1L’évolution de notre société contemporaine liée notamment aux progrès de la science et des nouvelles technologies nous confronte dans notre pratique quotidienne à de nouvelles questions. Mais également, comme l’écrivent Marie-Jean Sauret et Luz Zapata-Reinert, cette évolution semble caractérisée par un renoncement à l’éthique du fait de la subordination du politique à l’économique. Ce qui confronte les cliniciens praticiens comme les cliniciens chercheurs et auteurs à une obligation de résultat et une évaluation de plus en plus systématisée.
2L’éthique devrait dès lors plus que jamais se trouver au centre de notre questionnement et être un pilier de nos actions.
3L’éthique se définit comme une philosophie, voire comme la science des philosophies. Elle énonce des valeurs et se différencie de la morale qui, elle, dicte des impératifs de conduite. Elle se différencie encore de la déontologie qui établit des codes et énonce des lois à respecter impérativement.
4La clinique psychologique, psychiatrique comme la clinique psychanalytique relèvent d’une science empirique qui s’occupe d’individus particuliers, singuliers ne pouvant être réduits à leur symptôme. Le fonctionnement psychique de la personne, dont son inconscient, doit être pris en compte et il ne peut être réduit à une étiquette.
5De plus, dans la clinique, tout se passe au sein d’une relation : la relation entre le patient-sujet (individu, famille, groupe) et le clinicien. Des composants intrapersonnels tant du clinicien que du patient comme que des composants interpersonnels entrent en jeu constamment, s’associent, s’interpénètrent. Il s’agit d’une rencontre et cette rencontre fait la nature de notre travail et lui donne son sens.
6J-M Sauret et L. Zapata-Reinert, dans leur article parlent de l’intimité de la relation entre le patient et le clinicien. Dans la cure analytique, le clinicien écrivent-ils se doit de se rendre disponible au patient, à son transfert et à la relation entre eux. On ne traite pas un symptôme mais un patient.
7L’acte du clinicien est acte de parole. Le clinicien est responsable de son acte. Il se doit d’en répondre et c’est là que l’éthique intervient quand la déontologie ne suffit pas.
8Quelle peut alors être une bonne parole, une bonne intervention, une bonne interprétation ?
9Isabelle Taverna développe cette question en montrant combien ce qui est dit dépend de qui écoute et combien, dans le même temps, celui qui écoute écoute avec qui il est. 2 questions sont au centre de son texte : QUI écoute et QUI dit ? Et elle développe cette question à propos de son travail d’analyste d’enfants. Cette question spécifique dans la relation avec les enfants appelle alors des réponses très nuancées. En effet, l’enfant vient accompagné de ses parents, défini par ses parents mais il est à considérer comme sujet à part entière tout en tenant compte de son appartenance familiale et du dit des parents. Avec grand respect et de façon très nuancée l’auteur nous décrit et analyse une situation d’autant plus complexe qu’il y a un secret dit par les parents et non su par l’enfant.
10Anne Donelly nous rappelle aussi, au travers de 3 illustrations, qu’on analyse avec ce qu’on est et avec ce que le patient fait advenir dans la relation. Elle dit l’importance de travailler avec l’équivoque des mots, des rêves, de se laisser surprendre, ouvrir une voie possible sans enfermer le sujet dans une réponse unique. Enfin, elle rappelle l’impératif de modestie énoncé par Lacan et l’obligation d’accepter notre incomplétude, notre incapacité parfois à entendre le patient comme d’accepter les moments où rien ne semble se passer.
11Cela demande, tous nos auteurs en font mention, une formation importante, des supervisions et discussions ou intervisions, cela demande une réflexion continue, un questionnement, une mise en doute de soi, toutes choses qui relèvent de l’éthique professionnelle.
12Parfois, malgré cela, les choses dérapent, il y a perte de réflexion, de jugement, dérapage et passage à l’acte. Les passages à l’acte dont les passages à l’acte sexuels écrit Patrick De Neuter, font partie des risques du métier de clinicien quelles que soit l’orientation théorique et la formation de celui-ci : psychologue, psychiatre, travailleur social etc. Les passages à l’acte sexuels existent et leurs conséquences sont nocives, d’autant plus, peut-être, que la plupart du temps le silence les entoure. Silence amplifié par le silence en écho de certaines équipes et écoles au sein desquelles cela se passe.
13Patrick De Neuter nous livre, ici, outre sa position éthique et critique, une analyse approfondie des dommages causés par ces transgressions sur les patientes à travers des récits et écrits mais aussi une analyse des attitudes de certains psychanalystes et écoles de psychanalyse justifiant et les passages à l’acte et le silence par une réinterprétation déviante du discours de Lacan à propos de ce qu’il écrivait sur le désir du psychanalyste.
14Dans les pratiques institutionnelles les questions éthiques sont multiples. « Jour après jour, écrivent Anne-Christine Frankard et Isabelle Schonne dans le cadre de leur pratique en hôpital de jour pour enfants psychotiques et autistes, nous sommes confrontés au cas par cas à nous prononcer sur les valeurs à privilégier dans les actions à mener en tenant compte de l’avis des différents soignants, des attentes des parents et de ce que nous montre l’enfant de ses ressources, limites et émergences liées à ceux qui l’entourent (autres enfants, parents, soignants) et ce que nous en comprenons. » Voilà effectivement un travail qui relève de l’éthique.
15Les relations dans un cadre institutionnel ne sont pas limitées à celle réunissant le patient et le clinicien dans l’intimité de leur relation. Les relations sont multiples. Le travail se fait dans l’inter et la pluri – disciplinarité. La dynamique entre patients et soignants, entre soignants eux-mêmes, entre soignants, patients et partenaires extérieurs : familles, autres institutions et/ou intervenants est complexe. Comment articuler les différents regards, les différents points de vue, les différentes sensibilités, les différentes théories, les différentes compétences ?
16Tous nos auteurs relèvent la nécessité de disposer de lieux et de temps de partage, de parole dans un « climat respectueux de chacun et de tous et dans une forme adaptée au collectif. » Ce dispositif relève également de l’éthique. Parce que ces échanges lorsqu’ils ont lieu peuvent contribuer à poser et répondre aux questions essentielles telles que : que faire pour agir bien, dans le temps qui nous est imparti, étant donné ce que nous sommes et ce pourquoi nous sommes ici dans cette institution-ci, étant donné qui sont nos patients et leur famille et leurs attentes et qui sont nos collègues et leurs attentes, étant donné, enfin, les limites de nos compétences à chacun.
17En institution, plus encore qu’ailleurs, les questions d’autonomie, de liberté, de respect des personnes, patients et soignants, sont prégnantes. La reconnaissance des difficultés, voire des maltraitances, comme l’écrit Marion Peruchon dans un article sur la maltraitance en gérontologie, permet de mieux comprendre les actes, de soulager les tensions et de métaboliser la souffrance. Le silence, encore une fois, serait dans ces contextes, écrit-elle, contraire à l’éthique.
18Une nouvelle pratique institutionnelle se fait jour depuis quelque temps, liée à une nouvelle politique économique de soins visant à réduire le nombre de « lits psychiatriques » : la pratique de soins à domicile. Un article de Jennifer Denis & autres lui est consacré. Il s’agit dans ce contexte de psychiatrie « hors-les-murs » de repenser le dispositif des soins hors du cadre contenant, voire lieu transitionnel, que peut représenter l’hôpital. Les soins sont ici dispensés dans le cadre de vie du patient. Il s’agit d’un travail en réseau pour lequel des équipes pluridisciplinaires sont constituées. Le cadre thérapeutique est à définir avec le patient dans l’objectif qu’il puisse se réapproprier sa vie comme sa pensée sans les penser à sa place. La question du respect de la personne et de sa liberté est au centre de cette nouvelle approche sans être pour autant aisée à résoudre notamment dans les cas d’isolement social et affectif, de repli, voire de refus du patient d’accéder à ce type de soins. Une position éthique dans ces situations est à garder constamment en ligne de mire et là encore les réunions entre collègues représentent un outil précieux.
19Enfin, que dire du travail du clinicien ? Que peut dire le clinicien de son travail ? Que peut-il en écrire ?
20Déjà Freud, nous rappelle Dominique Di Liberatore, posait la question. Quelle dialectique entre éthique clinique et éthique scientifique ? Comment articuler le devoir de protection du patient, le respect du secret professionnel et le devoir de transmission ? Car selon Marie-Jean Sauret et Luz Zapata-Reinert il n’y aurait en psychanalyse de savoir clinique que de l’expérience et, de toutes façons, quel que soit le type de psychothérapie l’expérience participe à la constitution du savoir, car l’expérience contient le savoir, le savoir-faire et le savoir-être, 3 aspects indispensables et inhérents au travail du clinicien. Dès lors la transmission de ce savoir et sa discussion sont essentielles.
21Mais même en modifiant les noms des patients et autres éléments trop identifiables, même avec l’assentiment des patients des questions éthiques subsistent. Car que signifie réellement l’assentiment du patient ? Quels effets, négatifs ou positifs, a posteriori peuvent advenir ? Quelle protection peut-on offrir en regard du futur ? Et lorsqu’on modifie des aspects pour éviter toute reconnaissance ne biaise-t-on pas la transmission ? Les exemples célèbres de Dora, du petit Hans, de l’homme aux chevaux sont repris dans cet article de Di Liberatore sous l’angle de ces questions éthiques posées par ces écrits de Freud. L’auteur aborde non seulement la position éthique de l’auteur mais aussi celle du lecteur, patient, descendant et autre.
22Lourds de conséquences m’apparaissent les manques à l’intégrité scientifique dans la recherche et ses écrits évoqués ici par le Professeur Jean-Paul Sculier et dans un autre article par Pauline Monhonval.
23J-P Sculier rappelle que « la recherche scientifique vise à améliorer nos connaissances et nous approcher de la vérité. Par conséquent, les collègues chercheurs et le public s’attendent de la part du scientifique à un travail intellectuellement honnête et à une conduite exemplaire. »
24Or depuis une vingtaine d’années, selon ces auteurs, on assiste à une augmentation importante de tricheries dans les travaux scientifiques, leurs comptes rendus, articles et publications diverses.
25Qu’il s’agisse d’embellissement du ou des cas, de fraudes et falsifications de données, de vols de données, de manipulations de données, de rétention de données, de fraudes aux auteurs, de plagiat, d’utilisation d’auteurs « fantômes », de « nègres » et autres auteurs « potiches » ou encore d’omission d’auteurs, ce sont toutes conduites frauduleuses en augmentation.
26Ces 2 auteurs dénoncent les pressions considérables exercées sur les auteurs pour les pousser à publier, pressions internes personnelles aux auteurs ou à leur milieu professionnel comme pressions extérieures.
27Des commissions d’éthique ont été créées aux USA et en Europe, mais elles semblent bien insuffisantes à endiguer ce mal qui jette un discrédit sur l’ensemble de la communauté scientifique tout comme le silence dans les cas de passage à l’acte en psychanalyse ou psychothérapie et cela, malgré, également, les codes de déontologie et la création de comités d’éthique dans les milieux cliniques, jette un discrédit sur les écoles de psychanalyse et/ou de psychothérapie et mine la confiance du public.
28Intégrité, confiance et respect des personnes sont des valeurs importantes dans l’éthique clinique comme dans l’éthique scientifique et font partie de ce qui devrait faire partie des formations des cliniciens tant praticiens que chercheurs et aussi de leurs préoccupations ce qui, sans être toujours le cas, l’est heureusement le plus souvent.
29La déontologie fixe un cadre et des lois et il semble que l’éthique la précède et la fonde. L’éthique se doit d’être néanmoins toujours en discussion car elle est liée à l’évolution de notre société et donc de nos pratiques. Notre formation n’est pas finie, nos réflexions se doivent d’être sans cesse réexaminées et leur discussion ne peut se clore.
30Janvier 2015