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Article de revue

Le sujet handicapé : évocation du lien psychique et du lien social, sous la direction de Jean Sébastien Morvan. L'Harmattan (2012)

Pages 239 à 241

1Cet ouvrage regroupe les contributions de 12 auteurs psychologues cliniciens et praticiens de l’éducation spécialisée, titulaires d’un doctorat en sciences de l’éducation, réunis au cours d’un séminaire de recherche présidé par Jean Sébastien Morvan.

2La conflictualité des rapports entre la part consciente et inconsciente du professionnel engagé dans une relation lors de conduites cliniques d’accompagnement avec des enfants, des adolescents, des adultes en difficulté de relation et d’apprentissage – qu’ils soient handicapés ou non – est analysée lors des multiples situations étudiées. Pour les uns et les autres, se pose la question du juste positionnement entre l’accès à l’intériorité psychique et les exigences de la réalité extérieure.

3Comment rendre possible l’évocation de soi sans y buter ou s’y perdre, lorsque l’on est mobilisé pour faire face au handicap ? Ceci est ainsi l’interrogation centrale de cet ouvrage.

4Or, la confrontation à la réalité du handicap active les représentations archaïques qui peuplent notre monde intérieur et réveillent angoisses et culpabilité. La confrontation au monde interne des personnes en difficultés conduit à un partage psychique du handicap. L’énigme troublante dérange, elle secoue le psychisme et exige une clarification. Travailler avec des personnes considérées comme différentes, c’est initier un salutaire processus psychique vers la compréhension de la différence en soi. Être soi-même en situation de handicap nécessite également un travail psychique pour sortir « du handicapé », une lutte pour « être reconnu et se reconnaître » et se défaire des paradoxes psychiques et affectifs si pesants, que souvent l’identité ne peut advenir et la souffrance psychique ne peut s’apaiser sans accompagnement.

5Les différents professionnels formés aux sciences de l’éducation interviennent dans des lieux divers, à l’école, dans les établissements spécialisés, à l’hôpital… auprès des enfants et adultes en difficultés d’apprentissage mais aussi en difficultés de reconnaissance sociale, comme auprès de leurs parents. Les auteurs mettent en évidence des souffrances qui restent ignorées, niées, comme les contraintes personnelles, institutionnelles, législatives qui sont autant d’obstacles à l’aboutissement d’un mieux-être pour la personne handicapée et pour le professionnel. Des voies de compréhension de ces blocages sont explicitées ; des perspectives de résolution sont proposées par la présentation de pratiques de médiations culturelles réfléchies, adaptées à chaque situation.

6A l’école, alors que les enseignants sont évalués sur le succès scolaire de leurs élèves, alors que les méthodes pédagogiques privilégient l’apprentissage aux dépens du bien-être de l’enfant ; l’enfant décalé, celui qui n’a pas les mêmes rythmes, la même sérénité que les autres subit douloureusement sa mise en échec. Il est « celui qui a du stylo rouge sur son cahier… Il est désigné, pointé, reconnu ». Mais aussi, « il incommode, il dérange ». Il met à mal la toute-puissance de l’enseignant qui a choisi ce métier en quête d’une valorisation narcissique. La souffrance et l’échec de l’enfant retentissent ainsi inévitablement sur le vécu de l’enseignant.

7Dans les institutions scolaires où l’implication subjective est souvent ignorée les non-dits pèsent et pénalisent tous les intervenants.

8Comment alors aider un enfant en incapacité de penser, paralysé par la peur d’avancer vers le savoir ? Ce que rappelle l’étude de cas à ce propos est que l’activité de penser de l’enfant n’est pas seulement une activité intellectuelle mais qu’elle dépend de la capacité de l’enfant à oser se séparer sans angoisse pour avancer. Des contournements extraordinaires sont à rechercher, le recours à l’empathie et l’imaginaire de l’intervenant parviennent parfois à apprivoiser l’imaginaire de l’enfant, l’aidant à se dégager du carcan représentationnel qui l’enferme. La progression de l’enfant reste toutefois fragile soumise à ses propres peurs et aux peurs réveillées du professionnel qui se préoccupe d’elle. Tous les auteurs insistent sur la nécessité de rester suffisamment fiable, contenant, permanent alors que les échecs et les butées psychiques vécues par les enfants sont autant d’attaques narcissiques. Alors que les angoisses des enfants sont partagées pour être comprises et contenues.

9Ainsi se renvoient en miroir les difficultés de l’un et les contradictions que cela impose au professionnel. Comment soutenir l’enfant trisomique confronté au risque de penser pour conserver l’image que son environnement a construit pour lui, sachant que les effets de ce soutien peuvent voler en éclat à l’adolescence où les réaménagements physiques et psychiques remettent en question les acquis de l’enfance ? Comment persévérer dans sa pratique éducative lorsque les efforts de restauration narcissique se délitent à l’âge adulte si de trop nombreux échecs sont rencontrés ? Les contradictions déstructurantes entre recherche d’une normalité et acceptation du handicap sont dans le cas de la trisomie clairement explicites. Les compétences sociales sont présentes alors que les capacités à agir sont entravées par le handicap. Se penser à trois est le plus souvent l’issue à rechercher. Dans la situation de l’adulte trisomique les associations jouent ici un rôle de tiers offrant la distance nécessaire à l’une ou l’autre des postures, à l’un ou l’autre du professionnel et de la personne handicapée engagés dans la relation.

10Ce que démontrent plusieurs chapitres de cet ouvrage est qu’aucun projet ne peut n’aboutir sans mobilisation personnelle du professionnel ni mobilisation partagée de l’équipe avec une gestion intelligente de « sa capacité intrusive ». La possibilité de se dé-prendre de la situation est sans cesse maintenue en toile et acceptée grâce aux barrières de sécurité garanties par le groupe professionnel. Homogénéité, persévérance, créativité, continuité, résistance de la prise en charge sont exigées ; un lourd investissement personnel qu’il s’agit d’abandonner lorsque la personne accompagnée peut cheminer de manière autonome ou ailleurs.

11Aucun projet ne peut également aboutir sans que la personne en difficulté ne s’y investisse. Le respect de l’autre dans sa différence est le maître mot de ces pratiques cliniques d’accompagnement et le sujet en situation de handicap ne peut le plus souvent advenir qu’au cours d’une rencontre empathique nécessaire à cette accession. C’est alors qu’il pourra utiliser son énergie pulsionnelle, la rendre opérante et non catastrophique. Il reste toujours à trouver le cheminement pour que s’éveille sa curiosité d’apprendre, le courage d’oser dépasser ses propres tabous de pensée. Les auteurs engagés dans une pratique clinique explicitent, chacun à leur manière et en fonction des situations étudiées combien il est possible d’accompagner la personne en difficultés pour l’autoriser à une évocation distanciée de soi et la rencontre de la partie de soi énigmatique.

12Cet ouvrage pose ainsi très clairement les problématiques cliniques auxquelles sont confrontés professionnels et personnes en difficultés, il présente l’intérêt majeur de démontrer l’utilité de resituer la pratique dans le champ de l’intériorité, sans être « ni trop distant ni trop enveloppant » tout en mettant en garde le professionnel de l’éducation spécialisée des risques pour lui de sombrer face à l’adversité, ou, à l’opposé de chercher à se ressourcer par une valorisation de soi héroïque. Il est une mine d’exemples étayés théoriquement qui pourront aider tout professionnel à se penser en relation.

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