats post-soviétiques ? L’équipe de l’Observatoire des Etats post-soviétiques de l’INALCO, dirigée par Jean Radvanyi, nous apporte ici des réponses stimulantes qui prolongent la réflexion ouverte dans un précédent ouvrage qui portait uniquement sur les Etats de la CEI(1). On pourrait donc s’étonner de trouver les Etats baltes dans la présente livraison, mais les auteurs justifient ce choix par le fait qu’ils ont appartenu à l’espace russe (sauf entre 1919 et 1940 ! NDA) pendant près de deux siècles et qu’ils ont dû, malgré tout, affronter des défis semblables à ceux des autres Etats de l’ex-URSS.
11Suivant le même principe qui avait guidé l’édition précédente ? n chapitre par pays au plan et à la longueur identiques, articulé autour de trois thèmes : organisation de l’autorité, allocation des ressources, rapport au monde ? , les auteurs analysent « comment chaque pays a perçu et assumé le statut d’Etat-nation auquel l’éclatement de l’URSS l’a conduit ». La lecture de l’ensemble des textes confirme l’hypothèse avancée dans l’introduction. A savoir que si tous les Etats post-soviétiques sortaient du même moule (l’URSS) et si tous ont eu à relever les mêmes défis (définition d’une identité, transformation de l’économie, positionnement géopolitique), les réponses et les voies ont été sinon singulières, du moins différenciées. Comme le souligne Gérard Wild, il n’y avait pas de raison pour que « les héritiers de l’URSS adoptent à l’unisson les mêmes règles de représentation, les mêmes institutions politiques, les mêmes référentiels sociaux. La séparation des voies nationales est au cœur de la construction identitaire ». Et il apparaît que celle-ci fut déterminante dans les choix politiques, économiques et géopolitiques opérés. Comme l’ont montré nombre de travaux sociologiques, l’identité nationale est d’abord une construction sociale, produite par les acteurs politiques et les élites intellectuelles. Les Etats post-soviétiques n’échappent pas à la règle. Le rapport au passé, la perception du monde, l’héritage assumé ou rejeté n’ont rien de mécanique. Ils s’inscrivent dans des dynamiques façonnées par les acteurs sociaux. Ainsi, par exemple, l’identité balte apparaît rien moins qu’évidente. Elle renvoie bien plus à des perceptions extérieures ou à un instrument de projection et de promotion sur la scène internationale qu’à une réalité historiquement enracinée. L’identité est souvent un « instrument de marketing », un label qui permet à l’Etat naissant de se faire connaître. Partout, à quelques exceptions près (Lituanie), sa définition est problématique : identité en « crise », « en voie de cristallisation », « déficit » ou « trouble identitaire », le vocabulaire employé évoque le plus souvent le malaise. Faute d’accord sur le contenu de l’identité, le consensus territorial a souvent servi de ciment aux Etats post-sovié-tiques et a permis une gestion (presque) pacifique de la disparition de l’URSS. Même si les nouvelles frontières ont été douloureusement intériorisées (Russie) ou si des conflits ont pu éclater dans le Caucase ou en Asie centrale, « le scénario à la yougoslave », tant redouté, ne s’est pas produit.
12Parmi les traits communs qui se dégagent de ces études, on peut retenir une nette domination du pouvoir exécutif dans presque tous les Etats, à l’exception des baltes, proches du modèle des démocraties parlementaires ouest-européennes, même si évidemment l’exercice du pouvoir diffère considérablement entre les dictatures d’Asie centrale et les démocraties en construction, russe ou ukrainienne. Au petit jeu des similitudes et des différences, ces dernières sont profondes et nombreuses. Trois ensembles, correspondant à trois zones géographiques (la frange occidentale, le Caucase et l’Asie centrale) ont émergé en une décennie. Chacun a suivi une trajectoire qui le distingue de plus en plus des autres : la frange occidentale est tournée de plus en plus vers l’Europe, « dont l’adhésion des pays baltes à l’UE et à l’Otan est l’expression la plus radicale », l’Asie centrale dérive vers la tiersmondisation, tandis que le Caucase se situe dans un entre-deux encore incertain.
13Mais, comme le montrent les auteurs, la fin de l’hégémonie russe dans l’espace postsoviétique est la révolution la plus marquante ? a plus décisive ? ? qui se soit produite avec la disparition de l’URSS. Chaque Etat a dû redéfinir sa relation avec la Russie qui avait dominé cet espace pendant près de trois siècles. Contrairement aux prévisions les plus pessimistes, « il était erroné de faire d’une éventuelle posture néo-impériale de la Russie la clé de l’évolution de l’espace post-soviétique. (…) Rien n’autorise à inscrire dans une sorte de fatalité historique, voire biologique, d’éventuelles tentations d’emprise directe sur son étranger proche ». Même si le « syndrome post-impérial » domine les représentations sociales russes et si le deuil est douloureux et loin d’être achevé, cet espace s’est ouvert aux influences extérieures, régionales et internationales. La forte poussée américaine, encore renforcée depuis le 11 septembre 2001, en est l’illustration la plus spectaculaire. Elle est un facteur durable de transformation des représentations et des réalités géopolitiques de chacun des Etats. On regrettera à ce propos l’absence d’un chapitre consacré aux organisations régionales et infra-régionales qui se sont développées depuis une décennie.
14Agrémenté de cartes, de chronologies, d’une bibliographie (un peu sommaire), de statistiques, cet ouvrage est un excellent outil de travail, ainsi qu’une source de réflexion sur les évolutions de l’espace post-soviétique.
15Laurent Rucker
Slovakia. The Escape from Invisibility Karen Henderson Routledge, Londres, 2002,140 p. ISBN 0-415-27436-2
16Conçu sans doute pour paraître à l’occasion du dixième anniversaire de l’indépendance de la Slovaquie, qui a fait suite à la partition de la Tchécoslovaquie, l’ouvrage de K. Henderson est le résultat de plus d’une décennie d’études et de recherches consacrées à l’univers post-communiste, dans le cadre de sa profession ? aître de conférences à l’Université de Leicester ? ou de la rédaction d’ouvrages politologiques traitant de la zone (Back to Europe : Central and Eastern Europe and the European Union, Post-communist Politics, édités dans les années 1990). Cette enseignante-chercheuse fait désormais partie du cercle de ceux et de celles qui donnent leurs avis « experts » sur la situation slovaque. Son attachement particulier pour la Slovaquie, pays parmi les moins connus de l’Europe centrale, écrit-t-elle, fut le résultat d’un hasard survenu dans les années 1980 : ayant postulé auprès du British Council pour passer une année universitaire (1987) à Prague, elle fut dirigée par le ministère de l’Education tchécoslovaque vers l’horizon académique slovaque. Elle put ainsi prendre la température, plus « clémente », du climat politique slovaque en cette période de pleine perestroïka, laquelle tardait à toucher la partie tchèque d’alors. Ces tracas administratifs permirent à l’auteur d’étendre ses connaissances linguistiques en ajoutant le slovaque à ses rudiments de tchèque. S’étant ensuite installée à Prague, elle put alors mieux saisir ce qui allait constituer la trame de son ouvrage, à savoir l’existence « d’une invisibilité, d’une altérité » slovaques, diluées tant politiquement que culturellement dans le contexte tchécoslovaque. Elle fut confrontée aux préjugés populaires, aux angoisses des élites pragoises. En tant que politologue, elle a donc tenté d’en déchiffrer les causes et d’en établir les ressorts dans les années suivantes, avec le souci notable de se placer de façon à pouvoir utiliser la grille de lecture des événements à partir des réactions des sphères sociales et politiques slovaques. Certes, ce parti pris, associé à une analyse des faits purement anglo-saxonne et à un goût prononcé pour l’empilement des citations, conduit parfois l’auteur à des raccourcis, à des jugements à l’emporte-pièce, là où il aurait fallu un peu plus de détails, de mise en perspective voire moins de précipitation dans l’écriture. Ceci est particulièrement palpable dans la plupart des faits relatés qui touchent aux minorités ou lorsqu’elle survole certains événements historiques.
17Cependant, l’ouvrage a un grand mérite. Par sa construction et sa richesse en références bibliographiques et documentaires (réunies à la fin de chaque chapitre et enrichi par une bibliographie sélective et un index), il peut servir d’appui à de nouvelles recherches, plus approfondies. Les chapitres sont organisés de manière à permettre au lecteur une orientation très facile qu’il s’agisse de l’histoire du pays, de la politique intérieure ou bien du positionnement de la Slovaquie dans le monde depuis son accession à l’indépendance, dans ses relations extérieures mises ? avec des hauts et des bas ? u service d’un seul objectif : rompre avec l’« invisibilité ».
18Afin de mieux permettre au lecteur une immersion dans le sujet, l’ouvrage débute par une chronologie, un répertoire des abréviations et une carte (malheureusement trop « pauvre », la Slovaquie n’étant pas un pays sans rivières ni montagnes). Les deux premiers chapitres couvrent en un peu plus de 80 pages toute la période historique jusqu’à la partition tchéco-slovaque en 1992 et les principaux aspects de la politique intérieure slovaque depuis 1993, l’évolution des institutions, la génèse des partis politiques et leurs résultats électoraux pour finir sur la situation des minorités. Dans le chapitre suivant, consacré au positionnement du pays dans le monde, l’auteur traite des relations avec l’UE, avec ses voisins et de la politique régionale, pour tenter de donner une explication plausible à la faiblesse de la politique extérieure slovaque des années 1990 par rapport aux voisins du groupe de Visegrad. Le dernier chapitre est consacré à l’économie slovaque, mais on peut en regretter la minceur, le survol de 1918 à 2002 ne prenant que vingt pages. Néanmoins, il propose à grands traits les principales caractéristiques du pays et le place résolument dans une vision européenne.
19Jaroslav Blaha
Tchétchénie. Dix clés pour comprendre Comité Tchétchénie La Découverte, Paris, 2003,123 p. ISBN 2-7071-3997-1 Tchétchénie. La guerre jusqu’au dernier ? (sous la direction de Frédérique Longuet-Marx) André Glucksman, Frédérique Longuet-Marx, Mikhaïl Roschin, Olivier Roy, Maïrbek Vatchagaev, Mille et une nuits, Paris, 2003, 195 p. ISBN 2-84205-729-5
20Voici deux petits ouvrages qui ont pour but d’informer sur un conflit féroce et trop souvent oublié, et ce d’autant plus qu’il se déroule en l’absence presque totale des médias. Le premier d’entre eux est rédigé par des universitaires spécialistes du Caucase, faisant partie du Comité Tchétchénie [*]. Dans sa préface, Sophie Shihab, journaliste au Monde et défenseur infatigable de la cause tchétchène, crie sa colère devant les atrocités commises dans cette petite république, mais aussi devant l’indifférence des gouvernements et de l’opinion internationale, qui a souvent l’indignation sélective. Et en effet, au travers des questions auxquelles les auteurs s’efforcent de répondre avec la plus grande objectivité possible, on découvre que la guerre de Tchétchénie, ou plutôt les guerres (1994-1996 et 1999-...), ce sont des centaines de milliers de victimes, une capitale de 400 000 habitants en grande parie détruite, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, sans compter les réfugiés entassés dans la république voisine d’Ingouchie et tous ceux qui, plus chanceux, ont réussi à s’installer dans d’autres régions de Russie. Car la Tchétchénie, officiellement, c’est la Russie, comme autrefois, l’Algérie, c’était la France, même si les deux situations ne sont pas identiques.
21Après avoir tenté de cerner l’ampleur du désastre, les auteurs proposent des réponses à plusieurs questions : pourquoi les Tchétchènes se battent-ils ? Les combattants sont ils islamistes ? L’enjeu central est-il le pétrole ? Pourquoi cette guerre n’en finit-elle pas, vu les nombreuses déclarations des autorités russes, qui rappellent souvent que le « dernier quart d’heure » (de sinistre mémoire) est arrivé ?. Autres facteurs qui évoquent les souvenirs des guerres coloniales d’antan : le huis clos et la désinformation organisés par les autorités. Enfin quel est l’impact de cette guerre sur les sociétés russe et tchétchène, bien qu’il ne soit évidemment pas le même, en dépit de la prise d’otages dans un théâtre de Moscou en octobre 2002, qui s’est terminée de façon sanglante ? Qui est responsable des violences commises contre les civils en Tchétchénie ? Est-ce que ce sont des « bavures » ou bien une politique génocidaire délibérée, comme l’affirment les indépendantistes. Enfin, alors que la communauté internationale est pratiquement sourde et muette face à toutes ces horreurs, comment exprimer sa solidarité envers le peuple tchétchène ? Il faut saluer ici le rôle des ONG, en particulier russes, qui s’efforcent, en dépit des barrières qui se dressent devant elles, d’intervenir dans la mesure de leurs moyens.
22Le second ouvrage, coordonné par une universitaire spécialiste du Nord-Caucase, Frédérique Longuet-Marx, se propose d’apporter les regards croisés de chercheurs venus de différents horizons, mais dont les analyses sont proches. Mikhaïl Roschin, islamologue russe, qui a mené de nombreuses recherches dans le la région, évoque l’utilisation politique du sentiment religieux des Tchétchènes contre les forces russes. Il montre comment l’islamisme radical devient un idéal révolutionnaire pour une jeunesse privée de perspectives par la guerre. Selon lui, le soufisme, islam traditionnel dans la république, pourrait présenter un rempart contre celui-ci. Maïberk Vatchagaev, historien tchétchène, spécialiste de la colonisation russe du Caucase et du soufisme, insiste sur la spécificité des valeurs culturelles, basées sur le devoir et l’honneur, pour lesquelles tout Tchétchène est prêt à sacrifier sa vie et établit par ailleurs une très nécessaire chronologie du conflit russo-tchétchène. André Glucksman, philosophe, que l’on ne présente plus et qui a mis sa notoriété au service de la cause tchétchène depuis juillet 2000, date de son voyage dans la république caucasienne, dresse un violent réquisitoire contre la politique russe et l’inertie coupable des gouvernements occidentaux. Dans sa contribution intitulée « Tchétchènes d’hier et d’aujourd’hui », Frédérique Longuet-Marx fournit une analyse précieuse des fondements de la société traditionnelle tchétchène et de la façon dont celle-ci s’est décomposée sous les coups de boutoir de l’armée russe et les influences fondamentalistes. Elle s’entretient ensuite successivement avec le grand spécialiste français du Caucase, Georges Charachidzé, qui insiste sur l’originalité de la société tchétchène par rapport à celles de ses voisins caucasiens, puis avec des exilés qui soulignent tous la dislocation de la société traditionnelle. Enfin le spécialiste de l’Asie centrale Olivier Roy, après avoir réintégré la question tchétchène dans l’histoire du colonialisme russe, se demande pourquoi les autorités russes s’acharnent contre la Tchétchénie, alors qu’il est à présent clair que sa résistance ne saurait avoir un effet boule de neige dans d’autres régions de Russie et que l’argument de la lutte anti-terroriste globale ne résiste pas non plus à l’analyse. Selon lui, le conflit tchétchène est instrumentalisé dans le cadre des luttes de pouvoir à l’intérieur de l’Etat russe, au détriment même des intérêts bien compris de la Russie.
23Il faut lire et faire lire ces ouvrages. Il répondent aux questions que peuvent se poser les hommes de bonne volonté par rapport à ce conflit. A l’heure où la Russie se rapproche de l’Europe, il serait urgent de faire comprendre à ses dirigeants qu’il est impossible de se proclamer une grande puissance démocratique en menant une guerre d’un autre âge.
Anna Politkovskaïa, Tchétchénie, le déshonneur russe. Buchet-Chastel (vient de paraître)
Notes
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21 rue Voltaire 75011 Paris, http :// tchetchenieparis.free.fr Michèle Kahn