Corps 2018/1 N° 16

Couverture de CORP1_016

Article de revue

Visages, gestes et activités dans le Ferlo au Sénégal

Pages 329 à 332

1Ces photographies de la population peule ont été prises par Arnaud Späni durant l’année 2012 dans la région du Ferlo (Nord-Sénégal), zone présahelienne qui traverse le Sénégal d’Ouest en Est. La vallée du Ferlo est traditionnellement celle des mouvements de populations agro-pastorales. Ce territoire est caractéristique du Sahel africain : terres de sécheresses et de transition bioclimatique, de pression anthropique et de modification des grands équilibres écologiques. L’alternance de saisons sèches et de saisons des pluies, entre juillet et octobre, les sols (dior) sableux, le nomadisme et les troupeaux, les campements et les scènes de la vie quotidienne aux forages de Téssekéré ou de Widou Tiengoli, dans la région de Louga, rythment et déterminent la vie des Peuls et sa précarité. Ceux-ci constituent plus de 90 % de la population du Ferlo, essentiellement des pasteurs. Les troupeaux, bovins, mais aussi ovins et caprins, sont omniprésents, tant au plan de l’activité qu’au plan symbolique : signe de richesse et de dignité essentiellement masculin. Depuis quelques temps, une activité autour des jardins partagés (« jardins polyvalents villageois », Ka, 2013 ; Billen, 2015), notamment mis en place dans le cadre de la Grande Muraille Verte (Boccanfuso, Boëtsch, 2016 et OHM Téssékéré) dans des zones où se trouvent les forages, a permis aux femmes l’accès à un revenu et des espaces d’une autre socialité. Pour autant, les distinctions de genre ne tiennent évidemment pas qu’aux revenus et cette société peule est marquée par la prééminence masculine, celle des éleveurs et pasteurs. Les mutations de l’élevage pastoral et leurs liens aux familles, les stratégies pastorales ont été étudiées il y a quelques années déjà (Ancey et al. 2007 ; 2008) ; la biodiversité, les questions de santé liées à l’environnement de ces populations ont également fait l’objet d’études, notamment dans le cadre de l’OHM Téssékéré (site de l’OHM), par ailleurs nombreux sont les ouvrages qui présentent des photographies de ces populations mais surtout, les ouvrages de poésie, les romans et les contes des Peuls du Sénégal (Hampâté Bâ, incontournable), leurs mythes (Sow, 2009), mettent en scène ces populations.

2Ce qui se donne à voir dans ces photographies ne relève pas du reportage thématique constitué, mais d’un choix de clichés fait par les trois auteurs du cahier Voir, dans l’ensemble des photographies prises par Arnaud Späni dans le Ferlo. Il s’agissait de saisir des images de gestes liés aux activités, de visages de ces Peuls auxquels nous rendons hommage et qui, pour certains, ont été et sont des compagnons de missions d’étude dans la région. Un premier groupe de sept photographies sont des portraits de personnages, sur différentes focales : femmes, hommes et adolescents dans des situations de vie courante, puis viennent les photographies liées aux activités collectives, celles du forage, du bétail, des plantations et de la cueillette.

3Les corps sont en harmonie avec leur environnement depuis des centaines d’années car on peut dire qu’il existe à la fois un processus d’accommodation ou adaptation ponctuelle de l’individu à un milieu mais aussi un processus d’acclimatation ou adaptation d’un groupe établi de manière durable dans un milieu. Les bergers peuls vivent en symbiose (association intime et durable) avec leurs troupeaux (zébus, mais aussi moutons et chèvres). Les corps des peuls sont des corps fins et souvent émaciés, d’hommes et de femmes habitués à marcher de nombreuses heures par jour, à la suite du bétail pour aller chercher de l’eau dans les marigots temporaires ou, depuis peu, dans les zones de forage. Ces corps doivent supporter le soleil et la sécheresse durant la saison sèche et la forte chaleur et la pluie au moment de l’hivernage ; ce rapport au climat constitue un élément important du rapport des pasteurs et des femmes peules à leurs corps. C’est cette diversité corporelle dans l’expression des visages comme dans celles des attitudes qu’Arnaud Späni a su saisir.

Bibliographie

  • Ancey V., Ickowicz A., Manoli C., Magnani S. 2007, « Liens entre troupeaux et familles chez les Peuls du Ferlo : indicateurs socio-économiques des mutations de l’élevage pastoral », Renc. Rech. Ruminants, 2007, 14, pp. 185-188.
  • Ancey V., Ickowicz A., Corniaux C., Manoli C., Magnani S. 2008, « Stratégies pastorales de sécurisation chez les Peuls du Ferlo (Sénégal) », dans Journal des Africanistes, 78 (1-2) : 105-119.
  • Boccanfuso P., Boetsch G. 2016, La science et la grande muraille verte, film produit par l’UMI 3189 « Environnement Santé Société » et le CNRS.
  • Billen L. 2015, « Les jardins féminins de la Grande Muraille Verte dans le Ferlo séné galais : une réponse publique à la préca rité et à la marginalité en milieu rural au Sud », dans Pour, no 225, p.167-177.
  • Ka A. 2013, « Le jardin polyvalent de Widou : une organisation de femmes dans un réseau globalisé », dans Les Cahiers de l’Observatoire International « Homme-Milieux » Téssékéré, no 3 : 57-63.
  • OHMi Téssékéré : http://ohmi-tessekere.in2p3.fr/publications-scientifiques-list, site de l’Observatoire Hommes-Milieux, Téssékéré.
  • Sow Ibrahima, Penda la Peule, La légende du fleuve, IFAN CH.A. Diop, Dakar, 2009.
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