Notes
Maladies génétiques, aujourd’hui comme hier
1 Les maladies génétiques ne sont pas plus fréquentes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient hier, mais on en parle davantage. Il y a deux raisons au moins à ce regain d’intérêt. La première est structurelle. Quand on s’est affranchi, comme on y est parvenu en Europe, des fléaux que représentaient les épidémies, la dénutrition ou l’alcolisme, émerge en contrepoint un fléau qu’on ne peut éradiquer : les maladies génétiques.
2 On a pu éradiquer la poliomyélite ou la variole, mais on ne parviendra jamais à éradiquer les maladies génétiques car le grand réservoir des gènes de maladies, ce ne sont pas les malades mais les porteurs sains. Des mutations dont les parents n’étaient pas porteurs surviennent à chaque génération. Tout au plus peut-on pointer un accroissement probablement modeste de la fréquence de ces mutations, moins liées à l’environnement qu’à l’âge parental, notamment paternel, toujours plus tardif à la conception des enfants.
3 En revanche, ce qui progresse de façon vertigineuse, grâce au séquençage du génome, c’est notre aptitude à identifier la cause des maladies, quand elles sont génétiques. C’est le second motif, conjoncturel celui-là, du regain d’intérêt pour ces maladies.
Chacun de nous est unique
4 Le génome, c’est l’ensemble de l’information génétique contenue dans l’adn de nos vingt-trois paires de chromosomes. Il porte la totalité de l’information génétique, dont celle des 20 000 à 25 000 gènes codant pour les protéines constitutives de l’organisme.
5 Il y a une vingtaine d’années, a été initié le premier séquençage du génome humain, c’est-à‑dire la détermination séquentielle de l’enchaînement précis de ses différents éléments constitutifs, les nucléotides, encore appelés bases. Elles sont au nombre de quatre : A pour adénine, T pour thymine, C pour cytosine et G pour guanine. Entrepris en 1990, son achèvement a été annoncé en avril 2003. Cette entreprise majeure est le résultat d’une coopération scientifique internationale de près de quinze ans, qui a mobilisé une quinzaine de pays à travers le monde.
6 Ce qui a mis des années et coûté des milliards de dollars est techniquement possible aujourd’hui en quelques heures et pour quelques milliers d’euros. Le séquençage du génome ou de ses régions codantes (appelées exome) est aujourd’hui à la portée de presque tous les laboratoires de recherche. Il a permis de faire un bond gigantesque dans le démembrement des maladies génétiques et d’en identifier près de 9 000 chez l’homme ! Un gène humain sur trois a déjà sa maladie.
7 Une même maladie peut fort bien résulter de l’effet d’un quelconque gène parmi plusieurs : d’une dizaine pour les plus simples à quelques centaines pour les plus hétérogènes, des déficiences intellectuelles, par exemple. De surcroît, chacun de nos gènes peut être la cause de plusieurs maladies différentes !
8 Nous sommes uniques, c’est un truisme de le dire ! Ce qui ne l’est pas, et qui fut une surprise pour beaucoup d’entre nous, c’est que cette unicité du vivant se retrouve jusques et y compris dans les maladies. Quand on scrute le vivant dans son intimité, on s’aperçoit que les patients sont uniques, car porteurs d’anomalies toutes différentes par leur nature ou leur position. Rares sont les patients qui, pour une même maladie et un même gène, portent exactement la même mutation. Ce n’est pas pour simplifier les recherches préalables aux essais cliniques de demain.
Techniquement possible, mais pas accessible
9 Analyser les 25 000 gènes d’un malade (exome) coûte 1 500 euros. La comparaison du patient avec ses parents étant indispensable, l’étude du trio parents-enfant est nécessaire et la facture s’élève donc aujourd’hui à 4 500 euros par patient.
10 Cela ne signifie pas pour autant qu’on résolve le problème dans 100 % des cas : l’anomalie génétique peut se cacher ailleurs, dans des régions encore inexplorées du génome, ou bien la maladie peut ne pas être génétique. Cela explique qu’une bonne équipe de recherche appliquée ne résolve les problèmes diagnostiques qu’une fois sur deux.
11 Si étudier tous les gènes d’un patient est accessible à une équipe de généticiens dans le cadre d’un projet de recherche, il n’en est pas de même pour tous les patients qui nous consultent. Tous ne sont pas inclus dans un tel programme. Ainsi, parmi nos 20 000 malades annuels à Necker, moins de 5 000 bénéficient d’un diagnostic génétique précis, qu’il ait été porté par un laboratoire hospitalier ou dans le cadre d’un protocole de recherche.
12 Cela signifie que pour près de 15 000 enfants par an, on ne parvient pas même à mettre un nom sur leur maladie. Pourquoi ? Parce que les techniques artisanales en usage dans les hôpitaux sont trop lentes, le nombre de gènes à analyser trop élevé, les patients trop nombreux. Ils se comptent par milliers : c’est un peu comme continuer de creuser le trou des Halles avec une pioche à l’heure des pelleteuses, ou de moissonner son champ à la serpe à l’heure des moissonneuses-batteuses… C’est absurde, désespérant, hors de prix, et c’est pourtant ce qui se passe encore aujourd’hui dans nos services hospitaliers.
13 On pourrait assurément faire mieux, plus vite et pour beaucoup moins cher si nos hôpitaux se voyaient attribuer les moyens d’investir dans la transition, d’opérer le saut technologique vers les méthodes de séquençage à haut débit de l’adn. Mais, à la différence d’autres pays européens, cette prestation – l’exome – n’est pas prise en charge par la Sécurité sociale. Elle n’est ni du ressort du monde associatif ni de celui de la recherche, dont la mission est de contribuer à l’innovation non de se substituer au système de soins, dès lors qu’une maladie est connue et que sont publiées toutes les connaissances nécessaires à l’application pratique.
Les défis de la transition ne sont plus scientifiques
14 Méconnaître le diagnostic précis d’une maladie génétique, c’est une perte de chance. Les premiers médicaments apparaissent dans certaines affections, des essais cliniques sont lancés dans le monde, et pourtant les laboratoires rencontrent des difficultés de recrutement de patients. Pourquoi ? Parce que l’inclusion de malades dans ces essais nécessite une parfaite identification du gène en cause et du type d’anomalie. Or les patients ne disposent pas de cette information.
15 Comment transférer à l’hôpital les méthodes d’analyse génétique à haut débit des chercheurs, indispensables à l’étude de si nombreux gènes, pour un si grand nombre de patients ? Comment transformer les connaissances de la recherche en de réels bénéfices diagnostiques pour le plus grand nombre, qu’il s’agisse de la prévention de la récidive des maladies, de leur prise en charge ou de l’accès aux premiers essais cliniques, subordonnés à un diagnostic de certitude ? Comment, enfin, éviter l’écueil d’une médecine à deux vitesses, dont les progrès ne seraient réservés qu’aux plus riches ? En clair, comment faire face au défi technologique tout en préservant nos valeurs communes de solidarité ? On le voit, les défis du diagnostic des maladies génétiques ne sont plus scientifiques ni technologiques. Les mutations seront toutes connues un jour prochain et on sait parfaitement ce qu’il faut faire pour les identifier. Les défis sont donc ailleurs. Il sont médio-économiques, réglementaires, médicolégaux et éthiques.
16 Dans ce domaine comme dans d’autres, conduire le changement, c’est d’abord former des femmes et des hommes à des métiers nouveaux, qui n’existent pas encore à l’hôpital. C’est renoncer aux pratiques désuètes, en acquérir de nouvelles, réviser la nomenclature des actes, réorganiser l’offre de soins en préservant chèrement nos valeurs de solidarité.
17 Les défis sont aussi réglementaires, dès lors qu’on passe de la recherche à l’application clinique. Il faut aussi habiliter des centres à pratiquer ces tests, s’assurer de leur robustesse er de leur fiabilité, garantir les bonnes pratiques de laboratoire.
18 Pour la puissance publique également les enjeux sont sérieux. Notre système de santé a une obligation de moyens, sinon de résultats. Il encourt des risques sérieux d’actions de classe, de poursuites pour préjudice moral, physique et pour perte de chance s’il ne met pas tout en œuvre pour rattraper son retard en matière de diagnostic des maladies.
Protéger les patients
19 Enfin, et ce n’est pas le moindre, le défi est éthique. Il incombe au médecin de répondre à la seule question qui lui est posée : celle de l’origine du symptôme présenté par un malade, et pas à une autre. Répondre à la question posée, c’est d’abord tester ce qui est connu pour produire ledit symptôme, ladite maladie. Seule cette quête des causes connues de maladies est du ressort d’un budget de santé, elle seule est opposable. Dériver des crédits hospitaliers à des fins de recherche est aussi répréhensible à mes yeux que de dériver des crédits de recherche pour des soins. C’est la confusion des genres, c’est un abus de confiance et c’est ainsi qu’on perd le crédit de nos tutelles.
20 Dans la période de transition que nous traversons, il faut des coopérations entre les acteurs de la recherche et ceux des soins, mais elles doivent se limiter à l’accès à des plates-formes (technologiques et bio--informatiques) et à la formation des personnels aux nouveaux métiers.
21 En revanche, s’aventurer à tester tous les gènes chez tous les malades, comme le font les chercheurs dans leur travail ou comme le proposent certains médecins, me semble disproportionné, inadapté et même préjudiciable aux patients.
22 Ces pratiques d’inspiration commerciale nous exposent aux risques de « mauvaises rencontres », de découvertes fortuites d’interprétation incertaine, de signification douteuse ou inconnue et qui n’ont assurément rien à voir avec le motif de la consultation.
23 Nous devons mettre les consultants en garde contre les risques de surinterprétation des résultats du séquençage complet de l’adn. « Nous avons trouvé chez vous une variation génétique qui vous expose aux risques de mort subite », a-t-on annoncé à un consultant qui venait pour tout autre chose. Mises entre des mains de professionnels non avertis, ces données peuvent occasionner des paroles malheureuses, des prédictions hasardeuses, totalement dénuées de fondement. Elles peuvent faire beaucoup de mal, sans aucune justification. Ce sont des abus de confiance, qui seront un jour passibles de poursuites.
24 Bien différente est la découverte fortuite, qu’on m’oppose souvent, d’un problème méconnu, par exemple lors d’une radiographie ou d’un scanner pour un autre motif. Dans ce cas, on détecte un problème inconnu à un stade infraclinique. Avec le génome, c’est très différent. Un variant d’adn, ce n’est pas une maladie. Je n’ai pas « mal à mon gène ni mal à ma mutation ». Je souffre des conséquences de cette mutation, à supposer qu’elle s’exprime. Rien n’est moins sûr ! Aussi, pour paraphraser une parole de sagesse, je considère que, s’il est du devoir du médecin « de dire ce qui peut être entendu », il est aussi de son devoir « de ne pas dire ce qui ne peut pas être entendu ». Il ne s’agit pas là de paternalisme, mais du respect d’un contrat tacite passé entre un consultant et un professionnel, censé répondre au problème qui lui est posé, pas à un autre, et d’y remédier s’il le peut.
Le parcours de soins du futur
25 Le bon sens invite à rechercher les méthodes simples, qui donneront aux patients les réponses appropriées aux seules questions qu’ils se posent, tout en les protégeant des mauvaises rencontres du génome.
26 Chercheurs et médecins, ensemble, nous avons mis au point une série d’outils diagnostiques par grands signes d’appels cliniques (les panels de séquençage), qui permettent au patient d’être testé de manière exhaustive et approfondie pour les seuls gènes connus de la médecine pour aller à la cause de ce signe d’appel, à l’exclusion de tous les autres. « Mon fils est épileptique, mon fils est en retard, mon fils est autiste, mon fils est sourd, mon fils est de petite taille… »
27 Cette prestation-là est bien du domaine du diagnostic et non de la recherche. À ce titre, son caractère sanitaire ne peut nous être contesté et son financement ne peut nous être refusé car ces explorations s’imposeront bientôt et seront opposables.
28 Ainsi, on voit se dessiner sous nos yeux ce que sera le parcours de soins du futur. Quelle que soit sa maladie, le patient de demain sera d’abord testé pour les gènes connus de la médecine sur des panels de séquençage ciblés, dictés par le symptôme majeur et couverts par la protection sociale. Si le diagnostic est porté, le sujet sera orienté vers des essais cliniques, français ou étrangers, qui existent parfois déjà mais auxquels, comble de paradoxe, il n’a accès que s’il sait de quoi il souffre au juste. À Necker, une interrogation itérative quotidienne des bases de données d’essais cliniques [2] est effectuée automatiquement pour les diagnostics précis posés dans notre institut. Tout récemment, un petit enfant atteint d’une affection très rare, la maladie de Wolman, responsable d’une diarrhée et d’une dénutrition très graves avec atteinte du foie, s’est retrouvé inclus dans un protocole de traitement enzymatique innovant, quelques jours à peine après son diagnostic. Pour lui, la vie va changer.
29 Si le diagnostic n’est pas reconnu, alors des chercheurs pourront s’emparer, s’ils le souhaitent, de problèmes non résolus avec la certitude d’aborder un sujet entièrement nouveau. C’est cet esprit de coopération de tous les instants entre médecine de recherche et médecine de soins qui a inspiré la création de l’Institut des maladies génétiques à Necker, l’Institut Imagine.
Mots-clés éditeurs : diagnostic, éthique, Maladie génétique
Date de mise en ligne : 06/04/2018
https://doi.org/10.3917/cont.047.0023