Notes
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[1]
Claudine Uwera Kanyamanza, psychologue clinicienne, enseignante à l’Université Nationale du Rwanda (UNR), doctorante à l’Université catholique de Louvain (UCL) où elle achève une thèse sur les ménages d’enfants et les enfants chefs de ménage au Rwanda dans l’après génocide. Jean-Luc Brackelaire, psychologue clinicien, Université catholique de Louvain (UCL), Facultés Universitaires Notre-dame de la Paix à Namur (FUNDP) et Centre de guidance de Louvain-la-Neuve.
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[2]
Dans la culture rwandaise traditionnelle, les orphelins étaient pris en charge par la famille élargie. C’est avec la venue des missionnaires au Rwanda que commence le système des orphelinats. Les missionnaires les ont créés pour les bébés qui étaient souvent abandonnés après la naissance dans des hôpitaux ou d’autres lieux, cachés ou parfois publics, car la société n’acceptait pas ces enfants considérés jadis comme de mauvais sorts faits à la famille. Il faut dire que dans le temps, au Rwanda, une jeune fille non mariée qui était grosse, représentait un drame pour la famille. Elle était jetée sur une île appellée Idjwi située au Sud-Kivu, en République démocratique du Congo. Peu à peu, les orphelinats accueillent des enfants très pauvres du village, qui étaient mal nourris notamment suite aux différentes périodes de famine qui ont accablé le Rwanda (Gakwege, Rumanura, Ruzagayura). La création d’orphelinats par les missionnaires (catholiques et protestants) permettait de gagner des adeptes car il fallait enseigner la charité au peuple. En ce sens, l’esprit de mendicité fut favorisé : aller chez les missionnaires parce qu’on est pauvre, au lieu de se tourner vers la famille élargie qui, à son tour, va petit à petit céder son rôle à ces confessions religieuses. Entretien personnel avec le professeur Jean Damascène Ndayambaje, de l’Université Nationale du Rwanda, le 20 Août 2009.
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[3]
La méthode de recherche utilisée est celle du recueil de récits de vie. Nous avons mené dans cette perspective des entretiens approfondis avec seize enfants. Il s’agit de neuf enfants chefs de ménages et de sept enfants pris en charge par les premiers. Nous les avons rencontrés de façon individuelle et/ou collective dans des différents moments.
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[4]
L’Union Chrétienne Féminine (UCF) ou La « Young Women’s Christian Association (YWCA) » est une association sans but lucratif, créée en février 1995 à l’initiative de quelques femmes pionnières. Cette initiative a été lancée dans le but de pourvoir à leurs besoins familiaux et sociaux ainsi que d’apporter leur contribution à la reconstruction du Rwanda détruit par le génocide de 1994. Depuis 1999, elle est affiliée à l’Alliance Mondiale des YWCA/UCF ayant son siège à Genève en Suisse. C’est en 2005, que l’UCF a obtenu une personnalité juridique en qualité d’Organisation Non Gouvernementale (ONG) au Rwanda.
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[5]
Gutera ikirenge mu cyabo : ce dicton rwandais veut dire littéralement poser son pied exactement dans la trace du pied d’une autre personne, qui lui sert de modèle, d’exemple.
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[6]
Jean-Claude QUENTEL lors d’une conférence sur le thème « Dette et Rupture » au 8ème Congrès national sur la parentalité et le lien familial, Rennes, 17 juin 2010.
Introduction : des ménages d’enfants sans parents
1Le phénomène des « enfants chefs de ménage » et des « ménages d’enfants » surgit et explose au Rwanda après le génocide des Tutsis en 1994. La société rwandaise est profondément ébranlée dans son système d’organisation. Rien ne pouvait être institué, prévu, comme forme d’organisation familiale pour ces enfants qui en viennent à vivre seuls dans des ménages sans parents et sans adultes, avec à leur tête un autre enfant un peu plus grand, un aîné, sans qu’il n’y ait forcément entre eux de liens de parenté préalables.
2De nombreux parents ont été tués par les génocidaires, certains se sont égarés pendant la fuite ou l’exil, des parents présumés génocidaires sont en prison, d’autres parents sont exilés en des lieux inconnus, … Il faut ajouter que la maladie, surtout le SIDA, a emporté pas mal de parents. Malgré la variété des efforts du reste de la famille, l’apport des associations gouvernementales et non gouvernementales, force est de constater que nombre d’enfants n’ayant pas atteint leur majorité, qui est de 21 ans au Rwanda, vivent encore aujourd’hui dans des ménages sous la responsabilité d’un mineur, de manière choisie ou forcée par les circonstances.
3Ces enfants sont communément nommés « abana bibana mu ngo », c’est-à-dire les enfants vivant seuls dans les ménages, dans les familles, ou « abana birera » pour dire les enfants qui vivent seuls et sont responsables de leur éducation, qui s’élèvent eux-mêmes. On déplore de ne savoir comment faire avec eux, qui se trouvent souvent dans une situation de privation extraordinaire. Les circonstances ont forcé les choses pour ces enfants livrés à eux-mêmes. Le sort qui leur était imposé avait la marque de la contrainte, quand bien même des offres leur étaient proposées, par exemple au travers des familles d’accueil qui se sont disposées pour les prendre en charge.
4Cela pouvait venir d’un membre de la famille, rescapé, d’un voisin ou tout simplement d’un bon samaritain. Par ailleurs, sur le versant institutionnel, un ensemble d’institutions (organisations non gouvernementales, structures étatiques, initiatives privées) se sont mises en place pour œuvrer en faveur des ménages d’enfants et des enfants chefs de ménages, institutions actives jusqu’aujourd’hui. Il faut dire aussi que dans les années qui ont suivi le génocide, la politique du Rwanda était de faire en sorte que le système d’orphelinat soit supprimé et de se référer plutôt à la culture rwandaise [2] pour favoriser le placement de ces enfants dans des familles d’accueil.
5Il fut toutefois impossible pour tous les enfants d’être accueillis dans des familles comme dans les différentes institutions alors en fonctionnement. Par ailleurs, pour ceux pour qui ce fut possible, cela n’a généralement pas duré longtemps. De nombreux enfants n’ont pas pu continuer à vivre dans ces familles ou institutions, invoquant plusieurs raisons, comme l’inadaptation, les conflits relationnels, etc. La recomposition d’une nouvelle famille par des parents rescapés, par exemple, a parfois créé incompréhension et conflit chez les enfants, les poussant à quitter le toit familial pour aller vivre seuls. Ainsi ont-ils créé des ménages à eux, reconnus socialement comme « ménages d’enfants ». Certains de ces enfants nous ont transmis témoignage de leurs parcours complexes et des grandes difficultés rencontrées pour rester dans les lieux qu’ils avaient trouvés eux-mêmes ou qui leur avaient été offerts et qu’ils s’étaient appropriés [3].
Plus que tout, nous avons été surpris, en les écoutant, par leur choix de vivre dans ce genre de ménage d’enfants, sous la responsabilité d’un autre, un peu plus grand, « chef de ménage ». Nous sommes frappés par la prise de position et de responsabilité que cela a supposé et que cela implique, de s’inscrire dans un tel ménage, d’en constituer un, d’en assumer les implications. Ils auraient pu prendre le chemin de la rue, comme nombre d’autres enfants à ce moment-là. Certaines jeunes filles, par exemple, laissées à elles-mêmes, deviennent vulnérables, s’adonnent parfois à des comportements sexuels peu responsables, et donnent naissance à des enfants élevés par des mineurs, hors structure et système familiaux ou équivalents, ce qui n’en finit pas de donner des ramifications au phénomène. Ils auraient pu céder à quelque chose de l’ordre du libertinage, du laisser-aller, sans la crainte d’une présence d’autorité, parentale, adulte, dans le ménage, qui instaurerait limites et censure chez les jeunes. Mais cela n’a pas été le cas.
Revenir aux principes de la vie sociale
6Comme on le voit, notre regard ne se porte pas sur des enfants et groupes d’enfants qui présenteraient un trouble « psycho » – ou « socio » – pathologique particulier, mais plutôt sur des enfants qui se trouvent « dans un entourage dangereux », comme le dirait Cyrulnik (2008, p. 215), ou dans un contexte pathogène, et qui essayent, pensons-nous, de mettre en forme leur être ensemble et leur « devenir personne ». L’enfance et le passage à l’âge adulte, ici vécus sans parents, sur le fond de la disparition des parents et sous la marque de l’innommable, se révèlent difficiles, sources de souffrance, quand bien même les raisons de ce destin restent différentes pour chaque enfant. Nous nous sommes demandés comment ces enfants en sont arrivés là, ce qui fait qu’à un certain moment, on se met à créer un « ménage », une « famille », ce qui est déterminant dans cette construction des ménages d’enfants, ce qui permet qu’ils y arrivent, qu’ils réussissent à y vivre, mais aussi ce à quoi ils renoncent, et ce que représente pour eux cette vie menée dans le ménage d’enfants.
7Une hypothèse inspirée par leurs propos et que nous essayons de soutenir dans la suite de ce texte est que pour ces enfants vivre dans un ménage d’enfants est une façon à eux, une tentative singulière, d’arriver à créer un nouveau groupe familial et d’y vivre, en remobilisant la structure sous-jacente de la famille, un essai donc, non sans désespoir, de recréer une espèce de foyer, un foyer que nous dirons simultanément personnel et social, un lieu où vivre, ou plutôt d’abord à partir duquel survivre, sur les cendres de celui pourtant perdu, déréalisé, anéanti dans le génocide et son cortège de ravages.
8Si, comme nous l’enseigne l’épistémologie de Jean Gagnepain (1982, 1991, 1994), expliquer en sciences humaines consiste pour le chercheur à ramener un phénomène à son principe humain constitutif, dont il s’agit théoriquement de se donner le modèle, par différenciation avec les autres principes et processus humains ou naturels qui inévitablement aussi s’y entremêlent, il nous paraît que c’est électivement la dialectique de la personne qui se trouve à la fois mobilisée et problématisée dans le phénomène des ménages d’enfants et doit y être invoquée comme centrale.
9Dans l’anthropologie clinique de Gagnepain (1991), la personne désigne le plan de rationalité humaine qui est au principe de la vie sociale. Par sa dialectique, nous instituons – et sommes institués par – de l’Altérité, entre nous, en nous, avec le monde, définissant ainsi sans cesse implicitement les identités et responsabilités respectives impliquées, pour tenter toujours de les mettre en jeu explicitement en s’articulant ou se confrontant dans les relations et constructions qui nous constituent socialement (Brackelaire, 1995). Elle renvoie donc à la structuration sous-jacente sans cesse en jeu dialectiquement dans l’organisation de la vie sociale, sous des formes et figures par définition tendues entre divergence et convergence, où se forge de la culture. La notion de personne, à ne pas confondre avec celles d’individu ni de sujet (Gauchet et Quentel, 2009), souligne la dimension d’appropriation et de désappropriation personnelles – entre Soi et Autrui – constantes et constitutives de cette vie sociale en tant qu’humaine, dans sa double face de parenté et de parentalité. S’inscrire dans des liens et des obligations d’appartenance et d’alliance, comme de filiation et de transmission, implique en effet tout uniment de les trouver et de les créer, donc de les retrouver et les recréer sans cesse autrement.
10Nous nous sommes demandés, à propos du génocide au Rwanda, comment cette possibilité personnelle d’être et d’avoir à être quelqu’un, par et avec les autres, avait été minée historiquement entre les parties au point de ne plus pouvoir s’édifier et se transmettre d’une génération à l’autre, et pouvoir subitement se réduire à rien dans l’acte d’anéantissement des autres (Brackelaire, 2009, p. 133). Le génocide révèle et atteste dans une horreur sans nom la suspension de la personne et de la transmission. « Le court-circuit atteint d’un même coup le réseau des pairs et le système des générations, plongeant l’ensemble dans l’obscurité de la désalliance et de la désaffiliation. Il brouille les rapports entre les vivants et les morts comme entre les hommes et l’ordre des places et des fonctions où ils puisent leur forme humaine. Innombrables sont les survivants qui se retrouvent amputés d’une part essentielle de leur personne, de ceux avec qui ils la partageaient, de ce en quoi ils la déposaient, de leur histoire » (Brackelaire, 2009, p. 141).
11Pour rendre compte du phénomène des ménages d’enfants et des enfants chefs de ménage, il faut commencer par repérer qu’ils ne se réduisent jamais à ce que cette histoire innommable a fait d’eux et donner une place centrale à leur divergence, au cœur de la personne. Cette divergence essentielle est résistance au sort destructeur qui leur a été fait. Ils tentent eux-mêmes de (re)construire quelque chose de ce qui n’existe plus, à partir de ce qui existe. C’est une opposition d’un autre ordre que le laisser-aller éventuellement rebelle et délictueux évoqué plus haut notamment à propos des enfants et des jeunes de et dans la rue. Comme nous le verrons, leurs témoignages nous montrent que l’histoire qu’ils bricolent recèle une conflictualité interne qui en fait précisément une histoire, impliquant quand c’est possible une mise à distance des situations, des gens, des institutions, l’édification de nouveaux points de vue, des prises de responsabilités, et donc des accords et des désaccords, des bifurcations, des changements, des essais, toujours renouvelables, par insistante réappropriation. Celle-ci a caractérisé – nécessairement, pourrait-on dire – les liens de collaboration tissés au fil des années avec la chercheuse clinicienne à qui ils ont accepté et assumé de s’adresser, tentant de partager la tâche, cherchant ensemble à dire, décrire, faire reconnaître les épreuves au cœur de leur histoire commune face à l’à-venir.
Une remarque mérite d’intervenir ici sur le terme d’enfant. Celui-ci doit troubler le lecteur depuis le début de notre texte. Il ne s’agit pas en effet seulement d’enfants – dans l’acception plus habituelle – dans les ménages d’enfants, et moins encore lorsque l’on parle des chefs de ménage. Bien entendu, tous sont et restent enfants de leurs parents disparus, d’une façon d’ailleurs certainement toute particulière, et en outre singulière dans chaque cas. Et tous ont été mineurs, au sens légal du terme. Il s’agit souvent de jeunes, de jeunes adultes, voire d’adultes. Ceci n’est pas anodin dans la perspective que nous venons d’évoquer. Leur enfance, et celle des plus jeunes, y est assurément engagée, mais comme cette dimension de leur personne, pour parler comme Gagnepain (1991) et Quentel (1992), qu’ils ont dialectiquement à prendre en charge, qui se (re)trouve désormais sous leur responsabilité, comme « parents », socialement parlant. Ce processus d’émergence à la personne et à la vie sociale nous paraît spécifiquement en jeu dans cette reviviscence de la « famille » et de la « parentalité » dans les ménages d’enfants sous la responsabilité de l’un d’entre eux.
Nous pouvons y reconnaître des processus analogues à ceux que mobilise, dans les sociétés occidentales, le phénomène de l’adolescence. Mais il importe de rappeler, avec Quentel (2004, p. 29), que cette dernière est une figure particulière du problème anthropologique général qui nous intéresse ici. « Ce problème anthropologique est celui que la théorie de la médiation de Jean Gagnepain comprend comme l’accès de l’homme au social. Il concerne en effet l’émergence de celui qui était jusqu’ici un enfant à la capacité de participer et de contribuer au social, saisi en son principe. Mettre en évidence un principe du social se révèle en effet une nécessité, à laquelle beaucoup encore ne parviennent pas à se résoudre. D’autres évoqueraient ici, en s’appuyant sur une terminologie différente, voire en synonymisant, l’accès à la Loi en tant que principe (laquelle loi s’écrit dès lors avec un grand L). Toutes les sociétés prennent en compte à leur façon cet accès au social ou cet accès à la Loi ; il donne par conséquent lieu à un traitement qu’on peut qualifier de “politique”, au sens plein du terme (il intéresse la vie de la cité ; il relève du gouvernement ou de la gestion du groupement social en question). Mais il est général en tant qu’il est, lui, contrairement à l’adolescence, définitoire de l’homme et déborde les contingences historiques et géographiques, de même que celles liées à la classification sociale. Ainsi les sociétés qui, fonctionnant tout à fait autrement que les sociétés occidentales, pratiquent ce qu’on appelle l’initiation montrent qu’elles s’y confrontent également ; elles ne connaissent pas le phénomène de l’adolescence, et contribuent donc fortement à en relativiser la portée, mais elles ont à prendre en compte cette émergence au social et ses effets ».
Il importe également de situer cette émergence au social sur le fond permanent de son anéantissement génocidaire. En 2004, Bellamy, la directrice générale de l’UNICEF, a montré que 101000 enfants vivent dans environ 42000 ménages. Nous la rejoignons quand elle précise que pour ces enfants « le génocide n’est pas un simple événement historique, mais un élément de leur vie quotidienne d’aujourd’hui et de demain, auquel on ne peut échapper ».
En arrière-fond et à l’origine, le génocide
12Parlant de ce qui s’est passé pendant le génocide, ces enfants évoquent notamment leur séparation brutale avec les parents, ce qu’ils ont vu, entendu, comment ils se sont cachés, enfuis, pendant une période longue. Ils évoquent les moments du génocide comme si c’était pour eux un moment où commence la vie. Un grand étonnement a été de voir que parler du génocide était incontournable. Chaque personne rencontrée l’abordait à sa manière, sans même que nous n’ayons posé la question. Ceci peut tenir à ce que le génocide a détruit ce qui était déjà construit, la famille, tout l’entourage social, ce qui était là, l’arrière-fond et le fondement de la vie personnelle et sociale. Il a détruit cet « environnement facilitant » dont parle Winnicott (1975, p. 198), qui est un besoin profond et fondamental, qui représente et assure justement une sécurité, une continuité, une garantie de la vie, point de départ de tout essai de mobilisation ultérieure, et fond de toutes les relations et de tous les échanges. Et il s’est attaqué à travers la destruction des parents et des pairs, à la personne elle-même, au fondement humain de la vie sociale, son principe d’origination.
13Chez le rescapé, comme le dit Innocent Rwiliza, « Quelque chose de mystérieux s’est bloqué au plus profond de son être pendant le génocide. Il sait qu’il ne va jamais savoir quoi. Alors il veut en parler tout le temps […] Il a tendance à ne plus se croire réellement vivant, c’est-à-dire celui qu’il était auparavant » (Hatzfeld, 2000, pp. 107 et 117). C’est comme si les trois temps de la vie, l’avant, le pendant et l’après, se trouvaient désormais nettement et à jamais séparés. Car ce temps historisé, ce « temps identificatoire a été détruit par le génocide, quand toute la temporalité est désormais marquée du sceau de l’effondrement » (Waintrater, 2009, p. 417). Le moment du génocide reste un temps auquel la personne est fixée. Il n’y aurait plus d’avant ni d’après. On reste focalisé sur ces événements qui ont frappé, sans aucune possibilité de toucher aux mots qui diraient précisément ce qui a dû se passer, et en se demandant à chaque fois si réellement ces événements ont pu avoir lieu, tellement c’est inimaginable.
14Edith est une jeune dame qui a vingt-cinq ans lors de notre rencontre. Elle a été chef de ménage à l’âge de seize ans jusqu’à dix-huit ans, quand elle se marie. Elle a perdu ses deux parents en 1994, elle avait 10 ans. Elle est maintenant mariée et vit avec son mari. Elle ne vit plus avec ses deux frères, dont elle est l’aînée. Un de ses petits frères, celui qui était un peu plus grand, a directement pris la relève. Elle nous parle de la mort de sa maman pendant le génocide, dans l’impossibilité totale d’être secouru de part et d’autre, dans « le sauve-qui-peut », tout le monde essayant d’échapper, sous la haute surveillance des interahamwe, les milices hutu. Son père s’allie à un groupe de personnes qui se défendent contre les interahamwe en lançant des pierres, il ne revient pas, tué lui aussi.
Edith : «[…] Hein,…j’étais petite, mais je sais que j’étais heureuse et tout va commencer avec la disparition de mes parents. Quand ils ont commencé à tuer, un groupe de gens de ma colline s’est mis à combattre les interahamwe. Ils se défendaient par des pierres qu’ils lançaient aux interahamwe… et mon père n’est plus revenu, il était dans ce groupe-là… qui lançait des pierres. Nous nous sommes dirigés vers une école pour nous cacher. Ma mère était enceinte, presque à terme, elle est sortie pour aller à la toilette et ils l’ont tuée (les larmes aux yeux). […] Un homme nous a sauvé la vie cette nuit où ils ont tué les gens par des balles, et le lendemain, on les achevait, alors qu’ils respiraient encore. […] Je sentais que je n’avais plus mon cœur avec moi, je sentais que je ne serais plus jamais une personne. […] Tout le monde a vu comment on a tué ma mère, j’étais là aussi, je regardais : on l’a frappée avec un bâton qui avait des clous, sur sa tête. On la frappait sur la tête, un peu partout, et nous on essayait de s’enfuir… mais ce n’était pas possible, nous étions entourés par les interahamwe (beaucoup de pleurs). Mais il y a le groupe de quelques hommes qui continuaient à jeter les pierres aux interahamwe, ils voulaient se défendre, vaincre ces interahamwe… mon père était dans ce groupe-là, je ne le voyais plus, il était déjà mort (long silence) ».
16Pendant le génocide, il ne fallait pas qu’Olivier sorte de chez lui, pour ne pas se faire reconnaître et se faire tuer. C’est un garçon âgé de 25 ans quand il nous parle. Il avait 11 ans en 1994. Il a vécu très peu de temps avec son père, qui est mort juste après le génocide. Il est resté avec sa maman, décédée en 2001 suite à une maladie. Il est le second d’une fratrie de quatre enfants. Il est devenu enfant chef de ménage à 17 ans. Il est responsable de son grand frère, malade mental, qui a 21 ans, de son petit frère qui a 16 ans et de sa petite sœur cadette dont il ne connaît pas très bien l’âge et qui a entre 8 et 10 ans. Il nous raconte comment il a dû s’enfuir pendant le génocide, comment ils ont survécu. Comme il le dit, c’était dur, c’était grave, plusieurs personnes ont trouvé la mort là où il était. Après le génocide, le retour chez lui est marqué par des maisons pillées, vides, et c’est encore plus difficile pour sa maman qui doit s’en occuper toute seule.
Nous parlons du génocide, qui a marqué à vie ces enfants, chacun à sa façon. Et ce qui attire aussi notre attention, c’est l’existence d’une dynamique court-circuitée, observée chez eux. Ils reviennent trop souvent sur les éléments traumatiques liés au génocide, et il s’agit de mesurer le poids et les effets de ce qu’ils ont subi, en particulier l’arrachement de l’enfance. Simultanément, cela ne les laisse pas entièrement sous un joug d’écrasement. Ils s’efforcent d’aller de l’avant. Ils nous conduisent à nous demander si leur essai de vie ensemble n’engage pas une sorte d’aménagement voire d’invention d’une structure familiale particulière, remobilisant enfance et parentalité, quelque chose comme « un nouveau milieu où ils vont reprendre un autre développement se sentant fiers d’avoir été capable de surmonter leur trauma » (Cyrulnik, 2008, pp. 214-215).Olivier : « Hein… nous avons pris la fuite et c’était dur : nous avons contourné tout le village de Ruhashya mais nous n’étions pas arrivés à Gikongoro où tout le monde allait… dans la zone turquoise. […] On avait pillé notre maison, mais la maison n’était pas détruite. […] Mais pendant la guerre, nous sommes restés chez nous… enfermés dans notre maison… il ne fallait pas sortir pour ne pas se faire tuer par les gens qui pouvaient nous reconnaître… mais je vous dis, c’était grave, plusieurs personnes ont péri ici ».
Arrachés de l’enfance, projetés dans la responsabilité
18Ces enfants, ces adolescents, ces jeunes, mènent une vie difficile dans les ménages créés. À écouter leurs témoignages, il y a un prix. Ils souffrent de différentes façons. Nous frappe aussi leur façon de toujours s’accrocher. Ils parlent de leurs lourdes responsabilités à assumer très jeunes, d’un sentiment de n’avoir pas eu d’enfance qui s’accompagne du sentiment d’abandon, de solitude et d’angoisse permanente. Edith témoigne qu’elle était tout le temps dans le combat pour survivre. Elle reconnaît le soutien des associations, le FARG (Fonds d’appui aux rescapés du génocide) par exemple, mais elle dit qu’elle s’est toujours sentie seule. Elle aurait bien souhaité être aussi chouchoutée, choyée, gâtée comme les autres enfants.
« […] (les larmes aux yeux) Vivre toujours avec inquiétude, seule… ne pas avoir aussi des parents pour être gâtée, choyée, rire, faire la folle comme les autres enfants… tout est sur ta tête, toujours des problèmes…les associations, le FARG, existent, mais il faut courir, courir derrière eux pour avoir cet argent-là ou d’autres aides […] »
20Nous nous demandons s’il y a eu, s’il y a, pour eux une place donnée aux dimensions d’enfance, d’adolescence ou plutôt de transition ouverte vers la responsabilité adulte. Ne sommes-nous pas en présence d’un raccourcissement forcé de l’enfance, d’un saut par-dessus le passage vers la maturité et d’un élargissement obligé de la parentalité au-delà de leurs limites instituées et instituantes ? Ils semblent être passés prématurément au statut et au rôle de l’adulte, sans préparation ni transition progressives et accompagnées dans la maturation, vers la maturité. On peut s’interroger sur les effets d’un tel empiétement sur l’enfance et sur le passage « adolescent » par la parentalité précoce. Comment devient-on ensuite une personne adulte si l’on n’a pas pu être enfant, et comment passe-t-on brusquement sans aucune transition du statut d’enfant à celui de parent ? Comment prendre la mesure d’une telle négation de ces temps distincts, des transitions entre eux, de leurs tensions dynamiques ? Il convient ici de distinguer ces dimensions elles-mêmes, dans leurs caractères structuraux et leurs articulations dialectiques, et ce qui les prépare, plus ou moins bien, dans le développement de l’enfant en relation avec les autres.
21Dans cette dernière perspective, Winnicott écrivait que « c’est le temps qui passe et les processus de maturation graduels qui aboutissent finalement à l’apparition de la personne adulte. On ne peut ni les accélérer ni les ralentir, mais en intervenant on risque de les interrompre et de les détruire » (Winnicott, 2004, p. 122). Il donnait même conseil à la société : « Pour le salut des adolescents, pour le salut de leur immaturité, ne favorisez pas leur accession à une fausse maturité en leur transmettant une responsabilité qui ne leur incombe pas encore, même s’ils luttent pour l’obtenir » (Winnicott, 1975, p. 202). « L’immaturité constitue un élément précieux du tableau de l’adolescence. C’est là que l’on trouve les traits les plus excitants de la pensée créative, des sentiments neufs et frais, des idées pour une vie nouvelle. […] En cas d’abdication des adultes, l’adolescent devient adulte prématurément et ce, par un faux processus » (id.). Les enfants dont nous parlons, et plus particulièrement les chefs de ménage, sont, par la force des choses, devenus adultes prématurément, selon leurs propres témoignages.
22Jules nous décrit ainsi ses activités en tant qu’enfant d’abord pris en charge, puis comme enfant chef de ménage. Durant la première période, il passe beaucoup de son temps à l’école, ne rentrant que pendant les vacances chez Gilbert, qui le prend en charge. Chaque matin, il doit chercher de l’eau, passer le torchon, etc. De temps en temps, il peut aussi donner un coup de main aux filles qui font la cuisine, surtout pour certaines tâches qui demandent de l’énergie, comme préparer la pâte de manioc. Il peut avoir par ailleurs un job rémunéré mais il faut toujours le signaler à Gilbert qui est responsable et qui définit le programme à suivre. Ils en parlent et en discutent tous ensemble dans le ménage. La seconde période commence quand il se sépare de Gilbert parce qu’ils ne s’entendent plus. Il part avec cinq autres enfants qui faisaient aussi partie du ménage. Ils composent un nouveau ménage dans lequel ils sont trois à avoir conclu l’école secondaire tandis que trois autres n’ont pas encore terminé, ne revenant que pendant les vacances chez Jules. Ce dernier nous dit qu’à trois ils s’organisent plus facilement pour les activités ménagères et que c’est par contre pendant les vacances qu’il faut organiser utilement les journées pour ces écoliers : chacun lave ses habits, par exemple, et ils cuisinent à tour de rôle, ayant à apprendre et exercer une fonction qui est traditionnellement celles des femmes. Il n’y a pas le choix car ils sont tous des hommes. Jules est à la recherche de travail mais sans beaucoup d’espoir. Il n’a pas accès non plus à une formation universitaire, les notes qu’il a décrochées étant trop basses par rapport à la moyenne pour obtenir une bourse d’études. Entre-temps, l’association UCF [4] l’aide à subvenir aux besoins du ménage en le poussant à apprendre à voler de ses propres ailes : il doit réfléchir à un projet générateur de revenus qui soit accepté et financé par l’association. Il devra ensuite arriver à en tirer son propre profit tout en faisant fonctionner le projet, sans solliciter aucun argent supplémentaire. À propos de cette trajectoire, Jules nous avoue, d’un côté, qu’il n’arrête pas de se poser des questions sur son lendemain. Il se demande pourquoi il était de trop quand il vivait chez Gilbert, pourquoi il était allé l’embêter en devant vivre avec lui et pourquoi tout cela lui était arrivé à lui ? D’un autre côté, il dit avoir grandi prématurément en s’occupant toujours des difficultés des ménages, des autres enfants. De tels soucis devraient être pour les adultes et il devrait y avoir quelqu’un pour s’occuper de lui. Il ne ferait pas cela si les parents n’étaient pas morts. Voici ce qu’il dit :
Ce cas, ces propos, font penser au processus de prématuration, que Ferenczi opposait à la régression, et qui peut suivre des moments difficiles, traumatiques, processus qu’il qualifie de « progression traumatique (pathologique) ou prématuration (pathologique) » et qu’il compare « aux fruits qui deviennent trop vite mûrs et savoureux, quand le bec d’un oiseau les a meurtris, et à la maturité hâtive d’un fruit véreux. Sur le plan non seulement émotionnel mais aussi intellectuel, le choc peut permettre à une partie de la personne de mûrir subitement » (Ferenczi, 2004, p. 50). La prématuration est un mécanisme de défense du moi qui endosse un double rôle : c’est un mécanisme de défense qui permet la survie, se traduisant la plupart du temps par une grande maturité, une fausse autonomie et une suradaptation, et qui simultanément renforce le déni, le clivage, protégeant du sentiment du vide, de l’anéantissement.« Pour moi, être enfant chef de ménage, c’est être orphelin très jeune, en plus de cela sans aucune personne pour s’occuper de toi, et pire encore tu vis dans de très mauvaises conditions. C’est grandir prématurément (« n’ugukura imbura igihe ») en te préoccupant des problèmes du ménage, des autres enfants, et comme enfant qui est pris en charge aussi tu te poses toujours la question sur ton lendemain. (Silence) De telles idées sont pour les adultes. Si nous avions les parents… (Long silence)… on ne penserait pas comme ça. Vous voyez, quand j’étais chez Gilbert., je me demandais pourquoi nous devons l’embêter chez lui, pourquoi moi ? »
Une parentalité précoce : être « comme des parents » à la différence d’être parents
23Les enfants chefs de ménage font ce que feraient les parents. Ils font cela parce que les parents ne sont plus là, ou un autre adulte qui jouerait le rôle de substitut. Ils se font du souci, ils s’inquiètent de l’avenir des plus petits et d’eux-mêmes également, ils luttent pour leur survie chaque jour pour le lendemain.
24Gilbert est un garçon né en 1982, il a 26 ans maintenant. Il a perdu ses deux parents pendant le génocide. À l’âge de 12 ans, après le génocide, lui et ses frères sont allés vivre dans un orphelinat et c’est à l’âge de 18 ans qu’il est devenu chef de ménage. Il est le second dans la fratrie de 7 enfants. Il est chef d’un ménage composé de ses 6 frères, plus 9 autres enfants sans aucun lien de parenté. Ils sont 10 garçons et 5 filles. Bien qu’une religieuse et le FARG soutiennent financièrement le ménage, ce sont lui et les autres du ménage qui sont les premiers à chercher et trouver des solutions à leurs problèmes. Quand il y a un enfant malade par exemple, ils l’emmènent à l’hôpital. Et c’est souvent vers Gilbert que les regards se tournent pour lui demander ce qu’on fait, pour lui dire ce dont on a besoin, comme s’il était un parent. Il fait ce que font les parents. Il se considère comme un grand frère, même pour ceux avec qui il n’a aucun lien de parenté. Il assume de lourdes responsabilités, jusqu’à se considérer comme un parent pour eux, jusqu’à se mettre à la place des parents. Il trouve qu’il est respecté comme un grand frère, en même temps comme un père ou une mère, vu la position dans laquelle il est.
Gilbert : « […] Hein… nous devons seuls trouver des solutions à nos problèmes : quand un enfant est malade, nous l’emmenons à l’hôpital, nous lui apportons à manger, etc. […] C’est à moi qu’ils demandent, je suis en même temps comme leur père et leur mère. (Silence) […] Un enfant demande soit à son père ou à sa mère, ici c’est moi qu’ils regardent (triste) […], les autres de mon âge peuvent aller s’amuser, prendre un verre, alors que moi à ce moment-là je pense à ce que je dois acheter pour le ménage, à gérer de l’argent etc. […] Vous voyez, c’est moi qui suis chargé de tout. Eh, eh, eh,… ils viennent vers moi comme le font les enfants vers leurs parents. (Silence) … moi, je les considère comme mes petits frères et petites sœurs même ceux-là avec qui on n’a aucun lien de parenté. Je leur apprends à vivre seuls, car je ne serai pas toujours avec eux […] Hein,… ils me respectent comme leur frère, je suis en même temps comme leur père et leur mère ».
26Olivier témoigne aussi dans le même esprit : « C’est nos parents qui devaient comprendre nos problèmes. Quelques voisins viennent… ou pas, les autorités locales… c’est nous qui devons aller les chercher et leur parler de ce qui nous est arrivé ».
27Dans la nouvelle structure familiale recréée, les enfants chefs de ménage jouent le rôle des parents sans être parents, ils se considèrent « comme des parents ». Il ne s’agit pas d’incarner son parent, de prendre sa place, de le déloger ou de le supprimer, il s’agit plutôt d’entretenir un modèle, de trouver appui sur lui, de préserver quelque chose du parent, de sa place qui par ailleurs reste irremplaçable. Personne ne peut s’égaler au parent, personne ne peut occuper sa place. Comme on le dit en Kinyarwanda « urutugu rurakura ntirusumba ijosi » : jamais les épaules ne peuvent grandir et dépasser le cou. Celui-ci est toujours au-dessus des épaules.
28Alphonse est un garçon qui a 20 ans. Il a perdu ses deux parents pendant le génocide, quand il avait 6 ans. Il est le deuxième dans la fratrie de quatre enfants. Sa sœur, qui était chef de ménage, s’est mariée en 2003, et c’est Alphonse qui a pris sa place, à l’âge de 15 ans. Il est responsable de son petit frère qui a 13 ans et de sa petite sœur qui a 10 ans à ce moment-là. Il va ainsi nous dire : « Je ne suis pas un parent, j’élève mes frères pas comme un parent, comme un grand frère. Ils ne doivent pas faire du n’importe quoi, eh… pas de gaspillage. Je dis toujours à mon petit frère : il faut savoir te comporter comme quelqu’un qui n’a pas de parents […]. Sans espérer que je ferai tout pour toi ou que je ferai des miracles, Mhuu…, on travaillera ensemble et on verra ensemble. Je ne suis pas un parent qui te donnera tout ce dont tu as besoin ».
29L’enfant chef de ménage reçoit un statut qui lui est donné et l’assume sans prétendre être parent. Il compense pour lui et les autres l’absence des parents, comblant le vide sans prétention à les remplacer. On ne peut pas s’identifier absolument à un parent « titulaire », « attitré », qui n’est plus là. On ne le conteste pas, on l’honore, on joue le rôle de substitut dans une logique de fidélité et de loyauté. Avec la loyauté, « un lien d’allégeance rattache l’humain à son ancêtre : c’est une dette à l’égard d’une origine fondatrice. Elle induit un rapport d’obligation pour sa descendance » (Michard, 2005, p. 177). Jamais elle n’est décidée dans l’instant, elle ne donne pas lieu à un choix à faire sinon que « d’accrocher le sujet à une histoire, elle l’enracine dans un contexte » (Id., p. 174). Cette loyauté engage la transmission, court-circuitée dans le génocide. Nous pensons en effet que si l’enfant chef de ménage se sent comme le parent de manière empathique et loyale pour adopter ou s’approprier une place et une fonction parentales, les places et fonctions des parents restent là, présentes dans leur absence, il tente de les présentifier, de les représenter, de leur donner vie et d’attester, en les exerçant, de leur survivance et de leur transmission.
30Nous comprenons la réaction surprenante de Kayitesi qui, elle-même enfant chef de ménage, confirme dans son ouvrage qu’il n’était pas question pour elle d’être une mère pour ses petits frères : « J’aurais aimé jouer plus le rôle de sœur, moins celui de mère. Car je ne me suis jamais sentie moi-même dans ce rôle. Quand ma sœur m’écrivait ou m’appelait maman, je l’en empêchais avec force, lui disant de m’appeler par mon prénom » (Kayitesi, 2009, p. 283).
31Trois remarques d’explicitation théorique de nos propos doivent ici être formulées. Premièrement, nous distinguons adoption et appropriation de la parentalité selon que l’enfant a émergé ou non à la dialectique de la personne évoquée plus haut. Dans les deux cas, il participe à la transmission. Mais, dans le premier cas, il s’inscrit dans le prolongement, fût-il adapté à la situation, de ce dont il s’est imprégné de ses parents. Dans le second cas, il s’approprie l’héritage des parents, dont il reçoit le don et à la fois qu’il désapproprie pour s’en réapproprier et contribuer personnellement à la transmission.
32Deuxièmement, le lecteur aura noté que nos propos portent ici plus spécifiquement sur l’enfant chef de ménage, dans la responsabilité qui est la sienne. Ils valent néanmoins par procuration pour les autres enfants du ménage, quoique d’une façon variable selon le rapport de chacun avec la responsabilité. Il convient en effet de garder à l’esprit que tous les enfants du ménage participent et/ou contribuent à une structure et à un système de relations, et que celles-ci concernent et mobilisent chacun. C’est la totalité du ménage qui se structure autour des identités et responsabilités respectives, et en particulier entre celles du chef de ménage et des autres. Et c’est dans le système des relations qui s’établissent et se négocient entre eux tous que cette structuration familiale se trouve sans cesse remise en jeu et relancée.
33Troisièmement, nous recourrons à une conception anthropologique de la parentalité, comprise comme la mise en forme et l’exercice humains de la responsabilité vis-à-vis de l’enfance, processus que nous essayons d’appréhender et de définir plus spécifiquement dans la réalité que nous abordons au Rwanda. Être parent, ce n’est bien entendu pas être géniteur. Cela implique un traitement et une transfiguration du rapport de génitalité liant naturellement une génération avec la suivante. Et cela prend des figures sociales diverses et changeantes. Comme l’écrit Quentel (2001, p. 25) : « La parentalité, contrairement à la génitalité, est affaire de culture », la culture étant l’ensemble des capacités qui sont propres à l’homme. Le parent éduque son enfant, assume la responsabilité pour lui, réalisant sa fonction parentale au-delà du seul fait d’être géniteur.
Qu’est-ce qu’être enfant et parent dans nos ménages d’enfants ? La prise en considération, très claire chez les enfants chefs de ménage au Rwanda, de la place du parent et de ses fonctions, par distinction mais en parallèle avec celles qu’ils prennent eux-mêmes, si elle indique leur essai d’inscription précoce dans la transmission, ouvre néanmoins la question du comment : comment ont-ils fait, comment font-ils pour jouer ou assumer ce rôle pratiquement sans parents ?
Nous parlons en effet à leur propos d’une parentalité précoce pour privilégier la vision d’un enfant qui joue le rôle de parent et le reste aussi longtemps qu’il assume ses fonctions de responsabilité et sert de relais à la transmission dans ce contexte singulier. Une façon de prendre la question du « comment ? » est d’appréhender cette parentalité précoce sur l’axe de la pratique car, comme le dit Houzel (2002, pp. 61 et 72), c’est un axe « correspondant aux tâches quotidiennes des parents, aux soins parentaux. […] Ces actes sont les soins physiques et psychiques à l’enfant, les interactions comportementales, les pratiques éducatives, etc. » L’auteur remarque que « quelle que soit la situation familiale et le projet à long terme que l’on peut faire pour l’enfant, la continuité des soins reste la première condition pour préserver sa santé physique et psychique » (Houzel, 1999, p. 161). Cet accomplissement pratique de la parentalité doit être situé ici dans le cadre d’une nécessité, forcée, sur le fond de la disparition des parents, de la déprivation provoquée et de l’horreur qui y a présidé. En ce sens, Waintrater souligne dans ces ménages d’enfants au Rwanda la dimension de parentification. C’est un rapport « parentifiant, les enfants sont obligés de se substituer aux parents […] empêchés d’assumer leur fonction d’étayage » (Waintrater, 2009, p. 418). Ceci invite plutôt à se demander sur quoi s’appuient ces enfants dans la pratique de leur fonction parentale précoce.
Une transmission familiale : images, paroles, souhaits hérités des parents
34Se dégage de nos entretiens avec des enfants chefs de ménage l’existence de repères identificatoires à l’image parentale et familiale d’avant le génocide. Ils nous disent que c’est du modèle parental auquel ils se réfèrent et de paroles et souhaits reçus de leurs parents qu’ils tirent leur force pour survivre et aller de l’avant. Commençons par présenter quelques aspects de cet appui et de cette relance dont ils nous parlent.
L’image modèle des parents
35Ces enfants qui vivent seuls dans les ménages gardent en eux l’image d’un parent exemplaire à qui ils souhaitent ressembler. Cette image motive, aide à progresser, constitue un modèle qui permet de faire face aux difficultés. Olivier mène une vie difficile mais il ne lâche pas, car il faut faire comme son père, qui est un exemple à suivre. Ainsi témoigne-t-il : « […] nous essayons de suivre leurs exemples (il s’agit des parents) « gutera ikirenge mu cyabo [5][…] nous devons arriver à faire ce que faisait notre père […] Il a été un bon exemple ».
36Vivre avec les gens n’est peut-être pas toujours facile mais comme sa mère y est arrivée, Olivier a essayé de faire comme elle. C’est vraiment un modèle à suivre non seulement du point de vue relationnel mais aussi par son esprit du travail. Pour elle, faire comme sa mère est un défi à relever au jour le jour. « Normalement j’essaye de vivre en bonne entente avec les gens comme le faisait ma mère […] ma mère est arrivée à construire une autre maison après le génocide, avec beaucoup de difficultés… elle était seule à le faire ».
Les conseils des parents
37Les parents des enfants chefs de ménage ont disparu. Mais ces derniers nous ont témoigné maintes fois de la présence de leurs parents, qui les accompagnent par une parole, une parole prononcée le jour où ils devaient mourir ou alors en des circonstances anodines à la maison comme lors de l’« ibitaramo », veillée traditionnelle où les parents transmettaient un savoir être et vivre à leurs enfants à travers les contes, les légendes et leurs expériences de la vie. Cette transmission était orale, de père en fils et de mère à fille. Nous remarquons un accrochage à cette parole des parents qui est restée ancrée dans le cœur de plusieurs enfants. C’est par elle qu’ils peuvent dès lors se ressourcer, trouver de la force pour aller de l’avant, pour persévérer dans la vie.
38Jules est un jeune homme qui a 25 ans. Il avait 11 ans après le génocide. Il a perdu ses deux parents, ses 2 petits frères et ses 5 sœurs pendant le génocide. Il est le cinquième de sa fratrie. À 17 ans, il est pris en charge par Gilbert (l’enfant chef de ménage que nous avons rencontré). Il va être enfant chef de ménage à son tour à 20 ans et aura à sa charge cinq enfants sans lien de parenté, deux qui avaient 15 ans, deux autres 11 ans et le plus petit 10 ans. Il se réfère à la parole de son père pour devenir acteur de sa vie. « Ils me donnaient des conseils… (silence)… mon papa me disait toujours, vas-y mon fils, il faudra que tu sois un homme. Il le disait pour m’encourager et me féliciter souvent. Il ne faut pas être un chien, « nti wihe rubanda » ( ça veut dire, il ne faut pas être un objet de moquerie) […] Hein… je pense qu’il faut chercher à devenir quelqu’un, un homme, comme le disait toujours mon père ».
39Même si ce n’est peut-être pas facile d’y arriver, Olivier n’oublie pas ce que lui a dit sa maman : vivre en bonne relation avec ses frères. Pour lui, avoir cela dans sa tête, c’est dès lors se dire qu’il y a une ligne de conduite à suivre. « Ma mère m’a confié mes frères, elle me disait : vous devez rester unis, soudés,… éviter des conflits entre vous ».
Ce qu’on a appris des parents, des membres de la famille
40Les interviewés parlent de ce qu’ils ont appris de leurs parents ou des membres de la famille, qui leur servent de guide et leur permettent de jouer le rôle de parent en tant qu’aîné dans ces ménages d’enfants. Gilbert est un garçon de 28 ans maintenant. Il a perdu ses deux parents pendant le génocide. Après le génocide, à l’âge de douze ans, lui et ses frères vont vivre dans un orphelinat. C’est à l’âge de 18 ans qu’il devient chef de ménage. Il est le second dans la fratrie de 7 enfants. Il est chef d’un ménage composé de ses six frères plus neuf autres enfants sans lien de parenté. Il transmet aux enfants qu’il prend en charge ce qu’il a lui-même appris et gardé de ses parents. C’est bien là sa référence. « Je leur dis ce que j’ai appris aussi de mes parents : enlever l’uniforme quand je reviens de l’école, garder les veaux, etc. […] »
41Olivier, que nous avons présenté plus haut, a appris à travailler par sa maman et il avoue qu’il avance grâce à cela. […] (Soupir) « Normalement maman était quelqu’un qui aimait le travail… elle m’a appris à travailler comme elle… je gagnais de l’argent… et ma mère pouvait compter sur moi. […] j’avance sur base de ce que j’ai appris d’elle ».
42Élise a perdu ses parents pendant le génocide. Elle a 24 ans et vit avec sa petite sœur de 23 ans, sa cousine paternelle de 16 ans et un cousin paternel de 17 ans. Elles commencent à vivre ensemble quand Élise a 20 ans et c’est elle qui est l’enfant chef de ménage. Après le génocide, elle a vécu avec un oncle paternel, puis elle refuse de vivre chez lui et prend un beau jour la décision de rester à l’école, dans un internat. Le directeur de l’école prévient les entités administratives qui s’en chargent et via une des associations, une maison lui a été octroyée pour y vivre avec sa petite sœur et ses cousins. Elle garde en elle cette parole qui lui a appris à être modeste et patiente, elle reste fidèle à cette parole même si l’auteur n’est plus. « […] Mhuuu…, chez nous, mon grand père nous disait : vous devez tout manger, il ne faut pas choisir à manger… il nous apprenait la modestie et la patience ».
La nomination
43Le nom donné à un enfant a toujours un sens au Rwanda, au Burundi, pays qui ressemble beaucoup au Rwanda, et ailleurs en Afrique. Au Rwanda comme au Burundi, le nom donné à l’enfant lui est propre, il véhicule l’histoire des parents, leur volonté, leurs vœux, la réalité sociale du moment, etc. Comme le précise Léandre Simbananiye (2002, p. 48), la nomination permet « de se diffuser et de se conserver dans la mémoire collective de la communauté ». C’est encore une forme de loyauté à ses origines, telle que nous l’avons évoquée plus haut.
44Le frère d’Élise porte un nom qui est un message pour lui et pour toute la famille. C’est un message qui, dit-elle, la poussera à travailler pour mériter ce qu’elle a. Elle est aussi le produit de son histoire familiale et le nom de son petit frère ne la laisse pas indifférente. Elle ne devra pas attendre pour dépendre des autres. Quelles que soient les circonstances, elle doit s’engager, s’impliquer dans le travail pour gagner sa vie. « Hein… mon père avait donné le nom à mon petit frère : « Haba kwiha » (ce qui veut dire : c’est toi seul qui te procure l’avoir). « Mon père voulait dire que personne d’autre ne pourra te donner si tu ne cherches pas toi-même… il faut arriver à mener ta vie sans quémander… et c’est pourquoi je me bats pour y arriver ».
45Ces extraits de nos entretiens témoignent d’une dignité remarquable chez les enfants chefs de ménage. Ils ont posé un choix à partir du modèle familial, qui continue à être considéré parce que transmis par un ou par les parents. Pour ces enfants, il est hors de question d’être enfant de la rue. C’est même un repoussoir pour eux. Il faut devenir un homme, comme aimaient le dire leurs parents, pas un chien et, notablement, pas un enfant de la rue qui quémande. Ils veulent en effet devenir ce que leurs parents souhaitaient qu’ils soient. L’enfant chef de ménage porte le parent et veut réaliser sa volonté, car il recèle en lui sa parole et son image. On remarque une forme d’idéalisation et d’intériorisation conduisant le jeune chef de ménage à s’identifier à une relation qu’il a eu avec le parent, une relation qui reste présente et qui le guide, constituant désormais une base fondatrice pour sa vie future.
S’élever soi-même à partir de l’héritage parental
46Nous pouvons maintenant poursuivre sur cette base notre questionnement à propos du comment. Comment font ces groupes d’enfants et en particulier les chefs de ménage pour soutenir le ménage qu’ils constituent, comment font-ils pour assumer la fonction parentale ? Traiter cette question nous permet de revenir à l’hypothèse avancée dans ce travail, selon laquelle les ménages d’enfants au Rwanda après le génocide des Tutsis sont une façon de recréer nouvellement une structure familiale. Nous avons indiqué en chemin qu’une telle création, en sa double face d’alliance entre pairs et de structuration des responsabilités, implique une émergence à la personne et une mobilisation de sa dialectique.
47Il nous semble essentiel de repérer ici que tous les mots, gestes, souhaits et modes d’être issus des parents et qui s’avèrent porteurs pour les enfants des ménages poussent à assumer en propre une position et un rôle personnels ou prennent ce sens pour eux lorsqu’ils nous en parlent. Il y va de ne pas lâcher même si c’est difficile, de pouvoir construire seule sa maison si nécessaire, d’être quelqu’un, un homme, quelqu’un qui compte et sur qui on peut compter, d’être capable de travailler pour vivre, de ne compter que sur soi-même pour obtenir ceci ou cela, de soutenir la solidarité de la fratrie ou du groupe par-delà les conflits, etc.
48Ces héritages parentaux sont des points d’appui, mais qui relancent, tirent vers le haut, poussent vers l’avant, invitent à rester debout, à marcher, à construire, à obtenir, … Dans cette perspective, nous voyons la nouvelle forme « familiale » comme résultant non seulement d’une poussée à suivre ces dits, ces faits, ces modèles, ces vœux des parents disparus mais essentiellement, sur cette base, d’un processus de création, d’un essai de recréation. Nous pourrions dire que ce dont ces enfants ont hérité des parents, de la famille, ce qui leur a été transmis et dont ils s’approprient, ce sont des ingrédients pour ce processus de construction personnelle et sociale qu’ils mettent en œuvre dans une famille d’enfants et une parentalité précoce.
49Malgré les atteintes destructrices au cadre humain qui organisait familialement leur vie dans la continuité et la sécurité, ces enfants orphelins, et en particulier ceux responsables d’autres enfants dans les ménages, ont gardé et ravivé un étayage solide articulé autour des figures parentales et des valeurs véhiculées par le milieu familial dont ils sont issus et dont la référence permet de rester debout et s’élever pour ne pas être écrasé par les événements, et ainsi pouvoir survivre en recréant de la famille. Il vaut la peine d’approfondir l’articulation entre ce qui a été reçu et gardé des parents et la création et recréation nouvelle que cela permet.
50Rappelons d’abord que nous parlons d’une structure familiale dès lors que les relations qui s’organisent entre les enfants sont implicitement structurées par les rapports définissant les identités et les devoirs respectifs entre membres appartenant à un même ménage et entre le chef du ménage et ceux qui sont à sa charge. Il est important de garder clairement à l’esprit cet ensemble pour avoir accès à la réalité du ménage et de la parentalité dans sa structuration intérieure et dans ses relations manifestes.
51Ces enfants orphelins vivent donc sans aucun parent ni adulte dans les ménages. Ils ont vu leur vie basculer d’un coup, d’une façon abrupte. Malgré un parcours extrêmement difficile, ils ont ce souci vital, ce désir de préserver une organisation de la vie sur un modèle familial qui s’appuie par exemple sur une parole des parents, à laquelle ils s’identifient. Ils ont intégré subjectivement un modèle, y sont attachés affectivement et s’en approprient personnellement d’une telle façon que cela leur donne une force impressionnante et leur permet d’aller de l’avant. Ces enfants sont en quelque sorte devenus capables de créer un lien, une relation humaine avec leur ascendance, à travers ceux dont ils ont hérité de cette parole, cette volonté. Ils y trouvent le soutien vital et la poussée nécessaire à trouver une nouvelle forme de vie, à créer une structure peu ordinaire, celle du ménage d’enfants, à partir d’où recréer les choses. Sans doute Munyandamutsa (2005, p. 89) n’a-t-il pas tort de prolonger les mots de Paul-Claude Racamier : « Vivre, c’est se créer » en précisant qu’il devrait dire « dans notre contexte, que vivre, c’est se recréer ».
52Evoquant la situation des enfants survivants de la Shoah, divers auteurs se sont intéressés au souvenir parental, familial. Gampel (2005, p. 34) montre bien que malgré le vide laissé par la séparation brutale, la mort, la perte des parents chez ces enfants, c’est comme si un « déplacement se produisait : cet objet, cette réminiscence visuelle, sonore ou olfactive devient un symbole d’amour primaire, et l’enfant, en continuant à porter en lui cet objet vivant, peut préserver sa vie psychique ». Cet objet qui soutient psychiquement est une « illusion métaphorisée, un objet thésaurisé », dit-elle (Id.). C’est le maintien de la « fonction objectalisante » que Green (1993, p. 118) définit comme la capacité de « faire advenir au rang d’objet ce qui ne possède aucune des qualités, des propriétés et des attributs de l’objet ». Waintrater (2009, p. 165) considère que la parole, le geste paternel ont pu remplir une fonction « d’objet phare de survie […] : celui qui indique la capacité du survivant à transformer les restes d’environnement humain en pivot du narcissisme de survie […] qui éclaire le dur chemin que le jeune enfant va devoir parcourir […] guide de loi ». Kestenberg et al. (1988, p. 1401) soulignent que « des mots d’adieux tels que ‘tu dois survivre’ ou ‘je t’aime’ qui sont des affirmations de vie contribuèrent à renforcer la volonté de vivre » de ces enfants de la Shoah. Les auteurs considèrent cela comme du narcissisme tertiaire pour indiquer qu’il se produit un passage vers « un hyper-investissement libidinal dans le corps, la satisfaction des besoins vitaux et les fonctions du moi » (Id.).
53Rejoignons maintenant notre propos antérieur. Il nous a été donné d’observer que retrouver ces objets ne suffit pas. Le plus saillant est que ces objets idéalisés, intériorisés, devenus véritables sources d’identification, noyaux de survie, sont aussi ceux à partir desquels peut se lancer et se relancer le processus humain de construction de Soi et d’Autrui. Comme nous l’avons indiqué, c’est sur base de ces objets que les enfants puisent leur énergie, mais aussi sur cette racine que pourra pousser ce qui devient leur projet personnel d’existence, non plus seulement comme enfants mais comme jeunes, jeunes adultes, précocement, au moment où leur incombe de devenir personnellement porteurs de la vie sociale, simultanément pour eux-mêmes et pour autrui. Ils deviennent alors eux-mêmes porteurs du lien familial et de l’engagement parental dont ces paroles, ces volontés, ces façons de vivre étaient porteuses. Y être fidèle, s’y tenir, en être l’obligé c’est œuvrer aux conditions et à la transmission de l’humain, reçu et à poursuivre soi-même et en communauté, au-delà, précisément, de son écrasement dans le génocide et ce qui l’entoure.
Nous pensons que si ces objets transmis peuvent mobiliser et remobiliser la dialectique humaine et humanisante de la personne chez ces jeunes, c’est parce que le message qu’ils recèlent et le sens qu’il prend sont humanisants. Ils sont comme un don adressé personnellement aux enfants qui les appelle et les enjoint à devenir eux-mêmes personnes à part entière dans l’adversité. Dans le contexte de la disparition inhumaine des parents et de la famille, ils sont un ferment nécessaire à la recréation d’une structure familiale porteuse d’un avenir humain. Avoir pu recevoir en héritage quelque chose qui humanise pousse à essayer de s’humaniser soi-même et transmettre à son tour ce qui humanise. C’en est aussi une condition.
Cette dialectique de la transmission contrecarre et peut peut-être décourager l’idéologie même du génocide et son objectif d’épuration de tout un peuple jusqu’à ses origines. Il nous semble qu’atteindre cette finalité reste impossible. Comme en témoigne la sagesse rwandaise, « nta muryango uzima », une famille ne peut disparaître complètement, « nta n’abapfira gushira », jamais tout le monde ne peut mourir d’un coup. Ces enfants essayent de faire revivre à leur façon, d’une manière très énergétique et surprenante, les parents et les familles dont ils sont issus, malgré le prix qu’ils ont payé et qu’ils payent encore. Une telle recréation de leur vie familiale s’appuie sur la transmission et y contribue. À propos des héritages familiaux, Courtois (2003, p. 86) a rappelé les « effets créateurs de la transmission […] Elle rejoint la vitalité, les potentialités, les ressources de l’être humain, en se centrant sur les capacités d’adaptation, de « rebond » ou « d’élasticité » des familles et des personnes en situation ou non de stress ». On se rend bien compte que cette transmission est celle qui institue et constitue la vie sociale comme telle. Recréer de la structure familiale, c’est contribuer à la reconstruction du social. Il importe donc maintenant, dans le dernier temps de ce texte, d’évoquer comment la (re)mobilisation de la dialectique de la personne dont témoignent les ménages d’enfants façonne la vie sociale autant qu’elle y trouve aussi des points d’appui.
Créer de l’appartenance et de la filiation
54Les enfants qui vivent dans les ménages appartiennent et collaborent le plus souvent à plusieurs groupes et associations qui se sont constitués au fil du temps autour d’objectifs surtout utilitaires et pragmatiques. Dans leurs témoignages, ces enfants font la part des choses : ils reconnaissent l’apport de toutes ces entités, des services qu’elles leur rendent, tout en mettant l’accent sur celles dont ils bénéficient dans une visée autre qu’utilitaire.
55Ils disent y « être bien ensemble » et cela malgré les difficultés qu’ils peuvent vivre dans les ménages. C’est comme s’ils s’y trouvaient comblés par quelque chose de l’ordre d’une gratuité, comme c’était le cas dans leur famille qui n’existe plus. Pour eux, s’y retrouver seulement pour parler ensemble, c’est extrêmement précieux. C’est ainsi que certains groupes furent créés très naturellement à l’initiative même de ces enfants, des espaces de parole, où l’on est plus confiants, plus en sécurité, où on peut déposer, recevoir aussi.
56Ainsi existe-t-il par exemple des familles dites « artificielles », comme au sein de l’AERG qui est une association d’étudiants rescapés du génocide. Elle rassemble des jeunes enfants et adolescents, étudiants rescapés du génocide, dans des groupes appelés « familles », comportant des « parents » et des « enfants » presque du même âge. Les dits « parents » donnent des conseils, viennent en aide à ceux considérés comme « enfants », et cela de différentes façons et dans diverses situations de la vie.
57Bien entendu, il est indispensable de leur apporter le soutien matériel, financier, etc., dont ils ont besoin. Mais, comme le disait Mgr Jean Rucyahana, « abo bana bibana sab’imidigudu », ces enfants qui vivent seuls dans les ménages n’appartiennent pas aux villages, aux agglomérations où ils vivent. Il rappelait ainsi que ces enfants appartiennent à la société rwandaise et que cette dernière ne doit pas les abandonner. Plus que jamais, ils doivent être entourés, soutenus, reconnus. On ne peut se contenter de leur offrir un toit, de quoi manger, différents dons. Il s’agit de leur rendre quelque chose de l’ordre du symbolique, quelque chose de ce qu’ils ont perdu avec la disparition atroce de leurs parents en tant que modèles identificatoires les appelant à devenir ce qu’ils sont.
58Au Rwanda comme ailleurs, l’appartenance et la filiation se déclinent l’une à travers l’autre. Chaque enfant construit son identité et ses liens en se référant à ses parents dans une structure familiale qui noue les rapports entre les générations. Or c’est cette référence, cette référence aux origines de la famille, au principe même d’origination, qui a été attaquée voire qui a disparu, confrontant ces enfants à « la potentialité psychotique » (Aulagnier, 1975) qui rend l’individu incapable de se relier ou de se reconnaître dans le discours de l’ensemble.
59De nombreux auteurs ont montré l’importance d’une dynamique de recréation d’appartenances groupales, familiales et intergénérationnelles dans des situations comme celle que nous évoquons. Comme l’explique Waintrater (2009, p. 418), le besoin de reconstitution des familles chez les jeunes rescapés au Rwanda est « le signe de l’urgence psychique provoquée par la destruction symbolique des liens de filiation : à la filiation naturelle se substitue ainsi une affiliation élective à un groupe, solution provisoire, préférable à la désaffiliation totale des premiers temps d’après le génocide ». Et comme le rappelle Jacques (2001, p. 194-195), « le groupe constitue un cadre contenant dont les effets sont thérapeutiques, au même titre que ceux du cadre thérapeutique individuel. […] le besoin de créer du lien à travers des associations […] est le symptôme d’un sujet contemporain qui s’interroge sur ce qu’il est, à la fois comme individu singulier et comme être social ». Munyandamutsa (2005) en appelle à la nécessité de renouer avec les liens générationnels, d’être inscrit et de s’inscrire dans une appartenance sans laquelle on ne peut pas vivre.
60Nous pouvons suivre maintenant cette partie de l’entretien mené avec Jules (présenté dans les pages précédentes) et deux autres enfants qui sont sous sa responsabilité au sein du ménage. Ils nous parlent d’un groupe auquel ils appartiennent, celui qui a leur préférence, qu’ils ont contribué à créer, de ce qui le définit, des échanges qui peuvent s’y produire, des responsabilités qu’on y assume, de son origine.
61Pierre : Laisse-nous te parler de l’association Humura car c’est pour nous la plus importante (tous rient)… C’est une des associations qui nous apporte énormément, des idées constructives surtout… Humura, c’est une association des orphelins du génocide de 1994 qui sont devenus enfants chefs de ménage.
62Martin : Nous sommes en tout, 23 ou 24 familles au sein desquelles vivent 94 enfants. Et c’est vraiment les enfants qui vivent seuls et qui s’élèvent… sans aucun adulte… qui ne vivent pas chez une tante ou un oncle par exemple… c’est comme tu nous as trouvé ici… les enfants qui ont perdu leurs parents pendant le génocide.
63Pierre : Il y a beaucoup d’associations, la nôtre a sa particularité… elle comprend les enfants orphelins du génocide qui s’élèvent. (Voix calme et convaincante). C’est-à-dire que ces autres associations comme l’UCF comprennent un groupe d’enfants réunis dans un groupe appelé Dukundane… là ce sont les enfants… tous les enfants orphelins… c’est ça la différence.
64Martin : (silence) Je disais donc que l’association Humura nous aide à réfléchir… à être patient et à arriver à vivre toutes les situations de la vie… parce parfois il y a un enfant handicapé qui se plaint parce qu’il n’a pas de savon de lessive… toi qui es normal tu en tires une leçon… Et tu te dis, moi qui suis normal… comment puis-je manquer d’un savon ? C’est une autre expérience de la vie. Une autre chose, on se donne beaucoup de temps pour le dialogue… entre enfants… où les plus grands aident les plus petits qui sont encore à l’école.
65[…] Mais nous sommes quand même parmi les grands parce que nous avons terminé l’école secondaire… et il y en a d’autres qui étudient encore… et pour eux c’est important de se dire que si les autres ont pu réussir… nous devons faire le possible pour y arriver comme eux. La plupart des fois on discute sur cette réussite… et aussi on cherche des solutions à nos problèmes, c’est possible qu’il y ait un enfant qui n’ait pas l’argent suffisant pour acheter son ticket de transport vert Kigali… moi qui étudie dans les environs alors que j’ai mille francs que je n’utiliserai pas dans l’urgence, quand lui n’a que mille cinq cents, je dois lui ajouter un peu des sous qui lui manquent pour qu’il ait la totalité… sans toutefois être égoïste […]
66[…] je suis dans le comité organisateur mais ce n’est vraiment pas une grande responsabilité… et donc dans Humura nous nous voyons souvent surtout pendant les vacances car notre association est faite des élèves du secondaire, qui sont nombreux, et les autres comme moi qui ont terminé. Le comité organise des rencontres une fois le mois d’habitude mais quand c’est pendant les vacances, les rencontres sont régulières… une fois la semaine… c’est-à-dire quatre fois le mois. Tu comprends que les activités sont plus organisées pendant les vacances […]
67[…] Nous avons un président, un vice-président, un trésorier, un secrétaire, deux conseillers, un disciplinaire, un animateur… tous, on est au nombre de huit.
68C : Si j’ai bien compris, vous appartenez à l’association Uyisenga n’Imanzi dans le groupe Umushumba mwiza, vous appartenez également à l’association UCF dans le groupe Dukundane. Et Humura, un troisième groupe auquel vous appartenez, a été créé comment ?
69Pierre : Hein… Humura a été créé (soupir)… en fait quand une personne pose seule son problème, elle n’est pas comprise comme quand le problème est posé par plusieurs personnes… c’est comme ça que l’idée est venue… quelques personnes y ont réfléchi et sont venues me voir en me disant : est-ce que tu trouves vraiment que ça pourrait être possible ? J’ai été tout de suite d’accord et ils m’ont demandé de le dire à Martin aussi et c’est ainsi que le groupe a généralement commencé… et on s’est mis ensemble, nous étions une dizaine à ce moment-là… et nous avons décidé de chercher les enfants orphelins du génocide seulement qui s’élèvent dans leurs ménages… là ça a démarré, nous avons averti les autorités locales, nous avons aussi informé l’association AERG qui fût notre porte-parole… petit à petit nous avons été reconnus et le groupe a commencé en 2007.
70Jules : Au mois d’avril.
71Pierre : C’est à ce moment-là que nous avons commencé à chercher les personnes auxquelles nous pouvions parler de nos difficultés, souhaits et qui souvent répondaient favorablement.
72Ces groupes auxquels appartiennent désormais ces enfants sont des endroits où ils peuvent déposer leur histoire en train de se tisser, comme on le ferait dans sa famille, avec l’espoir d’être écouté. Ce sont des lieux de sécurité, d’expression et de reconnaissance personnelle et collective. Ils accueilleront et contiendrons les épreuves affrontées et à affronter. La vie et les récits des enfants peuvent y prendre sens.
C’est que ces groupes émanent des enfants eux-mêmes, qu’ils attestent de leur identité et de leur responsabilité. Certaines actions entreprises ou soutenues par L’Agence officielle pour le développement et l’aide humanitaire d’outre-mer de l’Église catholique de l’Angleterre et du pays de Galles (Catholic Agency for Overseas Development ), CAFOD en sigle, partent de cette prise en compte incontournable de la démarche personnelle des enfants, du fait que ces groupes sont une des solutions trouvées par ces enfants eux-mêmes pour continuer à exister, à survivre. Soutenir leurs initiatives propres est une façon dynamique d’apporter le soin à « la souffrance de cette des-appartenance […] Il s’agit ici des approches- spontanées qui ont proposé dès 1994 les premiers repères pour les survivants, cela en dehors de toute initiative des professionnels de santé mentale » (CAFOD, 2010, p. 18).
Ainsi existe-t-il des groupes de parole formels et d’autres formes de rassemblement, comme les « ingando », camps de solidarité qu’on caractériserait plutôt comme des activités parascolaires, qui s’organisent pendant les vacances scolaires et réunissent autour de 200 à 300 enfants. C’est un moment d’échange portant sur des thématiques différentes abordées par divers intervenants de tous horizons (médecin, juriste, psychiatre, psychologue, sociologue, historien, etc.). Ce peut être un espace important pour ces enfants, qui peuvent réagir, poser des questions, « s’exprimer et réintroduire aussi la notion de loisir dans leurs vies, dominées pour le reste du temps par la recherche de survie » (Id., p. 43).
Conclusion
73L’émergence à la personne chez ces enfants des ménages et tout particulièrement chez les enfants chefs de ménage, qui jouent le plus souvent le rôle de leader, de frère aîné, leur émergence au social, à la Loi, au monde des adultes implique l’appropriation et en même temps la désappropriation personnelles de l’héritage familial et culturel. Leurs témoignages nous ont révélés, au cœur de cet héritage, les supports de ce processus et le caractère essentiel de ces supports avec la disparition des transmetteurs. Passer pour eux de l’enfance à l’âge adulte, dans le respect des temporalités structurale et événementielle que cela suppose, exige de faire rupture avec ce dont on a été imprégné étant tout petit, mais cette rupture, qui n’est jamais totale, présupposant toujours un retour obligé à la source, dont nous restons redevables, fût-ce pour s’en départir, relève dans leur cas d’un véritable travail de refondation du social, d’une reprise de la dette laissée par la société. Ils se retrouvent face au fondement même de la « responsabilité ou de la dette », pour parler comme Quentel [6]. Ils font l’expérience aigüe d’une construction de soi à la fois individuelle, collective et forcément intergénérationnelle, comme le dit Cyrulnik (2010).
74Cette construction ne pourrait s’opérer sans appui culturel et social. Dans le contexte même du Rwanda du génocide, nous sommes frappés par le paradoxe d’une société décérébrée, décervelée, déboussolée, et qui recèle en même temps la possibilité d’une (re)construction. L’après génocide se caractérise ainsi également par les atouts que détient la société pour contenir, soutenir, redevenir un appui, redonner un étayage, offrir un tuteur de résilience pour ces enfants sans parents. Parmi ces atouts, il y a la retrouvaille de valeurs culturelles, le sens et le fondement que l’on cherche à redonner à la communauté, à la solidarité familiale, à l’intégrité humaine, l’« Inyangamugayo ». Nous pensons que ces atouts se concrétisent dans la façon dont le gouvernement, les différents organismes non étatiques, les associations, les différents groupes, et toute personne sensible à la question, ont mis en place un soutien réel d’encadrement matériel, financier et psychologique d’emblée et jusqu’à présent.
75Mais, si l’on revient maintenant au processus de (re)création personnelle et sociale à l’œuvre dans les ménages d’enfants, on ne peut manquer de continuer à s’interroger sur son prix et son aboutissement. La dialectique de la personne permet de formuler en quoi consiste le processus de construction chez ces enfants vivants sans parents au Rwanda, ce qu’ils sont devenus suite à ce qui leur est arrivé, l’histoire qu’ils créent, par adoption d’une position personnelle, par réappropriation de leur vie en histoire. Ils n’ont pu cependant s’imprégner pleinement comme enfants de la vie familiale, culturelle et sociale. Pour ces enfants, comme ils nous l’ont dit, le sens de la vie n’est parfois rien d’autre que leur prématurité, « gukura imbura gihe », ce qui signifie grandir avant terme, sans passer par les étapes nécessaires pour être adulte. La déprivation, telle que pensée par Winnicott (1967), les traverse. Leurs témoignages sont également des appels aux professionnels, aux institutions, aux humains, à reconnaître ce qu’ils ont subi, afin que cela ne se répète pas, et ce qu’ils s’attellent à (re)créer, sur tous les appuis possibles.
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Mots-clés éditeurs : génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda, ménages d'enfants, enfance, transmission familiale, parentalité
Mise en ligne 06/10/2011
https://doi.org/10.3917/cpc.037.0009Notes
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[1]
Claudine Uwera Kanyamanza, psychologue clinicienne, enseignante à l’Université Nationale du Rwanda (UNR), doctorante à l’Université catholique de Louvain (UCL) où elle achève une thèse sur les ménages d’enfants et les enfants chefs de ménage au Rwanda dans l’après génocide. Jean-Luc Brackelaire, psychologue clinicien, Université catholique de Louvain (UCL), Facultés Universitaires Notre-dame de la Paix à Namur (FUNDP) et Centre de guidance de Louvain-la-Neuve.
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[2]
Dans la culture rwandaise traditionnelle, les orphelins étaient pris en charge par la famille élargie. C’est avec la venue des missionnaires au Rwanda que commence le système des orphelinats. Les missionnaires les ont créés pour les bébés qui étaient souvent abandonnés après la naissance dans des hôpitaux ou d’autres lieux, cachés ou parfois publics, car la société n’acceptait pas ces enfants considérés jadis comme de mauvais sorts faits à la famille. Il faut dire que dans le temps, au Rwanda, une jeune fille non mariée qui était grosse, représentait un drame pour la famille. Elle était jetée sur une île appellée Idjwi située au Sud-Kivu, en République démocratique du Congo. Peu à peu, les orphelinats accueillent des enfants très pauvres du village, qui étaient mal nourris notamment suite aux différentes périodes de famine qui ont accablé le Rwanda (Gakwege, Rumanura, Ruzagayura). La création d’orphelinats par les missionnaires (catholiques et protestants) permettait de gagner des adeptes car il fallait enseigner la charité au peuple. En ce sens, l’esprit de mendicité fut favorisé : aller chez les missionnaires parce qu’on est pauvre, au lieu de se tourner vers la famille élargie qui, à son tour, va petit à petit céder son rôle à ces confessions religieuses. Entretien personnel avec le professeur Jean Damascène Ndayambaje, de l’Université Nationale du Rwanda, le 20 Août 2009.
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[3]
La méthode de recherche utilisée est celle du recueil de récits de vie. Nous avons mené dans cette perspective des entretiens approfondis avec seize enfants. Il s’agit de neuf enfants chefs de ménages et de sept enfants pris en charge par les premiers. Nous les avons rencontrés de façon individuelle et/ou collective dans des différents moments.
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[4]
L’Union Chrétienne Féminine (UCF) ou La « Young Women’s Christian Association (YWCA) » est une association sans but lucratif, créée en février 1995 à l’initiative de quelques femmes pionnières. Cette initiative a été lancée dans le but de pourvoir à leurs besoins familiaux et sociaux ainsi que d’apporter leur contribution à la reconstruction du Rwanda détruit par le génocide de 1994. Depuis 1999, elle est affiliée à l’Alliance Mondiale des YWCA/UCF ayant son siège à Genève en Suisse. C’est en 2005, que l’UCF a obtenu une personnalité juridique en qualité d’Organisation Non Gouvernementale (ONG) au Rwanda.
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[5]
Gutera ikirenge mu cyabo : ce dicton rwandais veut dire littéralement poser son pied exactement dans la trace du pied d’une autre personne, qui lui sert de modèle, d’exemple.
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[6]
Jean-Claude QUENTEL lors d’une conférence sur le thème « Dette et Rupture » au 8ème Congrès national sur la parentalité et le lien familial, Rennes, 17 juin 2010.