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Article de revue

La souffrance dans les plis d'Henri Michaux

Pages 147 à 167

Notes

  • [1]
    J.P. Martin, Henri Michaux, Paris, Gallimard, 2003.
  • [2]
    H. Michaux, Œuvres complètes, 3 tomes, Paris, Gallimard, 2001 (Pléiade).par Les extraits de textes de Michaux seront ici toujours cités en italiques et entre guillemets, les titres des poèmes, des sections ou des recueils publiés de poèmes, le sont en italiques avec une majuscule initiale.par Ces citations sont extraites d'Ecuador (1927), O.C. I p.189, de La vie dans les plis (1949), O.C. II p.160, de Nous deux encore (1948), O.C. p.154.par Marie-Louise Michaux, brûlée vive à la suite de l'embrasement de sa robe de chambre en nylon, est morte un mois après l'accident, des suites de ses blessures.
  • [3]
    J'emprunte l'expression à J. Laplanche qui l'emploie à propos de l'Homme aux rats (Problématiques I, L'angoisse, Paris, PUF, 1980).
  • [4]
    R. Bellour, l'éditeur des Œuvres Complètes de Michaux en Pléiade, aux commentaires duquel cet article doit beaucoup (O.C., T. II, p. 1103), souligne cette division, et le tournant que représente La vie dans les plis dans l'œuvre de Michaux.
  • [5]
    J. Laplanche (op. cit.) évoque le « principe de torture » que José Bleger propose d'ajouter au principe de réalité et au principe de plaisir.
  • [6]
    J.C. Rolland, Une figure tragique de la négation, Entretiens de psychanalyse, A.P.F., 14-15 juin 2003.
  • [7]
    « (...) par l'humour, le surmoi aspire à consoler le moi et à le garder des souffrances », écrit Freud dans ce court texte sur L'humour. (in L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985 (Folio essais).
  • [8]
    Ce poème devenu célèbre de 1927 est le premier que publie la Nouvelle Revue Française, la revue de la « pure littérature » disait Jacques Rivière... non sans susciter des désabonnements. « Il l'emparouille et l'endosque contre terre;/ Il le râle et le roupète jusqu'à son drâle; / Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais; / Il le tocarde et le marmine, / Le manage rape à ri et ripe à ra (...) Fouille, fouille, fouille, / Dans la marmite de son ventre est un grand secret /Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs; On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne / Et on vous regarde / On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret » (O.C. I, Quis-je fus, p. 118).
  • [9]
    « Les montagnes et les visages sont les seuls objets que de tout temps j'ai regardés attentivement, irrésistiblement, en les accompagnant en esprit, en les fixant, aimanté rêveusement et sans savoir pourquoi. / Les visages en sont souvent gênés. Les montagnes, pas. Pas que je sache ». (O.C. II, Passages, p.328).
  • [10]
    « Le mauvais, l'étranger au moi, ce qui se trouve au-dehors est pour lui (le moi-plaisir originel) tout d'abord identique » Freud, La Négation, 1925, in Résultats, Idées, Problèmes, PUF, 1985, p.137.
  • [11]
    it« L'extrême et anéantissante fatigue où m'amène assez vite toute activité et tout exercice, me retire assez considérablement du monde familier. / Ce retirement devient une habitude. Retirement de soi hors des choses. Retirement des choses hors des autres choses l'entourant. Soustraction qui revient parfois à de l'analyse, quoique à cent lieues de l'être. Le cadre part et la chose, sans solennité, même avec une rigoureuse simplicité, fait bande à part, existe. / Cette impression est ineffable, on aurait envie de dire divine, tant elle éloigne des commandements que l'homme se donne d'habitude. / Ce détachement, surtout peut-être par l'évanouissement concomitant de toute ambition, volonté, de tout dessein à l'endroit des choses, aère et désintègre. (...)
  • [12]
    Ce poème de 1930 dit autrement cette proximité avec le malheur : « Le Malheur, mon grand laboureur, / Le Malheur, assois-toi, / Repose-toi, / reposons-nous un peu toi et moi, / Repose,/ Tu me trouves, tu m'éprouves, tu me le prouves. / Je suis ta ruine. / mon grand théâtre, mon havre, mon âtre, / Ma cave d'or, / Mon avenir, ma vraie mère, mon horizon. / dans ta lumière, dans ton ampleur, dans mon horreur, Je m'abandonne. » (O.C. I Plume, p. 596). La jouissance masochiste, ici désexualisée, ouvre sur un masochisme de vie, nourricier, bien loin du « pantin disloqué » par les pénétrations brûlantes du thermocautère de 1946.
  • [13]
    H. Michaux, Émergences-Résurgences, Genève, Skira, 1972, p. 32.
  • [14]
    Ce nom imaginaire et polysémique a donné lieu à d'innombrables hypothèses chez les lecteurs de Michaux, qui y entendent bien sûr eidos, l'espèce, l'essence en grec, medeis, personne, en grec (mé comme préfixe privatif), idem, le même en latin, sème, le sens, le M de Michaux, de Marie-Louise... R. Bellour, qui les cite, y entend aussi le mot aime (O.C. II, p.1107).
  • [15]
    Poltergeist, c'est dans la Fantasmagorie de Lewis Carroll (1869) « l'esprit frappeur, bruyant et malfaisant, qui déplace les meubles, brise la vaisselle, etc... » (Œuvres, coll. Bouquins, p. 463).
  • [16]
    G. Deleuze, Foucault, Paris, Minuit, 1986, p. 130.vskip 55 mm

1De quoi a souffert Henri Michaux (1899-1984), cet « athlète de la souffrance » [1] ? D'être « né troué » ou d'« avoir à mourir » ? Des « grands adultes encombrants » dont seule la « séance de sac » infligée, dit-il, dès l'enfance, lui permit de se venger en les y enfermant et les battant – on bat un adulte... ? Ou bien de la « perte d'être aimé » après la mort de Marie-Louise, sa femme, « tombée dans la mort » en février 1948 [2] ?

2De quoi a souffert Henri Michaux ? La question est incongrue, presque obscène, si peu michaldienne : cet homme, discret sur sa vie jusqu'à l'effacement, au profit des « livres, rien que les livres », aurait interdit qu'on la posât. C'est pourtant la belle biographie que Jean-Pierre Martin, poète lui aussi, vient de lui consacrer qui m'autorise à poser la maladroite question – tant les poètes, comme les patients, enseignent le clinicien.

3La souffrance, Henri Michaux l'a beaucoup arpentée, et l'écriture apparait comme un recours privilégié pour « se remparer ». Mais cette souffrance apparaît au fil de l'oeuvre sédimentée en plusieurs strates, souvent entrecroisées. Sans prétendre certes à l'exhaustivité, ce travail voudrait s'attacher à deux d'entre elles, repérer leur croisement, leur écart : une souffrance à teneur narcissique, creusée par le déploiement fantasmatique, dans et par l'écriture, d'une « scène intérieure sado-masochiste » [3], et une souffrance à teneur objectale, née d'un deuil, où le « démantèlement » ne provient plus de l'effervescence pulsionnelle agressive sublimée mais de la perte effective de l'autre, où l'« ensablement » efface à la fois le torrent et les digues qui ne remparent plus assez.

4Strates, on pourrait dire des plis. « Les livres, rien que des livres », disait Michaux. Prenons La vie dans les plis : ce recueil qu'il se décide à composer – au sens musical du terme –, au début de l'année 1949, est partagé et déchiré [4] par l'« atroce ». Après deux premières sections, Liberté d'action et Apparitions, écrites et déjà publiées en 1946, Michaux insère au milieu de ce recueil de 1949 Portraits des Meidosems, écrits quelques mois après la catastrophe, parallèlement à un engagement croissant dans la peinture; il fait suivre les Meidosems de fragments écrits avant la mort de Marie-Louise, Lieux inexprimables, et ferme le recueil, comme on ferme une marche, avec un texte un peu plus tardif, « Vieillesse de Pollagoras ». Dans ce dernier récit, directement autobiographique, le combattant Pollagoras, arrivé devant la plaine de la Mort, n'est plus que « ce champ de beaucoup de batailles » où errent des fantômes, bien loin de la Liberté d'action.

La scène intérieure sado-masochiste

5Les deux premiers groupes de textes, écrits dans l'immédiat après-guerre et avant l'acccident, déplient avec une ironie violente une machinerie fantasmatique d'intense violence corporelle, où paraît régner le « principe de torture » [5].

6Je n'insisterai pas ici sur l'ironie, « l'humour à blanc » (R. Bellour) qui imprègnent ces textes, et beaucoup d'autres de Michaux. Selon différentes modalités qui restent à distinguer, cette ironie, « figure tragique de la négation » comme l'écrit Jean-Claude Rolland [6], sert le détachement : comme la négation au sens freudien du terme, elle sépare et délimite les espaces, garantit la liberté d'action. Comme si en même temps qu'il dressait cette scène, Michaux ménageait une arrière-scène qui le protègerait de l'atteinte effective de la souffrance, qui protègerait aussi le lecteur de l'emprise du scénario de souffrance. En même temps que le poète représente la souffrance, l'humour lui permettrait de la refuser, pour lui et pour nous, lecteurs. L'humour lui assure, me semble-t-il, l'« invincibilité narcissique » et l'affirmation victorieuse du principe de plaisir (Freud, 1927), garantit qu'il reste une arrière-scène interne qui, elle, échappe à la destruction, à la « surhaine » [7].

7Si le versant sadique prévaut dans Liberté d'action, et le versant masochiste dans Apparitions, la ligne de crête est incertaine : c'est le même « engrenage infernal » qui peut tourner dans les deux sens, tant Michaux est installé Au pays de la magie – on pourrait dire aussi, tant l'objet de la pulsion, « ce morceau d'activité » freudien, est contingent. Dans ces deux premières sections de La vie dans les plis, la scène intérieure sado-masochiste qui se déploie est caractérisée non par la distinction de deux positions inversées, mais par ce dédoublement interne repèré par Freud (1915) dans Pulsions et destins de pulsions : « ce qu'il faut concevoir, dans le ``je me fais souffrir", c'est toujours, d'une façon ou d'une autre, ``je fais souffrir en moi l'autre que j'y ai mis" » (J. Laplanche, 1980).

8« Liberté d'action » : le « rassassinat ». Sur cet imaginaire du Grand combat[8] qui est au fondement même de la venue de Michaux à l'écriture, je n'insisterai pas non plus : les titres des courts récits qui composent cette Liberté d'action de 1946 sont éloquents. Les envies satisfaites, La fronde à hommes, À la broche, La mitrailleuse à gifles, La philosophie par le meurtre... : la toute-puissance (des mots) mène Michaux, avec cet humour proprement ravageur, jusqu' à L'attaque de la montagne[9]. La haine, la colère et l'envie, alimentent le combat, qui naît d'elles – « j'ai besoin de haine et d'envie, c'est ma santé » écrivait déjà Michaux en 1929, dans ce superbe poème intitulé Je suis né troué (O.C. I, Ecuador, p.189). De Freud (1915) disant que la haine est plus ancienne que l'amour, Michaux n'est finalement pas très loin : « Je me demande si la haine ne sera pas plus solidement architecturale que l'amour et, pour le purement spectaculaire, je parie naturellement sur la colère » (O.C II, En pensant au phénomène de la peinture, p. 323).

9Ce meurtre – « Celui qui a tué moins de cent fois, qu'il me jette la première pierre » (O.C. II, p.165) –, qui pour Freud comme pour le poète fonde et l'individu et la communauté humaine, est ici bien sûr la mise en spectacle de la colère et de la haine, sa mise en jeu et son actualisation dans l'écriture, qui permettent sa répétition, à l'envi, et non sa mise en acte dans la réalité effective de la vie.

10« Je n'ai guère fait de mal à personne dans la vie. Je n'en avais que l'envie. Je n'en avais bientôt plus l'envie. J'avais satisfait mon envie. / Dans la vie on ne réalise jamais ce qu'on veut (...) à ma façon je peux les tuer deux fois, vingt fois et davantage (...) et l'homme déjà froid, si un détail m'a gêné, je le relève séance tenante et le rassassine avec les retouches appropriées. / C'est pourquoi dans le réel, comme on dit, je ne fais de mal à personne; même pas à mes ennemis. Je les garde pour mon spectacle, où avec le soin et le désintéressement voulu (sans lequel il n'est pas d'art), et avec les corrections et les répétitions convenables, je leur fais leur affaire (...) » (O.C. II, p. 160).

11Fantasme de meurtre, advenu et sublimé par le langage lui-même ? Michaux, qui n'est pas freudien, l'affirmait en 1942 en des termes que n'aurait pas non plus désavoué Freud (1925) [10] : « La sublimation existe. ``Non" est un meurtre sublimé » (O.C. II p 290). Haine re-présentée, c'est à dire aussi présentée à nouveau, dans la langue, jusqu'à inventer de nouveaux mots ? Comme si dans cette mise en langue, à l'instar de l'analysant dans la parole vive de la cure, l'écrivain opérait ce passage que décrit J. C. Rolland (1998) entre compulsion de répétition et compulsion de représentation : la compulsion de représentation, dans la parole de la séance comme dans la langue du texte, viendrait se subsituer à la compulsion de répétition en se développant, s'élaborant, se satisfaisant in effigie, se sublimant. Transformer la répétition du « Non ! » inaugural et de la « haine primitive » (Freud, 1915) en leur représentation sur la scène de la langue, et plus précisément encore en la répétition de sa représentation, telle est bien la liberté d'action du créateur pour Michaux. « Un écrivain est un homme qui sait garder le contact, qui reste joint à son trouble, à sa région vicieuse jamais apaisée. Elle le porte », écrit-il (O.C. II, Passages, p 348).

12Il faudrait évoquer aussi, à côté de la jubilation à retrouver sa liberté d'action après la guerre où le gouvernement de Vichy menace ce Belge exilé de l'intérieur (« J'adore malaxer. Je t'empoigne un maréchal et te le triture si bien (...), saucisson désormais incapable d'intervention », O.C. II, La Vie dans les plis p.161), l'immobilité à laquelle la tuberculose contractée par son épouse Marie-Louise à la fin de cette guerre contraint le grand voyageur : à cette époque de « vie médiocre à trois » (le couple et « une maladie plus encombrante qu'un bébé », selon les termes même de Michaux) ses voyages ne sont plus qu'imaginaires – « Je ne voyage plus (...) Moi je mets la Chine dans ma cour. Je suis plus à l'aise pour l'observer » (O.C. II, op. cit., p.171)

13Il faudrait surtout analyser de près comment mots et rythmes creusent ce « précipice de la rage », comprendre aussi ce qui dans cette « esthétique de l'agression », cette « transe de la malédiction » (J.P. Martin) mène Michaux de l'écriture à la peinture. Comme l'écriture, la peinture a à voir avec le meurtre qui ouvre à la vie, mais la figuration/défiguration s'y joue autrement : Homme-bombe, le dernier fragment de Liberté d'action, se termine ainsi :

14« Mais il est temps de me taire. J'en ai trop dit./ À écrire on s'expose décidément à l'excès / Un mot de plus, je culbutais dans la vérité. / D'ailleurs, je ne tue plus. Tout lasse. Encore une époque de ma vie de finie. Maintenant je vais peindre, c'est beau les couleurs, quand ça sort du tube, et parfois encore quelque temps après. C'est comme du sang », Michaux ayant corrigé sa version initiale « c'est frais comme du sang, et quelque temps après c'est comme de la sève ».

15Si Michaux, qui avait déjà commencé à peindre, peint davantage encore après la guerre, avec frénésie, il ne se tait pas pour autant. Et les Apparitions, qui suivent Liberté d'action, paraissent en 1946 illustrées de frottages qu'il a réalisés parallèlement.

16Apparitions : l'« athlète de la souffrance » (J. P. Martin). Je m'arrêterai davantage sur l'imaginaire masochiste de ces Apparitions, très lié à ce narcissisme dont Freud (1914) nous dit qu'il consiste à investir le moi comme objet libidinal : dans ces textes, le moi paraît investi, très investi, comme objet de souffrance. Un moi tantôt instance corporelle, tantôt instance psychique, ou bien encore un je, autre que moi : les objets d'investissement narcissique, et masochiste, ont ici différentes figures, j'y reviendrai.

17« Quel drôle de Narcisse je fais : je me scalpe. Je m'écorche. Des pieds à la tête Je m'écorche. Des pieds à la tête, des pieds au front, que je m'arrache comme une souffrante pelure. Ainsi je me martyrise. Pourquoi ? Besoin d'activité. Que faire alors ? Je m'écorche. Je n'ai pas l'imagination du bonheur. / Et pourquoi moi ? Il ne me vient pas à l'esprit d'en écorcher un autre que moi. Il faudrait y penser peut-être » (O.C. II, Apparitions, p. 195).

18Là encore, les titres des fragments sont éloquents : La constellation des piqûres, En circulant dans mon corps, L'assaut du sabre ondulant, L'appareil à éventrer, Le coup de pompe, L'atelier de démolition, Le trépané, Les travaux de Sisyphe, La faille, Le royaume qui s'engloutit, Les mains coupées, etc... Ils disent aussi combien la position masochiste ici mobilisée est liée à la position sadique. J. Laplanche (1980), C. Chabert (2001) le rappellent : le sujet qui fantasme la scène « On bat un enfant », dans le contenu de laquelle il est passif, se trouve en fait dans la position active, et sadique, du metteur en scène, du seul fait qu'il met en œuvre ce scénario fantasmatique.

19Le champ de bataille, cette fois, ce n'est plus le corps de l'autre, des autres, c'est le corps propre du narrateur. « La guerre venait de finir et je cessais de me remparer, quand la peur qui n'attend qu'un soulagement pour paraître, la peur entra en moi en tempête et dès lors ma guerre commença », ainsi finit le fragment « En circulant dans mon corps » (O.C. II, op. cit., p.173).

20Quelle est cette peur qui telle une armée « occupa » à nouveau le narrateur ? Dans ce texte, le clinicien est attentif à sa dimension hypocondriaque, qui esquisse toute une cartographie corporelle de l'angoisse de perte.

21« Ma peur songeant à ma main qui dans un avenir proche devait se figer, cet avenir à l'instant fut; et ma main se figea, ne pouvant plus retenir un objet. Ma peur pensant la nécrose des extrémités, aussitôt mes pieds se glacèrent et, la vie les quittant, se trouvèrent comme tronçonnées de mon corps. Un barrage catégorique m'en tenait désormais éloigné. Déjà j'abandonnais ces mottes qui seulement pour peu de temps encore devaient s'appeler mes pieds, me promettant des douleurs terribles, avant de s'en aller, et après, étant partis... / ma peur ensuite alla à ma tête, en moins de deux, un mal fulgurant me sabra le crâne et s'en suivit une défaillance telle que j'eusse reculé devant l'effort pour retrouver mon nom. / Ainsi je circulais en angoisse dans mon corps affolé, excitant des chocs, des arrêts, des plaintes. J'éveillai les reins, et ils eurent mal. Je réveillai le colon, il pinça; le cœur, il dégaina. Je me dévêtais la nuit, et dans les tremblements j'inspectais ma peau, dans l'attente du mal qui allait la crever. / Un chatouillement froid m'alertait tantôt ici, tantôt là, un chatouillement froid à toutes les zones de moi. » (OC II p 173).

22Angoisse de démembrement : perte des extrémités du corps, puis des organes au-dedans, avec à l'horizon, après la perte de l'enveloppe corporelle, la perte du Soi vivant et de son sentiment d'exister ? La peur est chef de guerre en tant qu'elle pense (« Ma peur songeant... pensant ») : « ma peur » réalise la perte de ces objets corporels, mais « Je » se déprend de l'effroi en devenant narrateur et en dépliant le temps – « cet avenir à l'instant fut ». Dans ce combat, « Moi » n'est pas définitivement défait : il reste face à la peur comme l'un des protagonistes du conflit – « la peur entra en moi en tempête et dès lors ma guerre commença ». Mais avec quelles troupes « moi » va-t-il résister à l'occupant du dedans, face à l'angoisse qui démantèle ses propriétés « comme le souffle qui désagrège les édifices » ?

23Cette hyponcondrie mise en scène par le narrateur en circulant dans son corps s'ancre dans un élément de réalité biographique. Michaux souffrait en effet d'une malformation cardiaque congénitale (une insuffisance aortique, d'où une insuffisance ventriculaire, avec pour symptômes une tachycardie, un souffle très prononcé, une certaine fatigabilité : « Il s'agissait d'expliquer de continuelles nausées et comme si la vie se décrochait » (O.C. I, Ecuador, p. 192).

24« Cœur sans frappe véritable, pas fait pour des actes, pas fait pour le travail en pointe et, dans son bruit de pompe, par moments une sorte d'hésitation, de retournement sourd et secret : le mauvais signe. Moi, lié à ça pour toujours ! » (O.C., II, Apparitions, p.177).

25Des douleurs physiques, H. Michaux en a connu, plus banales que celles suscitées par une insuffisance cardiaque congénitale. Elles furent souvent chez lui l'occasion de déployer une fantaisie débridée, des « créations mentales – le meilleur remède contre la douleur. Ainsi ce panaris, qui le saisit à Honfleur une nuit de 1929, dans une chambre d'hotel où crier était impossible, à cause des voisins. Il en fit deux courts textes, réunis dans Mes propriétés : Crier et Conseils aux malades.

26

Contraint au silence, « je me mis à sortir de mon crâne des grosses caisses, des cuivres, et un instrument qui résonnait plus que des orgues. Et profitant de la force prodigieuse que me donnait la fièvre, j'en fis un orchestre assourdissant. Tout tremblait de vibrations. / Alors, enfin assuré que dans ce tumulte ma voix ne serait pas entendue, je me mis à hurler, à hurler pendant des heures, et parvins à me soulager petit à petit » (OC 1 p. 484).

27Pas besoin de panaris, d'ailleurs, pour intervenir, pour faire son cinéma – un poème voisin s'appelle Projection : la scène se passe toujours à Honfleur « (...) et je m'y ennuyais. Alors résolument j'y mis du chameau. (...) L'odeur gagna le port et se mit à terrasser celle de la crevette. On sortait de la foule plein de poussières et de poils d'on ne savait quoi » (O.C. 1, op. cit. p 488).

28Cette légèreté de la fantaisie toute-puissante n'est plus de mise en 1946 : les chameaux de Honfleur, qui réapparaissent dans le fragment intitulé Le convoi, ne sont plus que « l'accompagnement de notre malaise », une Distraction fâcheuse (OC II, Apparitions, p191). Dans ces Apparitions, la maladie de cœur ne suscite plus le détachement et le sentiment d'abandon quasi océanique que Michaux lui imputait en 1942 [11]. Le retirement se fait menace d'anéantissement, et c'est toute la dimension mélancolique de l'hyponcondrie qui apparaît :

29« Tout à coup, dans la nuit, comme un brusque coup de pompe dans la poitrine, au cœur, mais ce n'est pas le coup de pompe qui donne, c'est celui qui retire, qui retire, vous laissant au bord de l'évanouissement, au bord de l'horreur sans sujet, au bord du « plus rien ». / Les genoux en un instant, en un dixième d'instant se sont mis à trembler, comme sous une fièvre de quarante-trois degrés et demi. / Mais pas de fièvre (on la souhaiterait plutôt, sorte de compagnie), pas de fièvre. Rien. Et ce « rien » est pour faire place à l'événement terrible qui vient, je l'attends, qui appelle dans le silence, qui ne va pas reculer indéfiniment... » (OC II p178).

30« Ma guerre commença », disait le narrateur en circulant dans toutes les zones de son corps. C'est une vraie guerre, non plus entre « je » et « il » comme dans Le Grand Combat, mais entre « je » et « mon corps », entre « la peur » et « moi », entre « je » et des machines imaginaires, entre « je » et « quelqu'un », etc... : les noms des protagonistes sont multiples car le dédoublement à l'infini est la règle, les divisions de l'être passant par des lignes de fracture toujours renouvelées entre des instances, des figures, qui ne prennent jamais une forme définitive. Machines à pénétrer le corps du narrateur, à l'éventrer, comme le sabre ondulant, la lance de plus de huit mêtres... Corps martelés, déformés, trépanés, dépecés, disloqués : tout l'arsenal de la scène intérieure sado-masochiste est là, le même que dans Liberté d'action malgré le retournement sur le corps propre.

31Parmi ces instruments à parcourir le corps humain, le thermocautère.

32« Son style est simple : je te vois, je te détruis. / Quel admirable sillon il va pouvoir tracer dans les chairs indéfendables qu'il va rencontrer ! En pleine sculpture et cette sculpture est ciselure. Avec ardeur vous vous jetez au travail. N'y a de gênant qu'une odeur de roussi. Mais qu'importe ! Ce n'est pas le nez qui est à son affaire ici. Qui a le nez créateur ? Pas moi. On ne saurait donc pas sous ce prétexte refuser cet admirable insrument à qui veut parcourir de façon intéressante le corps humain. Mais attention, tenez-le bien, dirigé sur le corps recherché. Si exaltant dans le « Je-tu », il est terrible dans le « Tu-moi », ou même dans le « Je-moi », si vous êtes assez faible pour vous laisser aborder et cela peut arriver. Oh ! comme cela arrive aisément ! Attention, c'est fait ! lâchez ! lâchez donc ! Trop tard, le voilà qui s'attache à votre chair, qui entre dans votre cuisse où pourtant vous ne trouviez rien de trop, le voilà qui vient brûler votre propre genou, et la chaleur terrible de l'infiniment petit haut fourneau vous entre dans l'os qu'elle parcourt en un instant, le remontant d'un bond jusqu'au sommet, comme un rat affolé. / Pantin disloqué, tu t'agites, maintenant, tu t'agites dans le lit du malheur, imbécile imprudent ».

33« Je–tu », je tue : en toute liberté d'action, le fantasme du meurtre de l'autre, qui supprime tout objet dans la phrase même, est « exaltant », selon le narrateur. Mais dans le « Tu-moi », Tues-moi !, l'instrument de torture devient « terrible », retourné contre moi, comme dans le « Je-moi ». La menace vient alors du « tu » meurtrier (« je tu moi » à entendre aussi comme « je tue moi »), et c'est l'autre qui devient le bourreau. Mais les places ne sont pas fixes. Le « vous » auquel le narrateur s'adresse – le lecteur, les autres ? – qui commence avec ardeur à tracer l'« admirable sillon » au thermocautère, devient sa propre victime : il est ce « bourreau de soi-même », Héautontimoroumenos, selon la formule même du mélancolique dont Baudelaire a fait le titre d'un de ses poèmes – « Je suis la plaie et le couteau ! / Je suis le soufflet et la joue ! / Je suis les membres et la roue, / Et la victime et le bourreau ». Chez Michaux, dans ce texte le « je » n'est pas sauvé pour autant par le sacrifice de l'autre : dans le fragment qui suit, il subit l'assaut du sabre ondulant, et la scène sado-masochiste se poursuit.

34Ce fragment sur le thermocautère est intitulé N'imaginez jamais !. L'injonction, chargée de tout l'ironique paradoxe que Beckett condense admirablement avec un autre titre, Imagination morte imaginez, souligne la menace meurtrière dont la pensée est porteuse. Plus loin, Michaux dénonce Le danger des associations de pensées.

35« C'est beau, une scie, une scie de scieurs de long, une scie qui puissamment, souplement, tranquillement avance dans une bille de bois pesante qu'elle tranche souverainement. / C'est beau aussi, une poitrine. Très beau. Dedans, dehors. Dedans, plus encore, si magnifiquement utile quand on sait s'en servir, la menant de temps à autre à l'air froid des hautes altitudes où elle prospère et s'éjouit. / Mais comme c'est misérable, une poitrine sous une scie qui approche imperturbable, comme c'est misérable, surtout si c'est la vôtre, et pourquoi vous être arrêté la pensée sur la scie alors qu'il n'y a que votre corps qui vous intéresse, dont la scie par ce fait approchera fatalement ? Et en une époque de sang comme la nôtre, comment n'irait-elle pas s'y accrocher ? En effet la voilà qui entre, comme chez elle, s'enfonce grâce à ses dents merveilleuses, taillant tranquillement dans la poitrine son sillon qui ne servira à personne, à personne, n'est-ce pas évident ? / Trop tard maintenant les réflexions de « distraction ». Elle est là. Elle règne dans la place et comme une inconsciente la voilà qui se met à trancher dans votre corps perdu, fatalement perdu à présent » (OC II p. 176).

36Selon une logique ici vertigineusement persécutante, le contact entre les mots, les représentations-mots, fait aussi se toucher entre elles les choses, les représentations-choses. Dans cette rencontre explosive et folle où les mots (une scie/une poitrine) sont pris pour des choses, où c'est à même la chair que la pensée arrêtée sur la scie taille, et inscrit sa trace, le corps est « fatalement perdu », deux fois victime du narcissisme : labouré par la toute-puissance des pensées – pour Freud (1912), « narcissisme intellectuel, toute-puissance des pensées » sont synomymes –, victime aussi de Narcisse lui-même – « et pourquoi vous être arrêté la pensée sur la scie alors qu'il n'y a que votre corps qui vous intéresse, dont la scie par ce fait approchera fatalement ». La douleur de Narcisse, c'est celle qu'il s'inflige à lui-même dès qu'il fait se toucher deux mots, c'est à dire deux choses : l'altérité dont le langage est porteur, d'un mot l'autre, d'une chose l'autre, est littéralement mortifère.

37Mais, chez Michaux, ou du moins pour le narrateur d' Apparitions, Narcisse l'auto-scalpeur, Narcisse l'écorché se fait aussi potier : l'auto-sadisme, en creusant le vide, lui donne forme et corps, contenance et contenu, le « né troué » de 1927 est un créateur : « C'est moi qui suis le potier. Sous le doigt dominateur qui, tel le trépan dans le roc, entre sans réplique, je me creuse moi-même ». Pourtant, pas d'illusion, « je n'ai pas l'imagination du bonheur » disait ce narrateur quelques lignes plus haut [12] : le fantasme d'auto-engendrement, c'est à dire aussi le fantasme comme auto-engendrement, laisse Narcisse labouré par le travail de la douleur. Ainsi continue en effet Sous les doigts du potier :

38« Ma tête, ma seule tête, sous la pression continue, se déprime, cède, devient un creux, nouveau et inquiétant nombril. / Je fais aussi tourner des disques et l'aiguille imperturbable me laboure, laboure mon crâne, laboure mon genou qu'elle perce jusqu'à la synovie. / Meule de chair, comment me plairai-je à cette déplorable occupation ? Mais le travail est en train. Comment l'arrêter maintenant ? ».

39Animant la scène sado-masochiste que Michaux déploie dans cette première partie de La vie dans les plis, le travail de la douleur semble avoir une fonction épiphanique : il est, à l'instar du travail du rêve décrit par Freud dans L'Interprétation des rêves, cette activité de déformation, de transformation, de défiguration, mais aussi d'inscription et de production – production de fiction et de soi.

Du rassassinat à l'impossible désattristement : voyage chez les Meidosems

40« Un accident. Grave. Très grave. Touchant une personne qui m'est proche. Tout s'arrête. Ca n'a plus beaucoup de sens, le réel, l'autre réel, le réel de distraction, qui n'a pas affaire à la Mort » [13]. Michaux raconte ainsi l'épreuve, vingt-quatre ans plus tard, à sa manière « elliptique » (J.P. Martin), avec l'intensité du présent. À Gide, qui lui avait envoyé un mot de condoléances, il avait répondu alors : « Sur la souffrance, sur l'affection, j'ai appris des choses en cette vie, et sur l'amour que peut-être je ne mettais pas assez haut. Mais sur ce qu'est la mort, je n'en sais pas plus, hélas, que si je venais seulement de naître. Cela devient insupportable... mais pas mieux éclairé pour cela (...) » (in J. P. Martin, op. cit. p. 445). Après l'épopée de la souffrance dans les textes précèdents, dont la représentation devient constitutive de soi, la souffrance d'après l'atroce accident et la mort, la « térébrante souffrance » – celle de Marie-Louise « calcinée », celle de Michaux veillant – « il dort à cheval dans sa peine immense » –, puis endeuillé. Après le grand combat, la mélancolie ? Un mois s'écoule entre l'accident et le décès de Marie-Louise. « Elle se retrouve dans un lit, dont la souffrance monte jusqu'au ciel, jusqu'au ciel, sans rencontrer de dieu... dont la souffrance descend jusqu'au fond de l'enfer, jusqu'au fond de l'enfer sans rencontrer de démon », écrit Michaux quelques mois plus tard, dans un texte très court, Nous deux encore, l'un des seuls directement autobiographiques au sujet de ce qu'il appelle dans sa correspondance « l'atroce ». Nous deux encore : pour Freud (1915), dans le deuil l'objet perdu est maintenu présent de façon quasi hallucinatoire. Ce très beau texte de Michaux, qui porte la marque du travail du deuil, avec la reconnaisance de la réalité de la perte qui s'inscrit dans le temps du plus-que-parfait, se termine ainsi :« on est resté hébété de ce côté-ci. On n'a pas eu le temps de dire au revoir. On n'a pas eu le temps d'une promesse. / Elle avait disparu du film de cette terre ». (OC II p.151).

41Un soir de ce mois là, « au retour d'une journée à l'hopital, un soir de lassitude et d'épuisement (...), l'humeur sombre », puis dans les nuits qui suivirent le décès de Marie-Louise, Michaux se précipite dans la peinture, sans retenue cette fois, avec une frénésie qu'il décrira en 1972 ainsi : « À la plume, ravageusement raturant, je balafre les surfaces pour faire ravage dessus, comme ravage toute la journée est passé en moi, faisant de mon être une plaie. Que de ce papier aussi vienne une plaie ! ».

42Écrire est alors hors de question. « À bas les mots. Dans ce moment aucune alliance avec eux n'est concevable. Je suis au-delà. J'ai besoin de me laisser aller, de tout laisser aller, de me plonger dans un découragement général, sans y résister, sans vouloir l'éclaircir, en homme étourdi par les chocs, qui aspire à s'étourdir davantage... » (Émergences-Résurgences, p. 38). Pour soulager un peu du « monde effroyable et immense de la souffrance jamais loin, qui ferme la bouche à tout le reste », « la peinture convient mieux » que les mots (ibid.) : parce qu'il n'est pas peintre, Michaux peut en toute innocence « (se) laisser aller, laisser aller tout – et sans (se) forcer – dans le désordre, dans la discordance et le gâchis, le mal et le sens dessus-dessous ». Là où le langage enchaîne, fige, prévoit, délibère, la peinture surgit, libère le mouvement, l'imprévu, et la détresse.

43À l'encre ou à l'aquarelle, la peinture est encore pour Michaux un grand combat : « Je lance l'eau à l'assaut des pigments, qui se font, se contredisent, bafouant les formes et les lignes esquissées, et cette destruction, moquerie de toute fixité, de tout dessin, est sœur et frère de mon état qui ne voit plus rien tenir debout » (ibid. p.40). Destruction nécessiare, vitale, qui donne forme, aussi désolée soit-elle, à l'informe : ces émergences dans et par la peinture sont des résurgences, ces apparitions des ré-apparitions, ces figures des re-présentations qui redonnent vie, et présence dans la désolation – « sœur et frère de mon état... ». Une telle façon de peindre, activement désordonnée, sauvage, annihilant formes et contours, est la seule manière de traiter le désordre, la sauvagerie, l'annihilation subis du dehors. Travail de sublimation au creux du travail de deuil, avec leur nécessaire charge meurtrière ? Pour son pouvoir de dissolution découvert en ce début 1946, à son comble dans la matière même de l'aquarelle – l'eau de l'aquarelle « démon omnivore, faiseur de mirages, briseur de digues, débordeur de mondes » et le « petit tas colorant qui se désamoncelle en infimes particules » dit-il en 1950 en pensant au phénomène de la peinture (O.C. II p. 329) –, Michaux n'abandonnera plus la peinture, devenue au fil des années suivante « un préalable nécessaire ».

44Juste après la catastrophe, la fonction thérapeuique de ce passage par la peinture, déliante et reliante, est ainsi au premier plan. « Amenées par les gestes saccadés, désordonnés, par les arrivées de liquide lancé à la diable sur les couleurs aussitôt dispersées en gerbes ou en dégoulinades, par le souvenir des malades livides, décharnés, dans des salles abominables du piteux hopital, entrevus dans la journée (et par le récit que j'avais écouté de leur cas tragique), des têtes malheureuses, au comble de la détresse, apparaissent sur le papier, têtes ou fragments de têtes, désolations d'être, comme si elles avaient été toutes prêtes, n'attendant que mon geste brouillon d'homme affolé pour venir, apportant leur misère à elles, en vrac, me rejoignant, en lambeaux » (Émergences-Résurgences, p. 42).

45Le poète improvise aussi une musique, désespérée disent les voisins, au piano et au tam-tam (« je me frappe avec le Temps » écrit-il à Michel Cournot fin avril 1948).

46Dessins à la plume sur lavis d'aquarelles, les Meidosems, figures fantomatiques d'un pays imaginaire, apparaissent dans ces nuits là. Ces pays imaginaires, ceux des Emanglons, des Hivinizikis et des Mages, du Pays de la Magie, ont jusqu'à maintenant toujours été pour Michaux « des sortes d'États-tampons, afin de ne pas souffrir de la réalité » (OC II, Passages, p. 350). Les Meidosems sont le dernier peuple qu'il inventera, en peignant et en écrivant.

47Après ce passage par la peinture, les mots redeviennent des alliés : Michaux écrit en effet, quelques mois après, des Portraits des Meidosems qui souvent ressemblent aux dessins. Ces êtres si fragiles ont la résistance infinie de la poésie à tout commentaire clinique. Aidée par les belles analyses qu'en propose après de nombreux autres lecteurs avertis R. Bellour, je ne tirerai ici qu'un seul fil : si la thématique du corps souffrant, familière à Michaux nous l'avons vu, est reprise après cette destruction tragique d'un être aimé, qui suscite à nouveau une telle thématique même si l'expérience individuelle est transfigurée dans et par l'œuvre, ce corps souffrant se transforme après le drame, me semble-t-il. Tandis que le corporel s'effacerait peu à peu vers de l'incorporel, on pourrait dire du décorporel, l'acharnement narcissique s'effacerait au profit d'une dimension plus objectale, et objectalisante, de la souffrance. Dans cette épreuve de souffrance telle que l'écriture la re-présente, la souffrance dont le corps était, est toujours, l'objet et le sujet, le lieu et le processus, tendrait vers ce que Bellour appelle la « spiritualisation » du corps.

48Qui sont les Meidosems ? Individus, c'est trop dire : « façons, visages, vies », bulles, lianes, effilochés, parfois déguisés en énorme baudruche, flocons, toujours extrêmement élastiques, ils sont des êtres de passage, des passages d'êtres énigmatiques, à l'anatomie et à l'habitat des plus étranges : « d'une brume à une chair, infinis les passages en pays meidosem » (O.C. II, p.214).

49« Il se mue en cascade, en fissures, en feu. C'est être Meidosem que de se muer ainsi en moires changeantes. / Pourquoi ? / Au moins, ce ne sont pas des plaies. Et va le Meidosem. Plutôt reflets et jeux du soleil et de l'ombre que souffrir, que méditer. Plutôt cascades. » (O.C. II. p217).

50Un Meidosem [14], dit Bellour, c'est « une hypothèse. Une synthèse discrète et floue de l'ailleurs (...) Il oscille comme aucun autre entre figuration et défiguration, féminin et masculin, nom et adjectif, qualifiant toutes choses. C'est un mot inventé, sans motivation assignable, paraissant les permettre toutes. Comme une apparition de mot. C'est un corporel-incorporel, un corps-âme » (O.C. II p.1106).

51Certes le corps souffrant est omniprésent au pays imaginaire des Meidosems : nombre de fragments sont hantés par l'image de l'atroce réalité, la femme aimée au corps et au visage brûlés, suspendue par un appareillage de sangles et de poulies : « Meidosem à la face calcinée ».

52« Dans la glace, les cordons de ses nerfs sont dans la glace. / Leur promenade y est brève, travaillée d'élancements, de barbes d'acier sur le chemin du retour au froid du Néant. / La tête crève, les os pourrissent. Et les chairs, qui parle encore de chairs ? Qui s'attend encore à des chairs ? ».

53Mais affection et infection se touchent (« Des coulées d'affection, d'infection, des coulées de l'arrière-ban des souffrances, caramel amer d'autrefois »), et le sang est celui des souvenirs, de la veine mémoire – Michaux avait d'abord écrit « vaine » mémoire.

54

« (...)c'est avec ces coulées-là qu'il marche, avec elles qu'il appréhende, membres spongieux venus de la tête, percés de millle petites coulées transversales, allant jusqu'à terre, extravasées, comme d'un sang crevant les artérioles, mais ce n'est pas du sang, c'est le sang des souvenirs, du percement de l'âme, de la fragile chambre centrale, luttant dans l'étoupe, c'est l'eau rougie de la veine mémoire, coulant sans dessein mais non sans raison en ses boyaux petits qui partout fuient; infime et multiple crevaison ».

55« Et pendant qu'il la regarde, il lui fait un enfant d'âme ». Malgré l'omniprésence du corps souffrant, dans ce pays de passages et de métamorphoses, hors du dédoublement infini qui caractérisait la douleur auto-érotiquement narcissique de Liberté d'action, d'Apparitions, l'empreinte de l'autre émerge, un autre qui n'est ni meurtrier, ni mortifère, ni à abattre. Notamment l'autre féminin, la Meidosemme, dont la présence « déliée » (R. Bellour) insiste, alors même qu'il était depuis longtemps (depuis La Ralentie) absent de l'œuvre de Michaux. « Le démantèlement commença avec la mort de quelqu'un avec qui je vivais. Ce quelqu'un était femme, c'est-à-dire propre à s'insinuer dans tous les couloirs de l'âme », dira le vieux Pollagoras, double de Michaux, quelques mois après les Portraits des Meidosems. Je ne tirerai pas ici le fil du féminin dans l'œuvre (et dans la vie) de Michaux, même si la récurrence de l'activité de pénétration et d'éventration dans la scène intérieure sado-masochique y invite, même si un étrange texte autobiographique de 1943, Comment je faillis être père, se déchaîne contre « la loque de chair » que le ventre de la femme enceinte peut abriter, et se finit sur un fantasme d'infanticide à peinte tempéré par un humour à blanc, même si l'ambivalence contre Marie-Louise « la tousseuse » imprègne plusieurs des textes antérieurs à sa mort... Pourtant, il faudrait croiser ce fil du féminin avec ce deuxième fragment des Portraits des Meidosems : « Et pendant qu'il la regarde, il lui fait un enfant d'âme ». Enfant d'âme, et non de corps, mais enfant quand même, né d'un regard posé sur une autre dont l'altérité est posée, et sexuée : le temps d'un fragment, le corps n'est plus souffrant, il est aimant, et fécond, au prix de la désexualisation de la pulsionnalité. Sans être évidemment donné pour l'illustration de ce fragment, un dessin de Michaux intitulé Meidosemme montre deux yeux qui surplombent un corps à peine esquissé, et de ces yeux descend un tracé qui vient toucher la silhouette. Dans ce regard impersonnel, réduit à une essence, qui tombe d'en haut pour pénétrer un corps de femme, R. Bellour voit une référence à une Annonciation, sans ange. « C'est ainsi la spiritualisation d'un corps qui est livrée en même temps qu'une pénétration » (OC II p.1106). Cette spiritualisation relève d'un des mécanismes que Freud répertorie dans le travail de deuil : l'idéalisation de la personne aimée, et perdue. Le dernier portrait de Meidosems fait de ces êtres imaginaires non pas des anges mais des ailes – elles ? –.

56« Des ailes sans têtes, sans oiseaux, des ailes pures de tout corps volent vers un ciel solaire, pas encore resplendissant, mais qui lutte fort pour le resplendissement, trouant son chemin dans l'empyrée comme un obus de future félicité. / Silences. Envols. / Ce que ces Meidosems ont tant désiré, enfin ils y sont arrivés. Les voilà ». (OC II p.223).

57Le corps manque mais les ailes restent, et ce manque là est tout sauf un vide. La pénétration (de l'empyrée) et sa violence (l'obus) sont encore là, mais comme dégagement et non enfoncement. Le démantèlement a eu lieu, mais sans torture ni haine. Le deuil met à l'épreuve la solidité du lien à l'objet, dit Freud dans Deuil et mélancolie. À la fin de ces Portraits des Meidosems, après le détour par l'objet, l'autre, l'amour, c'est encore le narcissisme qui fait retour, mais par le biais de l'idéalisation de l'objet, et non de la douleur du corps souffrant. La souffrance ferait monter jusqu'au ciel, son épreuve serait une rédemption.

58Michaux bien sûr ne nous laisse pas sur cette apothéose : en faisant suivre les « Portraits des Meidosems » de fragments écrits pendant la guerre, « Lieux inexprimables », imprégnés d'une plainte mélancolique répétée, il rouvre pour quelques pages un nouveau pli narcissique de la souffrance, qui vient recouvrir le précédent. Les derniers mots de La vie dans les plis seront ceux du vieux Pollagoras, l'un des (nombreux) doubles de Michaux.

59Pollagoras « désattristé » ? Pollagoras en sa vieillesse n'est-il pas occupé par le travail de deuil tel que le décrit Freud (1915) ? L'idéalisation de l'objet aimé « propre à s'insinuer dans tous les couloirs de l'âme amorcée à la fin des Portraits des Meidosems se poursuit. Si Pollagoras est d'une humeur douloureuse, cette douleur est, là encore, morale bien plus que corporelle : la scène sado-masochique est évoquée au passé, avec l'âge Pollagoras ne combat plus, il « est devenu semblable à un champ sur lequel il y a eu bataille, bataille il y a des siècles, bataille hier (...) ». Le bouillonnement pulsionnel se tarit, la position sadique ne paraît plus investie, et Michaux dit magnifiquement la chute de l'ombre de l'objet sur le moi :

60« L'ensablement gagna les étendues, les étendues et les profondeurs, et une nuit se présenta qui effraya ma nuit, celle pourtant vaste avec laquelle depuis longtemps je me couvrais du jour insupportable des autres ».

61Pollagoras n'est plus qu'un lieu, « tel un manoir livré au Poltergeist[15] », le « rassassinat » qui animait tant le narrateur de Liberté d'action n'est plus de mise (« je suis fatigué de l'épi querelleur », dit Pollagoras), l'aiguille de Narcisse ne labourant plus ses chairs n'aura pas suffi à dessiner ses contours (« Comme une aiguille sismographique mon attention la vie durant m'a parcouru sans me dessiner, m'a tâté sans me former ») : dans cette mesure, à côté de « l'inhibition et la restriction du moi » (Freud, 1915) évoquée par le narrateur endeuillé, n'est-ce pas aux limites du fantasme masochique que la perte objectale le confronte ? Et pourtant, Pollagoras s'engagerait dans le travail de deuil. « Après l'achèvement du travail de deuil le moi redevient libre et non-inhibé » (Freud, 1915). Même si le texte se clôt sur cette tristesse de l'ensablement d'un Pollagoras impossible à « désattrister », la liberté retrouvée du moi affleure à certains moments du texte, me semble-t-il : sur fond de fatigue, le moi redevient cet objet d'investissement libidinal narcissique, et le « vieil avare attaché à la vie » qu'est Pollagoras peut puiser dans ce trésor de guerre narcissique, cette économie libidinale là fonctionne et l'avidité peut revenir, malgré le démantèlement, malgré la vanité du combat qui a permis d'accumuler ce trésor.

62« À l'aurore de la vieillesse devant la plaine de la Mort, je cherche encore, je cherche toujours, dit Pollagoras, le petit barrage lointain en mon enfance par ma fierté édifié, tandis qu'avec des armes molles et un infime bouclier, je circulais entre les falaises d'adultes obscurs. / Ma vie fléchissante qui n'a plus qu'un filet, cherche avide, les torrents qui se gaspillent encore, et l'œuvre magnifique du courageux petit bâtisseur doit être ruinée pour le bénéfice du vieil avare attaché à la vie ».

63Pour ne pas conclure. L'épopée de la souffrance chez Michaux est infinie, mouvementée et protéiforme, comme l'œuvre entière, au point de faire apparaître notre question initiale impossible, sinon dérisoire. Michaux, l'athlète de la souffrance, souffrait sûrement de mélancolie, dirait le clinicien, comme tout homme de génie, ajouterait Aristote. De l'universelle mélancolie, peut-être bien, dont la dimension narcissique est criante : de son vide en plus (« j'ai sept ou huit sens. Un d'eux : celui du manque », « colonne absente » sur lequel il disait en 1927 s'être « bâti »), il fera « L'espace aux ombres », en 1953 (« Vide ! Vide !/Par un reste d'âme torturée, je me martyrise de ce vide »). Dans La vie dans les plis, ouvrage dont j'ai ici privilégié la lecture, il arrive que la souffrance donne corps, forme et consistance à ce vide, fasse apparaître un « je ». :

64« Quand je ne souffre pas, me trouvant entre deux périodes de souffrance, je vis comme si je ne vivais pas. Loin d'être un individu chargé d'os, de muscles, de chair, d'organes, de mémoire, de desseins, je me croirais volontiers, tant mon sentiment de vie est faible et indéterminé, un unicellulaire microscopique, pendu à un fil et voguant à la dérive entre ciel et terre, dans un espace incirconscrit, poussé par les vents, et encore, pas nettement ».

65La douleur rageuse du narcissisme et la scène intérieure sado-masochiste qu'elle bâtit, deviennent alors la forme même de l'existence : accompagnée de l'humour qui protège et console « Moi » de ces attaques, la répétition du scénario de la douleur fait vivre celui qui manque du sentiment de vie. Mais quand surviennent la souffrance de l'autre et « la perte d'être aimé », s'ouvre un autre pli : « le farouche noyau pétré attend, sur un corps vague, étranger, hétérogène, le clivage salutaire qui l'ouvre et le soulage enfin »; loin du meurtre, l'amour (« coulées d'affection, coulées d'infection ») peut se lier enfin à la haine, au prix de la désexualisation de la pulsionnalité, et l'autre peut prendre corps, mais un « corps-âme » (R. Bellour) : « Meidosem ». Cette invention là ouvrira sur « la fragile chambre centrale », tapissée de plis, « dont on ne craint plus qu'elle soit vide puisqu'on y met le soi [16] ».

66En même temps, ne pas oublier le rire de Michaux, dont nous parle Pierre Bettencourt (in J.P. Martin, p. 653). « Qui a entendu rire Michaux l'entend rire encore aujourd'hui. C'était sa vie même ». Mais de quoi riait Henri Michaux ?

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : souffrance, douleur, Michaux (Henri), sado-masochisme, (1949), deuil, narcissisme

Date de mise en ligne : 01/10/2005

https://doi.org/10.3917/cpc.023.147

Notes

  • [1]
    J.P. Martin, Henri Michaux, Paris, Gallimard, 2003.
  • [2]
    H. Michaux, Œuvres complètes, 3 tomes, Paris, Gallimard, 2001 (Pléiade).par Les extraits de textes de Michaux seront ici toujours cités en italiques et entre guillemets, les titres des poèmes, des sections ou des recueils publiés de poèmes, le sont en italiques avec une majuscule initiale.par Ces citations sont extraites d'Ecuador (1927), O.C. I p.189, de La vie dans les plis (1949), O.C. II p.160, de Nous deux encore (1948), O.C. p.154.par Marie-Louise Michaux, brûlée vive à la suite de l'embrasement de sa robe de chambre en nylon, est morte un mois après l'accident, des suites de ses blessures.
  • [3]
    J'emprunte l'expression à J. Laplanche qui l'emploie à propos de l'Homme aux rats (Problématiques I, L'angoisse, Paris, PUF, 1980).
  • [4]
    R. Bellour, l'éditeur des Œuvres Complètes de Michaux en Pléiade, aux commentaires duquel cet article doit beaucoup (O.C., T. II, p. 1103), souligne cette division, et le tournant que représente La vie dans les plis dans l'œuvre de Michaux.
  • [5]
    J. Laplanche (op. cit.) évoque le « principe de torture » que José Bleger propose d'ajouter au principe de réalité et au principe de plaisir.
  • [6]
    J.C. Rolland, Une figure tragique de la négation, Entretiens de psychanalyse, A.P.F., 14-15 juin 2003.
  • [7]
    « (...) par l'humour, le surmoi aspire à consoler le moi et à le garder des souffrances », écrit Freud dans ce court texte sur L'humour. (in L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985 (Folio essais).
  • [8]
    Ce poème devenu célèbre de 1927 est le premier que publie la Nouvelle Revue Française, la revue de la « pure littérature » disait Jacques Rivière... non sans susciter des désabonnements. « Il l'emparouille et l'endosque contre terre;/ Il le râle et le roupète jusqu'à son drâle; / Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais; / Il le tocarde et le marmine, / Le manage rape à ri et ripe à ra (...) Fouille, fouille, fouille, / Dans la marmite de son ventre est un grand secret /Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs; On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne / Et on vous regarde / On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret » (O.C. I, Quis-je fus, p. 118).
  • [9]
    « Les montagnes et les visages sont les seuls objets que de tout temps j'ai regardés attentivement, irrésistiblement, en les accompagnant en esprit, en les fixant, aimanté rêveusement et sans savoir pourquoi. / Les visages en sont souvent gênés. Les montagnes, pas. Pas que je sache ». (O.C. II, Passages, p.328).
  • [10]
    « Le mauvais, l'étranger au moi, ce qui se trouve au-dehors est pour lui (le moi-plaisir originel) tout d'abord identique » Freud, La Négation, 1925, in Résultats, Idées, Problèmes, PUF, 1985, p.137.
  • [11]
    it« L'extrême et anéantissante fatigue où m'amène assez vite toute activité et tout exercice, me retire assez considérablement du monde familier. / Ce retirement devient une habitude. Retirement de soi hors des choses. Retirement des choses hors des autres choses l'entourant. Soustraction qui revient parfois à de l'analyse, quoique à cent lieues de l'être. Le cadre part et la chose, sans solennité, même avec une rigoureuse simplicité, fait bande à part, existe. / Cette impression est ineffable, on aurait envie de dire divine, tant elle éloigne des commandements que l'homme se donne d'habitude. / Ce détachement, surtout peut-être par l'évanouissement concomitant de toute ambition, volonté, de tout dessein à l'endroit des choses, aère et désintègre. (...)
  • [12]
    Ce poème de 1930 dit autrement cette proximité avec le malheur : « Le Malheur, mon grand laboureur, / Le Malheur, assois-toi, / Repose-toi, / reposons-nous un peu toi et moi, / Repose,/ Tu me trouves, tu m'éprouves, tu me le prouves. / Je suis ta ruine. / mon grand théâtre, mon havre, mon âtre, / Ma cave d'or, / Mon avenir, ma vraie mère, mon horizon. / dans ta lumière, dans ton ampleur, dans mon horreur, Je m'abandonne. » (O.C. I Plume, p. 596). La jouissance masochiste, ici désexualisée, ouvre sur un masochisme de vie, nourricier, bien loin du « pantin disloqué » par les pénétrations brûlantes du thermocautère de 1946.
  • [13]
    H. Michaux, Émergences-Résurgences, Genève, Skira, 1972, p. 32.
  • [14]
    Ce nom imaginaire et polysémique a donné lieu à d'innombrables hypothèses chez les lecteurs de Michaux, qui y entendent bien sûr eidos, l'espèce, l'essence en grec, medeis, personne, en grec (mé comme préfixe privatif), idem, le même en latin, sème, le sens, le M de Michaux, de Marie-Louise... R. Bellour, qui les cite, y entend aussi le mot aime (O.C. II, p.1107).
  • [15]
    Poltergeist, c'est dans la Fantasmagorie de Lewis Carroll (1869) « l'esprit frappeur, bruyant et malfaisant, qui déplace les meubles, brise la vaisselle, etc... » (Œuvres, coll. Bouquins, p. 463).
  • [16]
    G. Deleuze, Foucault, Paris, Minuit, 1986, p. 130.vskip 55 mm

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