Notes
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[1]
Inserm, Déficiences intellectuelles. Collection Expertise collective, Montrouge, edp Sciences, 2016.
https://www.inserm.fr/thematiques/sante-publique/expertises-collectives -
[2]
Voir p. 53, « Variabilité d’expression… ».
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[3]
Ibid.
-
[4]
Ne pas avoir consommé de l’alcool au cours des douze derniers mois.
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[5]
Avoir consommé de l’alcool une à deux fois par mois au cours des douze derniers mois.
-
[6]
Circulaire dhos/01/03/cnamts n° 2006-151 du 30 mars 2006 relative au cahier des charges national des réseaux de santé en périnatalité, ministère de la Santé et des Solidarités, 2006.
-
[7]
« Le réseau a connaissance de l’actualité de ces recommandations et de ces référentiels élaborés au plan national par les sociétés savantes impliquées dans la périnatalité et par la Haute Autorité en santé. Il les diffuse et les applique en son sein […]. À titre d’exemple, seront concernés : […] la conférence de consensus concernant grossesse et tabac, grossesse et alcool. »
-
[8]
« Alcool : le réseau met au point une stratégie de repérage et de quantification de la prise d’alcool pendant la grossesse, et décrit les modalités de prise en charge proposées, notamment les liens organisés avec les centres d’alcoologie. »
-
[9]
« Population des mères à haut risque périnatal : […] alcoolisation maternelle. »
« Les enfants concernés : […] il convient de choisir des groupes qui paraissent les plus à risque et notamment : […] les enfants présentant un risque particulier éventuel sur le plan psychique et/ou somatique. » -
[10]
Par exemple la brief, inventaire d’évaluation comportemental des fonctions exécutives.
1 Un diagnostic de troubles causés par l’alcoolisation fœtale (tcaf) n’est ni approximatif ni inconsistant ; il est même certain en cas de syndrome d’alcoolisation fœtale (saf), la forme clinique malformative associée à une dysmorphie faciale spécifique. L’ensemble des tcaf concerne de l’ordre d’une naissance sur 100 en France (0,5 à 1 %), 1 naissance sur 1 000 pour le saf, et ne s’observe pas qu’en cas d’alcoolisme maternel patent.
2 Dans sa fiche mémo de 2013 sur le repérage des tcaf, la Haute Autorité de Santé (has) recommande donc d’évoquer ce diagnostic « devant un retard de croissance, une microcéphalie, une malformation, un retard psychomoteur, un trouble des apprentissages, un trouble de l’attention, un trouble du comportement et/ou de l’adaptation sociale inexpliqués, même en l’absence de notion d’alcoolisation durant la grossesse ». Il y a ainsi une indication très large à rechercher un facteur d’exposition toxique à l’anamnèse devant tout trouble du neuro--développement. L’objectif est de ne pas passer à côté d’une des principales causes sur le plan épidémiologique afin de rationaliser l’enquête étiologique et surtout de faire bénéficier l’enfant et sa famille d’un diagnostic précoce. En effet, celui-ci permet souvent de mettre un terme aux fausses interprétations, d’orienter la prise en charge en fonction des spécificités connues des tcaf, et aussi de prévenir un risque majeur de récidive pour les enfants à venir. Dans une logique commune aux autres facteurs de risque neurodéveloppementaux, la has recommande aussi de « demander systématiquement aux femmes désirant une grossesse, aux femmes enceintes et aux femmes venant d’accoucher leurs habitudes de consommation d’alcool [et] d’en faire préciser les modalités » afin de mettre en place des interventions de prévention, des mesures de limitation des risques et un suivi d’enfant vulnérable.
3 Le texte qui suit est extrait de l’expertise collective Inserm « Déficiences intellectuelles [1] », le comité d’experts ayant souhaité que l’alcoolisation fœtale fasse l’objet d’une synthèse spécifique en tant que cause majeure de troubles du neurodéveloppement pouvant s’exprimer par une déficience intellectuelle. Il fournit des éléments de compréhension et de réflexion pour l’amélioration de la prise en charge de ce qui est encore aujourd’hui l’une des causes les plus fréquentes et para-doxalement les plus négligées de dysfonction cognitive et d’inadaptation dans notre pays.
Expression clinique des effets toxiques de l’alcool sur le développement : pathologie, variabilité et diagnostic
4 Le développement d’un organisme est un processus complexe et fragile au cours duquel le programme génétique s’exprime en interaction plus ou moins étroite avec l’environnement. Son bon déroulement dépend à la fois de l’intégrité du génome et de son marquage épigénétique, mais aussi de l’absence de perturbateur exogène susceptible d’en altérer l’expression (Fukui et Sakata-Haga, 2009). En effet, de nombreux paramètres environnementaux thermiques, mécaniques, radiatifs, biologiques (pathogènes) ou chimiques sont impliqués dans la perturbation du développement, en particulier des animaux modèles et de l’homme. Parmi les perturbateurs chimiques du développement figure l’éthanol ou l’alcool éthylique.
Perturbation du développement par l’alcool : des modèles animaux à l’humain
5 Les connaissances sur les mécanismes biologiques de la toxicité développementale complexe de l’alcool ont progressé depuis l’expertise collective de l’Inserm de 2001 (Inserm, 2001), sans pour autant remettre en cause ce qui était décrit alors. Le vaste champ des modifications épigénétiques a ainsi pu être impliqué (Kleiber et coll., 2014), mettant potentiellement en jeu une perturbation des voies biochimiques de la reméthylation (Thomas et coll., 2000 et 2009 ; Kobor et Weinberg, 2011). Les effets délétères de l’alcool s’expriment pendant toute la période de développement correspondant à la gestation chez l’homme, qui a pour caractéristique spécifique de couvrir l’intégralité de la phase ascendante de poussée de croissance cérébrale (Cudd, 2005). Pendant l’embryogenèse, l’effet tératogène de l’alcool intéresse successivement de nombreux organes, dont le cerveau et le cœur par exemple, et affecte la morphogenèse faciale. Pendant la vie fœtale, c’est principalement la croissance en taille de l’organisme et la maturation cérébrale qui sont affectées. Ces périodes critiques de sensibilité à l’alcool sont explicitées dans l’expertise de 2001 (Inserm, 2001). Tous ces effets ont été particulièrement bien décrits dans plusieurs modèles animaux (Cudd, 2005) et en particulier chez les rongeurs (rats et souris). Les travaux de Sulik et ses collaborateurs, initiés au début des années 1980 (Sulik et coll., 1981), ont décrit avec de plus en plus de précision la dysmorphie faciale induite par l’alcoolisation précoce du développement chez la souris, ainsi que les anomalies cérébrales architecturales qui les accompagnent (O’Leary--Moore et coll., 2011). Le déficit de croissance cérébrale a aussi été bien caractérisé tant dans des modèles d’alcoolisation précoce (embryonnaire), que tardive (dans les jours postnatals correspondant à la période fœtale humaine) (Coleman et coll., 2012). De même, il a été démontré qu’au-delà de toute carence nutritionnelle, l’alcoolisation per-gestationnelle conduisait à un déficit de croissance générale chez le rongeur (Norton et Kotkoskie, 1991). Enfin, si l’exposition à l’alcool après la période embryonnaire critique n’induit plus de malformations viscérales ou faciales évidentes dans les modèles animaux, des dysfonctionnements comportementaux sont néanmoins caractérisés autant dans des modèles d’exposition précoce que tardive chez la souris (Mantha et coll., 2013) mais aussi chez le primate (Schneider et coll., 2011). Il faut noter que l’atteinte malformative d’autres organes que le cerveau a été décrite dans d’autres modèles que le modèle murin, par exemple des malformations cardiaques dans le modèle aviaire (Karunamuni et coll., 2014).
6 L’ensemble de ces anomalies imputées à l’alcool dans les modèles animaux expérimentaux (dysmorphie faciale, déficit de croissance cérébrale et somatique, malformations viscérales, particulièrement cérébrales et cardiaques, dysfonctions comportementales et cognitives) ont été retrouvées chez les enfants de femmes ayant consommé de l’alcool pendant la grossesse (Driscoll et coll., 1990), dès les descriptions princeps de Lemoine (Lemoine et coll., 1968) et Jones (Jones et coll., 1973), conduisant à proposer le terme de Fetal Alcohol Syndrome (Jones, 1975) ou syndrome d’alcoolisation fœtale (Dehaene, 1995) comme dénomination clinique de cette embryo-fœtopathie alcoolique. Cette réalité a depuis été confirmée à travers le monde par de nombreuses études transversales et prospectives tant sur le plan morphologique (Astley, 2010) que fonctionnel (Sood et coll., 2001 ; Alati et coll., 2013).
Spectre clinique des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (tcaf) : diagnostic positif, présomptif et différentiel
7 Il est donc avéré que l’exposition prénatale à l’alcool (epa) peut conduire à des anomalies du développement en particulier cérébral, responsables de troubles fonctionnels cognitifs et comportementaux. Au même titre que l’expressivité et la pénétrance d’une anomalie génétique sont le plus souvent variables et incomplètes, l’ensemble des anomalies anatomiques et fonctionnelles imputables à l’epa n’est pas retrouvé chez tous les sujets symptomatiques. Leur reconnaissance en pratique clinique s’appuie sur des critères diagnostiques établis après un long cheminement (Hoyme et coll., 2005) commencé au milieu des années 1970 (Jones, 1975), visant à déterminer les signes les plus spécifiques et à s’assurer de l’imputabilité à l’epa des variétés cliniques syndromiques retenues. Ces critères sont aujourd’hui assez consensuels même s’ils peuvent s’exprimer selon plusieurs formalismes en fonction des auteurs (iom, 1996 ; Hoyme et coll., 2005 ; Astley et Clarren, 2000 ; Astley, 2013) et des recommandations nationales, États-Unis (Bertrand et coll., 2004), Canada (Chudley et coll., 2005), Allemagne (Landgraf et coll., 2013). Le formalisme le plus systématique est celui proposé par Astley et Clarren à partir des années 2000. Il a le mérite de reposer sur une étude épidémio-clinique très large de plus de 1 400 sujets exposés in utero à l’alcool (Astley, 2010), de ne retenir qu’un nombre limité de critères semi-quantitatifs dont la spécificité est évaluée (Astley, 2006) et de proposer dans sa version simplifiée une terminologie prudente quant au niveau de certitude de l’imputabilité dans les formes cliniques les plus légères.
Symptômes canoniques, cotation clinique et continuum de sévérité
8 Sur la base des travaux contrôlés chez l’animal et des études épidémio--cliniques précédemment citées, on peut retenir comme symptômes canoniques pertinents sur le plan diagnostique : le retard de croissance staturo-pondéral non carentiel à début souvent anténatal ; la dysmorphie faciale associant des fentes palpébrales étroites pour l’âge, un philtrum émoussé et une lèvre supérieure fine, la sensibilité de la restriction de l’analyse morphologique faciale à ces trois items ayant été démontrée (Astley et Clarren, 1995, 1996) ; et enfin, l’atteinte organique du fonctionnement cérébral dont le corrélat anatomique principal est une insuffisance de croissance cérébrale qui peut se manifester par une microcéphalie (périmètre crânien standard pour l’âge ≤ - 2 ds) présente dès la naissance mais parfois secondairement corrigée.
9 Les insuffisances de croissance staturo-pondérale et cérébrale ou même l’étroitesse des fentes palpébrales sont des paramètres quantitatifs continus aisément mesurables et normés pour l’âge (pour les références voir tableau 1). Il est donc aisé de déterminer s’il existe une atteinte significative cliniquement décelable à l’échelle individuelle en se référant aux courbes de croissance ad hoc (valeur standard pour l’âge < - 2 ds ou 3ep). Par contre, la cotation clinique de la dysmorphie de la lèvre supérieure et du philtrum est moins aisée et a bénéficié de l’introduction par Astley et Clarren d’une mesure semi-quantitative fondée sur l’utilisation d’une gamme de sévérité à 5 niveaux (type échelle de Likert) en images réelles (photographies) (Astley et Clarren, 1996, 2000). Cette cotation avec mesure des fentes palpébrales est réalisée au plus simple sur une photographie de face, regard vers le haut et sans sourire, avec une petite pastille figurant l’échelle sur le front. De même, en l’absence de microcéphalie ou autre malformation cérébrale en particulier calleuse, le nombre de secteurs cognitifs (attention, langage, coordination motrice, mémoire…) déficitaires (performance standard pour l’âge ≤ - 2 ds) est proposé comme marqueur de l’organicité de l’atteinte du fonctionnement cérébral. La mise en évidence objective de ce type de déficits neurocognitifs nécessite l’utilisation de tests psycho-métriques validés et normés dans la population d’exercice, ainsi que leur concordance avec une gêne fonctionnelle (difficultés de communication, d’adaptation, d’apprentissage…). Dans le cadre du formalisme de Astley et Clarren nommé 4-Digit Code, la sévérité des trois symptômes canoniques est ramenée à quatre niveaux (sur le modèle « absent, léger, modéré, sévère ») auquel s’ajoute comme quatrième critère diagnostique l’évaluation de l’epa (consommation lourde avérée, consommation avérée, consommation inconnue, absence de consommation significative avérée, voir tableau 2).
10 La mise en évidence de cette consommation qui assure l’epa est une étape essentielle mais délicate de la démarche diagnostique. Rétro-spectivement, en pratique pédiatrique, elle repose essentiellement sur l’interrogatoire de la mère biologique lorsqu’il est possible, parfois complété d’informations issues de l’entourage. Il n’existe peu ou pas d’outils formalisés permettant de standardiser cet interrogatoire (Goh et coll., 2008) même si les outils développés pour le dépistage prospectif pendant et avant la grossesse sont probablement des sources d’inspiration pour la pratique clinique (Sokol et coll., 1989 ; Fline--Barthes et coll., 2014), de même que les recommandations nationales concernant l’évocation de la question de l’alcool pendant la grossesse (Anglade et coll., 2011). Par ailleurs, dans le contexte périnatal, le dosage avant la 24e heure de vie des esters éthyliques d’acide gras dans le méconium a fait la preuve de son efficacité au seuil de 2 mmol/g dans le dépistage de l’epa modérée à lourde aux 2e et 3e trimestre de grossesse, quand bien même son implémentation soulève encore des questions logistiques et éthiques (Bearer et coll., 1999, 2003 ; Burd et Hofer, 2008 ; Goh et coll., 2008).
11 Les atteintes de la croissance staturo-pondérale, de la morphologie faciale et de l’anatomie fonctionnelle du cerveau sont d’intensités variables mais positivement corrélées. Cette corrélation a été particulièrement bien étudiée pour la dysmorphie faciale (Astley, 2010). De façon cohérente avec la cotation proposée pour la sévérité de l’atteinte neurologique, l’existence d’un déficit intellectuel (atteinte cognitive généralisée) corrèle avec la présence d’une microcéphalie (Spohr et coll., 2007). Les grandes études comme celles d’Astley et ses collaborateurs ont en fait confirmé qu’il existe un continuum de sévérité syndromique allant de variétés cliniques où tous les symptômes sont présents de façon marquée à des situations où seule l’atteinte cérébrale fonctionnelle est objectivable par le clinicien. Récemment, des travaux de morphométrie 3D assistée par ordinateur ont montré que l’on peut reconstruire à partir d’une série de patients la gamme complète de l’atteinte malformative de la face et passer continûment d’une morphologie représentative de la population générale à celle où les anomalies oculaires et labiales supérieures caractéristiques sont maximales (Suttie et coll., 2013). L’œil du morphologiste discrétise donc un symptôme continu lorsqu’il décide s’il existe ou non une dysmorphie faciale.
12 Syndrome d’alcoolisation fœtale (saf) : forme clinique complète spécifique
13 Le syndrome d’alcoolisation fœtale ou saf correspond à la situation où il existe chez un individu une atteinte concomitante indéniable de la croissance staturo-pondérale, de la morphologie faciale et de l’anatomie fonctionnelle du cerveau. Les trois symptômes canoniques sont alors cotés 4/4 dans le formalisme de Astley et Clarren. Il s’agit d’une situation singulière plus encore par sa spécificité que par sa sévérité. En effet, dans ce cas de figure, le diagnostic syndromique donne un diagnostic étiologique de certitude (Astley, 2013). La spécificité du syndrome clinique est d’ailleurs suffisamment forte pour qu’on puisse porter le diagnostic de saf en l’absence de certitude sur l’epa. Seule une cotation à 1 de l’epa doit faire reconsidérer l’ensemble de l’évaluation, à commencer par l’anamnèse obstétricale. La question de savoir jusqu’où on peut relâcher les critères cliniques tout en gardant une bonne imputabilité des troubles à l’epa a été largement débattue. Elle est d’autant plus justifiée qu’il existe un continuum de sévérité qui n’est pas bien pris en compte par la fixation de seuils. Il semble qu’un diagnostic de saf sans preuve d’epa ne soit valide qu’en cas de dysmorphie complète, en particulier avec des fentes palpébrales significativement étroites (Astley, 2006). L’utilisation de méthodes de mesure, de courbes et de photographies de référence adaptées à la population rencontrée est du reste indispensable pour éviter les erreurs diagnostiques. Lorsqu’une epa significative est avérée [2], on peut porter un diagnostic de saf alors que les symptômes ne sont que d’intensité modérée et cotés 3/4. Il faut rappeler ici que l’évaluation normative d’un déficit de croissance staturale et céphalique est toujours à relativiser en pratique clinique puisqu’on ne tient pas compte du potentiel de croissance effectif représenté par la taille cible (ou génétique) du sujet. Il en résulte qu’une mesure dans les limites inférieures de la normale peut masquer une insuffisance de croissance tout à fait réelle compte tenu de ce qu’on aurait pu observer en l’absence d’epa. Il faut rajouter à cela qu’un certain rattrapage est parfois observé dans les mensurations au cours de la croissance. Quoi qu’il en soit, lorsque l’atteinte cérébrale et la dysmorphie sont nettes (cotées 3/4 ou 4/4), l’absence de retard de croissance autorise néanmoins à porter un diagnostic de saf dit partiel (safp) dont l’imputabilité à l’epa est toujours considérée comme forte.
14 Troubles causés par l’alcoolisation fœtale non syndromiques (tcaf-ns)
15 L’effort de caractérisation clinique syndromique qui fonde la définition actuelle du saf a pour but d’asseoir la spécificité du diagnostic étiologique sous-jacent, c’est-à‑dire de l’imputabilité des troubles à l’epa. Cette spécificité est obtenue au prix de l’exclusion des cas où la sévérité et donc la visibilité clinique de certains symptômes sont insuffisantes ou absentes. Or, s’il existe une corrélation positive entre la sévérité des différentes atteintes staturo-pondérale, morphologique et neurologique, cette corrélation n’est pas totale, particulièrement en ce qui concerne le retentissement fonctionnel de l’atteinte cérébrale qui peut être important en l’absence d’autre symptôme cliniquement décelable. En effet, les études portant sur de grandes séries prospectives (Day et coll., 1994 ; Larroque et coll., 1995 ; Larroque et Kaminski, 1998 ; Kuehn et coll., 2012) ou transversales (Astley, 2010 ; Mattson et coll., 2013) ont montré que les sujets exposés in utero à l’alcool présentent un excès de troubles des apprentissages et du comportement au-delà de l’existence d’anomalies morphologiques et de croissance staturo-pondérale ou cérébrale cliniquement décelables (pour description de ces grandes séries voir Inserm, 2001). Ainsi, dans une série de 1 400 patients de tous âges consultant pour epa dans les centres de diagnostic dédiés de l’État de Washington aux États-Unis, seuls 13 % présentaient un saf, mais à l’inverse seuls 10 % ne présentaient ni anomalies physiques ni troubles neurocognitifs significatifs (Astley, 2010), soit près de 90 % de tcaf. Il faut noter que seuls 1 % des patients présentaient une maladie du développement d’origine génétique cliniquement décelable et indépendante de l’epa. Dans une étude collaborative internationale (six sites) du consortium cifas portant sur plus de 200 patients exposés lourdement [3] à l’alcool in utero, 70 % des patients présentaient un diagnostic potentiel de tcaf (Mattson et coll., 2013). Au-delà du biais de consultation (recrutement) qui existe nécessairement dans ce type d’étude, la prévalence très élevée et la sévérité de ces troubles (25 % de niveau 3 dans l’étude de l’État de Washington) montrent que l’epa est un facteur de vulnérabilité neurocognitive majeure qu’il est impossible de réduire à la simple coïncidence de facteurs de vulnérabilité psycho-socio-éducatifs (Streissguth et coll., 1989). Cette prévalence élevée est du reste confirmée par les plus rares études strictement prospectives comme celle menée par le nih et l’Université du Chili qui ne retrouvent que 20 % d’enfants sans aucune anomalie à 8 ans sur 100 epa lourde (Kuehn et coll., 2012). Par ailleurs, les études de ces dernières années en neuro-imagerie ont apporté un argument de plus en faveur de l’imputabilité des troubles neurocognitifs à l’epa, même en l’absence de saf, en démontrant l’existence d’anomalies cérébrales structurales récurrentes (Norman et coll., 2009 ; Lebel et coll., 2011), dont la plus attendue est un déficit de croissance infra-clinique. Le fait que ces anomalies aient pu être rapprochées de celles observées en cas de saf (Astley et coll., 2009 a et b) est un argument de plus en faveur d’un continuum d’expression des conséquences de epa y compris à l’échelle infraclinique.
16 Pour argumenter le diagnostic en cas d’absence des éléments cliniques malformatifs du saf, il faudrait donc disposer d’éléments complémentaires paracliniques (radiologique, biologique, électro-physio-logique), ou même neuropsychologiques (profil comportemental et cognitif), susceptibles d’être spécifiques des conséquences de l’alcoolisation fœtale. Ce type d’élément n’est pas aujourd’hui disponible en pratique courante. Le diagnostic de tcaf sans saf reste donc un diagnostic clinique qui associe des déficits neurocognitifs avérés et symptomatiques à une epa en l’absence d’autres maladies neuro--développementales décelables. La valeur étiologique de ce diagnostic est présomptive (probabiliste) à tel point que certains proposent de parler de troubles neurocognitifs « associés à l’alcoolisation fœtale », voire simplement « en contexte d’alcoolisation fœtale » (Astley et Clarren, 2000). En pratique clinique on peut proposer pour ces autres tcaf le diagnostic de tcaf-ns pour non syndromiques (absence de syndrome malformatif), ou non spécifiques (signes d’accompagnements éventuels insuffisants pour être spécifiques). Toute suspicion de tcaf, en particulier hors saf, doit donc bénéficier d’une enquête diagnostique différentielle incluant la recherche des causes les plus fréquentes correspondant au phénotype neurocognitif du patient, dans la limite des recommandations existant en dehors d’une epa. Une fois écartés ces diagnostics différentiels, l’argument de fréquence en faveur d’un tcaf doit être considéré comme lourd au regard des connaissances actuelles (Kuehn et coll., 2012), sachant qu’il faut savoir considérer la coïncidence d’un facteur causal génétique et environnemental (Chabrolle et coll., 2005).
Tableau 1 : Les 4 axes essentiels du diagnostic clinique de tcaf
Tableau 1 : Les 4 axes essentiels du diagnostic clinique de tcaf
* Une irm cérébrale est indiquée pour rechercher une anomalie en particulier calleuse ou verminenne ; (1) de type Wechsler (wppsi, wisc, wais) ou k-abc par exemple ; (2) Conners ou brief ; (3) vabs
Déficiences cognitives et troubles du comportement : déficits généralisés mais profils évocateurs
18 La nature des troubles cognitifs et comportementaux induits par l’epa en cas de saf et d’autres tcaf a fait l’objet de très nombreuses études depuis les descriptions princeps des années 1970. Il en ressort que les déficits fonctionnels sont largement généralisés (Mattson et coll., 2011), s’accompagnant d’une diminution de l’efficience intellectuelle par rapport à la population générale, indépendamment des paramètres socio-économiques, éducatifs et culturels, de l’ordre de 10 (tcaf hors saf) à 20 points (saf) de qi total en moyenne (Sampson et coll., 2000 ; Astley et coll., 2009a). Cet effet indéniable mais relativement modéré sur le fonctionnement intellectuel global conduit à ce qu’environ 70 % des sujets présentant un saf, et jusqu’à 90 % des sujets présentant un autre tcaf, aient une efficience dans l’intervalle de normalité (qi total > 70) (Sampson et coll., 2000). Pour autant, les capacités adaptatives des sujets semblent plus affectées que ne le laisseraient penser leurs performances intellectuelles globales (score adaptatif composite de Vineland inférieur à la population générale de 30 à 40 points en moyenne) (Sampson et coll., 2000 ; Astley et coll., 2009a), en particulier concernant l’adaptation sociale (Carmichael--Olson et coll., 1998 ; Thomas et coll., 1998). Plusieurs facteurs pourraient rendre compte de cette différence entre fonctionnements intellectuel et adaptatif, à commencer par un biais d’évaluation lorsque les questionnaires de fonctionnement adaptatif sont remplis uniquement par les parents biologiques. L’interaction négative du faible niveau intellectuel avec des conditions environnementales difficiles pourrait aussi expliquer un potentiel adaptatif moins bon qu’attendu, l’epa rendant plus vulnérable aux facteurs socio-économiques défavorables (Yumoto et coll., 2008). Enfin, il est possible que des déficits fonctionnels intrinsèques mal appréciés par les mesures de qi total contribuent à un profil neurocognitif singulier particulièrement vulnérant sur le plan adaptatif.
19 Plusieurs auteurs ont fait récemment le point sur l’existence d’un tel profil neurocognitif (Kodituwakku, 2009 ; Mattson et Riley, 2011) à partir des déficits rapportés dans la littérature. Ce profil, s’il existe, ne semble pas reposer sur une dissociation verbale/non verbale (Mattson et Riley, 1998). Par contre, le déficit des capacités attentionnelles et exécutives (Kodituwakku et coll., 1995 ; Connor et coll., 1999 ; Mattson et coll., 1999) a été mis en avant de façon récurrente. Il a d’ailleurs été démontré que le profil des performances obtenues à une batterie de vingt-deux tests couvrant essentiellement les fonctions exécutives, de perception et de traitement spatial était plus informatif que l’efficience intellectuelle seule (qi total) pour distinguer un sujet présentant un tcaf (epa lourde) d’un sujet contrôle de la population générale (Mattson et coll., 2010). Le même résultat a pu être obtenu avec une batterie de onze tests essentiellement exécutifs, pour distinguer tcaf (epa lourde), déficits attentionnels avec hyperactivité (dah) sans epa, et contrôles (Mattson et coll., 2013). D’un point de vue strictement cognitif, une des difficultés dans la mise en évidence d’un tel profil consiste à tenir compte de l’existence d’une diminution, même modeste, de l’efficience intellectuelle dans l’interprétation des performances cognitives, adaptatives et des comportements inadaptés rapportés. De rares études ont ainsi contrôlé le paramètre d’efficience intellectuelle, statistiquement ou à l’aide de groupes contrôles appariés sur le qi total, et montré que certains déficits mnésiques, exécutifs et de cognition sociale persistaient néanmoins (Coles et coll., 2010, 2011 ; Vaurio et coll., 2011 ; Quattlebaum et O’Connor, 2013). De même, dans les limites de l’interprétation des questionnaires parentaux, les difficultés d’adaptation sociale et les troubles externalisés du comportement semblent ne pas dépendre exclusivement du déficit intellectuel (Carmichael-Olson et coll., 1998 ; Thomas et coll., 1998 ; Mattson et Riley, 2000). Dans le même esprit, certains auteurs ont comparé spécifiquement des sujets présentant un tcaf à des sujets présentant un déficit attentionnel avec hyperactivité (dah). Le dah est un syndrome cognitif et comportemental sans signification étiologique, dont on peut retenir une forme idiopathique lorsque le syndrome est isolé et sans cause retrouvée. 50 à 80 % des individus présentant un tcaf rempliraient les critères du dah (Fryer et coll., 2007 ; Streissguth et coll., 1999, 2004 ; Bhatara et coll., 2006 ; Jacobson et coll., 2011) mais là encore, il semble que le déficit exécutif et adaptatif ne soit que partiellement similaire (Mattson et coll., 2011).
20 Au total, le déficit neurocognitif très généralisé lié à l’epa est encore mal compris dans son hétérogénéité éventuelle, son extension à la cognition sociale (Kully Martens et coll., 2012), aux fonctions émotionnelles (Molteno et coll., 2014) ou aux fonctions d’intégration sensori-motrice (Stade et coll., 2006 ; Franklin et coll., 2008). S’il n’est pas aujourd’hui possible de dégager un profil neurocognitif spécifique utilisable en pratique clinique, en particulier diagnostique, il faut néanmoins retenir que la population des sujets porteurs d’un saf ou d’un autre tcaf présente une vulnérabilité dans ses apprentissages et son autonomisation qui va au-delà de son niveau d’efficience intellectuelle, que l’origine de ce surhandicap soit dans la nature du déficit neurocognitif ou liée à l’interaction négative avec un environnement souvent fragilisant. Quoi qu’il en soit, les explorations fonctionnelles proposées à chaque sujet doivent permettre de préciser à l’échelle individuelle le profil de fonctionnement cognitif et adaptatif, social et affectif, afin d’adapter au mieux la prise en charge et d’éviter que l’essentiel du surhandicap ne soit secondaire à une mauvaise prise en compte des déficits primitifs (Streissguth et coll., 1996).
Variabilité d’expression : entre mode de consommation, susceptibilité individuelle et interaction avec l’environnement
21 La variabilité dans l’expression et la sévérité des tcaf qui s’exprime au sein du continuum clinique et neuro-anatomique précédemment décrit est particulièrement importante. Le facteur explicatif le plus évident est bien sûr la variance dans l’epa elle-même. Si le type de boisson alcoolisée n’a pas d’importance avérée en soi, la quantité d’alcool ingéré et le moment de cette ingestion sont eux déterminants. Le fait que la période de sensibilité à l’alcool du développement humain soit à la fois très étendue et différente selon les structures complique singulièrement l’appréciation de la dose (cumulative ou aux pics) et explique l’importance des variations dans le temps de l’exposition (1er, 2e ou 3e trimestre de grossesse). Il est ainsi classique de distinguer la quantité moyenne consommée (par jour ou semaine) de la quantité moyenne ou maximale par occasion, toutes trois exprimées en grammes d’alcool pur ou verres standards (environ 10 g). Tant dans les modèles animaux (Clarren et coll., 1988 ; Riley et coll., 1979) que chez l’humain (Ernhart et coll., 1987 ; Sampson et coll., 2000 ; Sood et coll., 2001), un effet dose a été mis en évidence à la fois sur le plan anatomique et fonctionnel, sans qu’il soit possible de dégager de façon sûre un seuil d’innocuité pour l’epa (pour revue sur l’exposition aux faibles doses voir iom, 1996). Cet effet dose est mesurable à partir des consommations moyennes, ce qui ne doit pas masquer l’importance des pics de consommation et d’alcoolémie (« binge drinking », beuverie ou alcoolisation paroxystique), dont l’effet potentiellement plus délétère à dose cumulée égale a été suggéré par de nombreuses études expérimentales (Bonthius et West, 1990 ; Maier et West, 2001) et épidémio-cliniques (Jacobson et Jacobson, 1999 ; Sayal et coll., 2014 ; Flak et coll., 2014). Conformément à la fenêtre de sensibilité du développement cranio-facial, l’apparition de la dys--morphie faciale spécifique du saf est corrélée à une consommation d’alcool importante en début de gestation (Sulik et Johnston, 1983), soit au premier trimestre de grossesse (Ernhart et coll., 1987 ; Astley, 2010). La chronologie de l’exposition pourrait aussi avoir un effet relativement subtil sur la nature des déficits fonctionnels observés (Mantha et coll., 2013). Ainsi chronicité, intensité et « timing » de la consommation alcoolique sont impliqués dans la variabilité des conséquences de l’epa (May et coll., 2013).
22 L’importance quantitative et qualitative de l’epa n’est cependant pas le seul déterminant de la variabilité d’expression des tcaf. L’existence d’une susceptibilité individuelle d’origine génétique est fortement suggérée par le fait que les différentes souches des modèles animaux ne présentent pas la même sensibilité en particulier en ce qui concerne les atteintes faciales (Chen et coll., 2000 ; Su et coll., 2001) ou la restriction de croissance cérébrale (Goodlett et coll., 1989). Cette susceptibilité génétique est confirmée en pratique clinique par l’existence d’une concordance totale des symptômes entre jumeaux monozygotes alors qu’elle est volontiers incomplète (de l’ordre de 2/3) chez les jumeaux dizygotes (Streissguth et Dehaene, 1993). Le substratum moléculaire de cette variabilité de sensibilité individuelle à l’epa est en cours d’exploration (Green et Stoler, 2007 ; de Licona et coll., 2009 ; Dou et coll., 2013) et pourrait concerner l’enfant mais aussi la mère.
23 Si le mode de consommation alcoolique et la susceptibilité génétique individuelle semblent être les deux déterminants principaux de la variance d’expression des tcaf, ils ne sont probablement pas les seuls. Parmi les autres variables périnatales suggérées par les études épidémiologiques, on trouve l’âge maternel (Jacobson et coll., 1996) mais aussi son statut nutritionnel (May et coll., 2008, 2014) et plus globalement le niveau socio-économique. Par ailleurs, au-delà de la période néonatale, l’environnement socio-économique, culturel, éducatif et affectif de l’enfant est un déterminant essentiel de son devenir susceptible de modifier sensiblement la nature et l’expression des déficits neurocognitifs liés à l’epa (Yumoto et coll., 2008). Ces paramètres environnementaux associés à l’epa sont fondamentaux en ce qu’ils constituent des leviers potentiels d’intervention thérapeutique préventive ou modulatrice autres que la limitation de la consommation d’alcool.
24 Le caractère multifactoriel du déterminisme de la variabilité des tcaf complique évidemment l’établissement et surtout l’inter-prétation à l’échelle individuelle d’un éventuel seuil de dangerosité de la consommation d’alcool pendant la grossesse. La recommandation généralisée de s’abstenir de toute consommation d’alcool pendant la grossesse (« Zéro alcool pendant la grossesse ») n’est donc pas pour l’heure discutable à la lumière des dernières méta-analyses (Flak et coll., 2014). À titre indicatif, les niveaux de sévérité d’exposition à l’alcool du tableau 2 peuvent être proposés (adapté de Mattson et coll., 2010). De façon pragmatique, face à une consommation clairement contrôlée pendant la grossesse menant à une exposition légère et occasionnelle (tableau 2) crédible, le praticien peut, voire doit, se montrer rassurant, en particulier rétrospectivement. Par ailleurs, le fait que l’effet dose soit majeur est un argument pour soutenir et mettre en œuvre toute démarche visant à réduire la consommation individuelle à défaut de pouvoir la stopper.
Tableau 2 : Niveaux d’exposition prénatale à l’alcool
Exposition importante : >14 verres par semaine en moyenne * ou > 4 verres par occasion au moins une fois par semaine (seuil oms de consommation responsable d’alcool pour la femme non enceinte) Exposition modérée ** : ≥ 1 verre par semaine en moyenne* ou > 2 verres par occasion Exposition légère et occasionnelle : <1 verre par semaine en moyenne* et toujours ≤ 2 verres par occasion |
Tableau 2 : Niveaux d’exposition prénatale à l’alcool
* estimation sur au moins 1 mois, e.g. premier, dernier et « pire » mois** on peut distinguer un seuil d’exposition modérée « préoccupante » : >> 1 verre par semaine en moyenne* (3, 4…) ou souvent > 2 verres par occasion ou à plusieurs reprises (3, 4…) au premier trimestre ou forte probabilité de sous-déclaration
Importance sanitaire d’un problème sociétal méconnu : épidémiologie, conscientisation et prévention
Prévalence du syndrome d’alcoolisation fœtale (saf) et de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (etcaf)
Dans le monde
25 La prévalence des troubles causés par l’alcoolisation fœtale est à mettre en relation avec les consommations d’alcool pendant la grossesse enregistrées dans les pays respectifs. Par exemple, aux États-Unis, 7,6 % des femmes enceintes déclaraient avoir consommé de l’alcool au cours du dernier mois précédant l’enquête versus 51,5 % pour les femmes non enceintes. La prévalence du « binge drinking » est estimée respectivement à 1,4 % et 15 % (cdc, 2012). Au Canada, 10,8 % des femmes enceintes déclaraient consommer de l’alcool pendant la grossesse (Walker et coll., 2011) contre 11,1 % au Japon (Yamamoto et coll., 2008) et 16,4 % en Corée du Sud (Lee et coll., 2010). En conséquence, la littérature internationale recense de fortes disparités dans les taux de prévalence du syndrome d’alcoolisation fœtale (saf) et de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale (etcaf) (May et coll., 2009) qui ne s’expliquent pas seulement par la variabilité de la consommation d’alcool pendant la grossesse.
26 Si cette variabilité révèle parfois bien de réelles disparités géographiques, elles s’expliquent le plus souvent par des différences dans les critères de diagnostic mobilisés (May et coll., 2009 ; Lange et coll., 2013), dans les méthodes de recueil de données mises en œuvre (May et Gossage, 2001), mais aussi dans les populations (minorité ethnique, population d’âge spécifique…) ou périodes étudiées. Pour l’ensemble de ces raisons, les données internationales relatives à la prévalence du syndrome d’alcoolisation fœtale, estimée entre 1 et 3 ‰, et de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, évaluée à 1 %, sont difficilement comparables (Astley, 2010).
27 Depuis la description du saf par Lemoine (1968) et les critères de Jones (1975), les guides de diagnostic et les recommandations se sont multipliés affectant de fait les estimations des taux de prévalence du saf et etcaf rapportées par les études épidémiologiques internationales. Actuellement, on recense cinq guides de référence mobilisant chacun leurs critères de diagnostic (Stratton et coll., 1996 ; Astley, 2004 ; Bertrand et coll., 2004 ; Hoyme et coll., 2005 ; Chudley et coll., 2005). De plus la revue de la littérature met en évidence trois méthodes distinctes de recueil de données : le système de surveillance « passive » à partir d’archives locales (certificats de naissances, registres des enfants porteurs de handicaps, dossiers médicaux ou d’adoption) présentant l’avantage d’être peu coûteux ; les études cliniques prospectives menées auprès des femmes enceintes dans des hôpitaux visant à diagnostiquer les nouveau-nés ; et enfin, l’approche « active » de repérage très coûteuse en temps et en argent où des chercheurs expérimentés recrutent des enfants potentiellement porteurs de etcaf au sein de population spécifique. Les taux de prévalence les plus élevés rapportés par la littérature internationale sont estimés à partir de cette dernière approche « active » tandis que les taux les plus faibles sont évalués à partir du système de surveillance « passive ». Cette sous--évaluation s’expliquant par les difficultés à poser un diagnostic à la naissance par des médecins non spécialistes et entraînant leur absence dans les dossiers médicaux.
28 Si l’on se base sur les registres de naissances (système de surveillance « passive »), les études américaines rapportent des taux de prévalence du saf de 0,2 ‰ entre 1979 et 1992, de 0,37 à 0,67 ‰ entre 1992 et 1993. Ces taux masquent des disparités entre groupes ethniques puisque sur la période 1981-1986, on recense une prévalence de 0,03 ‰ pour les Asiatiques, 0,08 ‰ pour les Hispaniques, 0,09 ‰ dans la population blanche, 0,6 ‰ pour les Afro-Américains, et de 2,8 ‰ dans la population indienne (Chavez et coll., 1988). En Australie, ce taux était estimé à 0,06 ‰ (Burns et coll., 2013) par les mêmes méthodes.
29 Les études cliniques menées par des professionnels formés à poser le diagnostic estiment un taux de prévalence du saf à 1,9 ‰ au sein des pays occidentaux et à 2,2 ‰ en Amérique du Nord (Abel et Sokol, 1987). Plus récemment, une étude américaine rapportait une prévalence du saf comprise entre 0,5 et 3 ‰ (Astley, 2010). Mais là encore, ces taux masquent de grandes disparités comme aux États-Unis où ils variaient de 2,29 ‰ dans les populations économiquement défavorisées à 0,26 ‰ dans la population blanche appartenant à la classe moyenne et supérieure (Abel, 1995). En Europe, les taux de prévalence suivants ont été rapportés : 1,6 ‰ à Göteborg en Suède (Olegard et coll., 1979), 1,2 ‰ à Roubaix en France (Dehaene et coll., 1991).
30 Enfin, les taux de prévalence du saf rapportés par la littérature inter-nationale sont nettement plus élevés dans les études ayant opté pour une approche active de repérage. Ces études s’intéressent le plus souvent à des populations économiquement défavorisées au sein de régions spécifiques (Viljoen et coll., 2005 ; May et coll., 2007). Aux États-Unis, une étude ancienne évoquait des taux de prévalence du saf compris entre 0,1 ‰ dans la population caucasienne et 120 ‰ au sein des populations indiennes de Colombie-Britannique (Robinson, 1987). Plus récemment, des études locales menées en milieu scolaire rapportent des taux de prévalence compris entre 65 et 74 ‰ dans une région ouest du Cap en Afrique du Sud (May et coll., 2007), de 16,9 ‰ dans une région urbaine de Croatie (May et coll., 2011). Ou encore, une prévalence comprise entre 3,7 et 9,2 ‰ dans la région du Lazio en Italie (May et coll., 2006), et entre 6,4 et 11,3 ‰ aux États-Unis (May et coll., 2009).
En France
31 D’après l’enquête nationale périnatale, 2,5 % des femmes déclarent avoir consommé des boissons alcoolisées plus d’une fois par mois pendant leur grossesse, 3,2 % des femmes avouent une consommation avant de se savoir enceinte et 17 % évoquent une consommation inférieure ou égale à une fois par mois ou moins. Au final, la consommation de boissons alcoolisées concerne près de 23 % des femmes enceintes (Saurel-Cubizolles et coll., 2013). Quant aux épisodes d’alcoolisation ponctuelle, ils auraient concerné près de 2,5 % des femmes se sachant enceintes (ibid.).
32 En dépit de ce constat, il semble assez difficile de mobiliser les professionnels de santé autour de cette problématique ainsi que celle du diagnostic à la naissance, en raison tant de la permanence du tabou entourant la consommation d’alcool pendant la grossesse que du manque de formation des professionnels de santé, ce qui explique en partie l’absence de données nationales quant à sa prévalence (Bloch et coll., 2009).
33 À défaut de données nationales, nous disposons de quelques données locales très parcellaires issues d’enquêtes quantitatives reposant sur des populations de faible effectif. En 1991, le taux de prévalence du saf à la maternité de Roubaix était estimé à 1,2 ‰ et celui des autres etcaf à 4,8 ‰ (Dehaene et coll., 1991 ; Inserm, 2001). Entre 2006 et 2008, une étude de faisabilité de la surveillance à la naissance du saf à partir des registres de malformations congénitales a été réalisée par l’invs (Bloch et coll., 2009). Menée auprès de cinq départements, cette étude a été confrontée à des difficultés méthodologiques propres au système de surveillance « passive » et à une faible mobilisation des services hospitaliers, ce qui contribue à une sous-estimation des taux de prévalence du saf et des autres tcaf. À l’issue de cette étude, seuls 12 nouveau-nés ont été diagnostiqués et confirmés porteurs du saf à 9 mois et 17 qualifiés de « cas douteux » ou potentiellement porteurs de tcaf. Par ailleurs, le taux de prévalence du saf rapporté par cette étude est très variable non seulement d’un département à l’autre (0,53 ‰ en Alsace et 0,06 ‰ en Rhône-Alpes), mais aussi d’une année à l’autre (0,81 ‰ en 2006 et 0,29 ‰ en 2007 en Alsace). À la même période, une étude auprès des maternités d’Auvergne révèle un taux de prévalence du saf de 1,8 ‰ (Chazeron et coll., 2008). Plus récemment encore, ce taux mesuré à partir du programme de médicalisation des systèmes d’information (pmsi), est évalué à 0,09 ‰ avec un taux nettement plus élevé à l’île de la Réunion, en Haute-Normandie, dans le Nord-Pas-de-Calais, en Auvergne et en Alsace (Bloch et coll., 2009). Ces disparités régionales tiennent certes à des niveaux différents de consommation d’alcool mais aussi au fait que de nombreux nouveau-nés ne sont pas diagnostiqués dans les régions où les professionnels de santé ne sont pas sensibilisés à ce syndrome. En dépit du caractère parcellaire et fragile de ces données, il est notable qu’avec un risque avant tout de sous-estimation, plusieurs d’entre elles retrouvent des incidences comparables à celle de la littérature internationale, autour de 1 ‰ pour les formes complètes de saf, accréditant l’hypothèse d’une situation d’ordre de grandeur comparable en France.
Coût sociétal du handicap lié à l’alcoolisation fœtale
34 En France, il est d’autant plus difficile de mesurer le coût financier du saf et des autres tcaf pour la société que ce coût est fonction d’un taux de prévalence du syndrome encore très mal connu, fonction de l’investissement spécifique des équipes médicales dans le diagnostic s’expliquant par l’histoire loco-régionale.
35 À ce jour, une seule étude a été menée en France sur le coût de ce handicap lié à l’alcoolisation fœtale (Guyet, 2009 ; Guyet-Job et coll., 2012). Elle rapporte un coût individuel (prenant en compte la prise en charge médicale, sociale, médico-éducative, éducative et familiale) jusqu’à l’âge de 20 ans de 520 000 euros pour la forme la plus grave (Guyet, 2009). La rareté des publications françaises s’explique aussi par le tabou entourant ce sujet dans une société française où « la santé n’avait pas de prix jusqu’à il y a peu » (Guyet-Job et coll., 2012) contrairement aux pays anglo-saxons où les publications sur les coûts économiques des troubles causés par l’alcoolisation fœtale sont nombreuses (Harwood et Napolitano, 1985 ; Abel et Sokol, 1991 ; Rice et coll., 1991 ; Lupton et coll., 2004 ; Lupton, 2003 ; Stade et coll., 2006 ; Fuchs et coll., 2008 ; Thanh et Jonsson, 2009).
36 Les publications américaines et canadiennes sont plus nombreuses mais la comparabilité des coûts rapportés par ces études est difficile en raison de méthodologies et d’indicateurs mobilisés différents. En effet, tous les coûts directs (en matière de santé, d’éducation, de services sociaux pour les Canadiens, et de santé, de logement, d’éducation spécialisée pour les Américains) et indirects (notamment la perte de productivité) ne sont pas toujours intégrés aux estimations finales parfois par manque de disponibilité et d’accessibilité des indicateurs (Popova et coll., 2011). De plus, ce coût est estimé soit pour l’ensemble de la population atteinte une année donnée, soit individuellement pour l’ensemble de la vie avec l’hypothèse d’une espérance de vie à la naissance de 65 ans. Enfin, ce coût est donné le plus souvent pour des populations distinctes, les porteurs des etcaf dans les études canadiennes et pour les porteurs de la forme la plus grave dans les études américaines (ibid.). En conséquence, les coûts enregistrent une variabilité très importante d’une étude à l’autre. Au Canada, le coût annuel pour l’ensemble des porteurs de ces troubles âgés entre 0 et 53 ans était estimé à 5,3 milliards de dollars canadiens en 2009, soit un coût annuel de 22 473 dollars pour chaque personne atteinte (Jacobs, 2010 ; Stade et coll., 2009). Aux États-Unis, le coût individuel à vie d’un porteur du saf était évalué à 2 millions de dollars (Pinto et Schub, 2012). À ces différences méthodologiques de comptage et de population étudiée s’ajoute une autre difficulté majeure : l’impossibilité de la prise en compte de la singularité des trajectoires de vie (Popova et coll., 2011). Enfin, le coût humain supporté par les familles, par définition inestimable financièrement, n’est pas intégré à ces estimations (Guyet-Job et coll., 2012).
Connaissances et représentations : soignants, enseignants, familles et grand public
En population générale
37 La question des connaissances et des représentations de la consommation d’alcool pendant la grossesse a été peu traitée en France comme à l’étranger (Stutts et coll., 1997 ; Audet et coll., 2006). Trois enquêtes sur ce thème en France peuvent être évoquées : la première quantitative et les deux suivantes qualitatives.
38 La première enquête quantitative (Guillemont et Léon, 2008) a été réalisée presque trois ans avant l’application de l’amendement Payet datant du 3 octobre 2007 imposant un message sanitaire sur les bouteilles de boissons alcoolisées préconisant l’abstinence de toute consommation pendant la grossesse. Cette enquête visait à mesurer les connaissances des Français sur les risques liés à la consommation d’alcool pendant la grossesse.
39 Les résultats révélaient que les Français connaissaient, pour la plupart d’entre eux (82 %), la recommandation de l’abstinence pendant la grossesse mais aussi l’existence de risques liés à l’exposition prénatale à l’alcool. Cependant, les résultats mettaient en avant que leurs connaissances étaient imparfaites tant sur les niveaux de consommation que sur les périodes de consommation à risque ou encore sur les différents types d’alcool. Plus spécifiquement, la recommandation de l’abstinence était mal comprise dans la mesure où elle n’était pas perçue comme absolue (33 %), le premier trimestre de la grossesse était perçu comme l’unique période à risque (50 %) et seules les boissons fortement alcoolisées étaient considérées à bannir pendant la grossesse (33 %). Afin de mesurer l’impact des campagnes de prévention « Zéro alcool pendant la grossesse » et de l’apposition du pictogramme sur les bouteilles de boissons alcoolisées sur l’évolution des connaissances des Français quant aux risques liés à la consommation d’alcool pendant la grossesse, l’enquête quantitative menée en 2004 a été renouvelée en 2007 (Guillemont et Léon, 2008). Les résultats montraient une amélioration sensible des connaissances des Français relatives à la recommandation de l’abstinence d’alcool pendant la grossesse (87 %) et les périodes de consommation à risques, avec surtout la permanence du premier trimestre estimé comme seule période à risque (45 %). Cependant leur méconnaissance persistait en ce qui concerne la distinction entre les « alcools doux » et les « alcools forts ». Cette enquête révélait également des résultats différents en fonction de l’âge de l’enquêté (les meilleures connaissances des périodes de risques émanaient des femmes les plus âgées), de son niveau de diplôme, les plus diplômés jugeant inexactes les recommandations relatives au vin.
40 Menée en 2007, la deuxième enquête – cette fois-ci qualitative – visait à identifier les représentations des consommations d’alcool des femmes enceintes (Toutain, 2009, 2011). Le choix a été fait pour cette enquête de recueillir et d’analyser le contenu des discussions de quarante-deux femmes enceintes à différents termes de leur grossesse sur des forums de discussions en ligne. Internet cet outil de communication récent et donc original, a permis le recueil d’un corpus à la fin des années 2000, dans lesquels les femmes s’exprimaient sur le thème « Alcool et grossesse » dans la rubrique « Alimentation et grossesse ».
41 Les résultats tendaient à confirmer ceux des enquêtes quantitatives menées par l’Inpes, à savoir une mauvaise compréhension de la recommandation de l’abstinence, à l’exception des femmes exerçant une profession médicale et des abstinentes. La représentation dominante de ces femmes ne portait pas sur l’abstinence [4] mais plutôt sur la tolérance [5] de quelques écarts de consommation de temps à autre pour se faire plaisir et se détendre. Ce constat se vérifiait surtout chez les mères ayant un niveau d’études élevé (niveaux secondaire et supérieur), et/ou chez les mères ayant consommé de l’alcool pendant leur grossesse. Par ailleurs, pour ces femmes, les différents alcools n’auraient pas les mêmes effets : seuls les alcools forts auraient des effets délétères pour l’enfant à naître. Leurs sources de connaissances concernant la consommation d’alcool étaient diverses : ouvrages scientifiques pour les plus diplômées ; émissions télévisuelles ou sites Internet ou encore campagnes de prévention menées par le gouvernement pour les autres. Il est notable que les informations données par les professionnels de santé au cours des visites prénatales étaient très peu présentes dans le discours de ces femmes. Elles percevaient d’ailleurs leur gynécologue comme une source d’informations contradictoires. Les femmes, surtout celles avec un niveau d’études secondaires, se référaient abondamment à l’expérience de leur mère et minimisaient de ce fait les dangers de la consommation d’alcool. Elles démontraient ainsi concrètement par leur histoire de vie familiale que cette consommation n’avait pas eu forcément des effets délétères sur le fœtus. La mère, avec son récit d’expérience, semblait être la personne dont l’opinion sur la consommation d’alcool avait le plus de poids eu égard aux autres membres de la famille très peu présents dans les discussions de ces internautes.
42 En résumé, cette étude qualitative montre que les représentations des femmes se construisent à partir des perceptions du risque, qui sont fonction des connaissances, du niveau d’études, de la profession exercée, du nombre d’enfants mais aussi de l’expérience de leur propre mère. Par ailleurs, les représentations des femmes des milieux sociaux les moins favorisés s’appuient davantage sur le « sens commun » tandis que celles des femmes des milieux les plus favorisés et/ou exerçant une profession médicale se fondent surtout sur des connaissances scientifiques. Quoi qu’il en soit, la part de cette information obtenue auprès du soignant impliqué dans le suivi de la femme ou de la grossesse apparaît faible.
43 Cette enquête qualitative a été répétée en 2010. Les résultats confirment l’efficacité du message de prévention concernant la nécessité de l’abstinence de toute consommation d’alcool pendant la grossesse (Toutain, 2011). 86,9 % des femmes (Guillemont et Léon, 2008) savent maintenant que la consommation d’alcool pendant la grossesse est nocive pour le fœtus, ce qui les amène à s’interroger en cas de découverte tardive de la grossesse associée à une consommation d’alcool en tout début de grossesse. Néanmoins, les représentations dominantes opposant le « bien boire », les alcools doux et le « mal boire », les alcools forts, persistent : l’équivalence entre les différents types d’alcool est seulement mieux intégrée pour les femmes des milieux sociaux les plus favorisés (Toutain, 2011).
44 Les seules enquêtes quantitatives et qualitatives sur les connaissances et les représentations du grand public relatives aux risques liés à la consommation d’alcool pendant la grossesse menées entre 2004 et 2010 (Guillemont et coll., 2006 ; Guillemont et Léon, 2008 ; Toutain, 2009, 2011) révèlent toutefois une évolution positive des connaissances avec un déplacement de la norme sociale en la matière vers le « zéro alcool ».
45 En revanche, il n’existe pas d’enquête mesurant l’impact du pictogramme et des campagnes d’information sur les niveaux de consommation d’alcool des femmes enceintes (Saurel-Cubizolles et coll., 2013). Deux enquêtes nationales sont disponibles pour mesurer la consommation des femmes enceintes et son évolution : d’une part, l’enquête portant sur la période périnatale menée en milieu médical au moment de l’accouchement (enp, 1995, 1998 et 2010) et d’autre part, l’enquête nationale du Baromètre Santé (Beck et coll., 2011). Pour les enquêtes périnatales, les données disponibles concernent les années 1998 et 2010 car la question relative à la consommation d’alcool avait été retirée en 2003. Ses concepteurs avaient estimé que la sous-déclaration trop importante pour cet item entraînait un manque de fiabilité de l’estimation des quantités. Quant à l’enquête nationale du Baromètre Santé, elle a intégré une variable sur la grossesse seulement depuis 2005.
46 Les résultats de l’enquête périnatale de 1995 et 2010 montrent une relative stabilité de la proportion des abstinentes de 75 % à 77 %, même si cette proportion concernait seulement le troisième trimestre en 1995 (Saurel-Cubizolles et coll., 2013). En conséquence, la proportion de femmes enceintes consommant de l’alcool demeure non négligeable autour de 23 % (Beck et coll., 2011 ; Saurel-Cubizolles et coll., 2013). Cette proportion augmente avec l’âge et la parité, elle est aussi plus importante chez les femmes vivant en couple de cadres supérieurs ou d’agriculteurs, de nationalité française, avec des niveaux d’études élevés (Saurel-Cubizolles et coll., 2013). Les résultats du Baromètre Santé, quant à eux, montrent des proportions plus élevées de consommatrices d’alcool pendant la grossesse de l’ordre de 32 % (Beck et coll., 2013), mais une évolution à la baisse des quantités d’alcool consommées, de près de quatre fois moindre en volume (ibid.). En dépit de ces évolutions favorables, il reste encore un pourcentage non négligeable de femmes enceintes à convaincre de la nécessité de s’abstenir de consommer de l’alcool, mais les campagnes de prévention visant à éloigner les femmes enceintes de l’alcool ont vraisemblablement porté leurs fruits.
Chez les professionnels de santé
47 La majorité des professionnels de santé éprouvent de grandes difficultés à parler d’alcool avec une femme enceinte (Dumas et coll., 2006). Ces difficultés s’expliquent, pour les professionnels les plus âgés, par la quasi-absence de cette problématique dans les programmes d’enseignement en médecine avant les années 1990, et pour les plus jeunes par un enseignement insuffisamment orienté vers l’abord de ce sujet avec la femme enceinte (Toutain, 2009). Les praticiens français sont également globalement hostiles à toute forme de « fichage » des femmes enceintes consommatrices, bien que certaines équipes recourent parfois à des tests biologiques ou à des mesures de signalement des enfants à naître, pratiques communes à d’autres pays (Abel et Kruger, 2002). Néanmoins, depuis quelques années, les professionnels intéressés par cette problématique peuvent compléter leur formation initiale par des formations continues facultatives, dont l’offre (Chabrolle et Chabrolle, 2005 ; Lejeune, 2001) tend à se développer tant au niveau universitaire qu’associatif (saf-France, gega). Notons qu’une faible croissance fœtale (ou une cardiopathie ou une agénésie calleuse) ou un retard de croissance globale ou céphalique, ou encore des troubles neurocognitifs constituent autant de signaux d’alerte d’une éventuelle consommation d’alcool de la mère pendant la grossesse.
48 En dépit du développement de l’offre de formation et des campagnes de prévention, les professionnels de santé semblent toujours assez mal à l’aise pour aborder ce sujet (ministère de la Santé, 2011). La consommation d’alcool pendant la grossesse constitue encore pour eux un sujet tabou en raison du déni de l’alcoolisme féminin et de la peur de heurter ou de culpabiliser la femme enceinte par des questions qu’elle pourrait juger déplacées sur l’alcool. Et quand bien même cette question est abordée par les femmes elles-mêmes, les discours et les recommandations des professionnels de santé restent non homogènes sur les risques et les conséquences pour l’enfant à naître (Toutain, 2009, 2011) avec une tendance à la banalisation du risque pour des consommations considérées souvent comme modérées sans éléments objectifs.
49 De plus, les représentations anciennes associées au syndrome sont encore très ancrées au sein des professionnels de santé. Qualifié de « tragédie du quart monde » (Dehaene et coll., 1981, 1991), les études menées dans les années 1980 ont mis en lumière le fait qu’il concernait davantage les familles nombreuses disposant de faibles revenus, en grande précarité économique, connaissant des problèmes de malnutrition, de violences conjugales, ayant peu accès à l’information médicale et aux soins (Lejeune, 2001). La forte prégnance de ce modèle au sein de notre société conduit de nombreux professionnels de santé à ne pas se sentir concernés par ce problème de santé publique, leurs patientes ne correspondant pas au profil décrit. Or il s’avère que les mères issues des milieux aisés ne sont pas pour autant épargnées, mais elles accèdent plus facilement au diagnostic prénatal et aux soins précoces pour leur nouveau-né que les autres femmes ou échappent aux repérages par les services sociaux (Simmat-Durand, 2009). Cette observation montre le besoin de formation des professionnels de santé sur la manière d’aborder ce sujet sensible avec leurs patientes et la nécessité de travailler sur leurs représentations (Claudon et Toutain, 2014). Le besoin de formation est aussi manifeste pour les professionnels de la justice. Les adolescents et les adultes atteints de troubles causés par l’alcoolisation fœtale sont à haut risque d’être confrontés un jour au système judiciaire aussi bien comme contrevenants que comme victimes (Popova et coll., 2011). Nombreux sont ceux qui finissent en prison, récidivent et/ou sont eux-mêmes victimes (Institute for Health Economics, 2013). Selon une étude canadienne (Popova et coll., 2011), les adolescents porteurs de tcaf auraient dix-neuf fois plus de risques d’être incarcérés une année donnée que les adolescents non porteurs.
Un handicap évitable : niveaux d’intervention pour une prévention généralisée
50 L’enjeu de santé publique que constitue la prise en compte des conséquences de l’epa est majeur compte tenu de la fréquence du problème et du coût humain et sociétal. Cet enjeu est double : d’une part, sortir de l’anonymat médical et diagnostique des personnes affectées par un saf ou un autre tcaf pour mieux les prendre en charge, d’autre part prévenir la maladie en limitant l’epa. En effet, la morbidité induite par l’epa est fondamentalement une morbidité limitable, quand bien même la réalité des addictions ne la rendrait pas totalement évitable.
Prévention en population générale et éducation à la santé
51 La recommandation de ne pas consommer d’alcool pendant la grossesse a été largement diffusée aux professionnels de santé et au grand public depuis l’amendement Payet de 2005 (intégré dans la loi du 11 février 2005 relative aux droits des personnes handicapées et son arrêté du 2 octobre 2006) imposant un message sanitaire à l’intention des femmes enceintes sur les bouteilles d’alcool.
52 Pour le grand public, l’Inpes a mené deux campagnes d’information sur la prévention et une sensibilisation aux risques sanitaires de la consommation d’alcool pendant la grossesse dans les collèges et les lycées. La première campagne a été réalisée à l’automne 2006 au moment de la publication de l’arrêté, et elle s’est traduite par une annonce dans la presse régionale et nationale qui donnait une forte visibilité au pictogramme et au message sanitaire « Zéro alcool pendant la grossesse ». Une seconde campagne a été menée en 2007 et a été étendue à la presse télévisuelle, parentale, féminine et santé, mais aussi à la presse professionnelle médicale (Guillemont et Léon, 2008). Des documents adressés plus particulièrement aux femmes enceintes et abordant cette problématique ont été mis à leur disposition comme « Le guide nutrition pendant et avant la grossesse » (Inpes) ou encore « Le carnet de santé maternité » (ministère de la Santé).
53 Parallèlement à ces campagnes destinées au grand public, l’Inpes, comme la loi l’avait prévu, a diffusé cette information aux professionnels de la santé (gynécologues, sages-femmes, pmi) au moyen d’un courrier de sensibilisation accompagné de cartes postales d’information à remettre aux patientes (Inpes, 2006). En dépit de ces actions et de la diffusion de documents comme « Alcool et médecine générale » (Inpes), il semble toujours difficile pour les professionnels de santé d’aborder ce sujet (ministère de la Santé, 2011). De multiples raisons peuvent être avancées face à cette difficulté : tabou, déni, résignation liée à un sentiment d’incapacité d’agir, désertion de cette problématique considérée comme trop compliquée et dépassant le champ d’inter-vention ou de disponibilité du professionnel.
54 En 2011, un guide « Alcool et grossesse » édité sous l’égide du ministère de la Santé visait à donner des pistes aux professionnels de santé pour aborder la question de l’alcool pendant la grossesse (Anglade et coll., 2011). L’année 2013 a vu la publication d’une fiche mémo par la Haute Autorité de Santé dont l’objectif était d’aider les professionnels de santé à repérer et à orienter, d’une part, les femmes enceintes ayant une problématique avec l’alcool et d’autre part, les enfants à risque d’avoir été exposés à l’alcool (has, 2013).
Prévention primaire périnatale et limitation des risques
55 La prévention primaire périnatale est un enjeu majeur de limitation des risques périnataux dont fait partie l’exposition in utero à l’alcool (Tough et coll., 2005). Les consultations préconceptionnelles au cours desquelles le médecin traitant anticipe le projet de maternité des femmes en âge de procréer et les consultations de suivi de grossesse, y compris l’entretien du quatrième mois de grossesse, constituent des moments clés pour aborder la question des facteurs de vulnérabilité périnataux. Afin de repérer ces facteurs, les professionnels de santé disposent d’outils de dépistage systématique des consommations d’alcool avant et pendant la grossesse (Sokol et coll., 1989 ; Fline-Barthes et coll., 2014) mais aussi de stratégies de conseil et d’intervention ciblée de type entretien motivationnel (Floyd et coll., 2009). Même si ces interventions ne sont pas aisées à mener et leurs effets évidemment non garantis, des études suggèrent fortement leur efficacité au moins partielle (Stade et coll., 2009). La limitation ou la réduction du risque lié à la consommation d’alcool à l’échelle individuelle est aussi un objectif compte tenu de l’effet dose prédisant que toute réduction d’épisodes ponctuels d’alcoolisation (epa) est susceptible d’avoir un bénéfice pour l’enfant et sa mère, constat vérifié en pratique clinique (Rosett et coll., 1980).
Prévention de la récidive
56 Le repérage des mères à haut risque lors du diagnostic de leur enfant (cdc, 1998 ; Astley et coll., 2000) permet la mise en place d’interventions de prévention secondaire pour les grossesses à venir. Ces interventions conduisent à mettre un terme à une histoire intergénérationnelle (Toutain et Lamblin, 2013). Une étude américaine menée dans l’État de Washington mesurant l’impact de ces interventions de prévention secondaire portant sur les formes complètes du syndrome d’alcoolisation fœtale, selon les critères restrictifs d’Astley et de Clarren, montre des résultats très encourageants avec une baisse de la prévalence des troubles causés par l’alcoolisation fœtale avec seulement celle de la positivité du critère d’epa (Astley, 2004).
Nécessité d’une prise en charge précoce adaptée : suivi de l’enfant exposé, diagnostic et soin des personnes affectées
Exposition prénatale à l’alcool (epa) : une indication à un suivi d’enfant vulnérable
57 La notion d’enfant vulnérable sur le plan neurodéveloppemental recouvre toutes les situations où l’adéquation entre les capacités d’un enfant et ses conditions de vie n’est pas optimale, ne garantit pas un développement moteur, cognitif et affectif complet et harmonieux, ce qui peut conduire à un décalage des acquisitions psychomotrices, des difficultés d’apprentissages scolaires et une inadaptation sociale avec perte d’autonomie. Les situations vulnérantes sont donc tant celles qui diminuent les capacités intrinsèques de l’enfant que celles qui dégradent ses conditions de vie et de construction de soi. Les grandes causes environnementales de perturbation précoce du développement cérébral comme la grande prématurité, l’anoxo-ischémie périnatale et l’exposition prénatale aux toxiques comme l’alcool sont responsables d’une grande part de cette vulnérabilité (Msall et coll., 1998 ; Olness, 2003) avec des conséquences relativement comparables en termes de prévalence et de risque encouru. La particularité de l’epa est qu’il s’agit souvent d’un double facteur de vulnérabilité, associant aux déficits constitutifs de l’embryo-fœtopathie alcoolique des conditions de vie dégradées sur le plan socio-économique, éducatif et affectif. Par définition l’expression d’une vulnérabilité neurodéveloppementale n’est pas strictement déterministe et les facteurs prédictifs périnataux ne sont pas meilleurs pour l’epa que pour les autres causes précédemment citées, même si certains ont pu être proposés (par exemple, l’existence d’une microcéphalie, d’épisodes d’alcoolisation paroxystique ou des marqueurs de risques cumulés chez les mères [Coles et coll., 2000]). Dans toutes ces situations pathologiques il est pourtant établi que des interventions précoces visant à stimuler les acquisitions difficiles (rééducation), à éclairer l’investissement éducatif parental (guidance parentale préventive et proactive) et à faciliter l’insertion sociale et communautaire sont modestement mais durablement bénéfiques (Guralnick, 2005 ; Bonnier, 2008 ; Hadders-Algra, 2011). Dans le cas de l’epa l’amélioration des conditions de vie dégradées s’inscrit aussi dans cette stratégie de prise en charge précoce. Afin de dépister au plus tôt les enfants susceptibles de bénéficier de telles interventions, il est donc nécessaire de proposer une surveillance neurodéveloppementale accrue (Msall, 2006) du nourrisson et du petit enfant (âge préscolaire) vulnérables, qui renforce la surveillance recommandée en population générale. Cette démarche d’identification de suivi de l’enfant vulnérable pour des interventions précoces a été poussée dans le cas de l’epa jusqu’à l’expérimentation d’un dépistage universel via le dosage des esters éthyliques d’acides gras dans le méconium, avec référence des enfants dépistés dans un réseau de suivi enfants sains et vulnérables au Canada (« Healthy Babies, Healthy children », Ontario) (Zelner et coll., 2010, 2012).
58 En France, la circulaire relative au cahier des charges national des réseaux de santé en périnatalité (circulaire dhos/01/03/cnamts no 2006-151) [6] identifie à plusieurs reprises l’epa comme un objectif à part entière à travers : l’application des recommandations existantes concernant alcool et grossesse [7] ; la mise en place des stratégies de repérage de l’epa [8] ; la mise en commun de la population maternelle et infantile à haut risque périnatal [9].
59 Il existe un certain retard à la mise en place de cette politique en direction des enfants exposés in utero à l’alcool et donc à risque de tcaf même si certains réseaux régionaux ont commencé à travailler dans ce sens (par exemple le Réseau périnatalité en région Haute-Normandie, le Réseau périnatal Naître et Grandir en Languedoc-Roussillon, le Réseau périnatal Paris Nord-Est). Quoi qu’il en soit de ces prises en charge en réseau et de leur seuil d’éligibilité, l’identification d’une epa significative devrait conduire à un renforcement de la surveillance du développement psychomoteur et des apprentissages par la pmi, le pédiatre ou le médecin traitant, avec une vigilance accrue concernant les conditions de vie et d’éducation de l’enfant pouvant impliquer des intervenants du secteur social. L’objectif commun à tout suivi d’enfant vulnérable est de mettre en place les soutiens médico--psychosociaux adaptés s’il existe des fragilités familiales patentes et de proposer des interventions précoces devant toute perturbation des acquisitions psychomotrices ou des apprentissages.
Circonstances évocatrices du diagnostic : de nombreuses portes d’entrée à ne pas négliger
60 La notion d’une epa à travers le suivi de l’enfant exposé in utero à l’alcool est la porte d’entrée naturelle du diagnostic d’un tcaf mais ce n’est évidemment pas la seule, et probablement pas la principale à l’heure où le dépistage périnatal de cette vulnérabilité est sinon insuffisamment pratiqué du moins insuffisamment efficace. Les outils développés pour ce dépistage prospectif pendant et avant la grossesse ont été évoqués précédemment (Sokol et coll., 1989 ; Fline--Barthes et coll., 2014) et font l’objet, en France, d’un guide à l’usage des professionnels édité par le ministère de la Santé (Anglade et coll., 2011). Leur généralisation devrait permettre de mieux identifier les enfants vulnérables. À distance de la période périnatale, l’identification de populations à haut risque d’epa, et donc de tcaf, a aussi été proposée : enfants placés, enfants adoptés, contexte d’abus d’autres substances par la mère (Astley et coll., 2002 ; Landgren et coll., 2010 ; Tenenbaum et coll., 2011), voire personnes incarcérées qu’elles soient encore mineures ou pas (Popova et coll., 2011). Une attention particulière doit être portée dans ces populations aux symptômes, en particulier neurocognitifs et comportementaux, évocateurs de tcaf.
61 À l’inverse, il faut savoir évoquer l’alcoolisation fœtale, alors que l’epa n’est pas connue a priori, dans de nombreuses situations pathologiques où elle constitue un diagnostic différentiel pertinent par argument de fréquence, puis se donner les moyens par l’analyse clinique anamnestique, dysmorphologique et syndromique de la confirmer ou de l’éliminer. L’ensemble de ces circonstances à risque ou évocatrices est répertorié en France dans une fiche mémo de la Haute Autorité de Santé relative au repérage du saf et des autres tcaf (has, 2013).
62 En anténatal, le grand signe d’appel échographique est bien entendu le retard de croissance intra-utérin, surtout s’il est proportionnel, c’est-à‑dire associé à un déficit de croissance du périmètre crânien. L’existence d’une agénésie calleuse totale ou partielle doit aussi faire évoquer le diagnostic puisque environ 1 saf complet sur 10 présente une anomalie calleuse (Astley et coll., 2009a ; Lebel et coll., 2011). De même, certaines malformations cardiaques, en particulier les communications inter-atriales, interventriculaires et dans une moindre mesure la tétralogie de Fallot, sont particulièrement fréquentes en cas de tcaf et surtout de saf (Löser et Majewski., 1977 ; Dupuis et coll., 1978 ; Smith et coll., 1981 ; Burd et coll., 2007), même si elles constituent des critères peu spécifiques et peu sensibles qui ne sont plus retenus dans toutes les classifications syndromiques. Il est notable que ces signes d’appel échographique constituent des motifs très fréquents de recours à un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (cpdpn).
63 Après la naissance, l’association retard de croissance staturo--pondéral et microcéphalie, même relative (estimer le pc cible à partir des pc parentaux et dans la fratrie), est aussi une circonstance de consultation pédiatrique non spécifique relativement fréquente mais évocatrice. En cas de découverte postnatale d’une communication intracardiaque anormale ou d’une anomalie calleuse, la question de l’epa doit aussi être soulevée. Mais au-delà de l’ensemble de ces points d’appel anatomiques et anthropométriques, ce sont les manifestations fonctionnelles qui constituent la première porte d’entrée des tcaf en pratique pédiatrique et pédopsychiatrique, ce d’autant qu’elles peuvent en constituer la seule manifestation cliniquement décelable. Par argument de fréquence et compte tenu de la grande variété de sévérité et d’expression cognitivo-comportementale des tcaf, il faut évoquer ce diagnostic devant : un retard psychomoteur (décalage des acquisitions psychomotrices), un trouble des apprentissages précoce et scolaire, un trouble de l’attention, un trouble du comportement et/ou de l’adaptation sociale inexpliqués, même en l’absence de notion claire d’alcoolisation durant la grossesse. De façon plus syndromique, ces situations recouvrent des déficits intellectuels le plus souvent légers (parfois modérés), des efficiences intellectuelles limites, des déficits attentionnels avec hyperactivité régulièrement associés à des comportements oppositionnels avec provocation (ou comportements opposants/défiants) (Kodituwakku, 2009 ; Mattson et Riley, 2011). Si l’inadaptation sociale et l’instabilité émotionnelle sont fréquentes (Kully Martens et coll., 2012 ; Molteno et coll., 2014) et potentiellement associées à des difficultés dans l’utilisation fine et pragmatique du langage (Coggins et coll., 2007 ; Thorne et coll., 2007 ; Wyper et Rasmussen, 2011), le syndrome autistique n’est pas, sauf exception, un mode de présentation. Pour préciser la portée diagnostique d’un trouble de l’adaptation et du comportement, il est possible de s’appuyer sur l’échelle comportementale en contexte d’alcoolisation fœtale proposée par Ann Streissguth et ses collaborateurs (1998). Il faut enfin remarquer que l’existence d’une épilepsie d’allure généralisée est une situation fréquente chez l’enfant exposé in utero à l’alcool (Bell et coll., 2010), même si la prévalence très élevée de ce problème en population pédiatrique n’en fait pas une circonstance évocatrice du diagnostic de tcaf.
Intérêt du diagnostic et objectifs de la prise en charge des tcaf : soulager, adapter, protéger
64 Les objectifs de la prise en charge du saf et des autres tcaf sont communs à ceux des autres maladies du développement responsables de troubles cognitifs et comportementaux de sévérité comparable, mais ils s’inscrivent dans un contexte rendu singulier par le facteur étiologique et son contexte qui exacerbe à la fois certaines souffrances, certains besoins et certains risques.
65 L’intérêt premier du diagnostic est souvent de soulager la quête d’explications parentales et de rectifier certaines interprétations erronées ou réductrices des difficultés de l’enfant : problèmes strictement éducatifs ou strictement liés à un parcours de vie difficile. Le caractère culpabilisant du diagnostic pour la famille biologique, particulièrement pour la mère, doit conduire à bien préparer et encadrer l’annonce (Salmon, 2008), mais ne doit pas servir de prétexte à renoncer à celle-ci, encore moins à l’investigation de l’epa. En effet, les études réalisées chez les mères consommatrices d’alcool (Salmon, 2008 ; Astley et coll., 2000 ; Astley, 2013) comme en population générale (Hicks et coll., 2009) montrent que les femmes sont demandeuses d’information pour elles et leurs enfants, favorables au diagnostic et au dépistage à partir du moment où une prise en charge leur est proposée. Il est frappant en pratique clinique, comme dans les rares études qui abordent ce point (Salmon, 2008), de voir combien l’absence de réponse diagnostique claire est pourvoyeuse de souffrance et d’impossibilité d’alliance thérapeutique. L’accumulation des diagnostics fonctionnels (dah, « trouble oppositionnel », « multidys », etc.) ne recouvrant qu’une partie des difficultés des enfants est, elle aussi, mal vécue. Cette réalité est aussi retrouvée en contexte d’adoption. Finalement, il est probablement révélateur de constater qu’indépendamment de la prise en charge proposée, le devenir adaptatif et émotionnel des enfants présentant un saf ou un autre tcaf est meilleur en cas de diagnostic précoce (Alex et Feldmann, 2012).
66 Le diagnostic étiologique est aussi très utile pour guider une prise en charge dont l’objectif est in fine d’augmenter les capacités adaptatives de l’enfant en palliant au mieux les déficits primaires et en limitant au maximum l’apparition de handicaps secondaires. L’analyse fonctionnelle et comportementale d’un enfant présentant des troubles neurodéveloppementaux est un exercice difficile à l’échelle individuelle et pourtant indispensable pour proposer des interventions ciblées et réellement adaptées à ses besoins. Elle repose sur les évaluations neuropsychologiques, psychoaffective et pédagogique. Les connaissances issues des études de groupes homogènes sur le plan étiologique, lorsqu’elles sont disponibles comme pour l’alcoolisation fœtale, permettent à la fois d’orienter ces explorations et de mieux les interpréter. En cas de saf ou d’autre tcaf, ces données de la littérature sont d’autant plus intéressantes que les résultats des évaluations « sur table », décontextualisées, peuvent se révéler décevants, mettant en évidence un niveau intellectuel limite ou dans la moyenne basse, peu dissocié en dehors d’un déficit attentionnel. Le caractère très dysexécutif par exemple peut n’être visible que dans l’anamnèse ou les grilles d’évaluation parentale et enseignante [10], révélé lorsque l’enfant évolue dans son milieu familial ou scolaire. Par ailleurs, la nature des déficits, réels mais volontiers peu visibles ou mal compris, autant que le contexte de vie souvent fragilisant sont responsables de l’apparition secondaire de troubles du comportement et de l’adaptation sociale qui grèvent l’insertion des sujets alors qu’ils sont au moins en partie évitables (Streissguth et coll., 1996). La prévention de ce surhandicap est l’un des objectifs principaux de la prise en charge.
Interventions spécifiques ou validées dans le contexte de la prise en charge globale des tcaf
67 Le caractère multifactoriel des difficultés rencontrées par les enfants présentant un saf ou un autre tcaf, tant compte tenu du caractère assez généralisé des déficits que de l’existence de facteurs environnementaux défavorisants, rend l’élaboration de stratégies d’intervention difficile. Pour être efficace, il s’agit tout à la fois de cibler les déficits primaires clés, c’est-à‑dire ceux qui perturbent le plus le fonctionnement écologique de l’enfant au-delà des scores standards des tests, et de tenter d’atténuer les différents désavantages environnementaux qui accompagnent le parcours de ces enfants (Paley et O’Connor, 2009). Dès lors, les interventions proposées ne concernent pas seulement l’enfant mais doivent aussi s’adresser à ses parents ou responsables (entourage, enseignants…), voire à son cadre de vie.
Les tcaf répondent aux interventions rééducatives, psychothérapeutiques et pédagogiques
68 L’éventail des interventions proposées et rapportées dans la littérature est trop important pour faire l’objet d’un rapport détaillé, ce d’autant que peu nombreuses sont celles dont la pertinence sinon l’efficacité est évaluée. Plusieurs revues critiques rigoureuses sur le plan méthodologique ont récemment fait le point sur la validation de ces interventions (Chandrasena et coll., 2009 ; Paley et O’Connor, 2009, 2011 ; Peadon et coll., 2009 ; Bertrand, 2009 ; Kodituwakku et Kodituwakku, 2011). En dépit du faible nombre d’études remplissant les critères de qualité minimum requis en termes de niveau de preuve (12 seulement pour Peadon et coll., 2009), il ressort de ces revues que des bénéfices durables peuvent être obtenus dans cette population pourtant difficile à prendre en charge. Il faut rappeler que la logique de ces interventions est aussi soutenue par les résultats de plusieurs études dans les modèles animaux murins qui documentent l’effet bénéfique des soins maternels au nouveau-né, de l’enrichissement de l’environnement postnatal et de séances de réhabilitation motrice (Hanningan et coll., 2007 ; Idrus et Thomas, 2011).
69 Dans le domaine rééducatif et pédagogique, des stratégies visant à améliorer le fonctionnement exécutif ont été régulièrement proposées puisque ce déficit est considéré comme particulièrement handicapant au cours des tcaf. Trois études rigoureuses rapportent l’effet positif significatif d’une thérapie de contrôle cognitif en milieu scolaire (Adnams et coll. dans Riley et coll., 2003), d’autorégulation par le psychomotricien ou l’ergothérapeute (Wells et coll., 2012) et -d’entraînement attentionnel comportemental (Vernescu, 2007). Afin de compenser ce déficit d’organisation et d’autonomisation dans le travail, c’est autant la stratégie pédagogique qui doit être modifiée que l’environnement de travail de l’enfant (ergothérapie) afin qu’il puisse constituer un élément structurant de son fonctionnement cognitif et de son comportement en classe, une sorte de « cerveau extérieur » (Green, 2007 ; Kalberg et Buckley, 2006). Dans le registre des fonctions exécutives ou limitantes pour le fonctionnement global, l’entraînement de la mémoire de travail a été proposé avec un effet bénéfique s’étendant au-delà de l’augmentation des empans (Loomes et coll., 2008), à l’instar de ce qui a pu être retrouvé dans d’autres contextes pathologiques (par exemple la trisomie 21, Broadley et MacDonald, 1993 ; Comblain, 1994). Au-delà des fonctions exécutives, l’efficacité d’une stratégie originale de rééducation logico-mathématique couplée à des mesures comportementales a été rapportée (Kable et coll., 2007 ; Coles et coll., 2009), de même que celle d’une intervention orthophonique sur le langage et l’accès à l’écrit (Adnams et coll., 2007).
70 Dans le domaine éducatif et social, deux études rigoureuses ont montré l’intérêt d’interventions visant à l’amélioration des comportements adaptatifs (exercices de réalité virtuelle) (Coles et coll., 2007) et des habiletés sociales (comportement avec les amis) (O’Connor et coll., 2006). En dépit d’un certain défaut de généralisation des acquis (à la maison mais pas à l’école par exemple), ces stratégies ont montré un impact mesurable en dehors du cadre de l’intervention.
71 Le maintien dans le temps des bénéfices obtenus à la fin des interventions est une question récurrente, même si dans la pratique la durée proposée dépasse volontiers celle testée dans les études. En dépit de cette limitation méthodologique, trois études parmi celles précédemment citées rapportent le maintien à 1, 3 et 6 mois des bénéfices obtenus dans des domaines aussi variés que la mémoire de travail, les habiletés sociales et le raisonnement logico-mathématique (Loomes et coll., 2008 ; O’Connor et coll., 2006 ; Coles et coll., 2009).
Les traitements médicamenteux sont des adjuvants précieux des interventions non pharmacologiques
72 Compte tenu de la fréquence du dah ou des comportements oppositionnels avec ou sans provocation chez les enfants présentant des tcaf, des traitements psychostimulants ou contenants et anti--impulsifs comme les neuroleptiques et la clonidine sont souvent proposés comme adjuvants des interventions non pharmacologiques précédemment discutées (Frankel et coll., 2006 ; Rowles et Findling, 2010). L’expérience clinique au moins à court terme est en faveur de types de prescriptions symptomatiques qui doivent être progressives dans les dosages proposés, adaptées et réévaluées à l’échelle individuelle en fonction de la réponse des troubles ciblés. Pour autant, les études de validation sont rares dans cette population, ce qui n’exclut pas que des enfants présentant des tcaf en particulier sans saf aient été inclus dans les études beaucoup plus nombreuses retenant la seule présence d’un syndrome fonctionnel (dah) sans considération étio-logique. En la matière, les études dans les modèles animaux sont rares et peu informatives (Ulug et Riley, 1983 ; Hanningan et Randall, 1996). Néanmoins, deux études rigoureuses (schéma expérimental croisé) mais portant sur des effectifs très réduits montrent qu’un bénéfice du traitement par méthylphénidate est démontrable en contexte de tcaf avec hyperactivité (Synder et coll., 1997 ; Œsterheld et coll., 1998). L’éventuelle supériorité des amphétaminiques classiques sur le méthylphénidate a par ailleurs été discutée (O’Malley et coll., 2000), cette discussion n’ayant pas d’objet en France compte tenu de l’absence d’alternative thérapeutique à cette dernière molécule. Pour ce qui est des neuroleptiques, en particulier la risperidone, leur utilité est confortée par une étude mesurant l’effet potentialisant des traitements médicamenteux sur les interventions comportementales visant à l’amélioration des habiletés sociales (Frankel et coll., 2006).
73 Au-delà de l’évaluation à l’échelle du groupe de ces stratégies thérapeutiques adjuvantes, il faut signaler qu’il n’y a pas aujourd’hui d’argument pour limiter la prescription des traitements psychotropes à visée symptomatique chez les personnes présentant un tcaf à partir du moment où leur indication est retenue sur des critères cliniques validés par ailleurs (troubles attentionnel, anxieux, dépressif, etc.). Il convient néanmoins de rappeler que, pour limiter les effets indésirables en particulier initiaux, leur maniement doit être d’autant plus prudent et rigoureux que le terrain sous-jacent est fragilisé par une maladie neurodéveloppementale complexe.
L’implication des parents dans la prise en charge sociofamiliale est indispensable
74 L’implication des parents ou des responsables légaux dans la prise en charge des enfants porteurs de troubles neurocognitifs est une nécessité tant pragmatique que morale. Dans les contextes fragilisés, voire défavorisés, qui accompagnent souvent l’alcoolisation fœtale, ceux-ci sont fréquemment en difficulté par eux-mêmes ou devant les difficultés de leur enfant. Des soins spécifiques, de même qu’un soutien socio-économique, sont parfois nécessaires, en particulier en cas d’alcoolisme ou de difficultés psychologiques trop importantes. Dans ce contexte, l’importance de la formation des travailleurs sociaux (Wright, 1981), des interventions médico-sociales précoces (Titran, 1998) et du soutien aux familles (Olson et coll., 2009) a été largement argumentée. Des prises en charge globales ciblant autant l’enfant que les parents ont été proposées (Mulvihill et coll. dans Bertrand, 2009 ; Olson et coll. dans Bertrand, 2009 ; Leenars et coll., 2012) afin que ces derniers puissent comprendre et effectuer les démarches nécessaires au soin de l’enfant, adapter leur stratégie éducative, aider les personnels non spécialisés intervenant auprès de l’enfant et promouvoir le maintien et la généralisation des progrès réalisés au cours d’interventions rééducatives et psychothérapeutiques souvent proposées sur un temps réduit. Ce soutien doit aussi favoriser une meilleure gestion du stress parental induit par les difficultés de l’enfant et promouvoir une relation positive entre parents et enfant. Cela passe souvent par l’explication de la nature primitivement neurodéveloppementale des dysfonctions observées là où une perception souvent plus culpabilisante pour l’enfant s’est souvent installée. Ainsi, le couplage d’intervention de renforcement de compétence chez les parents à la rééducation (mathématique) ou la psychothérapie (habiletés sociales) de l’enfant a été proposé avec des résultats encourageants en particulier en termes de rémanence des progrès (O’Connor et coll., 2006 ; Coles et coll., 2009).
Lexique et correspondances terminologiques
75 epa : exposition prénatale à l’alcool (pae : Prenatal Alcohol Exposure)
76 saf : syndrome d’alcoolisation fœtale complet ou partiel (fas : Fetal Alcohol Syndrome)
77 tcaf : troubles causés par l’alcoolisation fœtale ou troubles neuro-développementaux en contexte d’alcoolisation fœtale (fae: fetal alcohol effects or arnd : Alcohol Related Neurodevelopmental Disorders)
78 etcaf : ensemble des tcaf (fasd : Fetal Alcohol Spectrum Disorders)
79 tcaf-ns : tcaf non syndromique (pas de syndrome malformatif) ou non spécifiques (ne réunissant pas les critères du saf) (fae or arnd)
80 En pratique, tcaf et etcaf sont de plus en plus confondus tels que tcaf = saf + tcaf-ns.
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Mots-clés éditeurs : troubles causés par l’alcoolisation fœtale, syndrome d’alcoolisation fœtale, Exposition prénatale à l’alcool
Mise en ligne 27/11/2017
https://doi.org/10.3917/cont.046.0039Notes
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[1]
Inserm, Déficiences intellectuelles. Collection Expertise collective, Montrouge, edp Sciences, 2016.
https://www.inserm.fr/thematiques/sante-publique/expertises-collectives -
[2]
Voir p. 53, « Variabilité d’expression… ».
-
[3]
Ibid.
-
[4]
Ne pas avoir consommé de l’alcool au cours des douze derniers mois.
-
[5]
Avoir consommé de l’alcool une à deux fois par mois au cours des douze derniers mois.
-
[6]
Circulaire dhos/01/03/cnamts n° 2006-151 du 30 mars 2006 relative au cahier des charges national des réseaux de santé en périnatalité, ministère de la Santé et des Solidarités, 2006.
-
[7]
« Le réseau a connaissance de l’actualité de ces recommandations et de ces référentiels élaborés au plan national par les sociétés savantes impliquées dans la périnatalité et par la Haute Autorité en santé. Il les diffuse et les applique en son sein […]. À titre d’exemple, seront concernés : […] la conférence de consensus concernant grossesse et tabac, grossesse et alcool. »
-
[8]
« Alcool : le réseau met au point une stratégie de repérage et de quantification de la prise d’alcool pendant la grossesse, et décrit les modalités de prise en charge proposées, notamment les liens organisés avec les centres d’alcoologie. »
-
[9]
« Population des mères à haut risque périnatal : […] alcoolisation maternelle. »
« Les enfants concernés : […] il convient de choisir des groupes qui paraissent les plus à risque et notamment : […] les enfants présentant un risque particulier éventuel sur le plan psychique et/ou somatique. » -
[10]
Par exemple la brief, inventaire d’évaluation comportemental des fonctions exécutives.