Notes
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[*]
Psychologue, Psychothérapeute psychanalytique de couple et de famille, Chercheur à l’Université de Naples “Federico II”, Membre de l’Association Internationale de Psychanalyse de Couple et de Famille.
Adresse Universitaire :
Dipartimento di Scienze Relazionali « G. Iacono »
Università degli Studi di Napoli « Federico II »
via Porta di Massa 1, 80132 Napoli – Italia
sommanti@unina.it
Adresse Privé :
via S. Caterina da Siena 39, 80132 Napoli – Italia -
[1]
R. Kaës, « Il disagio del mondo moderno e la sofferenza del nostro tempo. Saggio sui garanti metapsichici », Psiche, 2/2005, pp. 58-59.
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[2]
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-
[3]
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[4]
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-
[5]
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[6]
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[7]
R. Kaës, 1996, op. cit. p. 38.
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[8]
A.M. Pandolfi, « Intervista dibattito a cura di G. Tavazza, D. Lucarelli, A. Brignone, “C’era una volta… la Famiglia” », Interazioni, 15/2001, p. 88.
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[9]
A.M. Pandolfi, 2001, op. cit., pp. 88-89.
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[10]
C. Joubert, 2000, op. cit., p. 136.
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[11]
R. Kaës, 1996, op. cit., p. 38.
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[12]
R. Contardi, « “Das Unbehagen in der Kultur”. Morfologia del disagio e sue flessioni nel soggetto della postmodernità », Psiche, 2/2005, p. 99.
1C’est à partir d’une part de la thèse de D. Anzieu (1996), selon laquelle dans notre époque le Malaise dans la culture (Freud, 1929) semble dépendre plus des caractéristiques paradoxales des rapports entre les individus, les générations et les groupes, et d’autre part de celle de R. Kaës (1996), selon laquelle les nouvelles formes du malaise intersubjectif semblent se caractériser par un défaut dans la fonction du préconscient, que nous essaierons, avec l’aide du film La Ciénaga (L. Martel, 2001), d’analyser les formes actuelles du malaise dans la famille, dans l’assemblage de l’appareil psychique familial (Ruffiot, 1981), les entendant comme opérateurs de lecture du malaise dans la culture. L’on insistera en particulier sur la dimension problématique de la transmission générationnelle (Kaës, et al, 1993 ; Trapanese, Sommantico, 2005) et notamment sur les formes possibles de défaillances dans la fonction contenante de l’enveloppe généalogique familiale (Granjon, 1986).
La convergence des apports des diverses disciplines à l’analyse du malaise postmoderne
2En France, c’est Lyotard (1979) qui souligne à plusieurs reprises que la condition postmoderne est caractérisée par la fin de la croyance dans les grands récits, celle des métarécits, des méta-narrations de l’époque post-industrielle. Nous sommes en présence d’un nouveau modèle de société caractérisée par une complexité toujours plus grande qui, sur le plan de la production et de la transmission du savoir, voit le déclin de la figure de l’intellectuel, dans une société où les critères dominants sont ceux de la prestation et de la rapidité ; mais à cela s’ajoute la crise du modèle classique de l’enseignement, aussi bien dans les rapports entre enseignant et élève, que dans la structuration du savoir. Nous sommes confrontés dans le postmoderne à une constante et incontournable incomplétude mais, dans l’effort de représenter cet imprésentable, le sujet souffre de l’impuissance face à cette tentative, aspire au tout, à l’universel, et essaye de remplir ce vide avec la recherche continue de nouvelles formes compensatoires.
3En Amérique, Lasch (1979) a analysé ce qu’il définit la culture du narcissisme ; selon l’auteur, il existe une prévalence d’attitudes narcissiques et compétitives qui peuvent être comprises comme une stratégie de survie dans une société où prévaut un sentiment de déracinement lié à la perte des valeurs traditionnelles et des espoirs envers le futur. Ce qui revêt une importance aujourd’hui est davantage l’image de soi qu’on exhibe, qu’une identité bien construite.
4Plus récemment, Bauman (2000), dans le domaine de la sociologie, a affirmé que le malaise de la postmodernité est lié à un sentiment d’inconsistance. En reprenant le texte de Freud (1929) Le malaise dans la culture, il affirme que nous vivons dans une époque où le principe de réalité doit se défendre face au principe de plaisir, où le renoncement aux désirs n’est pas considéré une « désagréable nécessité », mais plutôt une « agression infondée » à la liberté individuelle. Le malaise dans la postmodernité dérive d’une recherche désinhibée du plaisir avec l’individualisme exaspéré qui en découle ; aujourd’hui le sujet se réfère à des modèles et à des points de repères inconsistants et éphémères, perpétuellement abandonnés et substitués, avec les conséquentes difficultés dans la structuration de l’identité.
5Une dernière dimension mise en évidence dans le postmoderne par les philosophes est la crise de l’autorité. Bodei (2001) a relevé comment les parents, les enseignants, mais plus en général ceux qui recouvrent un rôle influent, en confondant autorité et autoritarisme, renoncent à assumer leur propre autorité, se proposant aux plus jeunes comme amis, compagnons. Cette attitude entraîne, chez ces mêmes jeunes, des difficultés dans le processus de développement et entrave la reconnaissance de la nécessité de respecter les limites et les règles sociales.
Du côté de la psychanalyse, A. Green (1993), à propos du malaise actuel, affirme que le résultat des changements de la société postmoderne est la crise des idéologies, la faillite des valeurs traditionnelles, la remise en question des principes étiques, bref un processus de de-civilisation. Et c’est dans ce même horizon culturel que Kaës (1996, 2005) met en évidence que le malaise dans la culture se caractérise aujourd’hui par une profonde transformation des garants métasociaux (Touraine, 1969), tels que sont les mythes, les rites, les idéologies, les croyances, qui s’en trouvent altérés, désorganisés avec un effet corrélatif sur les garants métapsychiques de la vie psychique, c’est-à-dire les interdits fondamentaux et les contrats intersubjectifs, qui « engendrent incertitude dans les références d’appartenance, dans les marques symboliques, dans la fonction et dans la fiabilité des institutions, dans les systèmes métainterprétatifs ». [1]
La Ciénaga
6Le film de Lucretia Martel nous plonge dans un climat familial confus, dans une atmosphère de langueur étouffante, dans ce marécage qu’évoque le titre même, se référant aussi bien au nom d’une grande et décadente maison familiale, qu’à une localité argentine où se déroule l’histoire du film, mais aussi à la piscine d’eau stagnante, symbole de l’immobile passage du temps, sans issue ; c’est un marécage qui s’élargit, qu’engloutit tout et où il est impossible de nager, où l’on coule. Mais le film est aussi la description de la famille bourgeoise comme un milieu malade et corrompu qui ne peut qu’engendrer souffrances, perversions morales et sexuelles, notamment l’inceste, entendu aussi bien comme repliement sur soi-même que comme moyen de conservation de l’espèce. Enfin, comme nous le dit Loncan (2002), le film évoque aussi les implications politiques de la famille, notamment dans le conteste de l’Argentine.
7Ce climat nous pousse à nous interroger sur le statut de la famille aujourd’hui : la famille a-t-elle encore son rôle de creuset identificatoire et de contenant identitaire, aussi bien que sa fonction d’enveloppe généalogique de mémoire (Granjon, 1998 ; Nicolò, 2000) ? Bien que la famille « reste le groupe de référence, le socle de la vie psychique, le lieu privilégié de la transmission, reliant chacun à ses origines » [2], quel est le destin des nouvelles formes de l’appareil psychique familial (Ruffiot, 1981) qui semblent se caractériser par une prévalence de la dimension isomorphique de l’appareillage (Kaës, 1976), avec une conséquente tendance à la fusion et à l’indifférenciation entre les individus des ensembles intersubjectifs ? Ou, autrement dit, des familles caractérisées par des défaillances dans la contenance originaire, par une prévalence des formes des « lien de survie Oméga » (Decherf, 2003), des formes de lien qui fixent les familles dans l’indifférenciation, la confusion, voire la perversion ?
Des modifications dans les fonctions parentales
8Un premier niveau d’analyse du film, aussi bien que du malaise actuel, est celui des modifications des fonctions parentales.
9C’est seulement quand le travail de la culture (der Kulturarbeit ; Freud, 1932) s’ajoute et se superpose au travail individuel de subjectivation, le renoncement pulsionnel, « canalisant les charges sexuelles et agressives dans des formes privilégiées de représentations », qu’il y a une subjectivation dans le sens culturel. « Le travail d’individualisation devient travail de subjectivation alors que l’instance surmoïque et l’Idéal du Moi absorbent et véhiculent dans les rapports aux autres instances psychiques les caractéristiques de base de la civilisation… À ce point la place du père, comme constituant et fondateur du sujet individuel aussi bien que collectif, est centrale dans la pensée freudienne » [3].
10Mais, nous assistons à l’effacement de la figure du père qui est, selon l’expression d’Eiguer, « comme “désautorisé” par ses proches et/ou il se « désautorise » lui-même. Sa fonction d’autorité est affaiblie, de même que celle de la mère et il y a une “parentification de l’enfant” dans une dynamique où les barrières entre générations s’effritent » [4]. Par ce discrédit du père, mais aussi par l’affaiblissement de l’autorité parentale (Carel, 2002) les membres de la famille sont privés d’un modèle structurant qui permet d’introduire le père symbolique. Celui-ci a le pouvoir organisateur, pour la famille, d’instaurer la différence des sexes, des identités et des liens. On ne doit pas oublier, d’ailleurs, que la fonction paternelle est en étroite articulation, entre autre, avec la fonction maternelle. C’est la mère en fait qui le sollicite et le prédispose à fonctionner ou, dans d’autres cas, qui entrave le développement de la fonction paternelle.
11Cependant, on assiste de plus en plus souvent à une confusion entre fonction maternelle et fonction paternelle et cela introduit des véritables mutations dans le processus de résolution du complexe d’Œdipe, liées aussi à la multiplication des modèles identificatoires (Blay Levisky, 2005) ; par les changements dans la façon dont le père et la mère exercent leurs fonctions, la famille n’est plus le lieu de rassemblement où trouver facilement des marques et des modèles d’identification provoquant ainsi des crises de désorientation, de solitude (Eiguer, Granjon, 1998).
12Dans les familles du film, il n’y a pas d’autorité parentale. Dans la famille de Mecha, les parents sont toujours ivres. La mère est prise dans ses ressentiments, dans son aigreur, et elle erre d’une pièce à l’autre, se plaignant, insultant les domestiques et traitant ses enfants dans un mélange d’indifférence et de morbidité ; le père, un vieux beau inexistant et pitoyable, se teint les cheveux pour retrouver son ancien ascendant sur les femmes qui lui a permis de tromper plusieurs fois sa femme. Dans la famille de Tali, où tout est apparemment plus fonctionnel, il y a une tension entre les parents à propos de l’éducation des enfants, mais aussi de leurs exigences. La mère est frustrée, avec sa modeste maison et quatre enfants, soumise et passive, elle désire intensément un week-end en Bolivie sous prétexte d’acheter des matériels bon marché pour l’école des enfants ; le père est, comme l’autre, aboulique, errant dans la maison sans un but précis.
13D’autre part, on assiste dans ces familles contemporaines à une indistinction entre les générations, un téléscopage des générations. Ainsi, à la place de la rivalité œdipienne fondatrice, se concrétise la dimension narcissique de l’organisation œdipienne (Faimberg, Carel, 1990). L’évitement de la véritable conflictualité œdipienne trouve alors expression dans l’ancrage à l’aspiration à la complétude narcissique à travers le recours à la logique du déni ; déni du savoir transmis par les grands textes du passé, comme des contributions fondants des générations précédentes. Ces changements dans la fonction paternelle mettent à mal sa fonction protectrice : celle d’offrir une alternative économique à l’investissement totalisant du premier objet d’amour, prélude à la possibilité pour le sujet de trouver une inscription dans la succession des générations et d’accepter la différence des sexes (Lechartier Atlan, 2000).
C’est en ce sens que le film nous fait vivre, à travers un climat de langueur sentimentale et érotique, le risque de l’inceste : José, le fils aîné de Mecha, non content de vivre avec l’ancienne maîtresse de son père, vient se réfugier dans le lit de la mère ; sa sœur vient chercher le réconfort dans son lit à l’heure de la sieste ; l’autre sœur ne cesse de chercher le contact avec le corps alangui de la bonne. Cette recherche continuelle du corps de l’autre, du contact avec l’autre, confond l’innocence relative de l’enfance et le désir de l’adulte, l’insignifiance du contact entre membres d’une même famille et la tendance incestueuse.
Si, le texte de Freud (1929), comme l’a souligné Kaës, affirme « la nécessité de la communauté du renoncement pulsionnel pour assurer les conditions de la vie psychique et de sa transmission, l’importance du rapport au Surmoi et de la transmission de la culpabilité dans l’agencement des relations » [5], il est clair que dans les familles du film, mais dans les familles d’aujourd’hui en général, c’est justement ce contrat de renoncement pulsionnel commun qui fait défaut.
La crise dans le travail de transmission…
14Malgré les profondes modifications dans sa structure, la famille continue à avoir pour tâche et mission celle d’assurer la perpétuation de la Vie et la fonction de transmission (Granjon, 2000) ; cependant il semble que les métamorphoses familiales d’aujourd’hui remettent en question la valeur structurante du principe généalogique, c’est-à-dire ce dialogue profitable entres vivants et morts, entres aïeux et nouveaux venus (Pierron, 2005). Nous assistons, dans notre société postmoderne, à un affaiblissement du « désir de transmettre », aussi bien sur le plan plus général de la culture, de la langue, que sur le plan des mythes, des rites, des croyances ; ce qui induit à parler d’un échec global de la transmission (Lemaire, 2003), d’un « mal de contenant généalogique, [qui] laisse les individus en proie au vécu d’abandon dans des souffrances narcissiques » [6].
15Dans les familles du film, en passant de la génération des parents à celle des enfants, il semble qu’il n’y ait pas de possibilité de changement ; l’héritage familial se transmet tel quel, sans possibilité de modification, d’appropriation, d’inscription subjective dans une lignée. Cela nous ramène à l’aspect négatif du processus de la transmission psychique, à la transmission transgénérationnelle, par laquelle n’existe pas de possibilité d’élaboration, pour les générations suivantes, des contenus de l’histoire familiale qui les précède.
16Ainsi, de même que Mecha reproduit la vie de sa propre mère, s’enfermant peu à peu dans sa chambre, les enfants sont pris dans un schéma figé qui apparaît comme le seul héritage possible : l’aîné vit avec celle qui a été la maîtresse du père, une des jeunes filles transfère tout son amour sur la bonne, une autre connaît un désir incestueux pour son frère. L’appartenance à la famille semble une cicatrice qu’on garde sur soi, une blessure que chaque génération reproduit et le plan final est, à cet égard, terrifiant par sa froideur : les deux jeunes filles reproduisent, au bord de la piscine, les gestes et les attitudes qui étaient ceux de leurs parents au tout début du film. Dans ces familles les enfants continueront à reproduire le schéma familial, dans une perpétuation d’un destin signé et rendu immobile par l’accumulation des événements, des actes, des pensées toujours identiques, jamais ébranlés par un quand bien même petit changement.
L’histoire de ces familles montre bien qu’aujourd’hui il y a un malaise dans les liens, notamment défaut o défaillance dans « la formation des identifications et des contrats intersubjectifs qui fonctionnent comme des conditions et des garants intersubjectifs de l’espace où le Je peut advenir » [7], déterminant un malaise dans les processus de la transmission psychique.
…et dans l’activité mythopoïétique familiale
17En particulier, à la lumière de ces énormes changements de la structure familiale, il est nécessaire de s’interroger sur les changements des mythes familiaux, dans leur valeur d’opérateurs/structures/moyens de transmission (Eiguer, 2001 ; Trapanese, Sommantico, 2001).
18On assiste de plus en plus souvent à une carence, un pervertissement, une souffrance dans l’activité mythopoïétique (Granjon, Eiguer, 2005) des familles qui, en ce sens, n’arrivent plus à garantir la continuité des liens, le travail d’adaptation, régulation et transformation ; bref, la fonction de transmission intergénérationnelle. Mais, encore, « les mythes familiaux vont réduire leur espace et leur importance dans la famille et ont une difficulté majeure à s’enraciner dans l’assemblage familial [liée à] un plus faible vécu d’appartenance familiale… [à] la réduction de l’importance de la perspective historique en général et notamment de l’histoire de la famille » [8]. Dans une société où tous les échanges sont orientés principalement au présent immédiat, tout ce que se réfère au passé en général est considéré désuet. « Les mythes familiaux aussi, qui se régissent sur l’axe diachronique, sur le passé dont, dans le bien comme dans le mal, nous héritons, ressentent probablement de cette tendance disqualifiante… Les mythes familiaux et leur transmission s’appuient sur la narration orale qui passe d’une génération à l’autre. [Mais] pour ces narrations il semble qu’aujourd’hui il y a peu de temps et peu d’intérêt » [9].
Mais encore, notre société semble caractérisée par la prévalence du mythe de Narcisse. En référence à la théorisation d’A. Green (1980), selon laquelle le mythe est concevable comme objet transitionnel collectif, C. Joubert pense que « le mythe de Narcisse qui sous-tend le fonctionnement de nos sociétés modernes ne peut pas assumer le rôle d’objet transitionnel collectif… et fige la société dans une idéologie individualiste [mettant] l’accent sur les potentialités destructrices du narcissisme… l’individualisme est dépourvu de fonction mythopoïétique et… il devient alors une idéologie figée entraînant une défaillance de l’enveloppe culturelle… [et] la famille… [alors] présente des difficultés à se révéler le creuset de la mythologie des origines » [10]. En ces conditions de défaillance de la fonction mythopoïétique familiale, l’appareil psychique familial devient alors un appareil bloqué, n’assurant plus son rôle d’espace transitionnel, d’aire de circulation et de symbolisation des fantasmes originaires (Ruffiot, 1980).
Le corps et la mort
19Les familles du film semblent se caractériser aussi par une dimension de pauvreté de mentalisation, une dimension « opératoire » où tout passe par le corps. La Ciénaga est surtout un film d’odeurs et de sensations – humide, gluant, étouffant – qui s’expriment à travers des substances corporelles : le sang, la sueur, les larmes. Aux blessures psychiques s’ajoutent les blessures physiques : on ne compte plus les griffures, les écorchures, les plaies diverses, les marques indélébiles qu’on s’efforce de masquer, par exemple l’opération du fils borgne ou les cicatrices de Mecha.
20Le seul événement qui semble pouvoir rompre, un instant seulement, cet étouffement, cet embourbement et cette langueur, est celui de l’accident. Il y a dans le film, une profonde angoisse derrière l’embourbement : celle de la mort violente (Loncan, 2002). Chaque situation, aussi anodine soit-elle, contient en germe la possibilité d’une mort, tragique, absurde, dramatique. Une jeune fille qui tarde à réapparaître à la surface de l’eau, un enfant qui par jeu s’arrête de respirer un instant, un autre qui tient son fusil de manière dangereuse, jusqu’à l’événement final qui fait apparaître la mort de manière implacable et tragique.
21Comme le dit Kaës, « il est probable que cette culture des limites extrêmes du danger et de l’urgence a quelques incidences sur la structure même de l’appareil psychique… les troubles des repères identificatoires et les défaillances identitaires… les difficultés de la construction identitaire sont à référer à la désorganisation des repères symboliques sous l’effet de la disparition de l’arbitraire de la loi et de ses contradictions » [11]. Cette inconsistance des représentations identitaires est à référer à une manque dans le « contrat qui les soutient », notamment renoncement à la réalisation directe des buts pulsionnels, contrat narcissique ou pacte dénégatif.
Pour conclure
22Comme nous le rappelle Balestriere (2003), c’est notamment l’axe paternel de la théorisation freudienne qui est au prèmier plan dans Le malaise ; c’est ce même axe qui est au fondement indispensable de la differentiation de l’appareil psychique aussi bien que du progres – individuel ou collectif. C’est en vertu de cet axe, en outre, que peut s’accomplir le rennoncement pulsionnel necessaire à la civilisation et qui donne accès à la représentation, à la symbolisation, à la pensée, toutes opérations à charge de l’activité du préconscient (Anzieu, 1994).
23Mais si, comme le dit Kaës (1996), on assiste aujourd’hui à une crise du travail du préconscient, et notamment dans les contrats qui lient les individus, si nous pensons que la spécificité du groupe familial est le générationnel (Eiguer, et al, 1997 ; Trapanese, Sommantico, 2005), et si enfin, comme nous le disent Ciavaldini et Ruffiot (1989), il existe une dimension groupale du préconscient par rapport au transgénérationnel – l’appareil psychique familial étant un appareil à transmettre –, il est alors possible de supposer dans les familles d’aujourd’hui, mais plus en général dans les regroupements caractéristiques de la vie postmoderne, justement une carence de ce préconscient groupal qui entraîne, entre autre, un échec dans le processus d’échange symbolique des mythes, des rites familiaux, mais aussi des fantasmes originaires.
Mais encore, nous pouvons dire, en suivant Contardi, que « la fragilisation des vecteurs d’appui et de structuration conséquent à l’incertitude et à la crise des liens conjugaux et parentaux », aussi bien que « la fluctuation de l’organisation familiale et la perte de sa fonction de médiation sociale », ou le vidage d’autorité du référent paternel et la dévalorisation de la figure maternelle provoquent une rupture avec l’histoire, c’est-à-dire avec les générations précédentes, qui laisse l’individu « seul face à la dégradation des points de repères familiaux et des idéaux culturels et exposé sans protection au principe de plaisir, à la poussée pulsionnelle revigorée elle-même par la facilité d’accès à la jouissance, privé des repères sublimatoires, à défaut d’éléments surmoïques d’autre part essentiels à sa propre structuration » [12]
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : transmission, famille, mythe, préconscient, malaise
Mise en ligne 29/03/2010
https://doi.org/10.3917/cpc.034.0203Notes
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[*]
Psychologue, Psychothérapeute psychanalytique de couple et de famille, Chercheur à l’Université de Naples “Federico II”, Membre de l’Association Internationale de Psychanalyse de Couple et de Famille.
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via Porta di Massa 1, 80132 Napoli – Italia
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via S. Caterina da Siena 39, 80132 Napoli – Italia -
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[2]
E. Granjon, A. Eiguer, « Introduction », Le divan familial, 14/2005, p. 8.
-
[3]
A. Garella, «Disagio e civiltà », in M. Donadio, R. Pozzi (a cura di), Psicoanalisi e teoria della cultura. Riflessioni su un classico: “Il disagio della civiltà”, Roma, La Biblioteca, 2003, p. 43.
-
[4]
A. Eiguer, « Le père “désautorisé” », Le divan familial, 13/2004, p. 99.
-
[5]
R. Kaës, « Le groupe et le travail du préconscient dans un monde en crise », Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe, 26/1996, p. 35.
-
[6]
C. Joubert, « Du sacrifice pour la famille à la famille sacrifiée. Un nouveau mythe, l’individualisme anti-individualité », Le divan familial, 4/2000, p. 135.
-
[7]
R. Kaës, 1996, op. cit. p. 38.
-
[8]
A.M. Pandolfi, « Intervista dibattito a cura di G. Tavazza, D. Lucarelli, A. Brignone, “C’era una volta… la Famiglia” », Interazioni, 15/2001, p. 88.
-
[9]
A.M. Pandolfi, 2001, op. cit., pp. 88-89.
-
[10]
C. Joubert, 2000, op. cit., p. 136.
-
[11]
R. Kaës, 1996, op. cit., p. 38.
-
[12]
R. Contardi, « “Das Unbehagen in der Kultur”. Morfologia del disagio e sue flessioni nel soggetto della postmodernità », Psiche, 2/2005, p. 99.