Contraste 2018/2 N° 48

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Article de revue

Processus d’attachement dans le contexte du handicap

Pages 163 à 180

English version

1 La présence d’un handicap dans la famille bouleverse toutes les relations. Lorsque c’est l’enfant qui en est porteur, le diagnostic va souvent précipiter les parents dans un remaniement de leurs compétences éducatives et, au-delà, de leurs compétences émotionnelles. La théorie de l’attachement, introduite et décrite en détail par John Bowlby (1968/1982) dans la seconde moitié du xxe siècle, reste encore insuffisamment répandue dans les milieux hospitaliers ou prenant en charge des enfants handicapés. Cette théorie a généré un grand intérêt dans les domaines de la psychologie et du développement de l’enfant et il existe énormément de travaux scientifiques et de preuves qui en font état.

2 Le paradigme de la théorie de l’attachement met l’accent sur l’importance des premiers liens dans la trajectoire développementale. Même s’il ne s’agit pas du seul déterminant, la qualité de la relation mère/bébé va influencer le développement émotionnel et cognitif ultérieur du bébé, et encore plus chez l’enfant touché par un handicap avec des conséquences à long terme sur la santé.

3 Dans les circonstances où l’enfant est porteur d’un handicap, qu’advient-il du démarrage de la relation d’attachement du nouveau-né ? Comment les parents vont-ils s’adapter à cette situation ? Que peuvent faire les soignants professionnels pour promouvoir un attachement de qualité ?

4 Cet article présente, outre les notions fondamentales de la théorie de l’attachement, l’impact de la situation de handicap sur les liens d’attachement, l’importance d’améliorer la sensibilité des fournisseurs de soins (« caregiver » en anglais), autant la mère que les soignants professionnels, et l’intérêt de la théorie dans l’organisation des soins auprès des jeunes enfants handicapés.

Quelques notions fondamentales de la théorie de l’attachement 

5 L’attachement est différent du lien mère-enfant. C’est un lien basé sur le besoin de sécurité et de protection (du point de vue de l’enfant). Le « comportement d’attachement » est conçu comme une forme de comportement, simple ou organisé, qui aboutit à la recherche et au maintien de la proximité avec un individu différencié et préféré appelé « figure d’attachement » dans toute situation de menace ou d’inconfort (maladie, douleur, séparation).

6 Le « besoin d’attachement » est un besoin instinctif, qui a des bases biologiques, sélectionné au cours de l’évolution pour permettre la survie de l’individu et la reproduction de l’espèce. Ces conduites innées s’organisent progressivement chez l’enfant autour de la première année. Cette théorie s’oppose à la théorie de la tendance secondaire : l’attachement est un besoin primaire ne dépendant pas d’un autre besoin, véritable besoin premier de sécurité physique et de sécurité émotionnelle. En 1958, dans un article intitulé « The nature of love », Harlow, un éthologiste américain spécialisé dans l’étude des jeunes singes rhésus, met en évidence le rôle secondaire de la nourriture dans le lien entre la mère et l’enfant. Chez le bébé-singe, la recherche de nourriture est volontiers sacrifiée à la recherche du contact avec la mère. Des observations de bébés humains confirment que les nouveau-nés s’attachent aussi à des personnes qui ne les nourrissent pas (Cassidy, 2008). Les comportements d’attachement sont dirigés de l’enfant vers la personne qui s’occupe de lui ou caregiver (en général la mère).

7 L’attachement n’est pas décrit comme fort ou faible mais plutôt en terme qualitatif, évoluant pendant les neuf premiers mois et au fil du temps. L’attachement se développe et s’organise, avec la répétition des interactions, en fonction de la réponse parentale et en passant par plusieurs étapes. Ces modes d’attachement sont classés de deux façons ou styles sécure et insécure qui sont des styles dits organisés quand l’enfant a acquis une stratégie permettant d’obtenir la proximité de la figure d’attachement lorsque le comportement d’attachement est activé. S’il y a échec ou manque de stratégie pour trouver une sensation de confort et de sécurité, l’attachement est dit « désorganisé ».

8 Les modes d’attachement organisés sont classés en sécure/insécures (évitant ou ambivalent-résistant) suivant que l’individu se sent en sécurité ou anxieux face à la disponibilité et la réactivité de la figure d’attachement. Ainsi une disponibilité émotionnelle et physique harmonieuse et continue de la part de la figure d’attachement est essentielle pour que le bébé puisse développer un attachement sécure.

9 La relation d’attachement est d’abord propriété de la relation mère--enfant puis devient propriété de l’individu façonnant son organisation psychique et ses habiletés sociales. L’enfant construit des représentations cognitives des expériences passées avec le parent. Ces représentations deviennent aussi des modèles (Modèles internes opérant, mio) qui sont des prédictions que l’enfant développe sur lui-même et les autres et la réaction des autres à ses besoins d’attachement.

10 Groh et ses collaborateurs (2017) ont montré dans leur méta-analyse que l’attachement sécure est associé à un meilleur ajustement socio-émotionnel des enfants, de meilleures compétences sociales et moins de problèmes de comportements externalisés. Dans le contexte du handicap, la régulation émotionnelle, les compétences sociales, le sens de l’autonomie sont essentiels pour l’adaptation de l’enfant à son environnement.

11 L’attachement sécure semble représenter un facteur de protection pour un développement optimal et pour un bien-être psychologique, un attachement désorganisé crée une vulnérabilité au stress et prédispose à la survenue de psychopathologie.

12 Le « caregiving » est le comportement parental en réponse au comportement d’attachement de l’enfant. La qualité du caregiving de la mère est l’élément central dans l’organisation ou la désorganisation de l’attachement du petit enfant. Le lien entre comportement du caregiver et sécurité de l’enfant est apparent très tôt dans la vie. Deux qualités primordiales sont nécessaires :

13 – la sensibilité maternelle spécifique aux signaux et à la communication de l’enfant, c’est-à‑dire à quel point une mère particulière est capable de gérer ses interactions avec un bébé particulier en accordage avec les signaux comportementaux qu’il émet en fonction de ses états, de ses besoins et finalement de ses souhaits et de ses projets. L’étude de Cassidy et ses collaborateurs (2005) suggère que cette sensibilité au comportement d’attachement peut être le préalable essentiel de l’organisation de l’attachement ;

14 – le fonctionnement réflexif ou mentalisation, capacité du caregiver à envisager le nourrisson comme une entité mentale, un être humain avec des intentions, des émotions et des désirs (Fonagy et coll., 1998). En effet des liens ont été observés entre le fonctionnement réflexif et la classification de l’attachement (Fonagy, Steele et Steele, 1991).

Effet du handicap sur le processus d’attachement

15 Plusieurs mécanismes contribuent à l’augmentation du risque de problématique de l’attachement chez l’enfant handicapé :

16 – l’effet direct d’un dysfonctionnement cérébral dans certains handicaps ;

17 – la présence d’une altération des compétences mentales, sensorielles, physiques, éducatives qui va affecter l’expression émotionnelle et les interactions avec l’environnement ;

18 – les changements dans le fonctionnement familial et la nécessité d’une adaptation émotionnelle des autres membres de la famille à l’enfant handicapé.

Adaptation des parents au traumatisme du handicap et retentissement 

Résolution du traumatisme

19 Lorsqu’un parent est confronté au fait que son enfant a un problème médical grave, qui peut donner lieu à un handicap, on peut parler de véritable traumatisme pour le caregiving (Pianta et coll., 1996). Les parents qui viennent d’apprendre la nouvelle ont des réactions similaires à celles des personnes ayant perdu un proche : choc et déni, chaos émotionnel avec mélange de colère, de culpabilité, de désillusion, puis acceptation de l’événement douloureux. La résolution du traumatisme laisse alors les parents plus disponibles pour une représentation précise et adéquate des capacités de l’enfant ; ils peuvent garder des attentes élevées, mais qui restent réalistes, et ils conservent une certaine lucidité à propos de l’avenir et de ses incertitudes. Les parents peuvent se décrire de manière mesurée et peuvent évoquer les aspects positifs et négatifs de leur expérience. Ils ont cessé de mener une quête active à la recherche d’une cause explicative, quête qui a pour fonction de distraire leur attention de la réalité présente. Ils peuvent alors être réellement disponibles pour l’enfant et s’adapter à ses nouveaux besoins (Pianta et coll., 1996).

Les risques pour le caregiving d’une non-résolution du traumatisme

20 En cas de non-résolution du traumatisme, les parents restent indisponibles dans l’ici et maintenant pour les tâches de caregiving. Les pensées de récrimination, les sentiments de chagrin et de déni des parents à propos de l’état médical de leur enfant, ainsi que les stratégies utilisées par le caregiver pour faire face au traumatisme, perturbent leur capacité à servir de base de sécurité à l’enfant. Leurs perceptions peuvent être distordues, filtrées, ignorées ou amplifiées, et ne permettent pas des réponses sensibles, flexibles et équilibrées aux besoins et aux signaux de l’enfant (Pianta et coll., 1996 ; Barnett et coll., 1999). Certains facteurs liés à l’attachement propre du parent, comme la qualité non soutenante de son réseau social actuel, ou les antécédents de perte(s) non résolue(s) ou encore de traumatisme(s) dans l’enfance, semblent avoir un impact sur le risque de non-résolution du traumatisme lié au diagnostic de handicap (Pianta et coll., 1996).

Impact du handicap chez l’enfant sur le caregiving parental

21 Le handicap de l’enfant, ou sa maladie, peut retentir sur sa capacité à envoyer des signaux clairs qui activent de manière adéquate le caregiving des parents. Les besoins particuliers de l’enfant peuvent déborder les capacités de caregiving « normalement sensible » du parent (Barnett et coll., 1999). Des troubles neurologiques, comme l’Infirmité motrice cérébrale (imc) ou des malformations de la face (fente labio--

22 palatine) peuvent interférer avec l’expressivité émotionnelle et verbale de

23 l’enfant et rendre difficile l’interprétation des signaux de ce dernier par ses parents (Clements et Barnett, 2002). Les handicaps comme la trisomie 21 entraînent des retards ou des déficits dans les modes de communication et dans les comportements liés à l’attachement : ces enfants envoient des signaux émotionnels beaucoup moins précis et difficiles à discriminer au sein de ses manifestations générales (Atkinson et coll., 1999). Par exemple, l’expression émotionnelle comme la communication de la peur et de la détresse peut être modifiée de telle manière que le parent ait une difficulté à les percevoir et les interpréter. Le caregiver peut avoir une grande difficulté à soulager la détresse de l’enfant : par exemple le contact visuel et le simple sourire de loin qui sont habituellement suffisants pour calmer la détresse ne le sont plus dans certains handicaps. D’autres difficultés peuvent être liées au fait que l’enfant n’a pas la capacité d’interpréter la réponse du parent ou de réguler son propre état émotionnel. De même il peut avoir une difficulté physique à se rapprocher de et à s’orienter vers le caregiver pour augmenter le sentiment de sécurité. Le défaut d’autorégulation émotionnelle et les faibles capacités de comportement de recherche de proximité augmentent le stress de l’enfant handicapé. Le parent doit pouvoir compenser, comme par exemple anticiper les besoins de l’enfant (se rapprocher de lui qui ne peut se déplacer) ou réduire lui-même l’anxiété de l’enfant qui n’arrive pas à s’autoréguler (Cox et Lambrenos, 1992).

24 Il semble y avoir un risque plus accentué pour les parents dont les enfants souffrent d’anomalies congénitales, risque de répondre de manière moins sensible et adéquate à leur enfant (Endriga et coll., 1998). L’impact de l’apparence physique semble la variable la plus importante sur la sensibilité parentale : or plus l’anomalie physique est apparente (comme dans les malformations faciales), meilleure semble la qualité du caregiving ; les handicaps qui font ressentir l’enfant comme plus vulnérable stimulent davantage le caregiving parental (Clements et Barnett, 2002).

25 Les maladies neurologiques (cognitives et motrices) peuvent ne pas donner la même impression immédiate de vulnérabilité ; au contraire, particulièrement en cas de retard mental, elles peuvent évoquer une telle vulnérabilité, et être tellement blessantes pour le parent qu’elles paralysent le caregiving : le parent peut penser que prendre soin de son enfant ne servira finalement à rien.

26 Il semble y avoir, dans les cas d’imc, un intérêt privilégié du parent pour les conditions physiques et les actions de protection plutôt que pour les émotions de l’enfant. Pour les parents d’enfants épileptiques, le côté imprévisible des crises, la crainte de déclencher une crise ou de ne pas savoir différencier une colère d’une crise, la difficulté à lire les signaux et à sélectionner la réponse adéquate rendent leur caregiving particulièrement difficile, oscillant entre surprotection, abdication ou retrait. Enfin, les caractéristiques du problème somatique (évolutivité ou stabilité, intensité légère ou sévère, évolution plus ou moins prévisible) peuvent saper le sentiment du parent de pouvoir atteindre ses objectifs de protection de l’enfant (Pianta et coll., 1996 ; Barnett et coll., 1999).

Handicap physique congénital et interactions précoces mère-enfant 

27 Les interactions précoces mère-enfant handicapé sont différentes de celles des dyades mère-enfant non handicapé. Les mères des premiers sont plus actives et montrent moins d’affects positifs (Rogers, 1988). Les caractéristiques des interactions peuvent être modifiées par des facteurs comme l’existence d’un déficit intellectuel, d’un trouble des interactions sociales (comme dans l’autisme), ou la persistance de complications respiratoires.

28 L’effet du handicap de l’enfant sur la relation mère-enfant ne se manifeste de façon évidente que s’il y a association d’adversité psychosociale, ou d’autres facteurs comme les hospitalisations longues.

29 Il y a aussi la question de savoir si les parents sont en quelque sorte « préparés » pour répondre de façon particulière à certaines phases de développement des enfants ; sinon ils ont plus de difficultés pour réguler leur réceptivité aux enfants qui atteignent certaines étapes du développement social à un stade tardif. Par exemple, la sensibilité de la mère semble diminuer la deuxième année chez les mères d’enfant imc et continue à décliner avec l’âge (Cox et Lambrenos, 1992).

30 Barnett et ses collaborateurs (2011) ont particulièrement étudié la question de la sollicitude ou de la sollicitation excessive et du surinvestissement du caregiver envers l’enfant dans les dyades où l’enfant handicapé présentait un attachement désorganisé. Dans le groupe d’enfants avec anomalie congénitale, l’étude a montré que la sur-stimulation (par exemple jouer à la place de l’enfant, faire intrusion dans le jeu de l’enfant, se comporter de façon trop enjouée et trop chaleureuse pendant les jeux libres) était significativement corrélée à la désorganisation. Le surinvestissement parental serait alors une réaction adaptative pour élever un enfant vulnérable avec un effet positif sur le maintien de la sécurité physique de l’enfant et le développement cognitif et moteur ; cependant l’hyper-engagement parental pourrait avoir un coût dans d’autres domaines comme l’attachement et la régulation émotionnelle.

Handicap physique et qualité de l’attachement 

31 Clements et Barnett (2002) ont étudié la qualité de l’attachement chez des enfants avec des anomalies congénitales : les enfants avec des troubles neurologiques étaient beaucoup plus à risque de développer des attachements insécures que ne l’étaient les enfants sans troubles neurologiques. La qualité de la sensibilité influence partiellement la relation entre la condition médicale de l’enfant et la sécurité de l’attachement. Plusieurs études ont montré un taux élevé d’attachement désorganisé et « non classable » (unclassifiable) parmi les enfants avec des besoins particuliers ; ces taux sont particulièrement élevés chez les enfants avec des troubles neurologiques comme la trisomie 21 (Vaughn et coll., 1994 ; Ganiban et coll., 2000 ; Atkinson et coll., 1999) ou l’autisme (Van IJzendoorn et coll., 1999 ; Green et Goldwyn, 2002). La combinaison d’un déficit intellectuel avec un trouble envahissant du développement est significativement associée à la désorganisation de l’attachement (Willemsen-Swinkels et coll., 2000). Le handicap de l’enfant est plus un facteur de vulnérabilité quant à la qualité de l’attachement ; de nombreux parents, en particulier ceux qui sont dans des circonstances émotionnelles et sociales favorables, peuvent compenser efficacement l’impact du handicap sur leur caregiving.

La question de l’attachement dans des handicaps spécifiques

Exemple de handicap physique : les enfants avec fente labio-palatine

32 La naissance d’un enfant avec un handicap physique apparent comme la fente labio-palatine représente un événement traumatique pour les parents, l’enfant n’a plus l’apparence physique de bébé « babysh » qui normalement stimule le caregiving. Pourtant les nombreuses études portant sur la qualité de l’attachement chez les enfants nés avec une fente palatine n’ont jamais mis en évidence de différence significative par rapport aux populations d’enfants sans problème médical (Koomen et Hoeksma, 1992 ; Habersaat et coll., 2013). Une étude a même montré que la qualité de la parentalité était meilleure lorsque la fente était complexe, peut-être parce que l’enfant paraît extrêmement vulnérable (Clements et Barnett, 2002).

Exemple de handicap sensoriel congénital : l’attachement chez les enfants sourds

33 Les enfants malentendants sont théoriquement à risque d’attachement insécure pour les raisons suivantes : les mères subissent un stress quand la surdité est diagnostiquée et peuvent négliger les besoins de leur enfant ; elles peuvent échouer à ajuster leur communication en tenant compte du déficit auditif et elles peuvent être insensibles aux besoins, souhaits et initiatives de leurs enfant.

34 D’un autre côté, l’enfant malentendant est inconscient de l’importance de sa propre voix dans la communication et peut échouer à influencer le comportement des autres pour recevoir l’attention et le réconfort. Le réconfort par la voix maternelle n’est pas possible, ce qui peut augmenter l’angoisse de séparation. Pourtant l’étude de la littérature ne retrouve pas de différence significative dans la sécurité de l’attachement entre les enfants malentendants ou sourds et les enfants sans déficience auditive (Lederberg et Mobley, 1990 ; Lederberg et Prezdindowski, 2000). Les auteurs concluent que les interactions de la première année dépendent plus des compétences de la mère à répondre aux besoins de l’enfant que des caractéristiques de l’enfant (la surdité). Koester et ses collaborateurs (2000) évoquent la notion de parentage intuitif : les mères modifient et ajustent intuitivement leur comportement à l’enfant sourd, ce qui facilite la communication. À l’âge préscolaire, Lederberg et Prezdindowski (2000) trouvent que la communication globale, chez les enfants malentendants et leurs mères améliore la sécurité de l’attachement. La présence de langage de signes dans la communication précoce est associée à plus de sécurité de l’attachement.

L’attachement et la déficience intellectuelle (di) dans la trisomie 21

35 L’étude d’enfants porteurs d’une trisomie 21 est intéressante puisque c’est une étiologie homogène de retard mental avec un fonctionnement hétérogène ; de tels échantillons permettent de vérifier la contribution de la cognition à la sécurité de l’attachement. Atkinson et ses collaborateurs (1999) trouvent une grande proportion (47 %) d’attachement non classable « unclassifiable » dit « D-like » et une minorité d’enfants avec un attachement sécure (40 %).

36 Ce qui est intéressant à savoir est que les enfants classés sécures sont ceux qui ont de meilleures capacités cognitives et qui ont les mères les plus sensibles (Atkinson et coll., 1999).

37 Les précurseurs de la désorganisation de l’attachement, observée chez les enfants avec di, sont nombreux : stress parental, parentage inefficace, capacités cognitives limitées de l’enfant avec absence de permanence de l’objet et persistance du sentiment permanent de détresse à la séparation, institutionnalisation qui peut entraîner une rupture de la continuité dans les soins et le risque de ne pas avoir des interactions sensibles avec les professionnels (Janssen et coll., 2002).

Attachement, stress et déficience intellectuelle

38 La théorie de l’attachement apporte également un éclairage novateur dans l’explication des comportements difficiles des enfants avec handicap intellectuel sévère et profond. On sait que l’attachement contribue à des différences individuelles dans la sensibilité au stress (Maunder et Hunter, 2001). Le niveau de cognition joue également un rôle important pour faire face au stress : les enfants déficients intellectuels ont une difficulté dans l’évaluation et le traitement des informations et un répertoire de comportement limité ; ils perçoivent leur environnement comme non structuré et imprévisible et, par conséquent, ils développent moins de stratégies pour faire face au stress. La combinaison du stress et de l’insécurité de l’attachement rend ces enfants déficients intellectuels à risque de troubles du comportement, en particulier ceux fréquemment observés en institution comme les comportements d’automutilation, de stéréotypies, d’agressivité et d’agitation (Janssen et coll., 2002). Le modèle attachement-stress semble actuellement très prometteur pour la compréhension et la prévention des troubles du comportement de l’enfant déficient intellectuel (ibid.).

Apport de la théorie de l’attachement dans la prise en charge des enfants avec déficit intellectuel

39 Ce n’est qu’au début des années 2000 que les spécialistes du handicap mental ont commencé à trouver un intérêt à la théorie de l’attachement dans l’évaluation, la prévention, les interventions et l’éducation des enfants déficients. De Shipper et ses collaborateurs (2009), puis De Shipper et Schuengel (2010) trouvent que les enfants handicapés mentaux en institution montrent un comportement d’attachement différencié avec des caregivers professionnels spécifiques. La variation des comportements d’attachement est en partie expliquée par les différences de caregiving entre les soignants professionnels. Le « Secure Base Safe Haven Observation List » (sbsho) est un instrument qui peut être utilisé par les professionnels pour évaluer les comportements d’attachement envers les soignants des enfants avec un déficit intellectuel modéré à sévère. L’intérêt clinique de cet outil est sa capacité à expliquer certaines difficultés comportementales (comme l’irritabilité /agitation, le retrait /léthargie, les stéréotypies, l’hyperactivité) et à sensibiliser les soignants aux comportements d’attachement qui peuvent être négligés ou mal interprétés (De Shipper et Schuengel, 2010). Les enfants handicapés ont un meilleur développement en milieu familial qu’en institution. Les enfants en institution ont un comportement socio-émotionnel immature (comme courir partout, se coller et étreindre les étrangers), avec amicalité indiscriminée. 65 à 85 % d’entre eux peuvent avoir un attachement désorganisé (Groark et McCall, 2011). De Shipper et ses collaborateurs (2009) insistent sur la pertinence de l’identification d’un soignant favori et de la stabilité des liens enfant-soignant pour un meilleur développement émotionnel de l’enfant en institution. Les personnels en institution sont formés aux soins assurant la santé et la sécurité physiques mais moins aux besoins psycho-affectifs des enfants handicapés. En particulier, les enfants subissent des expériences répétées de changement de soignants qui ne fournissent pas les interactions chaleureuses, sensibles et sécurisantes et continues dont ils auraient besoin. La rotation ou le renouvellement des soignants fait vivre à l’enfant déficient intellectuel des expériences répétées de séparation ou de perte. Les professionnels prenant en charge ces enfants doivent être formés et encouragés à avoir des interactions sensibles durant les activités de routine et les jeux libres et la permission de s’engager émotionnellement. L’entraînement à la sensibilité n’est pas suffisant seul, mais doit s’accompagner de supervision positive. Nous donnerons un exemple de programme qui décrit les étapes pour mettre en œuvre ces changements dans les institutions accueillant des nourrissons et des jeunes enfants (Groark et McCall, 2011). Les principes de ce programme en dix étapes est d’amener les professionnels à vouloir le changement de l’institution vers un modèle qui se rapproche le plus du modèle familial, un entraînement à la sensibilité pendant les jeux et les activités de routine, une supervision et un schéma d’organisation qui respecte les besoins émotionnels de l’enfant, par exemple une répartition des groupes qui tienne compte de la relation de l’enfant à un -caregiver spécifique et son affinité avec d’autres enfants et non en fonction de l’âge ou du type de handicap.

Conclusion

40 La situation de handicap place l’enfant dans un risque de soins insensibles si le parent a un état d’esprit non résolu par rapport au traumatisme du handicap ; le déficit intellectuel augmente également le risque de désorganisation et augmente la vulnérabilité au stress.

41 Les troubles du comportement sont les plus grandes difficultés des enfants déficients intellectuels (30 à 60 %) (Deb et Bright, 2001). L’éclairage que nous apporte la théorie de l’attachement dans l’explication des troubles du comportement chez les enfants handicapés est très intéressant : quand une personne subit un stress, ne trouve pas les ressources nécessaires pour faire face à la situation et ne peut utiliser une figure d’attachement comme base de sécurité, le résultat est chaotique.

42 Aider les parents à accepter le handicap, stimuler leur sensibilité, entourer l’enfant de professionnels stables, sensibles à leurs besoins d’attachement et développer des soins d’attachement informés sont des opportunités de prévention et d’intervention pour améliorer le bien-être des enfants handicapés.

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Mots-clés éditeurs : Attachement, Bowlby, caregiving, handicap

Date de mise en ligne : 05/11/2018

https://doi.org/10.3917/cont.048.0163

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