1 Le petit Larousse définit « regarder » comme : porter la vue sur, diriger le regard vers, alors que « voir » implique de percevoir par les yeux, se représenter mentalement, percevoir par l’esprit et saisir par l’intelligence. Il s’agit donc d’un apprentissage que le bébé acquiert grâce à l’aide de son environnement.
Mise en bouche
2 Dans la nouvelle : « Mort d’un joufflu », François Gantheret (1998) nous parle d’une patiente qui, aux toilettes, se regardait dans le grand miroir en pied sur le mur en face du siège. Ce jour-là, elle fait part de sa découverte : « Je me regardais toujours dedans, mais je ne le savais pas. Jusqu’à hier. » L’analyste, désarçonné, pense à sa propre surprise, tout à l’heure, quand il s’est aperçu qu’il avait vu depuis longtemps qu’elle n’enlevait plus ses chaussures, mais qu’il ne le savait pas. « Mais alors », dit-il, « qui regardait ? Ou plutôt, vous vous regardiez mais qui voyait ? » « C’est exactement ce que je me suis demandé. Quelqu’un qui était moi et qui n’était pas moi. Quelqu’un dans mon dos, derrière ma tête ». En parlant, la patiente réalise qui est derrière elle : « c’était peut-être vous », à quoi l’analyste rétorque : « Quelqu’un qui regardait, se regardait et dont vous n’étiez qu’une partie ? » La patiente conclût : « Une, partie… Oui, c’est ça. Au fond, mon visage ne sait pas qu’il est regardé, même mes yeux ne le savent pas. C’est moi qui le sais. Ce sont les yeux que j’ai derrière mes yeux qui voient que mes yeux regardent mes yeux. Ah. ça devient bien compliqué ! Et pourtant non, en même temps c’est tout simple. Maintenant c’est fini, je me regarde et je me vois, c’est moi qui me vois. »
Boucle contenante et subjectivante
3 Il s’agit d’une fiction, de l’imagination d’un analyste mais qui illustre merveilleusement bien les théorisations de Guy Lavallée (1998), concernant la double boucle contenante et subjectivante de la vision. L’auteur élabore ses hypothèses à partir de la notion des enveloppes psychiques de D. Anzieu. Sa riche expérience clinique avec des adolescents psychotiques l’a amené à introduire la notion d’une enveloppe psychique visuelle et il s’interroge sur sa constitution.
4 Comparant la vision aux autres perceptions, il souligne que la vue n’est pas une perception réflexive. Lorsque je parle ou je crie, j’entends ma voix, lorsque je touche quelque chose, je suis également sollicité sur le plan tactile. Mais lorsque je regarde, je ne me vois pas regarder ; il me faut un miroir. Cette réflexivité concernant le regard existe dans la conception de Winnicott qui écrit que lorsque le bébé regarde le visage de sa mère (surtout ses yeux), il s’y voit comme dans un miroir et se regarde lui-même. G. Lavallée va démontrer que ce miroir des yeux de la mère doit être intériorisé et ensuite oublié, c’est-à-dire négativé. Il écrit : « Chez le bébé, la sensation d’incorporer le monde visuel est un premier niveau vital de psychisation. Tout ce que le bébé porte à la bouche, il le porte aussi vers l’œil. Tout se passe comme si le « voir », « l’absorber », le « sentir » et même « l’entendre » formaient un orifice plurisensoriel centré sur la bouche. Ce qui est absorbé par la bouche semble passer derrière les yeux. Le monde est mangé des yeux. »
5 Toutefois, cet afflux de perceptions peut devenir envahissant et persécuteur. L’œil dispose de paupières pour cesser de voir, mais pour pouvoir fermer les yeux sans mourir psychiquement, il faut que dans le noir la pensée puisse prendre le relais. Le monde visible pénètre dans l’œil ; c’est un matériau brut qui agresse le narcissisme de l’individu. Le regard va jeter le moi hors du corps propre ; c’est, selon la terminologie d’André Green (1986), une « décorporation » qui consiste en un éloignement des sensations du corps propre. Il ne s’agit pas, comme chez le psychotique, d’une « excorporation » par laquelle la sensation est niée.
6 Pendant les premiers mois, le rôle de l’objet primaire (la mère ou le donneur de soins) est de contenir les projections du bébé et de les renvoyer à l’enfant, ce qui constitue une réalisation réflexive. Ces capacités maternelles de contention et de rêverie, ont une fonction de détoxication. Selon G. Lavallée, il s’agit ici surtout d’une fonction de reconnaissance par la mère pour donner un sens à l’excitation qui atteint la rétine. Le bébé voit mais ne sait pas ce qu’il regarde. Cette relation réflexive du « je » avec lui-même, d’abord réalisée par la mère, sera progressivement intériorisée. Grâce à cela, le mouvement projectif vers l’inconnu du monde extérieur, en l’absence de la mère, soutenu par la vue, pourra se faire sans danger d’excorproration dans laquelle ce qui est projeté ne peut faire retour au moi et s’avère perdu.
7 Pour expliquer le mouvement qui suit l’incorporation, c’est-à-dire la négativation du visage de la mère, G. Lavallée se base sur les conceptions d’André Green (1993) concernant l’hallucination positive et négative et sur les conceptions Winnicottiennes. Le visage de la mère qui est notre premier miroir (1975) doit pouvoir être intériorisé et effacé, sauf à se transformer en Gorgone.
8 « On doit donc nécessairement concevoir l’hallucination de désir du bébé selon ses deux faces : l’une positive et l’autre négative. La face positive fait surgir l’objet, en son absence, en une protoreprésentation. La face négative protège de l’excès de présence de l’objet, en sa présence, tout en l’introjectant en tant que structure “encadrante” (A.Green) et “écran psychique” (G. Lavallée). » Plus loin, G. Lavallée ajoute : « C’est une mère Winnicottienne “suffisamment bonne”, imprégnée de la tiercéité paternelle, illusionnant et désillusionnant l’enfant à son rythme, et convenablement intériorisée par ce dernier, qui assurera la «“fonctionnalité” de l’hallucination positive et négative et sa mise au service du moi. L’organisation oedipienne associera la fonction tierce paternelle et le Surmoi à l’hallucinatoire négatif. »
9 Lorsque cette fonction réflexive est atteinte et qu’un stimulus frappe l’œil, il n’a pas de signification psychique, c’est l’impact du stimulus sur l’inconscient. Il éveille des représentations inconscientes qui vont être soumises à la censure. Si ces représentations sont banales, elles sont reconnues et reprojetées vers l’extérieur. Par contre, s’il s’agit de représentant-représentations (donc liées à la pulsion), elles subissent le refoulement pour éviter des débordements. Il y a donc altération projective et hallucinatoire de la perception. Cette représentation modifiée ou non, selon le travail de la censure, sera reprojetée sur l’objet extérieur et il y aura sur un écran psychique à distance de la chose vue, une superposition de l’image perçue et de la représentation inconsciente autorisée conduisant à une mise en forme du stimulus, sa mise en signification. Cette mise en forme restrictive du stimulus a valeur de signe ou de signifiant formel ou d’élément alpha (selon les dénominations données par les différents auteurs), qui va être réintrojecté et représente du matériel disponible pour la mise en mot et le travail de la pensée. Le Moi a apposé son sceau sur la perception. Le réel a réussi à se faire représenter au-dedans.
10 G. Lavallée propose donc que le stimulus visuel effectue une double boucle ; la première conduit du stimulus à la représentation inconsciente qui, après filtrage par la censure, est reprojectée vers l’extérieur ; la seconde effectue le retour de la projection vers le dedans grâce à l’écran hallucinatoire négatif. L’intériorisation de cette fonction maternelle nécessite son absence, sa disparition en tant que représentation par l’effet d’une hallucination négative.
11 Il me semble que c’est ce mouvement que décrit F. Gantheret dans sa nouvelle. La patiente prend conscience de la nécessité de la présence et du regard d’un tiers (l’analyste-mère), puis elle intériorise cette fonction et peut la négativer puisqu’elle envisage la fin de l’analyse : maintenant c’est fini (ce qui sous-entend la fin de l’analyse) je me vois.
Le regard et le corporel
12 Sami-Ali et Jean-Marie Gauthier se sont beaucoup intéressé au rôle du corps et du regard dans le développement de l’enfant. Dans un article consacré à l’œuvre de Sami-Ali (1986), J.-M. Gauthier insiste sur l’importance de la projection grâce à laquelle le choix d’analogons dans la réalité externe permet aux réalités internes de se représenter. Le vécu interne se transforme en image visuelle grâce à l’utilisation des analogons choisis dans le monde extérieur. Pour devenir conscientes, les perceptions internes doivent se transformer en images externes. La vision semble bien avoir une prévalence par rapport aux autres organes des sens car elle est à la base de la polarité dedans-dehors, à l’origine de la pensée car pour voir, il faut pouvoir séparer. » Nous verrons plus loin que chez les enfants aveugles de naissance, les autres perceptions peuvent compenser partiellement l’absence de vision mais au prix d’efforts considérables de la part des enfants atteints et de leur entourage.
13 Percevoir, c’est choisir parmi une infinité de données celles qui serviront à la formation d’un analogon particulier et l’ensemble du réel, de par la projection, est frappé par l’imaginaire. Le premier interprète du corps de l’enfant est la mère et le contexte socio-culturel auquel elle participe. C’est elle qui préside à l’organisation corporelle de l’enfant par le biais de la sensorialité, la motricité, les rythmes de base, la temporalité et la structuration de l’espace. Elle se fie à son propre corps, à son monde fantasmatique et à son environnement socio-culturel (ou du moins ce qu’elle en a perçu, accepté et hérité).
14 Le deuxième interprète du corps sera l’enfant lui-même et ceci principalement à partir de l’angoisse du huitième mois. Ce point organisateur décrit par R.Spitz, est considéré par J.-M. Gauthier plutôt comme une angoisse de différenciation que de séparation. Le bébé pourrait dire : je ne suis pas celui que je vois ou je ne me vois pas comme je suis. Il va devoir faire la différence entre le visuel et son vécu corporel. Pour y accéder, il doit posséder un minimum d’identité et de continuité corporelle grâce à la stabilité de son fonctionnement corporel, interprété et organisé par la mère. Le visuel vient rompre cette continuité corporelle et signifie l’existence de la discontinuité/différence. Bien avant huit mois, le bébé remarque les allées et venues de sa mère, il la suit de regard quand elle quitte la pièce et reste parfois longtemps à fixer l’endroit où elle a disparu de sa vue. Ce que le visage de l’étranger semble venir signifier, c’est une rupture dans l’identification primaire. L’enfant n’a plus le visage de sa mère, il y a d’autres visages, quel est le sien ?
15 Le visage a cette capacité paradoxale d’être à la fois ce qui nous détermine le mieux dans notre identité personnelle et à la fois ce que nous ne connaissons pas, sauf par le biais d’un miroir ou les yeux d’un autre. Nous pouvons tenir le même raisonnement concernant notre dos, qui nous est tellement peu connu que lorsque nous l’apercevons sur un film, cette vision peut provoquer un sentiment d’inquiétante étrangeté. Le bébé cependant s’intéresse à cet « objet d’arrière-plan ». (Grotstein 1981), comme en témoigne l’observation suivante. Elodie a sept mois, elle est couchée sur le ventre et manipule une nouvelle peluche. Elle la regarde, la passe d’une main dans l’autre, la met en bouche, puis se caresse l’arrière de la tête et la nuque avec la peluche et finalement la lance derrière elle. Elle pivote sur l’axe de son nombril et, après avoir effectué un demi-tour, elle la retrouve avec des cris de joie. Elle recommence ce jeu exploratoire une bonne dizaine de fois sans discontinuité.
16 Sami-Ali a longuement discuté du cas Schreber et souligné que son délire est dominé par le visuel. Ceci prouve selon lui le lien privilégié que ce pouvoir sensoriel occupe dans le processus de représentation. Pour accéder au préconscient et au conscient, l’inconscient doit recourrir à la visualisation, à la recherche d’analogons projectifs.
La représentation chez Freud
17 Quoique Freud ne l’ait jamais clairement précisé, dans nombre de ses écrits il semble sous-entendre que les représentations sont surtout visuelles. Le statut de la représentation a évolué avec les conceptions psychanalytiques. S. Freud (1900) a très tôt définit la conscience comme liée à la perception. Il écrit : « La conscience est selon nous la face subjective d’une partie des processus psychiques se produisant dans le système neuronique, nommément les processus perceptifs. » Dans le vocabulaire de J. Laplanche et J-B. Pontalis (1967), le terme perception n’est pas défini et le lecteur est renvoyé au terme « conscience ». La thèse de Freud qui sera maintenue tout au long de son œuvre, donne une priorité dans le phénomène de la conscience à la perception et principalement à la perception du monde extérieur. Dans la théorie de l’épreuve de réalité on constate une synonymie significative entre les termes : indice de qualité, indice de perception et indice de réalité (S. Freud, 1911).
18 La conscience des phénomènes psychiques est, elle aussi, inséparable de la perception de qualités : la conscience n’est rien d’autre qu’un « organe sensoriel pour la perception des qualités psychiques » (S. Freud). Elle perçoit les états de tension pulsionnelle et les décharges d’excitation sous forme de qualités plaisir–déplaisir. S. Freud s’interroge sur les processus de pensée, qui comprennent aussi bien la reviviscence des souvenirs que le raisonnement, donc tous les processus où entrent en jeu des « représentations ».
19 Nous sommes donc renvoyés à l’importance de la représentation dont nous savons que la théorie freudienne en compte plusieurs : la représentation de chose souvent inconsciente, la représentation de mot, qui se lie à la représentation de choses et la rend ainsi préconsciente ou consciente, mais il y a aussi la pulsion qui se fait représenter dans le psychisme par le Triebrepräsentanz et par l’affect (le quantum d’affect) dont les destins sont différents lors du refoulement. Le terme de vorstellungsrepräsentanz (traduit généralement par représentant-représentation ou dans la nouvelle traduction par représentance de la représentation) désigne uniquement le représentant idéationnel de la pulsion, sans l’affect.
20 La représentation serait ce qui, de l’objet, vient s’inscrire dans les « systèmes mnésiques ». S. Freud n’a jamais exposé dans son ensemble sa conception de la mémoire. Il est conduit au postulat d’une incompatibilité entre la conscience et la mémoire. « Il ne nous est pas facile de croire que des traces durables de l’excitation soient laissées dans le système Perception – Conscience. Si elles restaient toujours conscientes, elles limiteraient bientôt la capacité du système à recevoir de nouvelles excitations. » Il conçoit la mémoire comme un système d’archives complexes où les souvenirs se rangent selon différents modes de classification : ordre chronologique, liaison en chaînes associatives, degré d’accessibilité à la conscience.
21 D’une façon générale, tous les souvenirs seraient en droit inscrits mais leur évocation dépend de la façon dont ils sont investis, désinvestis, contre-investis. L’amnésie infantile est liée au refoulement.
22 La représentation de chose consiste en l’investissement sinon des images mnésiques de choses directes, du moins de traces mnésiques plus éloignées et dérivées d’elle. La représentation d’objet est un complexe associatif constitué de représentations les plus hétérogènes, visuelles, acoustiques, tactiles, cénesthésiques et autres. La représentation de mot est reliée à la représentation d’objet uniquement par l’image sonore. Le système inconscient est le royaume des traces mnésiques de choses. Il conçoit l’inscription des traces perceptives de la manière suivante (lettre à W. Fliess n° 52 du 6-12-1896) : « les perceptions conscientes apparaissent dans les neurones, mais ils ne conservent en eux-mêmes aucune trace de ce qui est arrivé, car le conscient et la mémoire s’excluent mutuellement. Un premier enregistrement se fait sous forme d’un signe de perception (trace ?), incapable de devenir conscient et aménagé suivant les associations simultanées. L’inconscient constitue un second enregistrement ou une seconde transcription, aménagé suivant les autres associations, peut-être suivant des rapports de causalité. Les traces de l’inconscient correspondraient peut-être à des souvenirs conceptuels et seraient tout aussi inaccessibles au conscient. Le préconscient constitue la troisième transcription liée aux représentations verbales et correspondant au moi officiel. »
Évolution des conceptions concernant la représentation
23 Il est intéressant de noter qu’actuellement les auteurs s’intéressent à cette première inscription. Il y a notamment les néonates researches et nous y reviendront, mais également Pierra Aulagnier (1975) qui propose une triple inscription des traces mnésiques : pictographique, inconsciente et préconsciente correspondantes aux processus originaires, primaires et secondaires. Nous pensons aussi à D. Anzieu (1993) et les signifiants formels qui visent une mise en mémoire d’impressions, de sensations, d’épreuves trop précoces ou trop intenses pour être mises en mots, des signifiants non refoulables, ayant une structure différente du fantasme.
24 J. Laplanche (1987) parle de signifiants énigmatiques qui rendent compte d’une première inscription de traces à partir de ce qu’il nomme la séduction originaire.
25 Pour W. Bion (1962), il s’agit d’éléments-bèta, emmagasinés mais impropres à être assimilés s’ils ne sont pas transformés par la rêverie maternelle,
26 Lina Balestrière (1998) souligne trois points communs chez ces auteurs :
- ils font l’hypothèse d’un matériau psychique originaire, appelé tour à tour pictogramme, signifiants formels, signifiants énigmatiques, éléments bèta, qui est conçu comme non refoulable, forclos, non-fantasmable, mais n’agissant pas moins sur la vie psychique et/ou somatique de chacun ;
- l’importance d’un proto-moi ;
- le matériau originel semble étroitement lié à ce que l’on pourrait appeler des impressions, des sensations, une tonalité affective, un sentir. P. Aulagnier pense que le pictogramme est indissociablement lié à un affect : il y a l’objet -zone complémentaire (le mamelon et la bouche) où le plaisir correspond à une prise en soi et le déplaisir à un rejet hors de soi ; D. Anzieu parle de signifiants formels en termes d’images proprioceptives, tactiles, cénesthésiques, kinesthésiques, posturales, d’équilibration ; W. Bion élabore ses deux types d’éléments alpha et bèta à partir du traitement différentiel possible des impressions des sens et des émotions.
Apport des neonates researches
27 Les neonates researches comme D. Stern (1985), T.Brazelton (1971) et d’autres ont mis en évidence les capacités perceptives du bébé et nous supposons actuellement que le nourrisson humain est capable de percevoir beaucoup plus de choses que nous ne l’imaginions. Il va progressivement emmagasiner les expériences qu’il fait dans l’interaction avec son environnement, principalement la mère, mais également le père et tous ceux qui s’occupent de lui. Les découvertes de R. Spitz (1968) concernant l’hospitalisme ont conduit à la pensée que le nourrisson avait impérativement besoin d’un objet unique et préférentiel pour construire son psychisme et se développer harmonieusement. Les chercheurs actuels estiment que, si le nouveau-né a toujours besoin d’un environnement stable et fiable, il peut également retirer un bénéfice d’interactions avec un entourage varié et variable. Nous pensons le bébé capable de très rapidement faire des comparaisons entre les différentes manières dont se comportent les donneurs de soins avec lui, de distinguer leurs styles et d’enregistrer des « modes d’être généralisés ». (Stern, loc. cit.)
28 Il semble que tout ce travail constitue un stimulant intellectuel qui développe ses voies neuronales associatives. Avec l’augmentation du nombre de femmes qui travaillent au-dehors de chez elles, la grande majorité des petits enfants est actuellement confrontée à des modes de garde impliquant plusieurs personnes. L’allaitement maternel constitue dès lors une occasion unique pour maman et bébé de créer un lien privilégié et fort,
29 Au cours des périodes « d’inactivité alerte » où bébé est repu et éveillé, il a besoin d’apports perceptifs et affectifs. Tous ses sens sont en éveil et grâce à la perception transmodale il peut rapidement faire des liens entre des types d’interactions différentes, constituer des représentations généralisées et reconnaître des situations. La perception transmodale déduite par D. Stern (loc. cit.) de l’expérience de Meltzoff et Borton, désigne une capacité, probablement innée, du nourrisson de faire des liens entre des perception dues à des organes différents. Par exemple : un bébé de trente six jours peut reconnaître de visu une sucette rugueuse qu’il vient de suçoter. Il est donc capable d’établir un lien entre une perception tactile et visuelle.
30 Selon D. Marcelli (1992), les interactions de soin rythmées selon un horaire précis, vont donner dès le troisième mois une première notion de temporalité « après ceci, vient cela ». Quand maman me met mon bavoir, le repas n’est pas loin ; quand j’entends la voix de maman et ses pas dans l’escalier, je ne serai plus longtemps seul, etc. D. Marcelli parle de macrorythmes opposés aux microrythmes, c’est-à-dire les surprises comme dans le jeu de la « Petite bête qui monte, qui monte,… » qui sont également nécessaires pour le développement de l’attention et le plaisir qu’elles procurent.
31 Le nourrisson retrouve des odeurs, des bruits et des mouvements rythmiques perçus pendant la vie intra-utérine. Ces perceptions ont un effet calmant sur les bébés. Il semble très probable que le bébé construise des représentations pendant les interactions, qu’il peut stocker dans sa mémoire et rappeler pour les utiliser comme procédés autocalmants lorsque la frustration imposée par l’environnement devient trop pénible.
32 Toutes ces expériences où les sensations, les émotions et les perceptions se mêlent seraient transformées en représentations grâce à l’existence de capacités innées auxquelles les auteurs ont donnés des noms différents. En plus des pictogrammes et des contenants formels déjà cités, il y a les schèmes de S. Tisseron (1993), les pré-conceptions de W.Bion (loc. cit.) et les formes de R. Vermote (1995), Ces « formes » ou « schèmes » sont à la recherche d’expériences qui rendront leur réalisation possible. La réunion des expériences qui ont lieu pendant les interactions mère-bébé, ainsi que l’apparition d’une notion de temporalité conduisent à l’incorporation et grâce à la rencontre avec ces formes, à des représentations psychiques. En termes bionniens : « Une pré-conception (l’attente du sein) qui rencontre une réalisation (le nourrissage) forment un concept ; pour que naisse une pensée, il faut une frustration, comme l’avait déjà souligné S. Freud. Ce serait donc la « forme » qui transforme les émotions et sensations, perceptions passives, en un concept dynamique.
33 Dans la construction de la représentation de chose, tous les sens interviennent. En prenant comme exemple l’expérience du nourrissage, nous constatons que sont à l’œuvre : l’ouïe qui écoute la musique de la voix maternelle, l’odorat qui reconnaît l’odeur du corps et du lait maternel, le goût de ce lait, la vue des yeux aimants et du visage souriant de la mère, le toucher qui perçoit la douceur de la peau et les vêtements maternels, et la sensation proprioceptive de la façon dont il est tenu et manipulé, ainsi qu’un sixième sens : l’empathie qui permet la perception de l’humeur maternelle et ses émotions.
34 Le premier objet d’intérêt du bébé serait, selon D. Anzieu, son corps propre, l’objet épistémophilique par excellence. Les premières perceptions concernent probablement le corps dont les sensations peuvent varier si rapidement. La psyché, toujours selon cet auteur, se représente les différentes sensations corporelles et leur ordre temporel comme des faits naturels mais définis par quelque chose en dehors de lui. La notion d’une temporalité est, d’après D. Marcelli (loc. cit.) indispensable pour transformer les perceptions en pensées symboliques. D. Stern (loc. cit.) estime que le bébé est rapidement capable de se représenter des successions d’interactions et d’introduire une capacité narrative. Il suppose aussi que le bébé met de l’ordre dans toutes ces représentations, les classe, les catégorise et qu’il y prend du plaisir.
35 Cette notion de plaisir est soulignée par P. Aulagnier (loc. cit.), qui parle d’une prime de plaisir que la psyché éprouve lorsqu’elle construit un pictogramme. Il suffit d’observer un bébé qui répète inlassablement le même geste jusqu’à en avoir acquis la maîtrise totale, pour réaliser que l’enfant est poussé dans ses explorations du monde par un instinct de vie très puissant : la pulsion épistémophilique, la curiosité et la pulsion de maîtrise.
36 Grâce à la répétition de toutes ces expériences l’enfant acquiert dans le meilleur des cas, un sentiment de stabilité, de continuité, de sécurité, d’individualité, de globalité et d’unité. Aucune psyché ne peut se construire sans l’aide d’une autre psyché, sans un autre être pensant comme l’ont judicieusement souligné plusieurs auteurs.
Rôle de la projection
37 Nous ne devons pas croire pour autant que le monde interne représentationnel de l’enfant est une exacte réplique du monde qui l’entoure. Si les perceptions sont influencées par la réalité des expériences que fait l’enfant, le rôle des projections du bébé sur son environnement est loin d’être négligeable S. Freud (1927) écrit que « la constitution du monde extérieur passe par le processus de projection qui donne un contenu représentatif aux processus internes. » Il décrit la projection, dans Totem et Tabou (1913) comme « un mécanisme primitif consistant à rechercher et à attribuer à des perceptions extérieures la cause de nos affects ». Plus loin, il ajoute : « Dans certaines conditions, encore insuffisamment établies, des perceptions internes, y compris des processus affectant les sentiments et la pensée, sont projetées à l’extérieur comme les perceptions sensorielles afin de parfaire la mise en forme du monde extérieur, alors qu’elles devraient rester dans le monde intérieur. » Il ajoute : « La projection a normalement la plus grande part dans la mise en forme de notre monde extérieur ». Selon A. Gibeault (2000), « elle, (la projection) contribue au travail de figuration en permettant le détour par les restes perceptifs en provenance du monde extérieur, tout comme les différentes perceptions relatives au sens sont rapportées à des objets du monde extérieur. César et Sarah Botella (1990) parlent du « seulement dedans-aussi dehors ».
38 Dans cette mise en forme du monde extérieur à l’intérieur de la psyché, à côté du perpétuel va et vient entre ce qui est perçu et ce qui est projeté, les schèmes innés jouent probablement un rôle important. L’enfant donnerait rapidement certaines priorités à des formes qui le rassurent davantage ou qui reviennent plus souvent et qui vont colorer les perceptions. L’objet des interactions est également investi sur un mode pulsionnel et la perception est influencée par le désir, les pulsions de vie et de mort. Selon nous ces schèmes peuvent être influencés par des sensations intra-utérines et/ou entourant la naissance.
39 S. Lebovici (1990) écrit que la représentation est le résultat de la perception et de l’hallucination. Il donne à ce dernier terme une signification particulière : celle de l’investissement pulsionnel de l’objet. Il est important de mettre en rapport l’interpersonnel et l’intrapersonnel et de faire des comparaisons entre l’objet de la perception (l’objet de la réalité externe) et l’objet de l’hallucination (l’objet de la représentation transformé par le pulsionnel et les fantasmes).
40 Après ce survol rapide et loin d’être exhaustif de nos idées actuelles concernant le développement des représentations à partir des perceptions et des sensations, et concernant la naissance de la pensée et des sentiments de continuité et d’individualité, nous allons tenter d’étudier plus particulièrement le rôle de la vue dans le développement et son influence sur ce dernier.
Vision et croissance cérébrale
41 Nous aurons recours aux théories de Allan N. Schore (1994), qui essaye de faire des liens intégratifs entre deux courants en plein développement : les études psychologiques des moments critiques dans les expériences interactives qui influencent le développement des fonctions socio-émotionnelles, d’une part, et des études neuro-biologiques de l’ontogénèse des structures cérébrales se développant après la naissance et servant à la régulation de ces mêmes fonctions, d’autre part. Il n’entre pas dans nos intentions ici de discuter le bien fondé de telles études, mais certains points nous ont paru intéressants dans la mesure où ils étayent l’importance de la vision dans le développement de l’enfant.
42 Dans sa préface au livre susmentionné, J. Grotstein estime que l’apport fondamental de ce travail réside dans la confirmation de l’épigénèse dont l’importance chez l’animal était connue depuis longtemps. L’enfant vient au monde avec son génotype, son bagage héréditaire qui se développent encore pendant plusieurs mois après la naissance. Ces capacités héréditaires sont partiellement fermées et influencent le développement, et partiellement ouvertes, c’est-à-dire modifiables par l’environnement. Le donneur de soins peut modifier, compléter, développer et agir sur les données héréditaires.
43 Les recherches en neurobiologie viennent largement confirmer ce qui avait été pressenti à propos de l’épigénèse et soulignent même l’énorme importance de ce phénomène, Personne, selon l’auteur, n’avait anticipé combien le développement du cerveau de l’enfant était dépendant de la mère comme productrice de structures cérébrales émergentes.
44 Selon A. Schore, les interactions affectives précoces influencent la maturation post-natale des structures cérébrales qui serviront à la régulation du fonctionnement socio-émotionnel futur. Les caractéristiques structurales, la dynamique des propriétés fonctionnelles de ce système sont situés dans le cortex orbito-frontal, le territoire cérébral principal concerné par les processus sociaux, émotionnels, de motivation et d’auto-régulation, Une période critique pour la maturation de cette structure cérébrale, surtout développée dans l’hémisphère droit, se superpose exactement à l’intervalle de temps très étudié par les chercheurs psychanalytiques et ceux qui s’intéressent à la théorie de l’attachement. La compréhension du développement influencé par le donneur de soins de cette structure cortico-limbique, éclaire le rôle unique de la maturation précoce de l’hémisphère droit dans les processus affectifs et la régulation des états internes.
45 Au cours de cette étude, le rôle de la vision est apparu comme prépondérant dans le développement émotionnel qui va de pair avec le développement de certaines zones du cerveau. La vue favorise les phénomènes d’imprinting, qui influencent le développement de l’hémisphère droit lui-même prépondérant dans le traitement des informations visuelles et spatiales et dans celui du traitement des émotions.
46 Les échanges « œil-à-œil » dans les interactions mère-bébé s’accompagnent de véritables « conversations » lorsque la mère imite les lallations de son enfant, le tout agrémenté de sourires qui vont en s’élargissant de part et d’autre et de beaucoup de plaisir partagé. Selon les observations neuro-biologiques, cette notion de plaisir partagé entre la mère et l’enfant aurait une influence très bénéfique sur le développement neuronique et psychologique.
47 Ceux qui s’occupent de bébés savent combien l’absence de plaisir dans les interactions mère-bébé, comme dans la dépression maternelle par exemple, peut avoir des conséquence néfastes et retarder l’installation d’une base narcissique suffisamment solide. Le plaisir qu’un jeune enfant éprouve à réaliser certains progrès et performances, est évident, mais il sera d’autant plus structurant et rassurant qu’il est partagé par l’environnement.
48 E. Hess (1965) a démontré que pendant les interactions, les protagonistes sont inconsciemment influencés par la taille de la pupille de leur vis-à-vis. La dilatation de la pupille est signe de plaisir et « d’intérêt envers ». Percevoir la taille ou les variations du diamètre de la pupille, constitue donc un outil pour connaître la réaction de l’autre à ce que l’on dit ou fait. Chez l’enfant, cette dilatation pupillaire s’ accompagne souvent de yeux largement ouverts. La vue de pupilles dilatées chez l’auditeur provoque, en réaction, la dilatation des pupilles du locuteur. Par ce biais non-verbal et inconscient, mère et bébé peuvent savoir si le plaisir éprouvé est partagé par l’autre. Une autre manière non-verbale de percevoir la concordance affective, en utilisant la perception transmodale, a été décrite par D.Stern (loc.cit.) Lorsque l’accordage affectif n’existe pas, le bébé arrête son jeu pour regarder sa mère avec étonnement, témoignant ainsi de sa sensibilité à l’absence de ce partage des émotions.
49 Selon C.Trevarthen (1990), la régulation affective de la croissance cérébrale trouve son origine dans les interactions précoces. R.N.Emde (1988), un psychanalyste développementaliste, pense que l’investissement émotionnel du « donneur de soins » est le facteur principal favorisant la croissance cérébrale et l’épigénèse développementale. Nous naissons avec une grande quantité de neurones dont les connexions doivent se créer progressivement pour former les voies de transmission des influx nerveux. La formation de ces liens inter-neurones se fait sous l’influence principale des stimulations fournies par les interactions précoces. Les structures génétiques qui induisent la programmation du développement biologique et psychologique sont en grande partie stimulées durant les premières années par l’environnement postnatal. (A. Schore).
50 Les expériences visuelles et affectives ont la plus grande influence sur la maturation du système nerveux autonome responsable de la régulation émotionnelle. Les neurosciences ont permis de confirmer que les stimulations visuelles, enracinées dans les interactions mère-bébé, sont un élément essentiel favorisant la croissance cérébrale. La face (visage), si hautement expressive de la mère, est la source la plus puissante d’information visuo-affective et dans les échanges œil-à-œil, elle sert comme stimulus d’imprinting pour le développement du système nerveux.
51 Durant ces échanges, la mère est psychologiquement en concordance avec l’état émotionnel interne du bébé et dans ces expériences fusionnelles, elle crée et maintient un état vécu comme symbiotique et mutuellement régulé dans la dyade.
52 Dans ces interactions en miroir, un système dyadique mutuel de stimulation crée une augmentation de l’éveil du système sympathique qui permet de supporter des niveaux plus élevés « d’’excitation-intérêt » et de « joie-plaisir ». Cette augmentation des affects positifs est possible grâce à une action neurochimique. La capacité de l’enfant de tolérer des niveaux plus élevés d’excitation augmente pendant la première année et ce phénomène culmine vers dix à douze mois, au début de ce que M. Mahler (1975) a appelé la « practicing peroid ». L’impression de fusion résulterait principalement de l’échange visuel.
53 Le cortex orbito-préfrontal est un point de convergence de différents apports corticaux et sub-corticaux et cette zone anatomique est centrale dans le rôle des fonctions adaptatives et la gestion des émotions (régulation). Le développement de ce cortex est activé par les accordages affectifs et sa régulation dépend principalement du rôle pare-excitant de la mère. Or, la vision joue un rôle important dans ces accordages et dans la perception des affects maternels visibles sur sa figure grâce à sa mimique.
54 Dès le moment où l’enfant est capable de se déplacer (practicing period), l’échange visuel joue toujours un rôle non négligeable. Le bébé qui explore le monde extérieur peut « recharger ses batteries » par un simple coup d’œil à la mère (ce que M.Mahler appelle « refuelling »). En lisant l’émotion de la mère sur son visage, il peut prendre conscience de certains dangers, comme dans l’expérience où l’image d’un fossé est projetée devant l’enfant qui avance à quatre pattes. Si maman sourit, il franchira le « danger », si maman par contre a l’air inquiète, il ne passera pas le pseudo-obstacle. D’autres perceptions jouent également un rôle, mais la vue demeure le moyen le plus fiable.
55 En résumant, nous pouvons dire que grâce à la vue, l’enfant apprend à réguler ses affects, ce qui à son tour influence le développement cérébral. Dès l’âge de dix à douze mois l’enfant semble avoir une représentation stable de sa mère, surtout de son visage, qu’il peut évoquer en l’absence de celle-ci, ce qui contribue à l’autorégulation de ses émotions. C’est vers cet âge que beaucoup d’enfant choisissent leur objet transitionnel dont D. Winnicott (1951 ) a bien décrit le paradoxe : il est à la fois mère et non-mère. Les recherches neuro-biologiques viennent corroborer ce que les chercheurs psychanalytiques avaient pressenti et observé : l’importance des interactions mère-bébé sur le développement de l’enfant, surtout lorsqu’elles s’accompagnent d’un plaisir partagé. La vue facilite ces échanges et permet de mesurer les émotions réciproques des protagonistes durant les interactions.
Les bébés aveugles de naissance
56 Pour encore mieux souligner l’importance de la vue dans le développement de l’enfant, nous avons eu recours à des études psychanalytiques sur l’enfance de bébés aveugles de naissance. Dans les années soixante, des psychanalystes anglais et américains (D. Burlingham, S. Fraiberg, A.-M. Sandler, D. Wills et d’autres) ont écrit plusieurs articles consacrés au développement d’enfants nés aveugles ou ayant perdu la vue dans les premiers jours de leur vie. Il s’agissait d’enfants nés prématurément, mis en couveuse et où une trop forte pression d’oxygène a détruit le nerf optique.
57 Jusque là, les enfants aveugles de naissance avaient souvent été confondus avec des enfants retardés mentaux ou autistes en raison du retard de développement et des symptômes qu’ils présentaient : retrait, balancement, recours massif à l’autoérotisme, retard psychomoteur et de langage.
58 Certains de ces enfants ont été pris en psychothérapie intensive par des psychanalystes et il est petit à petit devenu clair que lorsqu’ils étaient adéquatement rassurés et stimulés, ces enfants pouvaient rattraper une partie de leur retard et sortir de leur isolement. Ces psychanalystes ont ensuite créé des jardins d’enfants adaptés aux difficultés des enfants aveugles et apporté aux mamans un soutien psychologique adéquat, ce qui a permis des études approfondies des obstacles que rencontrent les enfants privés de vision et l’influence que cela peut avoir sur l’évolution de leur développement.
59 Dans un premier temps, il faut évidemment aider les mères à dépasser le choc affectif provoqué par l’annonce du diagnostic et la dépression qui souvent en découle Une maman d’un bébé aveugle éprouve de grandes difficultés à s’identifier à son enfant et à comprendre certaines de ses réactions. Par exemple, lorsque la maman s’approche de lui, le bébé se fige pour mieux écouter et deviner ce que signifie ce bruit et qui s’approche de lui. Malheureusement, les mamans comprennent cette réaction comme un signe de peur ou de rejet. L’enfant doit apprendre à privilégier et développer ses autres sens, mais le recours à 1’utilisation de l’ouïe et du toucher pour pallier le manque de vision ne se fait pas automatiquement chez le bébé qui doit être aidé dans cet apprentissage. Lorsque l’enfant, par exemple, tient un jouet dans ses mains et que cet objet lui est retiré, il va très vite abandonner d’essayer de le retrouver là où l’enfant voyant fera des efforts pour récupérer l’objet retiré de ses mains mais pas de sa vue.
60 A.-M. Sandler estime que pendant les trois à quatre premiers mois (pour certains chercheurs plus récents ce délai se réduit à deux mois), les stimulations importantes pour le bébé sont d’ordre tactile, acoustique et cénesthésique. Elle observe en conséquence peu de différences entre le développement des bébés voyants et aveugles pendant les premiers mois. Au cours d’une observation de nourrisson selon la méthode d’Esther Bick (1946), l’observatrice avait perçu une inquiétude diffuse chez la jeune mère d’un bébé dont le trouble de la vision n’a été diagnostiqué qu’à l’âge de quatre mois. La maman avait perçu une anomalie dans ses contacts avec son bébé, sans pouvoir la définir avec certitude.
61 La succion est stimulée par le contact entre la figure, principalement la bouche du bébé et le mamelon ou les doigts de la mère. Au début de la vie, c’est par hasard que la main du bébé arrive en contact avec sa bouche et stimule sa succion ; vers douze semaines, ce geste devient volontaire. Le bébé apprend que les doigts dans la bouche procurent une satisfaction orale de substitution. Jusqu’ici le bébé aveugle peut faire les mêmes expériences.
62 Il existe pendant ces premiers mois des réactions visuelles, notamment oculocéphalogyres c’est-à-dire des réactions où bébé tourne la tête vers une lumière ou des couleurs vives. Parmi tous les stimuli visuels, c’est le visage humain qui intéresse le plus bébé et vers six à huit semaines apparaît le sourire réactionnel au visage humain. Les enfants aveugles sourient en réaction à la voix maternelle mais seulement vers quatre à cinq mois.
63 La vue des petites mains, souvent dans les parages du visage et des yeux, va progressivement favoriser la coordination main-bouche. Il y a une période initiale où la bouche et la main sont complémentaires : la main agit comme si elle était un prolongement de la bouche. Avant que la main ne puisse se saisir des objets, ils sont « pris en soi » et incorporés par les yeux. Pour arriver progressivement à une séparation entre les fonctions de la bouche et de la main, la vue est indispensable. Après une période d’intense libidinisation orale, les mains vont acquérir une certaine autonomie et se trouveront sous l’influence principale de la vision. Elles vont d’abord servir à prendre les objets pour les amener vers la bouche et finalement servir à d’autres buts et plaisirs.
64 Les yeux et la main s’approprient les aspects libidinaux et agressifs de l’oralité. Les jeux avec les mains, tels ceux de les regarder, de faire jouer les doigts, de les comparer à ceux des personnes qui entourent le bébé, ainsi que les jonctions (G. Haag, 1988) n’existent pas chez les bébés aveugles selon S. Fraiberg (1968). L’auteur estime que lorsqu’il n’y a que la rencontre tactile, le plaisir manque et l’expérience n’est pas répétée et transformée en jeu.
65 La situation de l’enfant aveugle va encore se compliquer à l’âge de l’importante expérience des échanges « œil à œil ». Nous avons souligné l’importance de ces échanges dans l’établissement du lien affectif entre la mère et son bébé, dans le partage émotionnel, de plaisir surtout, et dans l’acquisition d’une capacité de réguler l’excitation. Les mamans de bébés aveugles doivent être aidées à trouver des stimulations tactiles et auditives qui peuvent procurer les mêmes échanges de communication et de partage. Les bébés aveugles sont très attentifs aux bruits ce qui diminuerait la tendance aux lallations, car lorsqu’on émet soi-même des sons, on entend moins bien ceux de l’environnement.
66 Beaucoup de parents d’enfants aveugles surstimulent l’audition et mettent à longueur de journée de la musique à côté de leur enfant ce qui ne les aide pas à apprendre à faire des distinctions dans les bruits de l’environnement.
67 La locomotion et la motricité sont des fonctions dont le développement sera ralenti par l’absence de vision. Tous ceux qui ont observé des bébés aveugles, constatent qu’ils ne passent jamais par le stade de la locomotion à « quatre pattes ». Ils apprennent à marcher, dans des délais variables, avec l’aide de l’environnement souvent très anxieux. Il manque la stimulation majeure de la vue qui incite l’enfant à essayer de se rapprocher et d’explorer les objets du monde extérieur qui semblent si attrayants. La vue permet à l’enfant de partager avec la mère le même intérêt pour un objet, le « pointing », étape révélatrice dans le développement, car en montrant du doigt le bébé communique ses désirs. Il semblerait que l’enfant aveugle essaye de communiquer ses désirs par des lallations et des mouvements de la tête et du tronc. Malheureusement, ces gestes sont rarement perçus par l’environnement et le bébé y renonce (1997). L’enfant doué de la vue reconnaît les émotions maternelles sur son visage, il apprend à interpréter les mimiques de son entourage. La maman d’un bébé aveugle peut compenser cette faille par la communication, par la parole, mais nous ne sommes pas toujours conscient de ce que notre visage exprime ou trahit. Il manque donc au bébé aveugle une voie de communication importante.
68 Tout le développement moteur qui part de la prise en main d’un objet jusqu’à la possibilité d’aller le chercher soi-même, de la contemplation de ses mains jusqu’à leur utilisation, de la manipulation de son corps jusqu’à la comparaison visuelle avec celui de l’autre sont sous l’influence primordiale de la vue. Les progrès de la motricité permettent aussi l’expression et la décharge de certains affects : l’agressivité en jetant, piétinant, donnant des coups de pied ou l’excitation en sautant, courrant, bougeant. Les enfants aveugles restent accrochés à l’expression orale de l’agressivité : mordre. Ils sont, par ailleurs, décrits comme peu agressifs. Les observateurs pensent que c’est lié à leur extrême dépendance à l’objet. Par contre, ils sont sujets à de violentes explosions de colère probablement dues à un sentiment exacerbé d’impuissance.
69 L’enfant voyant qui reste seul dans son lit peut explorer du regard ce qui l’entoure et trouver dans la vue des objets familiers, des moyens de réassurance par rapport à la séparation et à la solitude. Pour beaucoup d’enfants aveugles, le lit représente un lieu connu, de retrait et de repli face à un monde extérieur si difficile à connaître. Souvent, encouragé par les parents, ils y passent beaucoup de temps à se balancer et se distraire par des jeux auto-érotiques.
70 Il semblerait que la perception d’un bruit n’a pas automatiquement la signification d’un objet que l’on peut prendre, ceci doit être expliqué à l’enfant et il faut lui permettre de l’expérimenter. L’enfant aveugle réagit à l’audition d’un bruit et tourne la tête dans cette direction. Cependant, cette réaction disparaît progressivement si cette stimulation n’est pas accompagnée d’une explication complémentaire de l’entourage.
71 Les enfants aveugles arrivent tardivement à la notion de permanence de l’objet et de constance objectale. Ils sont très anxieusement accrochés à leur mère et ne supportent pas les séparations qui peuvent s’accompagner de régressions massives. Or, ils sont souvent écartés de leur milieu pour de multiples examens médicaux et pour des raisons éducatives (placement en enseignement spécialisé).
72 D’après S. Fraiberg (1968) et E. B. Omwake and A. J. Solnit (1961), les représentations mentales non basées sur des éléments visuels, seraient moins stables que celles construites à partir de perceptions visuelles. L’étude du monde interne des aveugles congénitaux adultes est intéressante à ce propos. Les auteurs semblent d’accord pour affirmer que leurs rêves ne contiennent pas d’images visuelles. Ils auraient surtout des représentations auditives, puis, par ordre d’importance : tactiles, cénesthésiques et gustatives. Il faut se méfier, dans le récit des rêves d’aveugles, d’une tendance à la négation de leur handicap par l’utilisation de mots de voyants, qui n’ont pas de sens réel pour eux. Selon R. 0. Wilkerson (1995), l’analyse de leurs rêves révèle beaucoup plus d’interprétations conceptuelles et de déductions imaginatives que de réelles sensations. Cet auteur affirme que les aveugles sont capables de se représenter des relations spatiales (par exemple : une grande pièce) sans images visuelles mais sans doute à partir de perceptions acoustiques (l’écho). L’auteur parle de « imagery » qui ne sont pas des perceptions visuelles mais des aperceptions psychologiques. Cette « imagery » serait une transmission cognitive. A notre connaissance, aucune étude n’a été faite à propos des représentations chez l’aveugle congénital en tenant compte de la notion de perception transmodale, ce qui nous paraît un domaine intéressant à explorer. Des études récentes ont aussi montré, que pour un voyant, la mémoire d’un son s’accompagne d’une mémorisation spatiale car le son est localisé en surimpression sur une carte visuelle mentale.
73 L’acquisition du langage est difficile pour l’enfant aveugle et demande un travail de concrétisation du sens des mots. L’enfant doit se faire une représentation de l’objet nommé par le toucher, l’odeur, l’audition, cela pose des problèmes considérables et demande une adaptation particulière de l’entourage. Beaucoup d’enfants aveugles font de l’écholalie et répètent des mots qu’ils ne comprennent pas. Ils ont un accès plus difficile à la symbolisation. Récemment, des aveugles adultes ont pu, grâce à des interventions chirurgicales, retrouver la vue. Ils n’ont pu reconnaître et nommer les objets qu’après les avoir d’abord touchés.
74 L’enfant aveugle utilise le langage pour faire parler l’autre et ainsi pouvoir s’orienter dans une pièce et reconnaître la personne qui est présente. L’enfant procède par analogie pour essayer de comprendre les mots. Ainsi, Caroline, quatre ans et demi, à qui on explique qu’il y a une poche dans sa robe, y met le doigt puis le porte à sa bouche et dit : « ça, c’est la poche de ma figure ».
75 La vision acquiert, selon ces différents auteurs, son importance aussi de la continuité de la perception. Les bruits sont discontinus, pour toucher quelque chose il faut être à proximité. La continuité de la perception visuelle expliquerait son rôle de coordinateur des perceptions. La vue centralise toutes les autres perceptions et leur organisation en une représentation, elle contribue à la synthèse et à l’utilisation des autres perceptions. Ceci est confirmé dans une étude longitudinale faite par Gunilla Preisler et par un article de Alan Fogel (1997).
76 S. Fraiberg (loc. cit.) estime que la synthèse progressive des expérience visuelles, tactiles et auditives conduisent à la constitution d’une « image » de la mère où la vue joue le rôle d’unificateur. Elle résume comme suit les différentes fonctions de la vision dans le développement de l’enfant : « la vue organise les expériences, elle favorise le développement de la motricité et de la préhension, elle érige les constructions mentales, elle permet la décharge motrice de l’agressivité favorisant ainsi les mécanismes de défense et la neutralisation de l’agressivité, »
Conclusion
77 Lorsqu’on réfléchit rapidement à l’importance de la vision dans le développement de l’enfant, elle semble aller de soi comme celle des autres perceptions. La prépondérance de son rôle n’est pas sans étonner et ressort à la fois des études neuro-biologiques récentes et des travaux effectués avec des enfants aveugles de naissance. Le travail avec des adolescents psychotiques malvoyants, a amené G. Lavallée à des développements très intéressants sur la réflexivité de la vision qui exige la présence d’un autre être humain. Contrairement aux autres perceptions, la vision n’est pas réflexive.
78 Dans la cure analytique, la stimulation visuelle est inhibée ce qui favorise la régression et la concentration sur soi de l’analysant, mais prive l’analyste et l’analysant des communications de la mimique et du corps. Force nous est de nous contenter du langage sur le corps, auquel nous ne donnons peut-être pas suffisamment d’importance. Dans la psychanalyse d’enfant et dans les psychothérapies, le regard et le corps avec ses expressions inconscientes sont très présents. Jean-Marie Gauthier et collaborateurs (2002) en donnent des développements intéressants et insistent sur toute la richesse de l’observation minutieuse du comportement d’enfants avec des troubles envahissants du développement. Dans ce travail, notre attention est aussi attirée sur ce que nous, en tant que thérapeutes, donnons à voir et à comprendre par nos regards et notre corps.
79 Nous donnerons le mot de la fin à Amélie Nothomb (2000), qui écrit : « Les yeux des êtres vivants possèdent la plus étonnante des propriétés : le regard. Il n’y a pas plus singulier. On ne dit pas des oreilles des créatures qu’elles ont un « écoutard », ni de leurs narines qu’elles ont un « sentard » ou un « reniflard ». Qu’est-ce que le regard ? C’est inexprimable. Aucun mot ne peut approcher son essence étrange. Et pourtant, le regard existe. Il y a même peu de réalités qui existent à ce point. Quelle est la différence entre les yeux qui ont un regard et les yeux qui n’en ont pas ? Cette différence a un nom : c’est la vie. La vie commence là où commence le regard. »
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Mots-clés éditeurs : représentation, enfants nés aveugles, épigénèse, enveloppe visuelle du moi
Date de mise en ligne : 01/01/2006.
https://doi.org/10.3917/cpc.020.0031