Notes
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[*]
Pédopsychiatre, assistante de recherche, Unité de Psychologie Médicale, Université Catholique de Louvain, Clos Chapelle-aux-Champs, 30/3047, 1200 Bruxelles.
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[1]
P. ALVIN, exposé intitulé La santé des adolescents en question. Ier Symposium sur La médecine des adolescents. Université Libre de Bruxelles, inédit, 4 mars 2000.
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[2]
M. KLEIN, La psychanalyse des enfants, 1932, trad. Fr., Paris, P.U.F., 1959, p. 37.
-
[3]
P.A. MICHAUD, P. ALVIN, « Les adolescents dans une société en transition », dans La santé des adolescents. Approches, soins et prévention, Payot, Lausanne, 1997, p. 17.
-
[4]
A. MASSON, Pour une Clinique de l’Evénement Adolescent, Thèse soutenue en vue de l’obtention du grade de docteur en Sciences Médicales, Université Catholique de Louvain, Faculté de Médecine, Belgique, inédit, 29 mai 2002.
-
[5]
D. MARCELLI, exposé intitulé Le travail psychique lié à la puberté, Ier Symposium sur La médecine des adolescents, Bruxelles, inédit, 4 mars 2000.
-
[6]
P. GUTTON, Le pubertaire, PUF, Paris, 1991, coll. « Le fil rouge ».
-
[7]
Ph. VAN MEERBEECK, C. NOBELS, Quand on n’a que l’amour. L’éducation sexuelle des jeunes au temps du sida, Bruxelles, De Boeck Université, 1992, p. 23.
-
[8]
A. MASSON, « Jeux des liens et transmission symbolique », dans Peau d’âme, P. VAN MEERBEECK (coord.), De Boeck Université, Bruxelles, 1991, p. 35.
-
[9]
M. CHOQUET, S. LEDOUX, Adolescents : enquêtes nationales, Editions INSERM, Paris, 1994.
-
[10]
P. JEAMMET, M. REYNAUD, S.M. CONSOLI, Psychologie médicale. Abrégés Masson, 2e éd., Paris, 1996, p. 339-345.
-
[11]
J.J. RASSIAL, « Où est passé le sujet supposé savoir ? », dans Le transfert adolescent ?, érès, 2002, coll. « Le Bachelier », p. 211-219.
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[12]
A. MASSON, « L’autorité du médecin entre le savoir génétique et le malade. Ouverture d’un temps humain », dans Génétique et temporalité, L’Harmattan, Paris, 1997, p. 163-208.
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[13]
J. LACAN, Ecrits, Le Seuil, Paris, coll. « Le champ freudien », Paris, 1966, 93-100.
-
[14]
B. GOLSE, Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, Masson, Paris, 1989, p. 159-161.
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[15]
S. LESOURD, « Adolescences… Rencontre du féminin », érès, Actualité de la Psychanalyse, Toulouse, 2002, p. 90.
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[16]
F. MARTY, « L’interprétation dans les thérapies d’adolescents », conférence donnée à l’ISEI, texte inédit, Bruxelles, 27/01/2006.
« A l’horizon se profile la question redoutable de savoir ce que la souffrance donne à penser... »
1Michaël a 17 ans. Comme chaque fois lorsqu’il vient à la « visite médicale » organisée par l’institut de médecine scolaire, il se montre agressif et opposant. Ses compagnons de classe n’en ont pas vraiment peur mais l’équipe des soignants ne parvient pas à lui faire entendre raison. Il renverse les chaises dans la salle d’attente et refuse l’entretien. Aujourd’hui pourtant il consent à entrer dans le cabinet exigu de consultation. Il s’est assis tout au bord de la chaise placée en face du médecin mais ne prend pas la parole. La question de sa myopie est abordée. Pourquoi ne porte-t-il pas les lunettes que l’ophtalmologue lui a prescrites il y a un moment déjà? Michaël n’a rien à répondre et déjà se lève pour couper court à toute injonction à son égard. Voilà une rengaine qu’il a entendue trop souvent à l’école et en famille... La porte est prête à claquer, encore un coup dans l’eau!
2« Ce doit être embêtant des lunettes évidemment ! Elles ne tiendraient pas sur ton nez, c’est ça?» se risque le médecin. « On pourrait réfléchir à une solution ensemble et, si tu le souhaites, en parler avec tes parents. Comme tu es soigneux, pourquoi ne pas essayer des lentilles de contact?».
3Le temps semble s’être suspendu. Michaël s’est arrêté dans sa fuite. Il se retourne et lance un « Oui, c’est une idée. Comment avez-vous remarqué ? ».
4Michaël s’est rassis et se met à parler de son histoire et de ses préoccupations. Petit, dans son pays d’origine, il s’est fait opérer et n’a plus qu’un testicule. Sa peur est grandissante ; il se sent anormal, rejeté et craint ne jamais avoir d’enfant. Le dialogue s’installe, prenant par surprise tant celui qui écoute que celui qui parle. Pour la première fois, Michaël demande d’être examiné. Une rencontre a lieu… quand on ne s’y attend plus.
5Quand un adolescent est amené à rencontrer un médecin, il arrive qu’à travers l’expression de sa souffrance et son appel à l’aide, il vienne mettre à l’épreuve les pratiques de soins [1] et convoquer les intervenants à revoir leur position. La relation soignant-soigné peut ainsi recouvrir de multiples visages bien différents de ceux rencontrés en médecine de l’adulte ou en pédiatrie.
6Mille et une questions taraudent bien souvent les membres des équipes soignantes. Comment aider ce jeune qui refuse catégoriquement notre aide? Comment « faire face », selon Winnicott, à ce déferlement de revendications en quête d’interlocuteur ? Serons-nous à la hauteur ? Sommes-nous appelés à être toujours « sur le fil »? A la fois fermes et souples… main de fer dans un gant de velours… Nous ne sommes ni leurs parents, ni leurs profs, ni leurs copains… Et pourtant ils nous parlent parfois comme si… Comment trouver la juste distance, ni trop près ni trop loin, ni intrusif, ni dans l’attitude moralisante, ni dans la douce complicité ? Notre travail a-t-il vraiment un sens ? Au nom de quoi tenons-nous tel discours ? De quoi se compose notre désir de travail mais aussi d’être humain tout simplement ?
7Voilà une démarche qui nous est apparue intéressante à creuser : saisir en quoi les somaticiens, consultés par des adolescents et appelés à prendre soin du corps de leurs jeunes patients, peuvent se sentir mal à l’aise ou interpellés dans leurs repères référentiels. La nécessité des adolescents à venir interroger les valeurs établies et les interdits invite immanquablement les adultes à s’énoncer sur la place qu’ils occupent par rapport au savoir, à l’autorité, au désir qui les anime et à venir nommer quelque chose qui tienne compte de la différence des sexes et des générations.
8Tout au long de cet article, nous proposons de développer en quoi la médecine des adolescents est spécifique et quels en sont les enjeux transférentiels.
9En reprenant les processus de l’adolescence nous tenterons de décrire les effets qu’ils peuvent avoir dans la relation au médecin et quelles fonctions revêtent le regard et la parole du soignant auprès de l’adolescent qu’il est amené à rencontrer. A partir de la vignette clinique de Michaël issue elle-même d’interviews réalisées auprès de médecins praticiens, nous proposons d’illustrer certaines des difficultés auxquelles les professionnels peuvent être confrontés et ce qu’ils mettent en place dans leur pratique.
10C’est en s’appuyant sur dix témoignages de médecins spécialistes et généralistes (médecins scolaires, pédiatres, interniste, gynécologue et médecins de famille), exerçant des activités curatives ou préventives, travaillant dans un cadre hospitalier ou ambulatoire, que nous essaierons de jeter des ponts entre la médecine somatique, la psychologie médicale et la psychanalyse. Seront déployés quelques concepts susceptibles de mettre en lumière ce qui est à l’œuvre au cœur des rencontres chaque fois singulières entre un adolescent et un acteur de soins de santé.
Michaël ou la mise en mouvement du désespoir…
11Michaël est en souffrance, cela saute aux yeux. Pourtant, semble-t-il, rien ne permet ceux qui l’entourent de l’aider.
12Il y a d’abord le mal-être qu’il exprime de façon contrastée et inattendue. En manque de mots pour se faire entendre, il faudra lui tendre l’oreille au-delà de ce qu’il donne à voir et tenter de comprendre à travers l’agir bruyant ou l’immobilité silencieuse ce que, peut-être, il adresse au soignant.
13Il y a aussi ce refus de venir à la consultation. Que signifie ce « non » acté dans le « faire », dans les chaises renversées, puis dans la fuite? Mélanie Klein [2] nous le rappelle : lorsqu’un transfert négatif s’installe d’emblée, c’est l’intensité des résistances et de l’angoisse qui prédomine. La suite des évènements nous l’apprendra. Dans ce refus, d’abord perçu comme la répétition systématique d’une opposition de Michaël à toute forme d’autorité, s’y reflètent, davantage qu’une rébellion, la phobie d’un regard porté sur ce corps qui se transforme mais aussi le déni puis la crainte de le savoir blessé.
14Face à la figure d’autorité que représente le médecin, assimilé aux parents ou aux enseignants, Michaël est prêt à claquer la porte. Ne voulant rien apprendre de ce qui serait à faire « pour son bien à lui », il préfère « jeter le bébé avec l’eau du bain » et se passer de l’autre. Peur de perdre l’autonomie qu’il revendique, la confusion se fait intense : tout conseil le concernant ressemble étrangement à une injonction. Et l’enjeu a quelque chose de vital : s’il se soumet au savoir d’autrui, le risque est grand de rendre floue la frontière entre le soi et le non soi.
15La question du corps et des transformations pubertaires dont il est l’objet est par ailleurs au centre de tout processus adolescent. A la fois point de départ des préoccupations et moyen d’expression, ce corps encombre, surprend tout en restant immanquablement impliqué dans tout lien à l’autre et au monde. Face à ces changements multiples qui l’enragent ou le fascinent, le jeune est tenu, au bout du compte, d’en dire quelque chose. Quels deuils Michaël est-il appelé à faire? Le problème de vue, a priori bien banal, pourrait être pallié par le port de lunettes… Mais là n’est pas la question ou plutôt si… C’est son nez qui n’est pas « conforme ». On voit poindre à l’horizon la crainte de l’anormalité. Nous analyserons plus loin comment l’intervention du soignant vient border cette angoisse et permettre à Michaël de s’énoncer sur ce qui le touche au plus profond de son identité sexuée. Son corps de jeune homme porte les traces d’un parcours infantile particulier. Des pertes s’expérimentent en cascade et pouvoir les nommer ne va pas sans passer par quelques détours. Pourtant, c’est à ce prix-là qu’il pourra traverser et poursuivre sa quête qui fait de lui un humain et que se rééditera, avec de nouvelles donnes, sa condition d’individu soumis à la castration du langage.
L’adolescence comme traversée de paradoxes
Définitions
16Selon son étymologie latine « adolescere », le terme adolescence signifie « être grandissant » et renvoie à la notion de croissance en cours. L’adolescence est cette période de l’existence où tout est changement et métamorphose. L’expérience à traverser au présent générera une bascule incontournable d’un avant et d’un après. Déviance naturelle par rapport au fonctionnement infantile, elle est source salutaire de renouvellement et de remises en question.
17L’Organisation Mondiale de la Santé précise : est adolescent l’individu âgé entre 10 et 19 ans, en y incluant la période pré et péri pubertaire (10-15 ans) ainsi que la phase de socialisation et d’autonomisation (15-19 ans). La définition de ce que recouvre la période de l’adolescence est donc plus souple que celle déterminée par des critères d’âge. En effet, elle intègre les bouleversements qui s’opèrent chez un individu aussi bien sur le plan somatique que psychique, familial, social et culturel.
18Le début de l’adolescence est pour tous marqué par le début de la puberté. La fin, par contre, est moins clairement définie et souvent évaluée en fonction des assises affectives et sociales du sujet [3].
Puberté et travail psychique
19L’adolescent est appelé à accomplir un travail intense d’appropriation et de redéfinition de son identité. Ce processus psychique en lien avec la puberté, ne se déroule pas sans soulever des paradoxes. Le jeune est véritablement pris dans un double mouvement : celui de faire face à de nombreux changements corporels et relationnels tout en restant lui-même. C’est aussi le moment de faire des expériences de séparation et d’individuation tout en interpellant ce qui, jusque là, faisait référence pour lui.
20Ce chemin à parcourir prend des allures de « traversée périlleuse ». Traversée comme une succession de contrastes et de conflits. Traversée comme une conquête possible mais aussi un risque potentiel. Son issue dépendra de l’enfance mais également des nouvelles ressources mobilisées.
21« L’adolescence est un saut “en train d’avoir lieu”, reliant dans la rupture le fil ancien de l’existence à une reprise non encore aperçue d’un nouveau rythme. […] Si l’adolescence survient à un moment précis, l’adolescent s’y trouve décalé et en position interrogative […], revisitant les circonstances de sa naissance, interpellant l’éducation et l’amour qu’il a ou pas reçu, découvrant une sexualité qui le déborde et rencontrant l’amour, sommé de se choisir un avenir et se heurtant à la perspective de la mort, sans compter les interrogations plus ou moins révoltées face à un monde qui se découvre à lui comme pour la première fois. […]
22Moment du saut, point d’où s’interroge le tout, l’adolescence est aussi le lieu du « tout possible » dans la mesure où rien ne s’actualise encore ; elle est réservoir inépuisable dont les décennies qui suivent ne réaliseront qu’une part plus ou moins importante. [4] »
23L’envergure de ce travail à réaliser par le jeune tient au fait qu’il a à garantir une certaine continuité tout en intégrant la différence. L’adolescence est un véritable « pavé dans la marre » des eaux de l’enfance entraînant des ondes de choc en cercles concentriques [5] venant toucher le corps de l’adolescent, sa famille puis sa place dans la société.
24Reprenons ce trajet à partir de la question spécifique du corps.
Le théâtre du corps : renouage du réel, de l’imaginaire et du symbolique
25Le garçon comme la jeune fille doivent composer avec un corps qui se métamorphose.
26Le réel c’est, comme le nomme Lacan, le réel de l’organisme. Pour l’adolescent, ce réel se présentifie à travers la poussée d’hormones auquel son corps est soumis entraînant d’incontestables changements. Les signes inauguraux se manifestent : le développement testiculaire chez lui, l’apparition des bourgeons mammaires chez elle. Les organes génitaux évoluent, la pilosité apparaît, la croissance s’accélère. Les formes arrondies façonnent la silhouette chez l’une tandis que la masse musculaire s’accroît chez l’autre. Quand l’adolescente est réglée pour la première fois (ménarche), elle a atteint 97 % de sa taille d’adulte et de femme. L’adolescent garçon, lui, continue à grandir. Moustache et voix grave lui donnent définitivement l’allure d’un homme.
27Tous ces caractères sexuels n’ont rien de « secondaires » quand il s’agit de les vivre et de les faire siens…
28Cette puberté qui s’impose peut faire violence. La maîtrise de soi s’effrite. C’est « l’inquiétante étrangeté » qui guette. Fini le temps des eaux calmes de l’enfance. Le temps s’emballe. Il faut le rattraper au risque de s’enliser dans une immobile sidération. Beaucoup de questions émergent. « Est-ce normal ? », demandent-ils bien souvent. Les peurs dysmorphophobiques sont parfois envahissantes et réveillent des angoisses archaïques de morcellement, de dissociation ou d’intrusion.
29L’imaginaire aussi entre dans la danse. Au-delà de la nature changeante de son corps à apprivoiser, c’est l’image de soi qui est à reconstruire. Dans le registre de l’imaginaire, il y a la dimension du leurre et de l’identification. La représentation de soi a toute son importance avec sa part de méconnaissance et d’aliénation à l’autre dans une relation duelle.
30A travers le miroir dans lequel il se mire, l’adolescent se lance à corps perdu à la recherche de lui-même. Il n’est pas cette image et pourtant… « Miroir, dis-moi qui je suis. » Il se découvre sexué et mortel et fait la douloureuse expérience des manques qui le constituent humain. Le regard est hautement sollicité ; le sien mais aussi celui des autres. La parole qui l’accompagne jouera un rôle primordial dans sa construction identitaire.
31Nous développerons plus loin l’intérêt de la théorisation lacanienne du stade du miroir, de sa réémergence à l’adolescence et de la fonction que peut revêtir le regard du soignant.
32Le symbolique, c’est-à-dire le monde du langage et des lois instaurant les interdits fondamentaux, est aussi nécessairement impliqué. L’adolescent est ainsi tenu de symboliser ce qui lui arrive. Il faut qu’il en comprenne quelque chose d’autant plus que cela vient teinter d’une nouvelle couleur la relation à ses parents. Perdant de sa relative quiétude, ce lien est à nouveau menacé par des désirs inconscients d’inceste et de parricide. Le complexe d’Oedipe ravivé anime désormais un corps à l’aube de la maturité sexuelle. Une forte émergence pulsionnelle pousse ainsi le jeune dans des mouvements contraires : celui de se rapprocher de ses parents (davantage vers celui de sexe opposé) tout en devant s’en éloigner. Le « pubertaire » comme le nomme si bien Philippe Gutton [6] est d’abord cette force d’union avant de se manifester comme un besoin de se séparer. L’agressivité croissante et les conflits nombreux qui opposent l’adolescent à ses parents constituent bien souvent pour lui, une tentative inconsciente de se mettre à distance. La famille est devenue un lieu à haut risque [7]. Il est urgent d’aller désirer ailleurs. C’est le moment d’ébranler les imagos idéalisées des figures parentales et d’aller puiser dans un cercle social élargi de nouvelles réponses à ses questions. Le progressif éloignement de l’adolescent vis à vis du couple parental ne se déroule pas sans une remise en chantier de tous les liens familiaux [8]. Les parents sont eux aussi amenés à retrouver un nouvel équilibre de fonctionnement et redéfinir des centres de préoccupations en dehors de leur enfant.
33Pour l’adolescent appelé à trouver une juste place, le passage du père aux pairs s’ouvre comme seule issue au cheminement subjectif. Dans un élan de prise d’autonomie sans pour autant devoir être entièrement indépendant, il devra désormais trouver réponse à certaines de ses questions par lui-même ou au fil de rencontres avec d’autres. C’est le temps des liens privilégiés avec les pairs du même sexe permettant un renforcement de son assise identitaire. Viendront aussi les mouvements d’approche auprès de l’autre sexe et la découverte possible du sentiment amoureux, de l’altérité et du désir.
34Le jeune saisit l’occasion de s’investir dans des domaines particuliers et déployer diverses activités créatives en fonction d’intérêts personnels, héritiers d’un idéal du moi davantage construit.
35Les enjeux de l’adolescence ne sont donc pas sans conséquences.
36Cette étape, engendrant une série de pertes concrètes et symboliques, n’est pas sans susciter des moments dépressifs (dont il faudra analyser les figures « normales » à cet âge, des figures franchement plus pathologiques). Il a à faire le deuil du sentiment d’omnipotence infantile et à reconnaître ses propres limites.
37Plus fondamentalement, l’adolescence est un moment de mise en suspens puis de validation de ce qui noue les champs du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique. Rappelons que pour Lacan, la structure du sujet est assurée par un lien particulier entre ces différents registres. Il s’agit du nœud borroméen où trois ronds de ficelle sont liés de telle sorte que la coupure de l’un d’entre eux dénoue les deux autres. En d’autres termes il y a une articulation indispensable à aménager entre le Réel, l’Imaginaire et le Symbolique. A l’adolescence, ce nœud est comme dissout, et la structure psychique de l’individu est extrêmement fragilisée. La traversée de cette étape de l’existence peut ouvrir à une renaissance mais comporte aussi un risque. La possibilité de l’adolescent à assumer cette conflictualité permanente dépendra de ce qu’il a vécu durant l’enfance et de ce qui faisait arrimage à ce moment-là (assurée par l’instance paternelle ou Nom du Père). La présence ou l’absence d’inscription de la castration ainsi que les nouvelles ressources mobilisées constituent une alchimie capitale pour l’issue de son développement.
38Tout ce qui va dans le sens d’un appauvrissement du fonctionnement psychique interne et qui pousse le jeune dans une intolérance grandissante à l’attente et à la frustration, présentant alors passages à l’acte et mécanismes de projection, par exemples, ne l’aideront pas à se réapproprier quelque chose de lui-même et de son environnement familial et social.
La main tendue à Michaël… ou l’intervention des soignants
39L’expression de sa souffrance est comme un feu d’artifice. Alternance entre ce qui jaillit et puis se tait. Effusion de mouvements s’interrompant dans un silence défensif. Michaël interpelle et ne laisse pas l’autre indifférent.
40Comme nous l’avons développé plus haut, l’adolescent est aux prises avec un corps qui le déborde mais aussi une image de lui à redéfinir et des mots justes à poser sur ce qui lui arrive. Dans un lien à l’autre teinté de nouvelles donnes, il s’approche ou au contraire fuit, a l’impression de se perdre et tente de se retrouver.
41Comment rendre possible la rencontre? Comment ouvrir un espace d’énonciation pour l’adolescent mais aussi pour le soignant?
Quelques facettes du vécu des soignants
42Face aux symptômes présentés par les adolescents, il arrive que les soignants ne sachent plus à quelles références se fier. La théâtralisation de leurs comportements fait parfois passer sous silence leur mal-être plus profond. La représentation que la société se fait de la santé des adolescents oscille souvent entre deux extrêmes [9] : soit, les adolescents sont en excellente santé et ne nécessitent pas une prise en charge particulière, soit, ils sont assimilés à un groupe homogène accumulant prises de risques et problèmes multiples (drogues, maladies sexuellement transmissibles, non-compliance au traitement…). Or, il y a bien souvent un fossé entre la perception des adultes et le ressenti des adolescents. Le comportement à risque est trop pris en compte au détriment d’une authentique écoute de leur souffrance. Ce qu’ils donnent à voir de manière spectaculaire n’est pas forcément ce qu’il y a de plus inquiétant. Leurs préoccupations plus discrètes par contre, parce que tues ou exprimées dans le corps, restent souvent mal appréciées des professionnels.
43Nous voyons qu’avec Michaël, ce n’est pas tant le « trouble des conduites » qui est au cœur de sa problématique. L’agir fait certes partie du tableau mais constitue davantage un symptôme qu’un diagnostic en soi. Les adolescents nous convoquent à rester vigilants et ne pas confondre réaction défensive et pathologie psychiatrique.
44Face au refus de soins d’emblée acté par ce jeune, l’équipe médicale est contaminée par le sentiment d’impuissance ou de rejet. Sa mission d’assurer un setting de prévention et/ou de soins perd de sa prestance si le principal concerné n’est pas demandeur ! L’absurdité de la situation est à son comble pour le médecin consulté : préoccupation pour le jeune patient et mise à disposition de soi et de son savoir balayés d’un revers de chaises et d’un claquement de porte… Le soignant peut rapidement, s’il n’est pas soutenu par un travail de réflexion au sein de son équipe, tomber dans l’un des deux travers suivants : soit il se sent incompétent, soit il développe des sentiments négatifs à l’égard des malades récalcitrants. L’élaboration à plusieurs est pour cela indispensable. Elle permet que se déploie une pensée qui fera tiers à la menace d’escalade de violence et au risque de bras de fer soignant-soigné. La pensée s’offre comme garde-fou à la relation duelle. Si l’on s’appuie sur le concept de transfert [10] à l’œuvre dans toute relation de soins, il est primordial de se demander ce qui est « transféré » dans ce que l’adolescent nous adresse. A travers ce refus, qu’est ce que Michaël dit de lui, de son histoire, de son lien à l’autre et au monde ? Manifestement, il tente d’exprimer plusieurs choses en même temps : la peur, la révolte, la honte, le déni,…Il reviendra à celui qui y prête l’oreille, d’entendre les diverses notes de cet accord dissonant.
45Si nous revenons au principe de transfert, nous pouvons également nous interroger sur la place octroyée par l’adolescent (et plus particulièrement ici par Michaël) au médecin qu’il est amené à rencontrer. Quelle autorité l’adolescent vient-il chercher ? A quel savoir est-il prêt à se remettre ? Que représente pour lui le soignant ? Est-il assimilé à une fonction maternelle, à une fonction paternelle ou les deux à la fois ? A quelle sauce le médecin est-il mangé ? Sur quel pied doit-il alors danser ? Ces questions sont évidemment extrêmement vastes. Nous proposons de décliner, à partir de la question du corps, trois versants de la fonction du soignant : le soignant comme supposé être quelqu’un, porteur d’un regard et auteur d’une parole.
Du supposé « savoir» au supposé « être quelqu’un»
46Le transfert au sens psychanalytique du terme n’est pas l’apanage des seules « cures types ». De par les positions d’inégalité qu’elle instaure (un patient en souffrance et en demande d’aide auprès d’un soignant supposé sachant) la relation de soins est susceptible de réveiller les quêtes antérieures mais aussi toutes les tensions qui y sont liées. Ainsi le lien au médecin ouvre la voie à la répétition des enjeux de la relation enfant-parent et plus particulièrement, en ce qui nous concerne ici, de la relation – somme toute ambivalente – que l’adolescent entretient avec ses parents.
47Freud, au fil de sa découverte et de la théorisation qu’il en fait, souligne le caractère automatique du phénomène de transfert. De plus, ce qui se répète (d’autant plus massivement que le refoulement est puissant) est d’une importance capitale puisqu’il s’agit de conflits inconscients. Le transfert apparaît à la fois comme le levier thérapeutique par excellence mais aussi un frein potentiel. En effet, le patient se met à transposer une série d’affects sur la personne du médecin mais ceci dans un total aveuglement.
48Plus tard, Lacan précisera que le transfert s’instaure parce que le patient s’adresse à un « sujet supposé savoir ». En d’autres termes, ce qui va avoir au départ un impact majeur dans la relation transférentielle n’est pas tant lié au savoir effectif du psychanalyste mais plutôt au savoir que le patient lui suppose. Par ailleurs, Lacan souligne que le transfert offre d’emblée un décalage, une alchimie nouvelle. Le transfert n’est plus considéré comme une inéluctable répétition. Il est aussi l’occasion d’une expérience nouvelle, porteuse de créativité, dans laquelle se retrouvent impliqués le patient et son médecin.
49Mais qu’en est-il du transfert particulier que l’adolescent peut faire à l’égard d’un soignant? Lui suppose-t-il réellement un savoir? Quel espace de créativité peut émerger?
50Lorsque nous écoutons les adolescents qui nous consultent, ils peuvent nous dire :
51« Vous n’avez rien à me prescrire, je sais ce qui est bien pour moi. » « Je ne suis pas sous vos ordres ! »
52« Vous y croyez, vous, à vos pilules ? » « Moi je trouve que ça ne marche pas votre traitement ! »
53« Que pensez-vous des campagnes de prévention ? En tout cas, moi, je veux continuer à fumer. Ça me fait du bien et ça ne m’empêche pas d’être premier en cross. »
54« Et puis vous avez vu ce que vous faites comme boulot ! Ça vous amuse de tremper, toute la journée, des tigettes dans des pots remplis d’urine ! »
55Les adolescents ont l’art de venir mettre en question et attaquer non seulement la position même du médecin mais également ce qui fonde son savoir. Le désir qui anime le soignant est également massivement interrogé. Les adolescents nous obligent dès lors à repenser le « sujet supposé savoir » puisque, précisément, ils viennent 1) contester le savoir, 2) démonter les croyances et 3) interroger le sujet lui-même [11].
561) Dans l’ébranlement que l’adolescent fait subir au savoir, il y a surtout la nécessité pour lui de venir se décaler d’un savoir tout ficelé qui viendrait prédire avec force le tracé de son destin. Face à un savoir prédictif (« le tabac est responsable du développement de nombreux cancers » par exemple) le jeune patient se verra dans l’urgence de venir dire quelque chose de sa vérité à lui, celle qui échappe aux livres scientifiques. Même s’il doit être reconnu comme ayant un corps malade, en aucun cas il ne voudrait s’y sentir réduit.
572) Il viendra par ailleurs mettre en doute la croyance des uns et des autres. Derrière ces remises en question répétées, se pointent des interrogations métaphysiques sur la vie, la mort, l’existence de Dieu… telles que de nombreux philosophes les ont élaborées. Dans son adresse à l’autre, se voient ainsi « transférées » des questions ontologiques (sur l’être en tant qu’être) puis ontiques (sur l’être en tant que phénomène) au plus proche de l’enjeu adolescent.
583) Le soignant lui-même, enfin, échappe rarement aux interpellations de l’adolescent concernant sa condition de sujet, son rapport au désir et sa soumission aux lois du langage. Souvent « secoué comme un prunier » le soignant devra faire preuve de consistance et témoigner, depuis une place symbolique particulière (tenant compte de la différence des sexes et des générations) de son caractère minimal d’humanité, c’est-à-dire de sa capacité à être quelqu’un. La meilleure chose qui puisse arriver à un adolescent qui consulte est d’être reconnu comme quelqu’un et rencontrer un quelqu’un en la personne de son médecin. En d’autres termes un médecin qui puisse témoigner en son nom de sa position subjective face aux techniques dont il use et ne soit pas un porte parole neutre d’un savoir médical purement objectif. Selon Badiou cité par Masson, être quelqu’un n’est autre que pouvoir assumer de façon originale le nouage entre deux éléments hétérogènes : d’une part notre animalité, notre contingence, nos déterminismes, d’autre part, un excès sur nous-même, une vérité qui nous déborde et qui est constitutive de notre qualité de sujet [12].
59Voilà, nous semble-t-il l’épreuve que les soignants sont amenés à traverser lorsqu’ils sont confrontés à un adolescent en souffrance. Quand celui-ci vient mettre à l’épreuve les personnes elles-mêmes et la cadre mis en place, il faudra au minimum faire acte de présence et accuser réception de ce qui tente de se dire. Cela suppose également que le soignant s’énonce d’une façon ou d’une autre. Ce n’est qu’à ce prix-là que s’offre un espace d’accueil à « ce qui arrive » et que s’ouvre la possibilité d’une rencontre.
Stade du miroir et regard du soignant
60Reprenons ici brièvement en quoi consiste ce stade élaboré par Jacques Lacan [13] pour rendre compte de l’avènement de l’être humain, entre six et dix-huit mois, au narcissisme primaire, à la première ébauche du moi.
61L’enfant, se vivant jusque là comme morcelé, sans différence entre le soi et le non soi, se reconnaît dans l’image reflétée dans le miroir. L’importance de ce moment psychique et ontologique tient au fait que l’enfant, dans un bain de langage soutenu par un Autre, sa mère qui le porte et le regarde, accède au « je » comme symbole de lui-même. Bernard Golse [14] décrit bien les trois temps scandant l’évolution du statut donné à l’image dans le miroir (temps du réel, de l’imaginaire et du symbolique, qu’il faut appréhender, selon nous, comme étapes davantage logiques que chronologiques). Le reflet équivaut d’abord à un être réel de chair et d’os que le nourrisson tente de toucher. L’enfant saisit ensuite que le reflet n’est qu’une image et que l’espace derrière le miroir est virtuel. Il comprend, enfin, que cette image est son image, qu’elle le représente. L’écart ainsi réalisé entre lui et son image l’inscrit dans le symbolique. Ce moment formateur, identificatoire, permettant à l’enfant de s’approprier et intérioriser cette image unifiée de lui-même, n’est possible que parce que celui-ci a une place dans le grand Autre (incarné par la mère ou toute autre personne assumant de façon privilégiée une fonction maternante pour l’enfant), qui le regarde, le reconnaît et authentifie sa découverte. D’un « Oui, c’est toi Pedro, mon fils », advient un « C’est moi ». C’est ainsi que le petit enfant, l’infans (encore sans parole), dépendant et immature, est invité à anticiper imaginairement, dans un moment d’intense jubilation, la forme totale de son corps. Il peut se projeter dans l’espace et le temps comme être à part entière dans toute son unité et son intégrité.
62A l’adolescence, plusieurs facteurs se combinent pour imposer à celui-ci une nouvelle crise narcissique et un sentiment de doute sur l’existence [15]. Les changements du corps pubère réactivent la problématique du stade du miroir dans ses dimensions réelles, imaginaires et symboliques. Le regard est hautement sollicité, celui que l’adolescent pose sur lui-même mais aussi celui des autres.
63Nous pouvons dès lors nous demander quelle fonction revêt le regard sollicité auprès du soignant. Quel effet peut-il avoir pour l’adolescent ? Ne s’agit-il pas précisément du regard posé par l’Autre au stade du miroir ? En quoi est-il différent ?
64L’adolescent est bien souvent animé d’affects ambivalents face au regard que le médecin ou le personnel infirmer pourraient poser sur son corps dénudé. Suscitant pudeur ou au contraire exhibition, l’examen médical est loin de laisser l’adolescent indifférent. Pour lui, c’est un moment privilégié pour poser des questions et nommer ses craintes. C’est aussi un moment particulier pour venir vérifier si l’autre va tenir une juste place. C’est enfin une occasion, parfois rare, de se mettre à nu et attendre qu’un regard et une parole reconnaissent l’aube de sa nouvelle tranche de vie. Nous avons vu que l’enfant, se vivant encore comme morcelé, pouvait à travers le regard posé par l’Autre sur lui, s’appréhender comme unifié et autonome dans le futur. Dans une contemplation jubilatoire, il voit déjà, de manière anticipée, ce qu’il pourrait être et qu’il n’est pas encore. On peut dès lors se demander si le regard du soignant consulté par un adolescent n’a pas précisément cet effet de reconnaissance de son être grandissant dans un corps parfois difforme, parfois étrange, mais en voie de maturité. L’adolescent, aux prises avec des angoisses de morcellement et de discontinuité, pourrait dans un voyage imaginaire, se projeter de façon plus apaisée dans sa condition de finitude sexuée et mortelle.
65Ce regard unificateur et donnant un point de mire à l’horizon (« Voilà à quoi tu peux t’attendre au terme de ton développement ») est d’autant plus important à l’heure où la médecine hyper spécialisée se subdivise en disciplines de plus en plus pointues et saucissonne l’approche du patient et le regard que l’on pose sur lui.
66Le coup d’œil posé sur Michaël par la doctoresse de médecine scolaire a un effet subjectivant. Au-delà du problème de vue à corriger, elle saisit les formes du visage et fait l’hypothèse que c’est le corps dans sa dimension réelle mais aussi imaginaire qui est touché. La phrase qu’elle lance comme ultime main tendue ouvre un espace de symbolisation à ce jeune en déroute…
La parole et ses fonctions
67« Ce doit être embêtant des lunettes évidemment ! Elles ne tiendraient pas sur ton nez, c’est ça ? » se risque le médecin avant que Michaël ne disparaisse.
68Quelle est la portée d’une telle prise de parole? Quel enseignement peut-on en tirer pour la clinique avec les adolescents ?
69Il nous paraît pertinent de dégager trois fonctions que peut revêtir la parole du soignant : 1) une fonction de nomination, 2) une fonction d’énonciation, 3) une fonction d’interprétation.
70Il n’est pas étonnant que le rôle du médecin ait avoir avec la nomination. Celui-ci a à repérer au fil de l’anamnèse du patient mais aussi à travers l’examen médical réalisé, ce qu’il en est de la problématique et à transmettre à son malade ses hypothèses diagnostiques. Comme nous l’avons déjà décrit plus haut, il est essentiel pour l’adolescent que quelqu’un puisse prêter des mots justes à l’étrangeté de ce qui lui arrive. Nommer, c’est offrir un décalage à la prégnance du réel du corps, c’est offrir un bord aux angoisses envahissantes.
71Mais il ne s’agira pas pour autant de plaquer un simple verdict d’expert. Un énoncé scientifique pur et objectivant peut être trop menaçant pour le jeune patient. Le soignant est bien souvent appelé à en « dire un peu plus », c’est-à-dire à s’énoncer en son nom propre. Par un détour nécessaire, il devra habiter ce qu’il dit et être auteur de ses dires. C’est ainsi qu’il pourra faire preuve à la fois de créativité et d’autorité. Dans le « …C’est ça ? » posé par le médecin de Michaël, une brèche salutaire s’ouvre. Le soignant a une idée sur ce qui fait souffrance pour ce jeune mais se décale d’un savoir sans appel le concernant. Faire autorité auprès de l’adolescent (à la différence d’imposer un pouvoir), c’est parier sur des possibles et le soutenir par une parole qui engage celui qui parle. C’est dans une rencontre comme celle-là qu’un adolescent peut faire l’expérience de sa propre énonciation.
72C’est dans ce contexte que Michaël prend la parole à la première personne. Lorsque un regard et un dire qui subjectivent lui sont accordés, il se met à parler de son histoire. Nous touchons ici, nous semble-t-il, à la fonction d’interprétation que peut avoir l’intervention d’un soignant. Pour reprendre de Mijolla cité par François Marty [16], interpréter équivaut à effectuer une liaison entre une émotion ressentie dans le présent et une expérience vécue dans le passé. Cette double opération (être affecté par une émotion et pouvoir se remémorer une part du passé) ne se réalise pas sans certaines difficultés chez les adolescents. Michaël a mis plusieurs années à s’y autoriser dans le cadre d’une consultation médicale. Cette fois ci, les mots tombent juste et au bon moment pour qu’il puisse les entendre et se mettre à associer librement…
Quand une rencontre a lieu…
73Les adolescents en souffrance interpellent les équipes médicales tant ils mettent à l’épreuve le lien à l’autre et le savoir qui sou tend leur pratique. Par leur insoumission ou leur silence, ils invitent les soignants à sortir d’une certaine réserve et faire preuve d’inventivité. Ainsi les adolescents viennent interroger la place que vont occuper les adultes qu’ils rencontrent, la consistance de leurs désirs et la façon dont ils vont témoigner de leur finitude d’humain sexué et mortel.
74Face au jeune qui consulte, le médecin aura à répondre présent et assumer sa condition d’être quelqu’un. Le contact qui pourra s’établir permettra peut-être qu’un lien de confiance se tisse. Si l’adolescent y consent, il se risquera à dévoiler son corps blessé. La qualité du regard qui lui sera accordé est alors primordiale. Porté par l’image que le soignant lui renvoie, l’occasion lui est donnée de s’approprier une part de l’étrangeté qui l’habite. Comme nous l’avons développé plus haut, le médecin devra poser un acte de parole. La fonction de ses dires est multiple. Au-delà de nommer et faire des hypothèses diagnostiques, les mots prononcés ouvriront à l’énonciation de chacun. Comme pour Michaël, il arrive que, de surcroît, celui qui souffre se risque à parler davantage et révèle ce qui fait énigme pour lui.
75C’est alors qu’une rencontre a lieu …
Notes
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[*]
Pédopsychiatre, assistante de recherche, Unité de Psychologie Médicale, Université Catholique de Louvain, Clos Chapelle-aux-Champs, 30/3047, 1200 Bruxelles.
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[1]
P. ALVIN, exposé intitulé La santé des adolescents en question. Ier Symposium sur La médecine des adolescents. Université Libre de Bruxelles, inédit, 4 mars 2000.
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[2]
M. KLEIN, La psychanalyse des enfants, 1932, trad. Fr., Paris, P.U.F., 1959, p. 37.
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[3]
P.A. MICHAUD, P. ALVIN, « Les adolescents dans une société en transition », dans La santé des adolescents. Approches, soins et prévention, Payot, Lausanne, 1997, p. 17.
-
[4]
A. MASSON, Pour une Clinique de l’Evénement Adolescent, Thèse soutenue en vue de l’obtention du grade de docteur en Sciences Médicales, Université Catholique de Louvain, Faculté de Médecine, Belgique, inédit, 29 mai 2002.
-
[5]
D. MARCELLI, exposé intitulé Le travail psychique lié à la puberté, Ier Symposium sur La médecine des adolescents, Bruxelles, inédit, 4 mars 2000.
-
[6]
P. GUTTON, Le pubertaire, PUF, Paris, 1991, coll. « Le fil rouge ».
-
[7]
Ph. VAN MEERBEECK, C. NOBELS, Quand on n’a que l’amour. L’éducation sexuelle des jeunes au temps du sida, Bruxelles, De Boeck Université, 1992, p. 23.
-
[8]
A. MASSON, « Jeux des liens et transmission symbolique », dans Peau d’âme, P. VAN MEERBEECK (coord.), De Boeck Université, Bruxelles, 1991, p. 35.
-
[9]
M. CHOQUET, S. LEDOUX, Adolescents : enquêtes nationales, Editions INSERM, Paris, 1994.
-
[10]
P. JEAMMET, M. REYNAUD, S.M. CONSOLI, Psychologie médicale. Abrégés Masson, 2e éd., Paris, 1996, p. 339-345.
-
[11]
J.J. RASSIAL, « Où est passé le sujet supposé savoir ? », dans Le transfert adolescent ?, érès, 2002, coll. « Le Bachelier », p. 211-219.
-
[12]
A. MASSON, « L’autorité du médecin entre le savoir génétique et le malade. Ouverture d’un temps humain », dans Génétique et temporalité, L’Harmattan, Paris, 1997, p. 163-208.
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[13]
J. LACAN, Ecrits, Le Seuil, Paris, coll. « Le champ freudien », Paris, 1966, 93-100.
-
[14]
B. GOLSE, Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, Masson, Paris, 1989, p. 159-161.
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[15]
S. LESOURD, « Adolescences… Rencontre du féminin », érès, Actualité de la Psychanalyse, Toulouse, 2002, p. 90.
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[16]
F. MARTY, « L’interprétation dans les thérapies d’adolescents », conférence donnée à l’ISEI, texte inédit, Bruxelles, 27/01/2006.