Notes
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[1]
Elles sont en tout cas enseignées en premier dans les cursus pédagogiques des différents sports de combat spécialisés.
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[2]
Seuls 17,4 % des victoires ont été remportés par soumission à l’UFC.
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[3]
Ainsi un haut-dirigeant de l’UFC a-t-il déclaré : « if a fighter put on a “good show” – he was aggressive and exciting to watch – he would be invited back even if he lost. If a fighter was victorious but uninteresting to watch, he might not get his contract renewed » (cité par Downey, 2006).
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[4]
3 ou 5 rounds de 5 minutes.
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[5]
Il en va ainsi des frappes de pieds en zone haute qui exposent au risque d’être contré par une projection.
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[6]
Nous avions décidé d’inclure les victoires remportées par les 5 meilleurs combattants des 10 catégories de l’UFC, à la date du 1er mai 2016. Ce faisant, nous avons évacué les anciens champions de l’UFC, les combattants actuels classés au-delà de la 5e place ainsi que les champions évoluant dans d’autres organisations professionnelles.
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[7]
Voir la thèse de Brault (2011) sur la feinte de corps en rugby et l’analyse de Dugas (2010) sur l’activité de duperie du tireur de pénalty en football.
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[8]
Certaines techniques isolées comportent en leur sein même une intention de duper, comme le superman punch qui débute par une feinte de coup de pied circulaire bas avant de se conclure par une frappe sautée en poing.
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[9]
Urijah Faber est par exemple un très grand spécialiste des étranglements, à l’origine de 6 de ses 9 victoires à l’UFC. Dans le cadre du combat au sol, Faber a l’habitude d’attirer l’attention de l’adversaire sur une fausse piste (par exemple le ground-and-pound) avant de le finaliser par un étranglement à la première occasion.
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[10]
Cet ancien champion des Mi-lourds de l’UFC a remporté 8 de ses 9 victoires par KO avec un crochet du droit.
-
[11]
Toutes les combinaisons sont possibles : étranglements et poings chez Tony Ferguson ; clés et étranglements chez Royce Gracie ; poings et genoux chez Joanna Jedrzejczyk ; groundand-pound et frappes de poings en stand up chez Conor McGregor.
MMA et innovation technique
1Le Mixed Martial Arts (MMA) est né aux États-Unis, à partir de 1993, sous l’impulsion de l’Ultimate Fighting Championship (UFC). Dans son principe originel, des combattants professionnels issus de sports de combat distincts s’opposaient dans des assauts minimalement réglementés afin de comparer l’efficacité différentielle de leurs spécialités respectives. Sur la base de ces premières rencontres inter-styles, s’est progressivement autonomisé un sport de combat de synthèse, combinant et intégrant de multiples techniques de percussion, de projection et de soumission empruntées aux diverses disciplines de combat. Cette genèse singulière du MMA le rend particulièrement pertinent pour une étude sociologique de la dynamique de création technique qui s’y manifeste. Plus particulièrement, il convient de se demander si l’hybridation d’influences martiales multiples a débouché sur une diversification ainsi qu’une complexification des techniques combatives mises en œuvre en MMA. En outre, son cadre réglementaire minimal favorise-t-il l’innovation technique ? Celle-ci n’est-elle pas également stimulée par les exigences médiatiques qui animent l’UFC, organisation qui commercialise avant tout un spectacle sportif dans l’optique de maximiser ses audiences télévisuelles et a fortiori ses rentrées financières ?
Une dynamique de restriction et d’uniformisation gestuelles à l’UFC ?
2Dans une contribution princeps, Downey (2006, p. 202) soutient que les combattants de MMA, à rebours de leur image d’êtres primitifs et instinctifs, sont contraints à de multiples adaptations techniques. Le MMA incarnerait même à quel point « human skills are subject to technical refinement, innovation and cumulative learning across a community ». Nous avons voulu vérifier cette assertion à partir d’une analyse empirique systématique (Quidu, Sous presse). Celle-ci visait d’une part à quantifier la diversité des techniques combatives déployées en MMA et d’autre part à qualifier leur complexité et leur originalité. Pour ce faire, ont été étudiés 379 combats remportés à l’UFC par les 5 meilleurs combattants actuels de chacune des 10 catégories qui composent l’organisation. Pour chacune de ces rencontres, ont été identifiés le mode d’obtention de la victoire (par décision des juges, KO-TKO ou soumission) ainsi que la technique décisive ayant amené l’arrêt du combat. Nous avons alors démontré qu’à rebours de l’imaginaire collectif, qui tend à associer mécaniquement le pluriel à la créativité (Quidu, 2016), l’hybridation à l’origine de la constitution historique du MMA a eu pour effet pervers un appauvrissement et une standardisation de la panoplie technique de ses combattants professionnels. En effet, les victoires à l’UFC sont obtenues au moyen d’un panel très limité de techniques, lesquelles sont en outre apparues le plus souvent comme élémentaires [1].
3En premier lieu, les 74 victoires remportées par des frappes de poings ne l’ont été que grâce à 3 techniques basiques, qui plus est exclusivement assenées à la tête : le crochet, l’uppercut et le direct. Le crochet est, de loin, l’arme la plus dévastatrice (il représente 58,1 % des victoires remportées en poings), devant le direct (25,68 %) et l’uppercut (16,22 %). Une telle rentabilité tend probablement à réduire la diversité des frappes de poings et à éclipser d’autres techniques, plus complexes, comme le superman punch ou le spinning back fist, jamais victorieuses à l’UFC. Concernant ensuite les frappes de pieds victorieuses, elles apparaissent plus faiblement représentées (notamment chez les catégories lourdes), ne provoquant que 24 victoires sur 379 combats. Ici encore, la diversité gestuelle s’avère réduite, le high-kick concentrant à lui seul 62 % des percussions victorieuses. Très peu utilisés, suivent, loin derrière, le high- kick retourné (3 occurrences victorieuses), le low-kick (3), le middlekick (2) et le spinning back-kick (1). Soulignons ici l’absence de nombreuses autres frappes comme le front-kick, le side-kick, les coups de pieds sautés ou marteaux. Les frappes de genoux et de coudes sont, quant à elles, très peu attractives puisqu’elles ne représentent respectivement que 1,72 % et 7,3 % des KO-TKO.
4Les mouvements de soumission sont également apparus comme faiblement variés et relativement élémentaires. Dans un contexte globalement défavorable au grappling [2], les clés articulaires ont quasiment disparu de la panoplie des techniques victorieuses à l’UFC ; elles ne représentent plus en effet que 3,43 % des succès (environ 1 clé réussie tous les 29 combats). Notons tout d’abord l’absence totale de joint-locks victorieusement appliqués aux membres inférieurs. Le travail sur les membres supérieurs est davantage mobilisé, notamment au travers de la technique par hyper-extension du coude ou juji gatame, qui représente 70 % des clés victorieuses. L’efficacité de cette technique, pourtant rudimentaire, éclipse celle d’autres formes plus sophistiquées. En effet, seules deux autres techniques ont été victorieusement appliquées (la Kimura à 3 occurrences et une forme inversée de juji à 1 reprise). En définitive, en plus d’être faiblement décisives, les techniques de clés sont également très peu variées. Les étranglements sont légèrement plus probants puisqu’ils représentent 14 % des victoires à l’UFC. Deux techniques, assez basiques, concentrent 80 % des étranglements victorieux : l’étranglement arrière – ou rear nake choke – (53 % des étranglements victorieux) et la guillotine (26,4 %). 4 autres techniques sont également utilisées, mais beaucoup plus rarement : l’étranglement bras-tête (5 reprises), le brabo choke (3), le triangle (2) et le bull-dog choke (1).
5Plusieurs explications ont pu être avancées pour rendre compte de ce mouvement de restriction gestuelle, a priori paradoxal pour une discipline minimalement réglementée et issue d’une hybridation de plusieurs influences martiales. L’intervention de considérations médiatico-économiques (et de leurs traductions réglementaires) constitue un premier facteur limitatif : les dirigeants de l’UFC cherchent en effet à promouvoir des techniques télégéniques, c’est-à-dire à la fois spectaculaires [3] et lisibles pour le grand public, non nécessairement spécialiste des sports de combat mais en quête de sensations fortes. Ont notamment été victimes de ce filtre médiatique les techniques de soumission : bien qu’ayant fait la preuve indiscutable de leur efficacité dans les premiers tournois de l’UFC, elles n’ont pas pour autant été reçues de façon unanimement positive. Le grappling (ou lutte au sol) a ainsi souvent été considéré comme un style passif et attentiste, donnant lieu à d’interminables combats jugés peu spectaculaires voire connotés sexuellement (Downey, 2006). Une série de mesures réglementaires a ainsi cherché à relativiser l’efficacité et l’attractivité du grappling au profit de l’explosivité de la percussion et des strikers : la durée totale des combats a été limitée [4], incitant les athlètes à rechercher la victoire de façon plus active et agressive ; ceux-ci ont, en outre, été structurés en reprises, lesquelles débutent obligatoirement par une phase d’opposition debout, ce qui limite le temps de travail au sol ; les arbitres peuvent également remettre debout des combattants jugés inefficaces dans leur lutte au sol. L’interdiction de porter des kimonos a également rendu impossibles de nombreuses soumissions issues du judo, du jujitsu brésilien ou du sambo. À l’inverse, l’obligation des mitaines a favorisé les punchers en limitant le risque de fracture à l’impact. Afin d’orienter les rencontres vers davantage de KO, les promoteurs de l’UFC ont enfin veillé à embaucher prioritairement des spécialistes de la frappe et à accélérer leur carrière. Ces diverses mesures ont atteint l’objectif escompté puisqu’en 2016, chez les meilleurs combattants de l’UFC, les KO sont acquis de façon ultra-majoritaire au moyen des frappes de poings (80,25 %) que celles-ci soient réalisées debout (34,33 %) ou au sol (45,92 %).
6Au-delà de ces considérations médiatico- économiques, le rétrécissement gestuel prégnant à l’UFC résulte de processus liés à l’activité technique elle-même. En effet, le nombre important de secteurs d’opposition à maîtriser en MMA rend difficile l’apprentissage, à chacune de ces distances, de techniques complexes dont l’automatisation nécessiterait des volumes excessifs de répétitions. Les pratiquants se concentrent, dès lors, sur l’intégration de techniques élémentaires et spécifiquement adaptées au contexte de l’UFC. En effet, certaines techniques, pourtant efficaces dans le cadre d’une opposition spécialisée, sont abandonnées en MMA parce que jugées périlleuses dans un combat mixte où les possibilités de contre-attaques sont décuplées [5]. Enfin, les techniques de soumission sont de plus en plus difficiles à appliquer aussi bien du fait du perfectionnement défensif des combattants au sol que des progrès offensifs du ground-and-pound (voir ci-après).
7Complémentaire de ce mouvement d’appauvrissement gestuel, s’exprime également à l’UFC une tendance à l’uniformisation amenant des combattants, d’origines martiales et géographiques pourtant diverses, à mobiliser les mêmes techniques que leurs concurrents. Précisons tout d’abord qu’à la différence de la plupart des pratiques martiales, qui visent l’enseignement d’un corpus stabilisé de savoir-faire traditionnels pratiqués avec une exigence de pureté, de précision et d’esthétique, l’apprentissage en MMA n’est guidé que par le souci de rentabilité en contexte réel d’opposition, ce qui conduit à focaliser l’acquisition sur les seuls mouvements ayant fait la preuve de leur efficacité combative. Chaque combattant de MMA, soucieux de gagner en efficience, reproduira à titre individuel les techniques qui fonctionnent dans l’octogone. L’agrégation de ces diverses quêtes individuelles d’efficacité conduira à l’émergence collective d’une uniformisation technique. Celle-ci s’avèrera contre-productive pour les combattants dont les techniques deviennent prévisibles alors même que devrait prévaloir, dans la logique interne de cette activité d’opposition, la « contre-communication » (Parlebas, 1981). La volonté des individus s’est ainsi retournée contre eux-mêmes (Boudon, 1979). La structure institutionnelle du MMA au niveau mondial représente un deuxième facteur explicatif de cette homogénéisation technique interindividuelle. En effet, le développement de la discipline est porté par des organisations privées ayant un recrutement international ; ce brassage des combattants est amplifié par leur transfert d’une organisation à l’autre, mais aussi par leur passage d’un centre d’entraînement à l’autre. Un tel fonctionnement fait que les combattants se connaissent, s’observent, s’imitent, jusqu’à adopter des styles de combat très proches. La disparition du Pride japonais en 2007 et l’adoption en 2001, dans la quasi-totalité des organisations professionnelles, des Unified Rules of MMA ont accéléré le mouvement de standardisation technique. Toutefois, les modes, mondialisés et numériques, de diffusion de ces spectacles sportifs constituent sans doute le plus puissant facteur de normalisation : en effet, les combats dans l’octogone sont devenus de véritables « forums publics » ou encore des « locus d’objectivité » (Downey, 2006). Le processus mimétique est en effet favorisé par le développement du réseau mondial internet et, en son sein, des sites de partage de vidéos : ainsi les combats de l’UFC sont-ils massivement visionnés, commentés, décortiqués ; les techniques efficaces sont décodées, formalisées, expliquées dans des tutoriels mettant à la disposition de la communauté mondiale des pratiquants de MMA un même corpus technique qui ne pourra dès lors que tendre vers la standardisation. Cette situation contraste fortement avec ce qui se pratiquait, quelques années en arrière, en jujitsu brésilien (Spencer, 2014) : chaque école pratiquait alors son propre style de combat (avec sa garde et ses soumissions spécifiques). Celui-ci était tenu secret vis-à-vis des structures concurrentes au point qu’il était possible de reconnaître le club d’un compétiteur à sa façon de combattre. Le jujitsuka qui rompait cette loyauté à l’école, en partageant ses techniques secrètes avec l’extérieur, était stigmatisé comme un « traître » (Spencer, 2014). Bien différente est la situation actuelle du MMA dont l’ouverture numérique a paradoxalement produit une puissante uniformisation.
8Un tel mouvement de normalisation, s’il atteint une grande ampleur en MMA, n’a toutefois rien de spécifique à la discipline. Il s’agirait même d’un processus définitoire de toute « technique sportive » par opposition aux « techniques du corps » telles que délimitées par Marcel Mauss (Arnaud & Broyer, 1985) : là où les secondes se différencient suivant les sociétés, les âges ou les sexes, les premières se caractérisent par leur convergence vers une fin unique, la performance. Nivelant les différences culturelles et occultant les particularismes régionaux, elles constituent « des normes et des modèles universels de rendement corporel dans un environnement institutionnel et technocratique rigide ». Bien que non réductible au seul MMA, le risque de monolithisme technique interroge toutefois de façon aiguë une discipline née de l’hybridation pluridisciplinaire et dont la logique interne d’opposition exige de produire de l’incertitude chez l’adversaire.
Au-delà de l’appauvrissement gestuel, une activité de création technique ?
9La tendance conjuguée au rétrécissement et à l’uniformisation gestuels devrait théoriquement rendre plus difficile, pour le mixed martial artist, la dissimulation de ses propres intentions. La proportion de combats allant jusqu’à leur terme aurait dû logiquement exploser. Pourtant, en 2016 à l’UFC, 6 rencontres sur 10 sont interrompues avant leur terme. Comment les combattants de MMA parviennent-ils encore à vaincre avant la limite dans une discipline dont les armes techniques disponibles sont limitées tant en variété qu’en originalité ? Nous défendrons l’hypothèse suivant laquelle les combattants victorieux ne peuvent pas ne pas être créatifs. Pour continuer à vaincre, ils devront certes progresser dans la qualité de l’exécution gestuelle, dans la force et la vitesse de leurs mouvements, mais ces améliorations ne sauraient être suffisantes si elles n’étaient complétées par une authentique activité d’innovation permettant d’installer de l’incertitude chez l’adversaire. Ayant démontré préalablement une tendance générale à l’appauvrissement et à la standardisation des gestuelles décisives à l’UFC, il nous faut désormais identifier les niveaux précis de l’activité auxquels se manifeste cette dynamique créatrice.
10Pour ce faire, il nous faudra nécessairement dépasser le cadre d’analyse de l’étude empirique ci-avant évoquée (Quidu, Sous presse), dont les choix méthodologiques peuvent apparaître après-coup comme limitatifs, pour une compréhension complète de l’innovation technique en MMA. Sans évoquer la délimitation, en soi discutable, du corpus d’étude [6], notre enquête préliminaire s’est focalisée sur le versant visible, gestuel et mécanique de la technique alors entendue comme agencement singulier des différents segments corporels dans le temps ; or, loin de pouvoir être réduite à un produit, à une forme gestuelle ou à une quelconque coordination motrice, la technique est avant tout un processus, voire une activité, impliquant des significations et des raisonnements pratiques. En outre, dans notre étude exploratoire, n’ont été considérées que les seules techniques directement décisives, c’est-à-dire occasionnant immédiatement l’interruption du combat ; ont, dès lors, été délaissées les techniques de construction de l’échange pugilistique qui, si elles ne sont pas instantanément victorieuses, n’en demeurent pas moins fondamentales pour bâtir la victoire. L’analyse exploratoire s’est enfin attachée aux techniques considérées isolément, sans les resituer dans les combinaisons où elles s’insèrent. Or, une technique de combat ne prend sens que dans un enchaînement de mouvements et de déplacements mais aussi dans un contexte tactique spécifique. Une technique devient pertinente si elle est déclenchée dans un timing approprié, en fonction d’un état momentané du rapport de forces et/ ou de l’histoire antérieure du combat. L’étude exploratoire n’a pas intégré cette contextualisation tactique de la technique. Compte tenu de ces limitations méthodologiques, la portée de notre thèse originelle d’une restriction technique en MMA devra être fortement relativisée. Nous devons donc envisager différents niveaux de l’activité où s’exprime la créativité technique des combattants, créativité qui s’avère nécessaire pour continuer à tromper leurs adversaires. Le rétrécissement et l’uniformisation des mouvements victorieux à l’UFC masqueraient des innovations techniques plus fines, créatrices d’incertitudes, notamment via la sophistication des enchaînements, du timing et des feintes. Il existerait ainsi diverses formes de compensations – créatives – de l’appauvrissement des gestuelles décisives.
Les Expressions multiples de la créativité technique en MMA
11La créativité en MMA transparaît tout d’abord, à un niveau collectif, dans les multiples transformations que les combattants font subir aux techniques empruntées aux divers sports de combat conventionnels afin de les adapter à la spécificité du combat mixte. Sa logique impose par exemple un écartement des appuis différent de la boxe anglaise afin d’optimiser la stabilité du corps en prévision d’une tentative adverse d’amené au sol. La garde du MMA est également distincte de celle du kick-boxing ou du karaté compte-tenu des possibilités multiples d’attaques adverses. Les formes gestuelles en MMA évoluent également par l’initiative individuelle de combattants particulièrement créatifs, dont les « éclairs de génie » révèlent des mouvements particulièrement originaux. Ces coordinations motrices inédites s’avèrent doublement efficaces : combativement d’abord, car l’adversaire, surpris, ne pourra anticiper l’attaque ; télégéniquement ensuite, parce que le caractère exceptionnel de la technique fera sensation auprès du grand public. Il en va ainsi du coup de pied assené par Anthony Pettis à Benson Henderson lors du WEC 53 en prenant appui sur le grillage de l’octogone. Nous pourrions également évoquer le superman punch de Georges Saint-Pierre, les frappes de pieds retournées de Lyoto Machida ou encore les coups de coude remontants de Jon Jones. Ces gestualités novatrices en MMA s’inspirent de techniques issues d’arts martiaux diversifiés, notamment orientaux, mais également d’approches pédagogiques originales.
12Ainsi, Conor McGregor et Gunnar Nelson ont-ils par exemple recours à la méthode du brésilien Ido Portal, la movement culture, qui vise une redécouverte de la complexité des mouvements naturels. Elle permet, aux combattants qui s’y adonnent, de développer des attitudes de garde ainsi que des frappes en rotation inédites. Ici, nous considérons qu’une pédagogie innovante vient compenser un appauvrissement gestuel global dans l’optique de retrouver des formes corporelles neuves. Toutefois, l’efficacité durable d’une telle compensation pédagogique se trouvera rapidement affaiblie dans la mesure où les adversaires, informés de ses bienfaits, en viendront à l’imiter. Ce qui était innovant deviendra vite commun et ne permettra plus de créer d’incertitude.
13Au-delà de ces formes corporelles inédites, le rétrécissement gestuel peut être compensé par une complexification des enchaînements : la réduction de la variété et de l’originalité des techniques isolées serait ainsi contrebalancée par une sophistication des enchaînements techniques. Dit autrement, des mouvements élémentaires, insérés dans des combinaisons élaborées de frappes et de déplacements, peuvent redevenir redoutables en recréant une incertitude maximale chez l’adversaire. Il en va ainsi du ground-and-pound qui consiste à associer, à la conquête de positions dominantes dans la lutte au sol, un matraquage systématique et répété de l’adversaire par des frappes de poings et de coudes. Devenu particulièrement dévastateur (il a provoqué 46 % des victoires par KO à l’UFC), cet enchaînement a été perfectionné par des combattants adoptant une attitude plus organisée et systématique que dans les premiers UFC où les frappes apparaissaient souvent comme imprécises et désordonnées. Il s’est également enrichi de l’introduction de coups de coudes descendants et de coups de poings marteaux. Les combattants qui y excellent tirent profit de leurs acquis en lutte mais aussi de leurs progrès en jujitsu brésilien. Ces progrès, qui se sont généralisés parmi les combattants de MMA, s’y traduisent, moins par la réussite accrue des techniques de soumission (les clés et étranglements victorieux se raréfient) que par une aptitude décuplée à la conquête de positions dominantes au sol permettant d’installer un ground-and-pound efficace. L’ancien champion des Lourds, Caïn Velasquez, excelle par exemple dans cet exercice qui lui a permis de remporter 8 de ses 10 victoires à l’UFC.
14Comment un tel champion, dont les prestations sont visionnées et décryptées, peut-il continuer à vaincre en ayant recours à son enchaînement préférentiel, pourtant parfaitement connu de ses adversaires ? Transparaît ici l’irréductibilité de la technique à un agencement mécanique de segments dans le temps. En effet, au-delà du strict registre du visible, la technique relève avant tout d’une activité qui s’insère dans le contexte tactique d’une opposition. Plus précisément, il convient de prêter attention au timing du déclenchement de la technique, plus ou moins opportun en fonction de l’état momentané du rapport de forces, mais aussi à l’activité de feinte [7] préalable au mouvement même. Le rétrécissement de la variété et de la complexité des gestuelles victorieuses à l’UFC n’aurait-il pas été compensé par une amélioration tactique, qui se traduit notamment chez les combattants par une capacité accrue à masquer leurs mouvements et à identifier les moments justes (le kaïros) pour les exécuter ? Ces progrès tactiques sont subtils et ne peuvent être immédiatement observés à l’œil nu, la finalité même de toute activité de contre-communication étant de tromper la perception. Pourtant, sans ce sens de la feinte [8] ni du timing [9], des spécialistes exclusifs, comme Chuck Liddell [10], qui ont remporté la quasi-totalité de leurs combats au moyen d’une seule arme, n’auraient pu exceller durablement à l’UFC. La créativité des combattants se révèle par ailleurs dans leur capacité accrue à exécuter leurs techniques favorites dans un nombre extrêmement varié de situations, ce qu’illustre Jon Jones, capable de placer un étranglement guillotine face à un adversaire aussi bien debout que pris dans sa garde au sol. En définitive, la standardisation gestuelle aurait dû déboucher sur un contexte d’incertitude réduite, notamment du point de vue évènementiel (Famose, 1990). Or, de par leur activité tactique subtile, les combattants de MMA ont su décupler la perplexité produite chez l’adversaire, en jouant spécifiquement sur les versants spatial (où aura lieu l’attaque ?) et temporel (quand interviendra-t-elle ?) de l’incertitude.
15S’il ne semble pas absolument nécessaire d’être un combattant complet pour performer durablement à l’UFC, la polyvalence peut toutefois constituer un atout majeur. En effet, les athlètes capables d’y remporter la victoire au moyen d’une panoplie diversifiée d’armes techniques sont susceptibles, à la différence des spécialistes exclusifs, d’exploiter stratégiquement cette possibilité pour créer de l’incertitude évènementielle chez leur adversaire. Intervient ici une forme de compensation stratégique de la restriction gestuelle. Les combattants complets, aptes à évoluer dans les divers secteurs d’opposition sans perdre en efficacité, se donnent la possibilité réelle de concevoir un plan de combat complexe, manipulant les différentes distances de combat, afin de tirer parti des faiblesses adverses. Ce jeu stratégique créatif pourra d’autant plus s’exprimer que seront diverses les possibilités techniques de victoire. Une telle complexité stratégique donne corps à la formule de Pellaud (2009, p. 43) : « si la boxe est une science, alors le MMA est la physique quantique. » Et Sánchez García & Malcolm (2010, p. 49) de corroborer : « because the potential range of techniques which each fighter might face in MMA is greater than for fighters in non-hybrid combat forms, their degree of calculation and planning is quite marked. » Le profil des combattants polyvalents tend à se développer à l’UFC à l’image de Fabrizio Werdum ou Jon Jones. Ce dernier, sorte d’« hybridation martiale faite homme » a remporté 9 victoires à l’UFC avant la limite dont 5 par soumission (3 étranglements guillotine, 1 étranglement arrière, 1 clé Kimura) et 4 en KO-TKO (1 crochet, 1 frappe de genou, 1 en coude et 2 ground-and-pound).
16Il serait toutefois inexact de considérer ce modèle du combattant complet comme exclusif à l’UFC : y coexiste encore une variété remarquable de profils combatifs. En effet, au-delà des spécialistes exclusifs et des polyvalents complets, on notera l’existence des bivalents, capables de vaincre via deux registres techniques distincts [11] ou encore des polyvalents de la percussion qui, à l’instar de Vitor Belfort, peuvent vaincre aussi bien en ground-and-pound que debout avec les pieds, les genoux, les coudes ou les poings. Au final, la richesse créative en MMA proviendrait peut-être moins des composants techniques eux-mêmes (c’est-à-dire des mouvements élémentaires de percussion et de soumission qui sont, en soi, assez réduits quantitativement et rudimentaires qualitativement), que de la grande diversité des façons singulières de les combiner. En résulterait une forte incertitude dans le déroulement et l’issue des combats, incertitude qui se traduit par la grande instabilité des hiérarchies en MMA et les fréquentes victoires des challengers face aux champions.
Entre appauvrissement gestuel et compensations techniques multiples
17Au-delà du mouvement global de resserrement et d’uniformisation des gestuelles victorieuses à l’UFC (Quidu, Sous presse), nous avons pu mettre en lumière diverses formes de compensation permettant aux combattants de MMA de continuer à duper leurs adversaires pour vaincre. La compensation peut tout d’abord s’opérer à un niveau pédagogique en recourant à des méthodes originales d’entraînement permettant de redécouvrir des coordinations motrices complexes. Elle peut également se réaliser au niveau tactique, en complexifiant les enchaînements de frappes et de déplacements mais aussi en optimisant le sens du timing, la reconnaissance des situations favorables au déclenchement d’une technique et l’activité contre-communicationnelle de feinte. La compensation se fait enfin stratégique lorsqu’il s’agit de sophistiquer les plans de combat en jouant sur les divers secteurs d’opposition dans le but de produire une incertitude évènementielle maximale. Au final, l’appauvrissement gestuel global des mouvements de finalisation en MMA ne doit pas masquer une activité technique qui est apparue riche et créative. La technique du mixed martial artist n’est en rien réductible au seul produit visible des gestuelles décisives ; interviennent également des enchaînements complexes, des déplacements variés, des feintes multiples ainsi qu’un sens du timing et du jeu stratégique. Ces différents leviers permettent aux meilleurs combattants de demeurer efficaces et déroutants quand bien mêmes ils évolueraient dans un jeu au nombre d’armes décisives limité. Il en va de même des possibilités infinies de composition musicale avec une quantité réduite de notes ou de création picturale avec seulement trois couleurs primaires. Dans l’art comme dans le combat, des éléments limités quantitativement n’empêchent pas une créativité potentiellement infinie dès lors que l’on envisage leur combinaison.
18La mise en évidence de ces différents mouvements créatifs de compensation interroge les concepts mêmes de technique et d’innovation. Toute innovation ne serait-elle pas finalement une forme de compensation, c’est-à-dire un moyen de contrebalancer une limitation ? La création technique nous semble devoir être resituée dans cette dialectique, à la fois constante et fluctuante, entre, d’une part, une tendance à la restriction et, d’autre part, une activité visant à la surpasser. Dans le domaine spécifique du MMA, la restriction semble provenir de la dynamique de standardisation gestuelle sous l’effet, contre-productif, d’une quête unanimement partagée de performance. En effet, en voulant tous reproduire les coordinations qui fonctionnent, les combattants en sont venus à réaliser des mouvements analogues, connus de tous et dès lors prédictibles ; par effet de neutralisation mutuelle, ceux-ci ne permettront plus de faire la différence. C’est alors l’activité technique qui permettra de compenser cette uniformisation, de dépasser cette standardisation pour redevenir compétitifs et surprenants. La technique s’en trouve ainsi redéfinie : elle doit, selon nous, moins être considérée comme un « ensemble de procédés bien définis, transmissibles et destinés à produire des résultats jugés utiles » (Combarnous, 1984) que comme une activité dynamique d’innovation et de compensation. Bien davantage qu’un « un modèle de solution efficace » (Goirand, 1987), elle définit l’activité même de résolution du problème. L’activité technique est finalisée : une innovation ne peut être comprise sans contextualiser la crise qu’elle tente de dépasser. Comme le souligne Leroi-Gourhan (1973, p. 370), « on n’a jamais rencontré un outil créé de toutes pièces pour un usage à trouver sur des matières à découvrir ». Nous rejoignons également Garassino (1980, p. 50) pour qui « c’est l’activité du sujet qui est technique ; la technique est dans le sujet et son activité, non dans l’objet qu’il produit ». En conséquence, une étude systématique des techniques sportives revient in fine à analyser la façon dont elles se transforment sous l’effet de la quête de performance et dans le but de demeurer compétitif. Le sociologue de la technique se place dans le cycle limitation = > compensation/innovation = > imitation = > limitation… L’idée de Simondon (1958) suivant laquelle une innovation qui sauve une époque en aliène une autre prend ici tout son sens : en MMA, l’imitation par tous des techniques fonctionnelles ne pourra que conduire au déclin de leur efficacité et à la nécessité de les faire évoluer pour continuer à performer. Conformément à l’idée du pharmakon, la technique apparaît alors à la fois comme le « poison et le remède » : poison en ce que l’uniformisation gestuelle nuit à la performance ; remède parce que l’activité de création technique permet de compenser cette perte momentanée d’efficacité. C’est donc à cause et grâce à la technique que les pratiques sportives stagnent et évoluent. Le fonctionnement de la technique illustre ainsi parfaitement la formule d’Hölderlin : « là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve. »
Bibliographie
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- Goirand P. 1987, « Une problématique complexe : des pratiques sociales aux contenus d’enseignement en EPS », dans Spirales, no 1.
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- Parlebas P. 1981, Contribution à un lexique commenté en sciences de l’action motrice, Paris, INSEP.
- Pellaud A. 2009, MMA : au cœur de l’expérience ultime, Mémoire de master, Université de Lausanne.
- Quidu M. Sous presse, « Le Mixed Martial Arts entre innovation et hybridation : genèse et développement techniques d’un sport de combat de synthèse », dans Sciences sociales et sport.
- Quidu M. 2016, « Vivre dans un monde pluriel : opportunité ou entrave à la “vie bonne” ? » dans Implications philosophiques,.
- Sánchez García R. & Malcolm D. 2010, “Decivilizing, civilizing or informalizing ? The international development of Mixed Martial Arts”, dans International Review for the Sociology of Sport, no 45(1) : 39-58.
- Simondon G. 1958, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier.
- Spencer D. 2014, “From Many Masters to Many Students : YouTube, Brazilian Jiu Jitsu, and communities of practice”, dans @JOMEC : Journalism, Media and Cultural studies, no 5.
Notes
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[1]
Elles sont en tout cas enseignées en premier dans les cursus pédagogiques des différents sports de combat spécialisés.
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[2]
Seuls 17,4 % des victoires ont été remportés par soumission à l’UFC.
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[3]
Ainsi un haut-dirigeant de l’UFC a-t-il déclaré : « if a fighter put on a “good show” – he was aggressive and exciting to watch – he would be invited back even if he lost. If a fighter was victorious but uninteresting to watch, he might not get his contract renewed » (cité par Downey, 2006).
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[4]
3 ou 5 rounds de 5 minutes.
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[5]
Il en va ainsi des frappes de pieds en zone haute qui exposent au risque d’être contré par une projection.
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[6]
Nous avions décidé d’inclure les victoires remportées par les 5 meilleurs combattants des 10 catégories de l’UFC, à la date du 1er mai 2016. Ce faisant, nous avons évacué les anciens champions de l’UFC, les combattants actuels classés au-delà de la 5e place ainsi que les champions évoluant dans d’autres organisations professionnelles.
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[7]
Voir la thèse de Brault (2011) sur la feinte de corps en rugby et l’analyse de Dugas (2010) sur l’activité de duperie du tireur de pénalty en football.
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[8]
Certaines techniques isolées comportent en leur sein même une intention de duper, comme le superman punch qui débute par une feinte de coup de pied circulaire bas avant de se conclure par une frappe sautée en poing.
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[9]
Urijah Faber est par exemple un très grand spécialiste des étranglements, à l’origine de 6 de ses 9 victoires à l’UFC. Dans le cadre du combat au sol, Faber a l’habitude d’attirer l’attention de l’adversaire sur une fausse piste (par exemple le ground-and-pound) avant de le finaliser par un étranglement à la première occasion.
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[10]
Cet ancien champion des Mi-lourds de l’UFC a remporté 8 de ses 9 victoires par KO avec un crochet du droit.
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[11]
Toutes les combinaisons sont possibles : étranglements et poings chez Tony Ferguson ; clés et étranglements chez Royce Gracie ; poings et genoux chez Joanna Jedrzejczyk ; groundand-pound et frappes de poings en stand up chez Conor McGregor.