1Pierre Delion écrit dans l’introduction que ce livre est remarquable. Je suis entièrement d’accord avec lui. En effet, il nous permet de partager l’expérience de Jeannine Delgouffre et Maggy Camus qui pratiquent et enseignent la psychothérapie de l’enfant depuis plus de 30 ans. Elles ont toutes les deux contribué à théoriser et diffuser la pratique de la thérapie du développement conçue par Danièle Flagey et Marie-Rose Smets, dès 1970. La thérapie du développement pratiquée en Belgique et enseignée à l’institut de formation aux interventions en santé mentale (IFISAM) est une psychothérapie du jeune enfant que l’on peut qualifier de « corporelle », d’inspiration psychanalytique, qui se différencie de la psychologie du développement ou des approches neurodéveloppementales qui appartiennent à d’autres champs épistémologiques.
2Les deux autrices réhabilitent un concept fondamental dans l’approche clinique de l’enfant, la dysharmonie évolutive et son traitement par la thérapie du développement. Cette configuration psychopathologique concerne un grand nombre de nos petits patients aux symptômes psychotiques et /ou déficitaires. Elle reste un modèle de compréhension précieux des difficultés rencontrées par de nombreux jeunes enfants dans nos consultations actuelles.
3L’approche psychothérapeutique avec ces enfants, décrite dans cet ouvrage, permet de relier affect et sensori-motricité par la médiation corporelle et la mise au travail des symbolisations primaires. J. Delgouffre et M. Camus ont rencontré un grand nombre d’enfants, ce qui leur donne matière à illustrer richement le propos théorique présenté dans cet ouvrage. Elles ont également contribué à former un grand nombre de psychothérapeutes d’enfants. Cet écrit s’appuie aussi sur cette longue expérience de formation et de supervision.
4L’originalité de leur pratique se manifeste dans l’accueil des projections corporelles de leurs jeunes patients et dans leur mise au travail par un contre-transfert élargi au corporel. Cette mise en jeu du corps permet l’accès à des transformations pulsionnelles grâce à des propositions perceptivo-motrices, source de symbolisations primaires.
5Ces enfants, souffrant de failles dans l’organisation du Moi, présentent des troubles à expression corporelle : agirs ou inhibitions, destructivité, troubles instrumentaux, retard de leur développement psycho-moteur, instabilité… Leur traitement nécessitera l’engagement corporel du thérapeute, engagement de toute sa personne, dans des échanges corporels qui permettront à des « agirs-jeux » de remplacer des « agirs-décharges ». Il s’agit de proposer des expériences corporelles satisfaisantes, permettant un travail de liaison psychique et l’accès à de nouvelles voies de symbolisation.
6J. Delgouffre et M. Camus nous apportent une compréhension métapsychologique de ce processus complexe, avec à la fois une très grande clarté, et aussi une précision théorique rigoureuse.
7La pratique de ces psychothérapies nécessite un cadre aménagé et des dispositifs spécifiques. Des objets informes, manipulables, attracteurs de la sensorialité permettent de nouvelles expériences perceptivo-motrices et affectives. Ce sont des tissus, coussins, de la pâte à modeler, de la peinture, des ballons, de l’eau…qui donnent forme à un langage corporel libre et spontané. Les autrices décrivent avec précision comment les traces traumatiques précoces, non intégrées, non organisées, en attente de représentation vont trouver sens et forme dans les échanges corporels en séance. Les vignettes cliniques nous permettent d’approcher ce travail psychothérapeutique délicat, qui met en jeu à la fois l’éprouvé corporel et son interprétation verbale. L’activité du thérapeute du développement permet le tissage des liens sensori-moteurs et psychiques. Le rôle du thérapeute est bien décrit : objet attracteur, stabilisateur, il résiste à la destructivité et il permet ainsi à l’enfant de se tenir debout « d’ériger son être ». Il offre par sa réponse aux agirs du patient une possibilité de transformation du sensori-émotionnel en matière psychique. Les autrices s’appuient sur les conceptions de R. Rousillon, de MF Dispaux, de J. Godfrind pour théoriser ce travail de symbolisation des traces perceptives traumatiques. Le jeu partagé est illustré par des moments cliniques, avec des petits patients particulièrement touchants.
8Le livre s’interroge sur les conditions d’émergence de la symbolisation et sur l’action métaphorisante du thérapeute. Les vignettes cliniques nous montrent des réponses agies du thérapeute qui ont valeur interprétative, accompagnées de sons, de mots qui peu à peu permettent de qualifier les affects et aident l’enfant à se subjectiver. Les autrices décrivent ces processus d’accès à une capacité de penser avec une approche métapsychologique toujours précise et éclairante.
9Les parents trouvent aussi place dans l’ouvrage, le travail avec la famille faisant partie intégrante de la thérapie. L’alliance avec les parents permet la relation thérapeutique avec l’enfant. Le travail avec eux est particulièrement nécessaire pour arriver à créer un espace personnel à l’enfant, différencié de celui des parents et permettant la mise en travail des alliances inconscientes et des ruptures transgénérationnelles. Les échanges avec les parents sont aussi nécessaires pour leur permettre de rencontrer leur enfant, dans sa réalité parfois décevante, et restaurer leur capacité à l’accompagner aussi longtemps que nécessaire.
10J. Delgouffre et M. Camus nous font un beau cadeau avec ce livre. Il met en forme leur pratique si spécifique et transmet aux thérapeutes d’enfants confirmés ou en devenir, un ouvrage de référence pour approcher la psychothérapie des pathologies archaïques. Il nous met en contact avec une clinique complexe et sensible et nous apporte des conceptions théoriques innovantes, étayées par les recherches actuelles sur l’ancrage corporel du psychisme.
11J’en recommande chaudement la lecture aux thérapeutes d’enfants et aux thérapeutes d’adultes intéressés à comprendre l’infantile de leurs patients.