Notes
-
[1]
Note philologique, historique, due à un commentateur ancien, et servant à l’interprétation d’un texte de l’Antiquité.
-
[2]
En linguistique, un lemme est une unité autonome constituante du lexique d’une langue ; en mathématiques, un lemme est un résultat sur lequel s’appuie la démonstration d’un théorème plus important.
-
[3]
Spinoza nomme conatus la puissance propre et singulière de tout « étant » à persévérer dans cet effort pour conserver et même augmenter sa puissance d’être.
Éthique
1Compte tenu du thème de ce numéro de Contraste et du caractère universel de la problématique de l’éthique, nous avons pensé qu’il serait agréable à nos lecteurs de disposer de quelques références générales sur ce sujet.
L’Éthique. Baruch Spinoza (Introduction, traduction, notes, commentaires et index par Robert Misrahi) Paris, Livre de poche, « Classiques de la philosophie », 2011, 627 p., 8 €
2« L’Éthique » parut en 1677, après la mort de Spinoza. Par sa perfection formelle de diamant taillé et par son monisme déterministe intransigeant, proche d’une « ivresse de Dieu » (Novalis) ou d’un « athéisme poli » (Henri Gouhier), l’œuvre manifesta immédiatement son pouvoir de subversion. Elle ouvrit et rendit possibles le xviiie siècle et les Lumières. Aujourd’hui, sa fécondité reste entière. Par son cheminement vers « l’homme libre » et vers « la félicité », elle rend possible la naissance d’une philosophie contemporaine qui soit à la fois une sortie de crise et une éthique de la vraie vie. Une nouvelle traduction, rigoureusement argumentée, accompagnée d’une étude introductive approfondie et de commentaires, révèle l’Éthique comme une philosophie du désir accompli et de la joie extrême. « Après que l’expérience m’eut appris que toutes les choses qui arrivent fréquemment dans la vie commune sont vaines et futiles, comme je voyais que toutes celles qui me faisaient craindre et que je craignais n’avaient en elles rien de bon ni de mauvais, si ce n’est dans la mesure où mon cœur en était remué, j’ai décidé enfin de chercher s’il y avait quelque chose qui fût un bien vrai et pouvant se communiquer, et qui serait seul à affecter l’esprit, toutes les autres choses ayant été rejetées ; bien plus, s’il y avait quelque chose grâce à la découverte et l’acquisition duquel je jouirais d’une joie continue et suprême pour l’éternité. »
3Roger Salbreux
Pédopsychiatre
Secrétaire de rédaction
L’Éthique. Baruch Spinoza. Charleston, États-Unis, CreateSpace Independent Publishing Platform, Édition française, 2014, 350 p., 19,64 €
4« Tout philosophe a deux philosophies, la sienne et celle de Spinoza », a écrit Henri Bergson. « L’Éthique » est l’œuvre fondamentale de Spinoza (1632-1677), œuvre qu’il a achevée peu de temps avant sa mort. Dans ce livre, Spinoza adopte une méthode de démonstration déductive, calquée sur le mode de la démonstration mathématique, dans laquelle des propositions, démonstrations, scolies [1] et lemmes [2] succèdent aux définitions, axiomes et postulats. Ce procédé d’exposition en fonction d’un « ordre géométrique » a pour but de conférer aux raisonnements développés dans l’ouvrage la plus grande rigueur possible. Le livre aborde successivement les thématiques de Dieu, de l’âme, des passions (ou affects), du conatus [3], de la servitude de l’homme, et enfin de la possibilité et des moyens pour l’homme d’accéder à la liberté et à la béatitude.
5R.S.
Traité de la réforme de l’entendement. Baruch Spinoza. Paris, Éditions Mille et une nuits, coll. « La petite collection », 1998, 104 p., 2,80 €
6Longtemps considéré comme un « brouillon » de « L’Éthique », le « Traité », véritable méthode, d’ailleurs sous-titrée « Traité de la meilleure voie qui mène à la vraie connaissance des choses », délivre un message philosophique original : l’Homme peut être sauvé. Par quelque intervention divine, par quelque grâce de la Providence ? Nullement. Par ses propres moyens, par ses propres forces. Telle est, sans doute, la thèse la plus « hérétique » de la philosophie de Spinoza, aujourd’hui encore inacceptable.
7R.S.
De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale. Éric Delassus Préface de Jacqueline Lagrée. Rennes, Presses universitaires, 2011, 340 p., 18 €
8La maladie, qu’elle soit chronique ou aiguë, est souvent perçue comme une injustice ou une malédiction. La philosophie de Spinoza, parce « qu’elle enseigne comment nous devons nous comporter à l’égard des choses de fortune », peut donc être considérée comme la source d’une sagesse dont la vertu serait de vaincre ces représentations, qui ne font qu’ajouter une souffrance inutile aux douleurs que nous impose le plus souvent la maladie. Spinoza, qui fut lui-même malade une grande partie de sa vie, n’en est pas moins parvenu, selon ses biographes, à rédiger son « Éthique » et à vivre courageusement et sereinement sa condition. Il est la preuve par l’exemple que la maladie n’est pas nécessairement un obstacle sur la voie qui mène au salut. Ce travail tente de montrer en quoi sa philosophie n’est pas étrangère à une telle attitude. L’esprit étant pour Spinoza « l’idée du corps », il faudrait pour progresser vers une appréhension plus sereine de la maladie, qu’il se constitue comme une idée adéquate. Or le malade peut-il penser l’idée de son corps comme une idée claire et distincte ? Cette question est au centre de ce travail qui cherche à proposer, tant aux malades qu’à ceux qui les prennent en charge, des pistes de réflexion pour mieux vivre la maladie et pour mieux accompagner ceux qui en souffrent.
9R.S.
L’éthique dans tous ses états. Axel Kahn : dialogue avec Denis Lafay. Paris, De l’aube, 2019, 168 p., 16 €
10Qu’est-ce que l’éthique ? Une interrogation « sur la vie bonne et les valeurs qui la fondent » ? Un périple intérieur, un voyage au fond de soi, passionnant et insatisfaisant, une aventure dévorante et nécessairement inaboutie ? Au final une exploration de l’âme à l’issue de laquelle nous pouvons mesurer l’être que nous sommes à l’aune de celui que nous aurions voulu être. Le généticien et essayiste Axel Kahn, dans un dialogue avec le journaliste Denis Lafay, met à l’épreuve des faits les grands courants de pensée actuels : libéralisme, capitalisme, Europe, démocratie, entreprise, progrès scientifique, intelligence artificielle, création artistique, écologie, mort, vie, spiritualité, guerre… Une lumineuse plongée dans l’exigence d’être, qui constitue un exceptionnel éclairage pour tout lecteur en cheminement éthique.
11R.S.
Mettre les neurones à l’équerre suivi de l’Éthique. Jean-Paul Guastalla. Paris, Les Éditions du Net, 2017, 398 p., 24 €
12Ce livre offre une traduction de deux œuvres philosophiques de Spinoza, indissociables et réunies en un seul livre : « Mettre les neurones à l’équerre » (Tractatus de Intellectus Emendatione) suivi de l’« Éthique » (Ethica). Dans le premier livre Spinoza, après avoir écarté les biens qui sont le plus recherchés par les hommes (richesse, reconnaissance sociale, sexe), entreprend de purger l’esprit de toutes les impuretés qui l’empêchent de voir clair, avant d’édifier, dans le deuxième livre, l’éthique humaine qui procure la sérénité de l’esprit et la liberté. Spinoza nous ouvre la voie ; saisissons la main qu’il nous tend et laissons-le nous guider sur le chemin escarpé qu’il trace, chaque pas franchi avec lui nous élève un peu plus vers le vrai bonheur.
13R.S.
Parlons bioéthique. Margarita Boladeras Entretiens avec Anne Fagot-Largeault, Jean-Yves Goffi, Gilbert Hottois, Jean-Noël Missa et Marie-Hélène Parizeau. Paris, Hermann, coll. « Bioéthique critique », 2018, 212 p., 22 €
14Quand une philosophe chevronnée pose des questions à d’autres philosophes, cette dynamique mène à un dialogue précis : 1. Approfondir la notion de souffrance des soignants (ses causes et ses effets destructeurs) afin de bien saisir en quoi cette souffrance est un problème à résoudre. 2. Approfondir la notion de dialogue comme moyen d’apprentissage collectif pour aider à résoudre ce problème de la souffrance des soignants, en construisant le sens du prendre soin. 3. Comprendre pourquoi il est difficile de dialoguer sur la souffrance des soignants pour construire ensemble le sens du prendre soin.
15Ce livre présente cinq entretiens avec des philosophes pionniers dans le champ de la bioéthique francophone, Anne Fagot-Largeault et Jean-Yves Goffi (France), Gilbert Hottois et Jean-Noël Missa (Belgique) et Marie-Hélène Parizeau (Québec), cinq personnalités de renom, connues pour leur trajectoire exceptionnelle. Les entretiens menés avec ces auteurs au sujet de leurs œuvres, de leurs expériences dans les comités de bioéthique et des différents débats soulevés ces dernières années, nous permettent de connaître leur travail, mais aussi de faire une incursion dans le développement fulgurant de la biomédecine et des biotechnologies des cinquante dernières années. Les conséquences de ces applications, les problèmes éthiques générés, les jugements favorables et défavorables à l’égard des changements sociaux qui se sont produits et le bouleversement d’idées qui s’en est suivi, sont autant d’aspects abordés dans ces entretiens. L’utilisation d’un langage courant exige un effort de synthèse important ; aussi ces entretiens sous la forme d’une conversation offrent-ils au lecteur une large vision panoramique, rigoureuse et concise de l’évolution de la bioéthique francophone.
16R.S.
Le soin en médecine intensive : les enjeux contemporains en réanimation. Approches médicale et psychologique et repères philosophiques. Coordonné par François Thomas. Paris, Seli Arslan, 2019, 190 p., 23,50 €
17La spécialité de réanimation est une discipline jeune, née dans les années 1950 ; la dénomination de médecine intensive-réanimation pour ces services médicaux est plus récente. Elle est marquée par des évolutions techniques incessantes, tout en étant soumise à de fortes demandes sociétales. Symbolisant à la fois la performance et la toute-puissance médicales aux yeux du public, cette spécialité soulève de nombreuses questions éthiques parmi les patients, leurs proches et parmi les professionnels. La réalité d’une clinique confrontant quotidiennement à la vie, la survie et la mort conduit les professionnels de ces services à s’ouvrir à d’autres disciplines pour préserver le sens du soin et son humanité. Les auteurs font le point sur ces enjeux contemporains en s’appuyant sur leur expertise en tant que réanimateurs polyvalents ou spécialisés, en tant que soignants, ou psychologues cliniciens. Ils approchent ces questions en croisant les regards sur le vécu émotionnel et psychique des professionnels, celui des patients ou celui des familles. Une grande variété de situations sont abordées, reflétant la réalité des services, depuis la greffe et la dialyse, le vécu de conscience altérée, l’état de coma, de réveil, à la mort cérébrale ou au don d’organe. Sont également mises en avant les évolutions récentes que sont les consultations post-réanimation ou l’ouverture en continu des services aux visites des proches. Pour répondre au mieux aux besoins des patients et de leurs proches, parvenir à allier la qualité technique et la qualité humaine des soins, les professionnels de la médecine intensive se doivent d’interroger sans cesse leur fonctionnement et l’organisation de l’accueil des services. Ce livre leur propose des repères pour veiller aux modalités d’un accompagnement toujours singulier.
18R.S.
L’accompagnement en fin de vie. Les défis d’une démarche d’appui aux soignants. Jean-Pierre Béland. Laval (Canada), Presses de l’Université, coll. « Enjeux éthiques contemporains », 2015, 66 p., 10 $
19Qu’est-ce au juste que la souffrance des soignants, qui est si difficile à exprimer ? En quoi cette souffrance est-elle un problème à résoudre ? L’accompagnement en fin de vie bouleverse toutes les habitudes du travail des soignants. L’impuissance ressentie face à la mort les désarme. Et si chaque soignant en soins palliatifs peut adopter la fonction d’accompagnateur comme solution, il est parfois « agressé » et pris au piège de sa fonction. Il éprouve une perte du sens de sa fonction de soignant face à la souffrance du soigné qui refuse la démarche palliative d’accompagnement et demande l’aide médicale à mourir. Ce problème ne risque-t-il pas de s’aggraver, alors que l’adoption du projet de loi 52 sur les soins de fin de vie autorise l’aide médicale à mourir en soins palliatifs ?
20R.S.
Revues
Phénomènes migratoires et enfance. Les cahiers dynamiques, n° 74, Toulouse, érès, 2019, 134 p., 12,50 €
21Dans le cadre de la circulaire du 25 janvier 2016 qui souligne l’importance des aspects juridiques et sanitaires concernant les enfants « réfugiés », avec ou sans leur famille, cet intéressant numéro de la revue « Les cahiers dynamiques » ambitionne, avant tout, de donner des outils et de partager des expériences sur les interventions judiciaires et éducatives que les équipes peuvent être amenées à mettre en place. Ces enfants sont environ 10 000 en France et, si tous ne sont pas pris en charge par la pjj, l’enjeu est cependant de taille. Tout comme le sont également, au niveau de la protection de l’enfance, les situations en rapport avec la traite des êtres humains. Sans oublier les problématiques spécifiques que l’on observe sur l’ensemble du territoire ultra-marin, parfois bien négligées.
22Roger Salbreux
Pédopsychiatre
Secrétaire de rédaction
Enfants : que sont les psychoses devenues ? Empan, n° 113, Toulouse, érès, 2019, 160 p., 18 €
23Repère clinique majeur pour des générations de soignants, les psychoses infantiles semblent être promises à une inexorable disparition du champ nosographique de l’enfance sous les effets dévastateurs du dsm. Peut-on avancer que la généralisation diagnostique lénifiante du type « troubles envahissants du développement », ou approximative du registre des « autismes atypiques » a engendré une compréhension novatrice des phénomènes psychiques en souffrance ? Il paraît cependant évident pour les plus anciens d’entre nous que la modélisation impliquant les relations interhumaines et interpsychiques précoces est toujours pertinente pour rendre compte de ces phénomènes morbides. Peut-on faire disparaître, d’un trait de plume idéologique ou défensif, en dénaturant leur dénomination, les signes psychotiques dont sont porteurs les enfants qui consultent les services de pédopsychiatrie ? Le devenir des psychoses infantiles interroge l’édifice conceptuel de la psychopathologie de l’enfant, ses insuffisances cliniques et théoriques, au regard de la nosographie contemporaine, notamment des dysharmonies et de l’autisme.
24R.S.
Éloge des pères. Enfances&psy, n° 81, Toulouse, érès, 2018, 193 p., 18 €
25Je tiens à rappeler qu’un livre sur le même sujet a été publié en 2009 par Simone Korff-Sausse chez Hachette. Le statut des pères a bien changé au cours des siècles et il demeure bien différent selon les civilisations et les cultures. Les pères assument des fonctions souvent complémentaires à celles des mères, lesquelles ne sont pas immuables et qui évoluent avec le temps. La littérature a parfois blâmé, disqualifié les pères : c’était sans doute à la mode, mais certainement excessif. Être père, transmettre ses valeurs et faire grandir ses enfants n’est pas si aisé, même si certains y excellent. Quels regards nouveaux pouvons-nous porter sur les pères ? Ils sont maintenant très présents, dès la naissance et la plus tendre enfance de leurs descendants. Ils assurent non seulement une fonction d’autorité, mais savent aussi prendre du plaisir à jouer, à partager des activités agréables, sportives, culturelles ou intellectuelles avec leurs enfants. Ils sont de plus en plus présents dans les institutions (prévention, soins, école, justice…). Soyez-en sûrs, ils aiment voir grandir leurs petits.
26R.S.
Livres
Parents d’enfant handicapé Le handicap en visages. Charles Gardou (sous la direction de). Toulouse, érès, coll. « Connaissances de la diversité », 1996-2012-2019, 180 p., 12 €
27Il s’agit de la réédition d’un ouvrage à succès déjà signalé dans Contraste. Aucun parent d’enfant handicapé n’est préparé à subir une blessure aussi insidieuse et à jamais ouverte. Les parents pensaient auparavant que le handicap c’était « pour les autres » et voilà qu’il s’immisce dans la famille, la prend au dépourvu, la cueille en douce. Il s’abat sur elle comme une agression, un scandale, un crime perpétré par la nature contre elle-même. Il la laisse choquée, désemparée, vidée. La vérité, assénée à la naissance, ou plus tardivement révélée, tombe froide comme le marbre, tranchante comme l’acier. « Votre enfant est handicapé » : c’est l’instant crucial d’une condamnation, l’espace ouvert d’une déchirure, l’entrée dans un monde chaotique, semé d’écueils, d’errements, de solitude et souvent d’impuissance. Au soleil noir d’une mise au monde endeuillée, l’existence bascule, l’enfant naissant semble déserter la vie : ce n’est pas un cauchemar qui s’évanouit avec le jour qui se lève, mais un face-à-face avec la réalité nue qui poignarde, un corps-à-corps avec le tumulte qui s’installe. La fête de la naissance se nimbe de déception, de chagrin et de souffrance injuste et inutile. Le bonheur s’enfuit, la vie change brutalement de couleur, les portes de l’avenir semblent à jamais se refermer. Commence alors une veille éreintante au bord de l’inconnu, au cours de laquelle les parents connaissent un état de profonde déréliction. Terrassés par l’adversité, écrasés par le fardeau trop lourd d’une destinée vulnérable et énigmatique, ils se sentent exilés sur une terre où la douleur est empreinte du soupçon de la faute. La responsabilité parentale constitue, sans nul doute, la tâche la plus engageante et difficile incombant à des êtres humains. Mais lorsque l’enfant est handicapé, elle se révèle bien plus délicate et complexe encore. Elle exige un courage souvent hors du commun pour affronter le quotidien et la force de se battre sur tous les fronts : avec les médecins, les éducateurs, les enseignants, les administrations… et les autres, qui ne viennent pas toujours à la rescousse quand ils sont attendus. Livre de chevet à acquérir absolument, si ce n’est déjà fait.
28Roger Salbreux
Pédopsychiatre
Secrétaire de rédaction
Le repérage et l’accompagnement des personnes autistes adultes. Lise Demailly, Jérémie Soulé Avec la contribution de Aymeric Mongy. Toulouse, érès, coll. « Travail social et handicap », 2019, 256 p., 25 €
29Alors que l’autisme des enfants suscite de nombreux ouvrages et débats dans le public, la presse et les milieux professionnels, la situation des adultes autistes ne donne que très peu lieu à une réflexion collective, malgré une timide apparition dans le IIIe plan autisme. Et pourtant les enfants autistes vieillissent comme les autres et leurs problématiques d’adultes sont multiples. L’association AsPi avait d’ailleurs organisé en 2009 un colloque à Lille à ce sujet. Sur la base d’enquêtes, l’ouvrage propose une réflexion sur les principales questions que pose l’accompagnement des autistes adultes aujourd’hui : quelle offre institutionnelle ? Quel style d’accompagnement ? Quelle éthique ? Les auteurs rendent compte de manière très concrète de situations et pratiques d’accompagnement observées dans les établissements et services médico-sociaux des Hauts-de-France. Leur analyse sociologique offre une synthèse des débats dans le champ de l’autisme et montre que la complexité des enjeux ne se limite pas à l’opposition comportementalisme/ psychanalyse. Position intéressante dans une situation actuelle bien trop conflictuelle.
30R.S.
Les destins du développement chez l’enfant. Avenirs d’enfance. Bernard Golse. Toulouse, érès, coll. « La vie de l’enfant », 2010-2019, 285 p., 25 €
31Il s’agit de la réédition d’un livre qui a fait date. Destin et développement : ces deux termes, qui pourraient paraître d’une certaine manière contradictoires, représentent au fond tout l’enjeu de cet ouvrage : tenter de montrer que ce n’est pas le cas. Peut-on prévoir ou prédire le développement de l’enfant ? En choisissant de parler de « destins » ou d’« avenirs » d’enfance, Bernard Golse s’oppose très clairement à cette assertion dont il dénonce les nombreuses dérives, scientifiques, épistémologiques, éthiques et politiques. Le développement de l’enfant et ses destins se jouent à l’entrecroisement de la part personnelle de l’enfant (déterminants internes) et de l’influence de son environnement (déterminants externes) : c’est tout l’enjeu éthique de la qualité des soins précoces qui lui sont apportés. Ainsi la place, le rôle et les fonctions de ceux qui prennent soin du bébé et de l’enfant par leur présence, leur attention, leurs gestes, et finalement leur travail psychique, sont essentiels dans le développement de ce dernier. Dans cette nouvelle édition actualisée, l’auteur a souhaité privilégier trois domaines où la question des liens primitifs se trouve posée : le développement précoce, l’autisme et les troubles qui s’y rattachent, l’adoption enfin. Bernard Golse tient à réaffirmer que l’avenir de nos positions infantiles demeure indéfiniment ouvert, ménageant un espace de liberté pour la prévention, aux antipodes de la prédiction. Prédire, prévoir, pressentir…, prévenir : il y aurait toute une réflexion à mener sur les champs sémantiques différents de ces quelques termes, et le collectif « Pas de 0 de conduite » y a consacré une grande énergie au cours de ces dernières années.
32R.S.
Violences et enfance. Une expérience de prévention citoyenne à Lille. Pierre Delion Préface de Martine Aubry. Toulouse, érès, coll. « Enfance & parentalité », 2019, 136 p., 12 €
33La violence chez les enfants est devenue une préoccupation majeure des parents, des professionnels de l’enfance et des politiques en charge de notre société contemporaine. Les textes réglementaires actuels ne suffisent pas à endiguer son développement. Il est nécessaire de créer une synergie entre toutes les personnes concernées pour développer des actions concrètes qui changent la donne en profondeur. Cet ouvrage raconte une aventure citoyenne innovante, qui mobilise des connaissances sur le plan anthropologique, psychologique, pédagogique, social et politique, en espérant qu’elle inspire d’autres territoires. En effet, depuis plus de dix ans, à l’initiative de la mairie de Lille, et en lien avec le chru, une expérience de prévention de la violence a été engagée auprès des enfants, notamment dans les quartiers difficiles. Animateurs, éducateurs, élus municipaux pédagogues, juristes, psychistes, responsables culturels, travailleurs sociaux… travaillent ensemble, et avec les parents, autour d’activités concrètes dans les lieux des enfants (écoles, lieux d’accueil, collèges) et de la culture.
34R.S.
Recherches en psychopathologie de l’enfant. De la méthode à la clinique. Monique Bydlowski (sous la direction de). Toulouse, érès, coll. « La vie de l’enfant », 2019, 220 p., 25 €
35Les explorations dédiées au développement du très jeune âge se sont multipliées au cours des dernières décennies. Une mutation, véritable révolution épistémologique, est en cours : elle bouleverse la façon de nous représenter le bébé humain, tant par l’étude de l’interaction initiale avec sa mère, que par l’observation directe de son corps, deux « voies royales » pour commencer à entrevoir l’éclosion de sa vie psychique. Dans le domaine de la psychopathologie, si le clinicien accumule des observations aléatoires et tente de leur donner sens, voire d’en déchiffrer la causalité, le chercheur grâce à un « filet d’hypothèses » va à la pêche des faits afin d’en confronter les invariants et de développer une pensée théorique toujours provisoire et révisable. Conduire une recherche, c’est transformer ce qui pourrait ne rester qu’une intuition personnelle en un énoncé porteur d’un intérêt général, grâce à une démonstration de validation bien choisie et aboutie. Les auteurs, des cliniciens et des chercheurs, exposent la démarche et les nouvelles méthodologies de la recherche et en présentent des exemples accomplis et novateurs. Tout spécialement dans le champ de l’enfance, la recherche en psychopathologie poursuit un but implicite : issue du terrain clinique, elle a vocation idéalement à y retourner et y permettre la mise en place d’outils de prévention et de soins.
36R.S.
Observer le jeune enfant en lieu d’accueil. Recueil d’articles de l’Institut Pikler, tome 3. Raymonde Caffari-Viallon. Toulouse, érès, coll. « Pikler-Lóczy », 2019, 280 p., 25 €
37Nombre de pratiques éducatives, concernant les tout-petits, se veulent centrées sur l’enfant. Encore faut-il savoir de quel enfant il s’agit : l’enfant décrit par la psychologie du développement ? Celui que l’adulte croit connaître ? L’enfant idéal fantasmé par chacun ? L’enfant le plus vif et le plus éveillé du groupe ? L’enfant « normal » ? Notre vécu, nos connaissances et nos expériences ont créé en nous un concept « enfant » qui souvent masque l’enfant réel qui est face à nous. L’approche piklérienne est centrée sur chacun des enfants considérés comme uniques, connus et reconnus dans le cadre collectif de leur lieu d’accueil. L’un des outils indispensables dans ce contexte consiste à savoir les observer. Tout l’enjeu de ce livre est de transmettre cette démarche volontaire, construite et permanente d’observation de chaque enfant. Les auteurs, qui ont collaboré avec Emmi Pikler à la pouponnière de la rue Lóczy à Budapest en tant que soignante, pédagogue, pédiatre ou psychologue, précisent le rôle de l’observation en institution, ses aspects méthodologiques et sa place dans les recherches réalisées à l’Institut Pikler.
38R.S.
Quelles psychothérapies pour bébé ? Les soins parents-bébé. Denis Mellier, Michel Dugnat, Rose-Angélique Belot, Sylvie Nezelof. Toulouse, érès, coll. « 1001BB », n° 162, Drames et aléas de la vie des bébés, 2019, 448 p., 9,50 €
39Pendant de nombreuses années, l’idée même de souffrance des bébés n’était pas envisageable. De nos jours, des soins psychiques très spécifiques sont mis en place pour eux. Comment caractériser ces prises en charge particulières ? Sont-elles vraiment différentes de celles d’un enfant plus grand ? Doit-on apprendre de nouvelles techniques pour soigner les bébés ? Comment conceptualiser et utiliser ces différentes formes de soin : ateliers, temps de permanence, groupes à médiation, travail d’attention soutenu, « d’enveloppe » ? Quel travail en équipe et en réseau convoquent-ils ? De l’haptonomie aux principes de Lóczy et à la méthode d’Esther Bick, les auteurs témoignent de la créativité et de la disponibilité des praticiens, de leur rigueur pour mettre au travail les « liens potentiels » entre le bébé, sa mère, son père et les autres. Cet ouvrage, issu du travail du groupe waimh-France, fait le point sur ces avancées, suscite des confrontations entre praticiens et chercheurs, et explicite les problèmes que posent les soins parents-bébé.
40R.S.
La parentalité accompagnée. Patrick Mauvais. Toulouse, érès, coll. « 1001BB », n° 67, Du côté des parents, 2013-2019, 144 p., 11 €
41Des professionnels de la pmi, des lieux d’accueil, des services de soins en périnatalité, des camsp et des pouponnières témoignent de leurs pratiques dans l’accompagnement des relations entre parents et enfants. On reconnaîtra aisément, au travers de ces expériences diverses, une référence appuyée aux travaux sur le très jeune enfant et sa famille d’Emmi Pikler, pédiatre hongroise, qui a fondé en 1946 la pouponnière de Lòczy à Budapest. On y retrouvera l’importance qu’elle accordait, jusqu’au moindre détail, aux conditions concrètes du bien-être et de la sécurité de l’enfant. Les professionnels réunis ici, attentifs et assurés de leur confiance en l’enfant, nous enseignent combien l’accompagnement du processus de parentalisation peut bénéficier de cette approche, dans le respect des familles en devenir.
42R.S.
Lire des livres à des bébés. Dominique Rateau. Toulouse, érès, coll. « 1001BB », n° 16, Les bébés et la culture, 1998-2019, 94 p., 9,50 €
43Il s’agit d’une réédition. Lire des livres à des bébés… cette proposition paraissait incongrue, il y a vingt-cinq ans à peine. Depuis, des colporteurs d’histoires se rendent là où se trouvent les bébés pour leur lire des livres, sous le regard et avec la complicité de leurs parents ou des professionnels de la petite enfance. Comment se sont développés ces projets autour des livres et des bébés ? Sur quelles données théoriques reposent-ils ? Quels sont les enjeux de ces rencontres autour des livres ? et d’abord quels livres ? Qui lit ? Quand ? Comment ? Quelles sont les dérives possibles de ces actions ? Quels rôles pour les institutions (crèches, écoles maternelles, bibliothèques…) ?
44R.S.
Les dangers de la télé pour les bébés. Non au formatage des cerveaux. Serge Tisseron. Toulouse, érès, coll. « 1001BB », n° 99, Du côté des parents, 2007-2019, 134 p., 10 €
45Il s’agit, là encore, de la réédition d’un ouvrage qui répond à l’inquiétude de bien des parents et des professionnels. Non, la télévision pour les bébés n’est pas un divertissement sans danger ! Non, elle n’est pas un outil de découverte du monde ! Non, elle ne peut pas constituer un support d’échanges familiaux ! Et encore moins faire office de nounou ! Chez les bébés, la télévision ne s’appuie pas sur des repères déjà élaborés, elle participe à la construction de leur cerveau, de leur psychisme, de leur rapport aux autres. Elle n’est qu’une pièce du gigantesque dispositif que les marchands de « temps de cerveau disponible » ont imaginé pour imposer leur vision du monde et leurs intérêts. Cette nouvelle édition d’un ouvrage précurseur paru en 2007 enfonce le clou en citant plusieurs travaux de recherche publiés depuis. Ceux-ci montrent sans ambiguïté que divers troubles cognitifs et relationnels mesurés à 13 ans sont corrélés au temps passé devant un écran de télévision avant l’âge de 3 ans. Les parents, et tous ceux qui s’occupent des bébés, doivent tenir compte des dangers des écrans dans l’éducation des jeunes enfants.
46R.S.
La mère n’est pas tout ! Reconfiguration des rôles et perspectives de co-socialisation. Gérard Neyrand. Toulouse, érès, coll. « 1001BB », n° 163, Du côté des parents, 2019, 123 p., 10 €
47L’omniprésence de la mère dans les soins au bébé et l’éducation du jeune enfant demeure pour beaucoup un dogme inattaquable. Cependant, depuis cinquante ans, la situation des familles, les rôles parentaux, la place des professionnels se sont profondément modifiés. L’auteur retrace cette évolution et montre tout ce qui a changé tant du côté de nos savoirs sur les places familiales, le développement de l’enfant et son éducation, que du côté des pratiques des acteurs et de l’attitude des institutions. Il analyse les effets de cette nouvelle configuration des relations au bébé, caractéristique de notre société hypermoderne, et notamment les résistances, parfois violentes, qui se manifestent à cet égard : rôle de la mère, rôle du père, nouvelles familles (notamment homoparentales), résidence alternée, prévention des troubles de l’enfant et/ou de la parentalité… N’est-il pas temps de développer une co-éducation renouvelée, ou plus encore une co-socialisation, des jeunes enfants dans une perspective citoyenne et démocratique ?
48R.S.
Protéger bébé et ses deux parents, dès sa vie prénatale. La vocation du centre parental « Aire de famille ». Brigitte Chatoney, Frédéric Van Der Borght. Préface de Danielle Rapoport Postface de Fabienne Quiriau, Anne Devreese. Toulouse, érès, coll. « 1001BB », n° 164, Drames et aléas de la vie des bébés, 2019, 300 p., 15 €
49Comment protéger un enfant, à naître ou nouveau-né, quand ses parents vivent dans l’insécurité psychologique, sans domicile et travail stables ? À cette question pressante, bien au cœur des politiques de protection de l’enfance, les auteurs apportent une réponse originale qui s’appuie sur le travail engagé du centre parental « Aire de famille ». Pendant dix ans, celui-ci s’est attaché à créer l’alliance des professionnels et du couple autour du bébé, dès la vie prénatale, construisant ainsi une véritable prévention précoce dans des situations de grande précarité. À « Aire de famille », les jeunes parents sont les premiers acteurs de la protection de leur enfant. Ponctué par les témoignages et les récits de ces familles, l’ouvrage décrit avec précision le soutien intensif des professionnels et révèle les trésors d’humanité que ces jeunes parents, souvent stigmatisés, sont capables de développer. L’expérience d’« Aire de famille » a essaimé à travers la création d’une Fédération nationale des centres parentaux.
50R.S.
51Exceptionnellement, pour des raisons indépendantes de sa volonté, Jean-Tristan Richard n’a pas été en mesure de présenter comme habituellement de manière détaillée et critique le recensement de ses lectures. On voudra bien l’en excuser. Toutefois, il propose ci-après quelques analyses et mentionne divers ouvrages intéressants.
L’allaitement de A à Z. Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau. Toulouse, érès, coll. « 1001BB », 2018, 200 p., 12 €
52L’auteure est animatrice « au sein » de la branche française de la Leche League depuis une quarantaine d’années. Ce mouvement est né aux États-Unis en 1956 et s’est développé dans le monde entier (il est présent aujourd’hui dans plus de soixante-dix pays). Il a été introduit en France en 1973. Il se caractérise par la volonté de défendre dans tous les contextes le principe de l’allaitement naturel. Pour cela, les animatrices de ladite ligue, toutes des mères bénévoles, proposent une réunion mensuelle dans leurs locaux, une permanence téléphonique sept jours sur sept, des visites d’information dans les maternités, des ouvrages, une revue et un site Internet. Le présent livre propose donc une balade au pays de l’allaitement maternel, étant entendu par définition qu’il est toujours mieux que le biberon et/ou le lait artificiel. Il constitue un dictionnaire allant de « allaitement » à « zen », soit plus de 150 mots. Allaiter serait donc plein de vertus ! Certes, mais on peut rester quelque peu sceptique devant quelques affirmations péremptoires issues de recherches dites scientifiques qui sont pour le moins partielles. Selon elles, donner le sein à l’enfant induirait un moindre risque, pour l’adulte qu’il deviendra, de développer un Alzheimer, réduirait le risque d’obésité infantile, aiderait à se débarrasser d’un bégaiement survenu plus tard, favoriserait les capacités d’empathie, augurerait de meilleurs résultats scolaires, prémunirait de problèmes dentaires, renforcerait les capacités physiques des sportifs professionnels, atténuerait les sensations de douleur somatique, protégerait de la mort subite du nourrisson, limiterait les risques de maltraitance, augmenterait les capacités cérébrales et l’acuité visuelle, assurerait une bonne croissance osseuse, améliorerait les fonctions respiratoires et l’oxygénation sanguine, permettrait de réduire la survenue d’une énurésie, développerait le qi, réduirait le reflux gastro-œsophagien, l’apnée du sommeil et le ronflement, favoriserait le sommeil en éloignant l’insomnie, permettrait une meilleure fertilité du sperme, allongerait la durée de vie, etc. Autant de pseudo-vérités assénées sans nuance. Chacun d’entre nous connaît nombre de contre-exemples. Bien sûr, cela n’empêche pas de considérer que l’allaitement puisse protéger le bébé de multiples infections grâce aux anticorps et favoriser le développement d’un bon microbiote. Moralité : si l’expérience vécue au sein peut avoir été une expérience des plus agréables de notre existence, un tel militantisme peut conduire à la naïveté. C’est dommage car le reste de l’ouvrage délivre quelques informations théoriques et pratiques, médicales et sociologiques, intéressantes et utiles.
53Jean-Tristan Richard
Psychologue-analyste (Saint-Brieuc 22000)
Ancien directeur adjoint de camsp
(Paris/75014)
Psychopathologies de la maternité. Les fausses couches répétées. Anne-Tina Izquierdo. Paris, L’Harmattan, 2018, 150 p., 17 €
54L’auteure est danseuse et psychanalyste. Également formée à l’anthropologie. Probablement d’origine espagnole ou américano-latine. Elle s’intéresse à la féminité et à la maternité. Plus précisément, elle se propose de nous faire partager son travail auprès de femmes ayant eu des fausses couches à répétition. Ses références principales sont P.-C. Racamier, D.W. Winnicott, S. Lebovici, A. Green et les théoriciens de l’attachement. Toutefois, elle n’est pas sans avoir des accents jungiens (la femme est intuition, prière, nature, sorcière, sagesse, etc.) et des accents lacaniens (la femme est au-delà de l’universel, autre, avec une jouissance mystique). On notera l’absence de mention des travaux de J. -Schaeffer, M. Bydlowski ou M.-J. Soubieux. De même quant à G. -Devereux, G. Roheim, T. Nathan, etc. On sait possiblement que 15 à 25 % des grossesses s’achèvent en fausses couches, que celles-ci peuvent se répéter au cours des grossesses successives et que leurs causes principales sont multiples. Parmi celles-ci, mentionnons pour rappel la prématurité, les anomalies chromosomiques de l’embryon, les malformations utérines, les pathologies immunologiques, les anomalies hormonales et les infections vaginales. Ont aussi été incriminés le diabète, le Distilbène, le syndrome des anti-phospholipides, des pathologies cardiaques, des troubles thyroïdiens, l’hypertension, une maladie cœliaque (gluten), etc. À côté de ces éléments « objectifs », il existe des facteurs « subjectifs » bien connus empiriquement par les obstétriciens, les sages-femmes et les femmes elles-mêmes, comme l’âge, le stress, le conflit conjugal, l’obésité, le tabagisme, l’alcoolisme, une situation psychosociale difficile, etc. J’ai pour ma part eu en analyse deux jeunes femmes dont l’infertilité dûment diagnostiquée par la Faculté a cessé en se manifestant sous forme de fausses couches avant de donner lieu à des naissances. En d’autres termes, on pressent que l’inconscient peut jouer un rôle dans ces situations. L’ouvrage de A.-T. Izquierdo expose donc dans cette perspective les entretiens non directifs menés avec sept femmes ayant vécu entre trois et dix fausses couches (ces entretiens sont intégralement retranscrits en fin de volume). S’avèrent particulièrement prévalents chez ces femmes : l’intuition (sensibilité instinctive au ressenti), l’entourage (groupes de soutien, médecins rencontrés, conjoint), le sentiment d’échec (non-maîtrise, culpabilité), le traumatisme (perte d’un enfant, écho de traumas antérieurs), le rapport infantile à la mère, les traces des complexes d’Œdipe et de castration. De nombreux symptômes accompagnent souvent la fausse couche : dépression, phobies d’impulsion, fatigue, douleurs, etc. Cela peut aller jusqu’à une psychose puerpérale (délires, confusion, agitation, hallucinations). Plus généralement, surgissent des difficultés relationnelles avec le conjoint. L’approche ici développée est surtout axée sur l’idée d’un effondrement passé, déjà vécu mais non éprouvé, une idée due à D.W. Winnicott. Si le propos est toujours empathique et sensible, il pâtit malheureusement de nombreuses fautes d’orthographe et/ou de ponctuation et de références bibliographiques approximatives.
55J.-T.R.
Les enfants d’Asperger. Le dossier noir des origines de l’autisme. Édith Sheffer. Paris, Flammarion, 2019, 392 p., 23,90 €
56Un ouvrage, comment dire ? typiquement « américain ». C’est-à-dire militant (l’auteure, historienne, a un enfant autiste), mais mal écrit et mal agencé ! Avec de nombreuses répétitions et digressions. Et avec une préface ou bien tautologique ou bien illisible, sauf à recourir au dictionnaire à chaque page. Toutefois, on y apprendra moultes activités nazies fort peu reluisantes (c’est un euphémisme) à l’égard des enfants différents et, plus particulièrement, des autistes, par un certain Dr J.H. Asperger (ainsi d’ailleurs que par bon nombre de ses collègues pédiatres et psychiatres de l’époque). Ce pédopsychiatre viennois (1906-1980), à l’origine de la découverte d’une forme d’autisme particulière, dite souvent « de haut niveau », à laquelle il a donné son nom, apparaît avoir été un artisan ardent et actif de la politique d’euthanasie du Troisième Reich, menée à l’égard des enfants dits anormaux, tout cela au sein de nombreuses institutions médico-psycho-sociales. On sait sans doute qu’en 1943, la même année que J.H. Asperger, un autre pédopsychiatre, Leo Kanner (1894-1981), publiera un article sur une autre forme d’autisme infantile à laquelle son nom est désormais attaché. Ce médecin d’origine austro-hongroise émigrera en Allemagne en 1906, puis aux États-Unis en 1924. Le but du livre d’É. Sheffer, qui prend le contrepied de l’avis d’U. Frith, selon laquelle Asperger aurait été opposé à l’élimination des autistes, est manifestement de parvenir à interdire d’utiliser à l’avenir son nom. Je ferai deux brèves remarques conclusives : les psychanalystes viennois non juifs n’ont pas participé à cette élimination, d’une part, et le syndrome d’Asperger ne fait déjà plus partie du dsm V comme entité distincte, d’autre part.
57J.-T.R.
La vie psychique des équipes. Denis Mellier. Paris, Dunod, 2018, 200 p., 23 €
58L’auteur poursuit ses réflexions sur la vie psychique institutionnelle. Ses références restent les mêmes : R. Kaës, P. -Fustier, J.-C. Rouchy, W. Bion, etc. Les conflits et les répétitions, la violence, les échecs, les désorganisations, autant de traversées des équipes dans lesquelles se révèlent essentiels le poids des fondateurs, mais aussi le rôle des cliniciens et la nécessité d’un tiers pour analyser transferts et contre-transferts et pour donner du sens à ce qui se passe en institution.
59J.-T.R.
Autres livres recommandés
60L’empreinte du corps familial. Mémoire des cicatrices, Danièle Brun, Paris, Odile Jacob, 2019, 160 p., 21,90 €
61Théories de la dégénérescence, Jacques Hochmann, Paris, Odile Jacob, 2018, 284 p., 24,90 €
62Le fleuve de la conscience, Oliver Sacks, Paris, Le Seuil, 2018, 250 p., 21 €
63Malaise dans le soutien à la parentalité, Gérard Neyrand, Daniel Coum, Marie-Dominique Wilpert, Toulouse, érès, 2018, 160 p., 12 €
64Et si Alzheimer(s) et autisme(s) avaient un lien ?, Catherine Bergeret-Amselek (sous la direction de), Toulouse, érès, 2018, 402 p., 20 €
65J.-T.R.
Évasion
Les défenses. Gabi Martinez. Paris, Christian Bourgois, 2019, 670 p., 25 €
66Surtout ne vous laissez pas rebuter par l’épaisseur du livre et entrez à l’intérieur du cerveau et du psychisme d’un neurologue espagnol d’aujourd’hui, lui-même aux prises avec des problèmes neurologiques et psychiatriques. L’auteur nous entraîne dans une sorte de flamenco entre délire et réalité sans que nous ne puissions jamais les délimiter. Vie sentimentale, vie familiale et vie professionnelle se croisent au fil des jours et des années, comme si nous étions à l’intérieur de la pensée du narrateur. Au vrai, c’est toute une existence épique au milieu d’un système sanitaire délétère qui se voit décortiquée. Avec un sens de l’humour et un sens du suspense jubilatoires.
67Jean-Tristan Richard
Psychologue-analyste (22000 Saint-Brieuc)
Ancien directeur adjoint de camsp
(75014 Paris)
La femme aux cheveux roux. Orhan Pamuk. Paris, nrf-Gallimard, 2019, 300 p., 21 €
68Vivez l’aventure émouvante et captivante d’un jeune Turc d’aujourd’hui (sous la plume d’un auteur prix Nobel de littérature en 2006). Entre modernité et tradition, entre Occident et Orient, elle devient initiation et parabole. À partir de la construction d’un puits avec une pelle et un treuil pour trouver de l’eau en pleine campagne caillouteuse (magnifiquement dépeinte), le destin s’y invite sous la forme d’un complexe d’Œdipe à répétition au travers des générations. Il en résulte des passages à l’acte conscients ou inconscients. Les mythes grecs et perses se croisent alors dans une description haletante de nos amours et de notre quête de vérité, toutes aussi profondes et introuvables que l’eau du forage !
69J.-T.R.
Notes
-
[1]
Note philologique, historique, due à un commentateur ancien, et servant à l’interprétation d’un texte de l’Antiquité.
-
[2]
En linguistique, un lemme est une unité autonome constituante du lexique d’une langue ; en mathématiques, un lemme est un résultat sur lequel s’appuie la démonstration d’un théorème plus important.
-
[3]
Spinoza nomme conatus la puissance propre et singulière de tout « étant » à persévérer dans cet effort pour conserver et même augmenter sa puissance d’être.