Notes
-
[1]
Traduction approximative : gribouillis. Cf. Claude Chassagny qui écrit : « Chacun choisit un crayon de couleur différent. Celui qui commence ferme les yeux et gribouille : il laisse son crayon se promener librement sur la feuille, sans du tout le diriger. Puis il rouvre les yeux et découvre le tracé qu’il a produit. Il tend alors la feuille à son partenaire qui transforme en un dessin signifiant tout ou partie du gribouillage, selon ce qu’il y voit. Puis, nouvelle feuille blanche, nous échangeons les rôles. Bien souvent, nous quittons à regret ce jeu auquel nous consacrerons une grande partie des séances suivantes, tant il est riche de plaisirs et de découverte » (ndlr).
-
[2]
Allusion au crime d’honneur. Cf. Marina Kousouri (2010), « Le Zeibekiko Long pour Nikos Clinique des crimes d’honneur en Grèce contemporaine. Recherches sur l’envers morbide de l’idéal », Recherches en psychanalyse, 1, 9, p. 200 (ndlr).
Revues et articles
Théorie de l’attachement. De la dépendance à l’autonomie, Romain Dugravier, Odile Faure-Fillastre, Anne-Sophie Mintz. Enfances&psy, n° 66, 2015, 18 €
1Initialement élaborée par John Bowlby dans les années 1950, la théorie de l’attachement a ouvert un champ de la psychologie qui traite d’un aspect vraiment spécifique des relations entre êtres humains. Elle repose sur la constatation aisément réalisable qu’un jeune enfant a besoin, pour connaître un développement social et émotionnel normal, de développer une relation d’attachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et continue (caregiver). La séparation significative de cette figure familière, ou de fréquents changements de caregiver empêchent le développement de l’attachement et peuvent à un moment ultérieur de la vie être la source de psychopathologies lourdes. Dès lors, la théorie de l’attachement permet de mieux comprendre les enjeux des relations interpersonnelles et la place des adultes dans le développement de l’enfant.
2D’abord pensée pour le bébé et le jeune enfant, cette théorie a ensuite trouvé des applications précieuses pour analyser par exemple les difficultés de l’adolescence ou explorer le style de parentalité. Formalisée par le psychanalyste John Bowlby dans le sillage des travaux de Donald W. Winnicott, Konrad Lorenz et Harry Harlow, cette théorie a été introduite en France en grande partie grâce aux travaux de Myriam David, Antoine et Nicole Guédeney et depuis, elle évolue sans cesse, permettant un regard nouveau sur certaines problématiques actuelles, telles que l’adoption, les situations de séparations parentales, les difficultés d’apprentissage à l’école, ou encore le placement…
3Sa place a pris en France une ampleur telle que les professionnels de l’enfance de diverses origines, services de psychiatrie-infanto-juvénile, Aide sociale à l’enfance, camsp, Éducation nationale et bien d’autres, y ont de plus en plus fréquemment recours. Quels en sont les concepts-clés ? Les développements les plus récents ? C’est là l’objet de ce dossier que les professionnels de la petite enfance auraient intérêt à lire avec attention, tant il est vrai que l’attachement est primordial pour l’évolution psychologique des enfants.
4Roger Salbreux
5Pédopsychiatre
6Secrétaire de rédaction
7♦ ♦ ♦
Variations de genre, Jean Chambry, Didier Lauru. Enfances&psy, n° 69, 2016, 18 €
8Le « genre » et « l’approche de genre » sont assez souvent mal compris en France. Issu de l’anglais Gender, le genre est un concept sociologique désignant les « rapports sociaux de sexe », et de façon concrète, l’analyse des statuts, rôles sociaux, relations entre les hommes et les femmes. La problématique contemporaine autour du genre provoque de nombreux débats, surtout dans le social, controverses souvent extrêmement passionnées, mais aussi des polémiques entre cliniciens, le tout au prix de nombreuses confusions entre les notions de sexe, de genre et d’identité. Par ailleurs, l’analyse de genre est une méthode de travail très utilisée : elle permet par exemple l’identification et la déconstruction des stéréotypes liés au féminin et au masculin, ainsi que le questionnement des normes sociales et économiques qui conditionnent les rapports entre les sexes (hétérosexualité, patriarcat, domination, productivisme…) et qui contribuent à reproduire les inégalités de genre.
9En tant que professionnels de l’enfance, il importe de disposer de modèles permettant de penser le développement de l’enfant et en particulier sa construction identitaire dans toutes ses dimensions en s’appuyant sur les nombreux travaux, issus aussi bien des psychanalystes que des neuroscientifiques et des cognitivistes. Quel est l’impact des notions de genre sur le regard porté sur les enfants et les adolescents ? Quel rôle joue-t-il dans leur développement et leur orientation sexuelle ? Nombre de questions cruciales auxquelles ce dossier contribue à apporter des réponses.
10R. S.
11♦ ♦ ♦
Le corps parlant, Sur l’inconscient au xxie siècle. Revue Scilicet, n° 1, 2015, 25 €
12Entre 1968 et 1976, J. Lacan créait et animait une revue dans la collection « Champ Freudien » aux éditions du Seuil, du numéro 1 au numéro double 6/7. Scilicet, repris d’un verbe latin conjugué, signifie « tu peux savoir » ou encore « il apparaît évident ». Entre théorie et clinique, cette revue était caractérisée par le fait que seul J. Lacan signait ses articles, tous les autres contributeurs devant rester anonymes. Bien évidemment, à l’époque et/ou aujourd’hui, on pouvait ou peut se douter de leurs noms, au moins pour certains. Parmi eux, il y en a qui ont depuis revendiqué la paternité de quelques articles… Quoiqu’il en soit, ladite revue renaît aujourd’hui de ses cendres chez un nouvel éditeur. Mais cette fois, tous les noms d’auteurs apparaissent. Il y a une autre nouveauté. En effet, elle se présente sous la forme d’un abécédaire réuni sous un titre, ici le corps tel qu’il exprime l’inconscient d’aujourd’hui. Et bien sûr, précédé d’un article de présentation de l’inévitable J.-A. Miller. Cela va donc de « Amur », « Anatomie » et « Androgynie » à « Vacuité sémantique » et « Voyeur », en passant par « Body art », « Castration », « Délire », « Identité sexuelle », « Intimité », « Maltraitances » ou encore « Psychosomatique », « Ségrégation » et « Sex-toys ». Chaque contributeur expose en une à trois pages sa perception de ces vocables, en référence aux thèses lacaniennes et à son expérience clinique. Cela constitue donc très souvent, pour ne pas dire toujours, une gageure. Mais pire, cela favorise une expression le plus souvent empreinte de clichés déguisés derrière une phraséologie absconse. Toutefois, de nombreux autres articles dépassent ces défauts et relancent utilement nos propres réflexions.
13À signaler, enfin, que cette « nouvelle » revue lacanienne a pour objectif de reproduire des textes préparatifs aux congrès de l’Association mondiale de Psychanalyse, avec, du côté français, des représentants de l’École de la Cause Freudienne. Ceux de ce numéro se réfèrent ainsi au congrès de 2014 à Paris et au prochain qui aura lieu en 2016 à Rio de Janeiro.
14Jean-Tristan Richard
15Psychologue-analyste (22000 Saint-Brieuc)
16Ancien directeur adjoint du camsp-ipp
17(75014 Paris)
18♦ ♦ ♦
Sous les protocoles, il court, il court le désir, Association Cause freudienne Val de Loire-Bretagne. Revue Accès, n° 8, 2015, 15 €
19Encore une revue lacanienne. Celle-ci émane de professionnels des régions Bretagne et Val de Loire appartenant à la Cause Freudienne. Elle sort au rythme de trois numéros par an. On trouvera donc là aussi nombre de références aux écrits de J. Lacan – souvent pour montrer en quoi son génie avait prévu les changements de notre société et les modifications des pathologies… Mais ici, les auteurs développent pour ce faire nombre d’illustrations cliniques très concrètes et très vivantes. Il s’agit du n° 8 de ladite revue centrée aujourd’hui autour du thème de la multiplication des référentiels de procédures, protocoles, grilles et évaluations qui envahissent au quotidien divers secteurs : santé, justice, éducation, etc. Il y a là, montrent-ils, un processus sournois de rentabilisation et de « normativation » soi-disant pour le bien des « usagers ». Or, la psychanalyse montre que ces objectifs s’avèrent pervers en ce qu’ils cherchent à éluder son principe même, ainsi que celui de l’accueil des souffrances : il ne s’agit pas de dire ce qui est bien et/ou d’interpréter les symptômes, mais de permettre au sujet de s’écouter dire quelque chose de ses difficultés et de ses désirs. Les vignettes cliniques sont celles d’adultes et d’enfants et ont pour cadre des cures individuelles aussi bien que des expériences institutionnelles (hôpital psychiatrique, hôpital de jour pour enfants, centre médico-psychologique, institut de rééducation, foyer de l’enfance, etc.). Les praticiens intéressés par la manifestation psychosomatique, l’inhibition scolaire, le spectre autistique, l’auto et l’hétéro-agressivité, la transmission pathologique familiale, la turbulence et la désobéissance de l’enfant, le ratage amoureux, trouveront là quelque miel. Il en résulte, au-delà de cette diversité, grâce à une quinzaine d’intervenants, un fil rouge pour défendre l’éthique freudienne face aux méthodes gestionnaires. En d’autres termes, la psychanalyse maintient de manière unique, autant que faire se peut, l’ouverture à la subjectivation. Ce numéro de cette revue dirigée par G. Guilaumé et M.-C. Ségalen est sinon incessamment passionnant, au moins toujours stimulant. À noter que ce dossier est précédé d’une interview d’Éric Laurent et suivi de deux rubriques, l’une dédiée au cinéma et au théâtre, l’autre à la clinique contemporaine de la maternité et à celle de la jouissance.
20J.-T. R.
21♦ ♦ ♦
Le sexuel infantile et ses destins, Revue française de psychanalyse, n° 5, 2015, 31 €
22Cette fois, un organe du freudisme « orthodoxe », avec ce numéro spécial de la fameuse revue de l’Institut de Psychanalyse de Paris. Nous en avons déjà présenté quelques titres. Ce dernier numéro de l’année reprend les travaux du congrès des psychanalystes de langues romanes consacré à la sexualité infantile qui avait eu lieu à Paris en mai 2015. Deux rapports, ceux de C. Seulin et de D. Suchet, servent de points de départ à des réflexions et des discussions pour plus de quarante analystes. Il est, bien sûr, impossible de les résumer ici. On peut dire toutefois qu’il s’agit de circonscrire le sexuel infantile, tel qu’il se vit pour le bébé, tel qu’il s’exprime dans la sexualité infantile et tel qu’il se manifeste dans le fonctionnement psychique adulte. Un sexuel infantile toujours entre innocence et perversion, comme entre excitation et représentation. C. Seulin propose un retour aux textes freudiens, puis présente une théorisation axée sur les notions de plaisir, fantasme et créativité. Il aborde le thème, enfin, quant aux patients limites. D. Suchet nous montre le jeu dialectique entre la sexualité infantile, à savoir les pulsions libidinales rencontrant les zones érogènes et visant la satisfaction et le sexuel infantile, à savoir l’instinct, ou plus exactement l’excitation. Se développant en parallèle jusqu’à leur rencontre lors du complexe d’Œdipe, la première serait lien et symbolisation, tandis que le second serait délié, démoniaque, refoulé, mais tous deux seraient convoqués aussi bien chez le patient que chez l’analyste. Seront ensuite développées par les différents contributeurs des perspectives centrées sur la biologie, le genre, l’archaïque, etc., sur la séduction, les contes, les rêves, etc., et sur le masochisme, le fantasme, la pédophilie, etc. Naturellement, on trouvera aussi d’importantes constructions et hypothèses métapsychologiques, de passionnants aperçus dans l’œuvre d’Albert Camus ou de Marcel Proust et de fines analyses cliniques des enjeux transférentiels et contre-transférentiels. Un document de travail indispensable pour tous ceux qui travaillent avec des enfants ou s’intéressent à l’enfant dans l’adulte. On retrouvera d’ailleurs là nombre d’auteurs que nous connaissons : R. Roussillon, B. Golse, G. Diakine, J. André, J-C. Stoloff, C. Chabert, etc.
23J.-T. R.
24♦ ♦ ♦
Actualité de Winnicott, Journal de psychanalyse de l’enfant, n° 2, (vol.5), 27 €
25Encore une revue émanant de psychanalystes « orthodoxes », de l’Institut de Psychanalyse de Paris et de l’Association de Psychanalyse de France. Nous l’avons déjà présentée à plusieurs reprises dans ces colonnes. Avec cette livraison, il s’agit de rendre hommage à D.W. Winnicott, à l’homme et à son œuvre. Le prochain numéro, prévu à paraître mi-2016, la complétera, puisqu’il portera sur la notion d’« objet transitionnel ». Cela commence par trois courts textes de D.W. Winnicott inédits en français à ce jour et relatifs au jeu dans la situation psychothérapique, à la technique du squiggle [1] et à des notes sur le jeu chez l’enfant et l’adolescent. Se présente ensuite l’émouvant témoignage de Lore Schacht racontant ses premières rencontres avec le célèbre pédiatre-psychanalyste chez lui à Londres en 1970. Deux articles abordent la place du père dans l’approche winnicotienne. Ils montrent, pour ceux qui en douteraient encore, que cette place a toujours été importante. Suivent encore des études relatives au traumatisme et à la capacité d’élaboration imaginative, aux métaphores topiques du noyau et de la coquille, à l’avidité du bébé et à ses destins et à la métapsychologie de la créativité. Le volume s’achève avec l’importance des réflexions de D.W. Winnicott dans la pratique avec des patients adultes. En toute fin, le lecteur trouvera une intéressante et vibrante note nécrologique consacrée à André Bullinger, retraçant tout son parcours, sous la plume de P. Delion.
26J.-T. R.
Livres
Inceste, lorsque les mères ne protègent pas leur enfant, Patrick Ayoun, Hélène Romano. Toulouse, érès, 2013, 291 p., 16 €
27Ce livre constitue en quelque sorte les actes d’un colloque qui s’est tenu à Paris le 10 janvier 2013. Il est en fait inhabituel d’aborder cette question des mères d’enfants victimes d’inceste. Que l’on soit magistrat ou soignant, on a davantage l’habitude de s’intéresser au vécu de la victime et à la personnalité de l’auteur. D’où l’intérêt d’une telle réflexion qui aborde le sujet dans une perspective plus large, celle des enfants victimes d’abus sexuels dans le cadre familial.
28Les divers intervenants de ce colloque ont beaucoup insisté sur l’ambivalence des mères face à l’inceste du conjoint. Il résulte même de la lecture de leurs interventions que les différents auteurs oscillent entre la présentation de certaines situations d’inceste où les mères n’ont pas été suffisamment protectrices et celle de l’affirmation que c’est lorsque les mères ne protègent pas leur enfant que le conjoint passe à l’acte, ce qui les rend alors indirectement responsables.
29En réalité, il n’existe pas un inceste, mais des processus incestueux, et Paul-Claude Racamier a même parlé d’un « climat incestuel », si fréquent lorsque l’enfant est handicapé (L’inceste et l’incestuel, Paris, Dunod, 1995, 2010). Parmi les figures des mères d’enfants victimes, on peut distinguer des mères complices, mais aussi des mères secure qui interviennent dès qu’elle sont informées, qui se montrent protectrices en quittant leur conjoint, des mères ambivalentes et incrédules, et aussi des mères tout à fait insecure qui accusent leur enfant de mensonges et se montrent indifférentes à sa souffrance.
30C’est donc finalement l’ambivalence maternelle qui retient le plus l’attention, même chez celles qui dans un premier temps ont reconnu la réalité de l’agression subie par l’enfant, mais qui, dans un second temps, hésitent ou abandonnent presque inévitablement leur rôle de protection et de soutien. Ces mères qui ne protègent pas leurs filles, car source de multiples enjeux liés aux secrets, à la sexualité, à la transgression de cet interdit fondamental qu’est l’inceste. Qui sont ces mères qui n’ont pas su préserver leur enfant ? Qui n’ont pas su voir ? Ou qui n’ont rien dit ? Quelle est la nature du lien mère-enfant ? Dans les situations d’inceste, la compréhension de la dynamique familiale, et plus particulièrement du rôle tenu par la mère, est nécessaire pour la (re)construction de l’enfant.
31Les professionnels de la protection de l’enfance, et tous ceux qui interviennent en ce champ, sont immanquablement confrontés à ces questions lorsqu’ils débutent leur démarche d’aide. Elles sont ici mises en débat. Cet ouvrage se propose de modifier notre regard sur la fonction maternelle exposée au risque de l’inceste père-fille et d’ouvrir de nouveaux espoirs pour améliorer de façon décisive la prise en charge des enfants blessées par ces situations.
32Anthropologie, droit, histoire, psychanalyse, psychiatrie, psychologie, travail social, font entendre ici leur polyphonie et toute l’importance de leur complémentarité pour éclairer, sans confusion ni cloisonnement, ce « continent noir ».
33Roger Salbreux
34Pédopsychiatre
35Secrétaire de rédaction
36♦ ♦ ♦
Handicap et accompagnement, Nouvelles attentes, nouvelles pratiques, Henri-Jacques Stiker, José Puig, Olivier Huet. Paris, Dunod, coll. « Santé Social », 2014, 192 p., 22,50 €
37Il y a quelque années, en raison du changement de vocabulaire qui venait de s’opérer dans les lois du 2 janvier 2002 et du 11 février 2005, la revue Contraste avait commis un numéro sur l’accompagnement (n° 24, 2006). Je m’étais alors intéressé au retournement de sens entre la « prise en charge », évoquant trop visiblement le poids du handicap pour la personne et ses proches et, conformément à l’étymologie latine du vocable « accompagnement », les avantages du partage du pain, d’où dérivent les significations les plus courantes : cheminer côte à côte avec quelqu’un, l’escorter ou faire valoir l’élément principal, comme en musique ou en cuisine.
38Voici que des auteurs connus reprennent ce chemin en se posant des questions essentielles pour les professionnels : « Qu’est-ce qu’accompagner une personne en situation de handicap ? » Question hantée et comme saturée par cette autre question : « Qu’est-ce que bien accompagner une personne en situation de handicap ? » Question plus éthique que technique. Le bon accompagnement ne peut être que celui jugé comme tel par les intéressés, seuls légitimes pour finalement décider de ce qui peut ou non être appelé accompagnement. Le bon accompagnement n’est-il pas, au fond et simplement, l’accompagnement tout court ?
39Car s’il n’est pas par nature bon il disparaît pour laisser place à un autre type de relation reléguant la personne en situation de handicap dans un statut d’objet pris en charge. Articulé selon trois axes, l’ouvrage : explore le champ de l’accompagnement, repère les logiques qui sous-tendent les discours sur l’accompagnement et explique la fortune récente de cette terminologie ; puis il propose, après avoir approfondi quelques notions clefs, des déclinaisons ordonnées de ce que signifie être compagnon sans confondre cette relation avec une multitude d’autres ; enfin, il pose la question de l’enseignement de l’accompagnement, car l’accompagnement des personnes en situation de handicap est non seulement un contenu d’enseignement, mais d’abord et avant tout un art à transmettre.
40L’accompagnement peut être vu de places très différentes : vu de l’intérieur des situations de handicap, vu par les professionnels. Mais un point de vue nouveau apparaît : l’accompagnement, vu par les « aidants » non professionnels, principalement familiaux.
41L’ouvrage se termine sur la question de l’apprentissage : accompagner, oui mais comment ? Sortir de l’angle mort. Un état des lieux des formations actuelles est dressé et des propositions pédagogiques sont avancées, ainsi qu’une charte pour l’accompagnement des personnes en situation de handicap.
42Gageons qu’un large public profitera de cet indispensable ouvrage.
43R. S.
44♦ ♦ ♦
L’intervention précoce en autisme pour les parents avec le modèle de Denver, Sally J. Rogers, Géraldine Dawson, Laurie A. Vismara. Dunod, coll. « Mon cahier d’accompagnement », 2016, 384 p., 35 €
45Lentement, mais sûrement, le conflit de l’autisme tend à s’apaiser et de nombreux professionnels, comme de non moins nombreux spécialistes, se souvenant sans doute du vieil adage : « Quand on est dans l’inconnu ou le mal connu, il est sage de faire flèche de tout bois ! », se retrouvent sur des positions moins partisanes et plus éclectiques.
46Voici une contribution qui nous vient d’Outre-Atlantique. Elle est étiquetée « comportementale », mais propose des moyens d’action dans la phase délicate, celle de l’intervention précoce, qui est fréquemment rencontrée dans la pratique de camsp, précocité d’intervention au sujet de laquelle il existe désormais un véritable consensus. Bien plus, grâce aux recherches de l’association préaut, la suspicion et même le diagnostic peuvent être notablement avancés, par rapport aux données classiques.
47Le modèle de Denver part du principe que la précocité du diagnostic et de la mise en place d’une intervention adaptée conditionnent beaucoup la progression de l’enfant et son accès à une meilleure qualité de vie ultérieure. Le Early Start Denver Model (esm) est une approche développementale et comportementale qui met l’accent sur l’apprentissage dans un contexte socio-émotionnel positif. Ce programme a donc été conçu pour répondre aux besoins spécifiques de très jeunes enfants et pour une stimulation optimale de leurs compétences. L’objectif de ce livre est de fournir aux parents et à l’entourage des outils et des stratégies pour aider l’enfant atteint d’autisme à retrouver une trajectoire de développement positive aussi vite que possible.
48Le sommaire développe des conseils qui nous sont plutôt familiers et qui en tout cas, loin d’être marqués du sectarisme ambiant, me semblent marqués au coin du bon sens :
491. Mettre en place le programme d’intervention précoce de votre enfant.
502. Prendre soin de vous et de votre famille.
513. Comment vos efforts du départ peuvent aider votre enfant à s’engager avec les autres et à accélérer ses apprentissages. Stratégies de tous les jours pour aider votre enfant à s’engager, communiquer et apprendre.
524. Sous le projecteur : capter l’attention de votre enfant.
535. Trouver le sourire : provoquer du plaisir avec les routines sociosensorielles.
546. Il faut être deux pour danser : construire des interactions réciproques.
557. Le corps qui parle : l’importance des communications non verbales.
568. « Fais comme moi » : aider votre enfant à apprendre par l’imitation.
579. Un peu de technique : comment les enfants apprennent.
5810. Le triangle de l’attention conjointe : partager l’intérêt avec les autres.
5911. C’est le moment de jouer !
6012. Faisons semblant !
6113. Développer le langage.
6214. Organiser l’ensemble. Annexes : jouets, matériel et livres pour votre jeune enfant atteint d’autisme. Ressources.
63Il me semble que, non seulement les parents d’enfants avec autisme peuvent bénéficier d’un tel programme raisonnablement appliqué, mais que ce dernier pourrait constituer l’un des supports de l’action thérapeutique des professionnels qui les accompagnent.
64R. S.
65♦ ♦ ♦
Scolariser l’élève handicapé, Jean-Marc Louis, Fabienne Ramond. Paris, Dunod, 2013, 2e édition, 272 p., 23 €
66En matière de scolarisation, la loi du 11 février 2005 a opéré une véritable révolution. Il y avait auparavant deux sortes d’enseignement scolaire, l’enseignement ordinaire et l’enseignement spécial ou spécialisé. Le premier était le droit commun y compris pour les élèves en difficulté. Le second était le fruit d’une longue tradition, remontant à Édouard Seguin (1812-1880) et à Désiré Magloire Bourneville (1840-1909) et passé en pleine Occupation (1943) de l’Éducation nationale à la Santé.
67La nouvelle loi ne parle plus d’intégration scolaire et supprime la notion d’éducation spéciale au profit de celle d’élève en difficulté pour raison de santé, susceptible d’une pédagogie différenciée. Elle fait obligation au service public d’assurer la scolarisation des enfants handicapés. Certes, la scolarisation et la réponse aux besoins médico-éducatifs particuliers peuvent être organisées, le cas échéant, en lien avec des services ou établissements adaptés, en lien avec l’enseignant référent et la mdph, mais l’inscription se fait à l’école de proximité qui demeure l’école de référence.
68Le projet personnalisé de scolarisation (pps) constitue de la sorte un élément du plan de compensation. Le pps détermine les modalités de déroulement de la scolarité et les actions pédagogiques, psychologiques, éducatives, sociales, médicales et paramédicales répondant aux besoins des élèves handicapés. Il assure la cohérence et la continuité du parcours scolaire.
69Cet ouvrage part de la loi pour en déduire les conséquences concrètes et pratiques sur le système éducatif, sur la vie des écoles et des établissements et sur les pratiques pédagogiques et éducatives des équipes enseignantes. Il insiste sur la nécessité de construire un partenariat avec les familles. Il entend également en analyser les conséquences sur la communauté éducative et sur le caractère problématique des relations partenariales avec les établissements et services médico-sociaux, dont la nécessité s’impose, dans la pratique, si l’on souhaite la réussite de l’élève.
70R. S.
71♦ ♦ ♦
Politiques et dispositifs du handicap en France, Philippe Camberlein. Paris, Dunod, coll. « Maxi fiches », 2015, 3e édition, 160 p., 14,90 €
72Cet ouvrage est déjà bien connu des étudiants en travail social et il s’agit ici de sa troisième édition, entièrement mise à jour des dernières modifications législatives ou réglementaires.
73Le principe de cette collection est d’établir des fiches par sous-thème, de sorte que l’essentiel de ce qu’il faut connaître du dispositif d’action publique auprès des personnes handicapées est traité en 22 fiches. Parmi les grandes thématiques traitées, on peut relever :
- l’historique des politiques publiques et la loi du 11 février 2005 ;
- les définitions du handicap et les différentes déficiences ;
- les personnes handicapées en France et leurs associations représentatives ;
- la coordination, la planification, l’évaluation, l’orientation et l’allocation de moyens ;
- la cnsa, l’ars, la mdph et la cdaph ;
- les prestations, allocations et ressources et la protection sociale ;
- la scolarité, la formation, l’emploi ;
- les établissements, les services et les professionnels ;
- l’accessibilité, etc.
74Cela peut paraître excessivement scolaire, mais rendra service à plus d’un, notamment parmi les professions soignantes et parmi les professionnels intervenant auprès des personnes handicapées. Ceux-ci ont souvent du mal à se repérer dans le maquis des législations et des réglementations.
75Clair, simple et pratique !
76R. S.
77♦ ♦ ♦
Réapprendre à lire : de la querelle des méthodes à l’action pédagogique, Sandrine Garcia, Anne-Claudine Oller. Paris, Le Seuil, coll. « Liber », 2015, 352 p., 22 €
78On le sait, les élèves éprouvent de plus en plus de difficultés à savoir déchiffrer les lettres, à les assembler en mots et à lire ceux-ci tout en comprenant le sens des phrases. On incrimine souvent alors les méthodes pédagogiques utilisées, soit « implicites », soit « explicites », voire des troubles psychologiques. Rappelons ici que la pédagogie implicite est axée sur des devinettes, mobilisant la déduction et la mémoire, tandis que la pédagogie explicite est centrée sur des déchiffrages concrets. Grosso modo, à la première correspond la méthode dite globale, à la seconde la méthode dite syllabique. Les deux auteures de cet ouvrage, professeurs en sciences de l’éducation, élèves de Pierre Bourdieu, nous rapportent en détails le fruit de leur enquête sur le terrain. Il débouche d’emblée sur un constat consternant : on a beau vouloir contrecarrer les processus de reproduction sociale des inégalités, ceux-ci perdurent allégrement. En d’autres termes, les dyslexies ont encore de beaux jours devant elles ! L’enquête a duré trois ans dans une ville moyenne. Bien sûr, les quatre conclusions principales paraissent évidentes : l’appui de professeurs bienveillants et des services d’aide (les rased, réseaux d’aide spécialisée aux enfants en difficulté) s’avère inefficace ou insuffisant ; l’essentiel de l’apprentissage consiste à pouvoir associer lettres et sons ; il fonctionne mieux en petits groupes ; il repose sur la répétition et l’entraînement. Autant de faits connus de longue date que nos auteures semblent découvrir. Toutefois, à noter deux autres observations, moins souvent appréhendées : il n’est pas nécessairement utile de créer une catégorie d’élèves devant bénéficier d’un enseignement particulier en abaissant les exigences au nom de la « pédagogie de la réussite » et il est important de transmettre aux parents des élèves les techniques d’apprentissage utilisées afin qu’ils se mobilisent et participent à l’évitement de la cristallisation des difficultés de leurs enfants. Il en résulte que l’avenir ne saurait consister à prôner un « progressisme de gauche » à tout-va qui peut se révéler illusoire et dénégateur, ni à généraliser une approche strictement médicale débouchant sur la création de situations de handicap. Pour conclure, on remarquera que pour reconnaître que le débat actuel sur les difficultés de lecture des enfants est fortement politisé, nos deux auteures, pourtant férues de sociologie, prennent en réalité peu en compte leur origine socioculturelle plus ou moins défavorisée et semblent ignorer que cette dernière s’accompagne souvent, pour ne pas dire toujours, de perturbations psychologiques réelles. Je me permets de recommander aux lecteurs intéressés par ce sujet la lecture complémentaire des autres ouvrages récents suivants, tous parus à la rentrée 2015-2016 et articulant réflexions de bon sens et philosophie sociale en matière de pédagogie : Du changement dans l’école d’A. Prost (Paris, Le Seuil, 21 €), Dix propositions pour changer d’école de F. Dubet et M. Durut-Bellat (Paris, Le Seuil, 14,50 €) et Ces écoles pas comme les autres de P. Gumbel (Paris, Vuibert, 19,90 €).
79Jean-Tristan Richard
80Psychologue-analyste (22000 Saint-Brieuc)
81Ancien directeur adjoint du camsp-ipp
82(75014 Paris)
83♦ ♦ ♦
L’analyse de la pratique : à quoi ça sert ? Jeannine Duval-Héraudet (sous la direction de). Toulouse, érès, 2015, 404 p., 18 €
84On connaît peut-être mon insistance à défendre le principe d’une supervision clinique hebdomadaire dans toutes les institutions sanitaires et médico-sociales. Être confronté aux souffrances de ses prochains, même si l’on est un professionnel aguerri, ne saurait aller de soi et être simple. Il convient dès lors de bénéficier d’un espace-temps supervisé par un intervenant tiers pour faire un pas de côté et prendre un peu de recul. Le présent ouvrage expose en détails ce travail nécessaire. Plus précisément, il est constitué de témoignages de professionnels de l’Éducation nationale (au sein des réseaux d’aide dits rased) et de l’éducation spécialisée (au sein d’instituts de rééducation dits itep) et de la superviseuse, J. Duval-Héraudet auprès d’eux. Les voix des uns et des autres se répondent de manière concrète et sincère. Mais, pour moi, on ne trouvera là guère d’exposés précis très convaincants relatifs aux différents cadres de ce « contrôle » entre dynamique de groupe, régulation d’équipe, analyse de la pratique et supervision clinique ou aux diverses dénominations du « contrôleur » : leader, animateur, formateur, superviseur, analyste institutionnel, etc. En revanche, sans surprise et avec un peu d’autosatisfaction, on découvrira un catalogue exhaustif des facettes de l’intérêt de l’analyse institutionnelle des pratiques, tant au plan individuel qu’au plan groupal. À l’heure des évaluations et des bonnes pratiques, ce livre amène un sain relativisme et une salutaire exemplification ! Cependant, je reste réservé quant à l’idée de mêler systématiquement dans ce cadre rappels théoriques et cliniques (est-il ainsi nécessaire, par exemple, d’expliquer le « troumatisme » lacanien ?), comme d’envoyer aux participants des messages via Internet après une séance. Ainsi, on pourra lui préférer le dossier plus exhaustif de la revue Internet « Petite Enfance » (Santé Log-Allied Health) : n° 28, de janvier 2016. Ce dernier, intitulé « Le soutien aux équipes », me paraît plus proche de la réalité de nos services : camsp et sessad…et aussi plus rigoureux au plan méthodologique.
85J.-T. R.
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Espaces de paroles, Franck Chaumon (sous la direction de). Toulouse, érès, 2015, 336 p., 15 €
87Cet ouvrage, dirigé par F. Chaumon, pédopsychiatre-analyste en Essonne, est essentiellement le texte des contributions présentées par plus de vingt auteurs lors d’un colloque de janvier 2014 autour de la désaliénation et de la psychanalyse à l’œuvre au sein des services de secteur de pédopsychiatrie. Il se manifeste d’emblée par son caractère très divers, ce qui atteste de la vitalité des pratiques, mais aussi peut-être de leur dispersion. Cependant, toutes les expériences ici relatées témoignent comme d’une seule voix de l’importance d’un cadre institutionnel, clinique et éthique, pour faire surgir et entendre la parole de l’enfant. Même si, bien évidemment, il faudra savoir laisser la place à la surprise et à la créativité. Il est impossible de résumer en quelques mots ces parcours variés, mais sachez qu’ils vous feront croiser les questions du rôle de l’hospitalisation, de la place des parents, des aléas du transfert et du contre-transfert, des relations et du travail pluriprofessionnels, de l’intérêt des ateliers d’expression, notamment théâtrale, etc. Une lecture au fil des histoires cliniques et institutionnelles d’aujourd’hui, avec ses joies et ses peines, ses succès et ses échecs, ses contraintes et ses espoirs.
88J.-T. R.
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Mon cerveau, ce héros, Elena Pasquinelli. Paris, le Pommier/Belin, 2015, 192 p., 19 €
90La presse, générale et spécialisée, se fait souvent l’écho des progrès des neurosciences et, notamment, de la neuropsychologie. À grand coups de titres et de phrases qui nous révèlent les étonnants pouvoirs de nos cerveaux. Cela fleurit chaque semaine. Comme si on était invité dans les laboratoires du monde entier. Ici, on tire sur la psychanalyse, là on renoue avec les croyances ancestrales, le positivisme du xixe siècle, voire la psychologie expérimentale piagétienne. Sans voir, par ignorance ou par omission, que les cliniciens sur le terrain avaient déjà noté tel ou tel fait ou que la conclusion relève de la mystification. Vous voulez des exemples, en voici : la différence hiérarchique cerveau gauche/cerveau droit, la dichotomie cerveau masculin/cerveau féminin, la capacité à agir à distance sur la matière ou les « esprits » (faire tourner les tables, tordre une cuillère sans la toucher, transmettre une pensée à distance par la pensée, voire faire parler les morts), la plasticité infinie et toute-puissante de l’ensemble du cerveau, l’intelligence « boostée » par l’écoute de W.A. Mozart, un cerveau n’utilisant que 10 % de ses capacités, la mémorisation sans limite, l’attention sans faille, etc. L’auteure est une philosophe spécialiste de l’éducation et de la science. D’emblée, elle affiche son propos : le martèlement actuel des résultats de ces études dites scientifiques vise plus à entretenir des mythes qu’à refléter la réalité. Il est fait de généralisations abusives et d’extrapolations hâtives. L’ouvrage expose et déconstruit donc en détails toutes ces fausses idées. Il relate pour cela une multitude d’expériences, essentiellement anglo-saxonnes, connues ou peu connues. Il en résulte finalement que notre cerveau apparaît n’être en aucune façon un muscle fonctionnant comme un ordinateur multitâches qu’il conviendrait de stimuler. E. Pasquinelli termine son ouvrage par un chapitre consacré aux origines de cette « neurophilie », qu’elles soient psychologiques ou sociétales, commerciales ou politiques, insistant notamment sur le fait que tous, scientifiques ou profanes, préfèrent des solutions faciles à des problèmes complexes. Comme si notre modernité renouait simultanément, à son insu et paradoxalement, avec la phrénologie et le spiritisme ! J’ajouterai pour ma part quelques réflexions venues à sa lecture. D’abord, l’efficacité thérapeutique ou éducative de ces recherches n’est pas validée, et si elle l’est, elle demeure approximative, limitée et fragile. Rappelons que toutes ces expériences sont effectuées sur un échantillon de quelques personnes. Ensuite, ces travaux comportent à l’évidence de nombreux biais conceptuels et méthodologiques, omettant, en particulier, l’influence de nombreuses variables. Il en résulte une confusion entre résultats partiels et datés et données validées et universelles. C’est le règne assuré du sensationnalisme et de la magie ! De plus, jamais la neuroscience ne quitte son triomphalisme en reconnaissant ses limites : elle peut tout expliquer et tout résoudre. Dit autrement, le cerveau n’est pas la pensée, ni l’affect, ni le langage. Pas plus que les neurones, les synapses ou les gènes. Seule la personne, dans toute sa globalité, pense, ressent, parle, se souvient, apprend…
91J.-T. R.
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S’exprimer et se faire comprendre. Entretiens et situation de handicap, Diane Bedoin, Régine Scelles. Toulouse, érès, 2015, 190 p., 23 €
93Dans nombre de situations de handicap, et, a fortiori, de polyhandicap, il est très difficile de communiquer. Or, diverses déclarations des droits des personnes handicapées stipulent que tous les moyens doivent être mis en place pour permettre aux personnes en situation de handicap de s’exprimer, notamment sur tout ce qui concerne leur vie. Comment donc y parvenir quand la déficience sensorielle, intellectuelle, motrice, etc., les en empêche ? Certes, il existe des méthodes diverses destinées à faciliter la communication (démarche Snoezelen, stimulation basale d’Andreas Fröhlich, etc.) et, sur le terrain, il y a longtemps que des praticiens ont développé des intuitions permettant de suppléer aux manques. Mais, bien sûr, tout cela reste notoirement insuffisant. Il conviendrait dès lors de commencer à aborder cette situation de manière plus scientifique. Des chercheurs doivent donc s’y atteler, ce qui suppose qu’ils s’interrogent sur les questions éthiques, épistémologiques et méthodologiques de leurs interventions mêmes. C’est précisément sous cet angle que les auteures ont réuni une dizaine d’étudiants doctorants. Leur but est de proposer un début de formalisation des entretiens conduits auprès de ces personnes dites « dyscommunicantes ». On trouvera donc ici un exposé du cadre général de la conduite des entretiens face aux troubles de l’expression, aux déficits cognitifs et aux troubles relationnels sévères, ainsi qu’une transcription commentée et interprétée desdits entretiens. Au final, je ne suis pas certain que les auteures soient parvenues à dépasser l’empirisme pour atteindre la scientificité. Il est vrai que je ne suis pas certain non plus que cela soit possible en la matière… Quoiqu’il en soit, on ne peut que louer leur effort pionnier et reconnaître que leur ouvrage, en dépit de ses aspects très techniques, pourra aider nombre de professionnels comme nombre de parents.
94J.-T. R.
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Les premiers liens dans l’adoption internationale, Thomas Cascales, Marie-Blanche Lacroix. Toulouse, érès, coll. « Empan », 2015, 255 p., 23 €
96Être adoptants ou adoptés ne va pas de soi. Pour les uns comme pour les autres, le parcours est toujours compliqué. Et ce, sur de nombreux plans : administratif, social et, bien sûr, psychique. Selon une récente enquête menée en France auprès de 450 enfants adoptés, 17 % étaient nés en France, 11 % dans un pays européen dit de l’Est, 30 % en Amérique du Sud, 22 % en Afrique, 20 % en Asie. 39 % d’entre eux avaient moins de 1 an, 31 % entre 1 et 4 ans, 30 % 4 ans et plus. Près de la moitié d’entre eux sont arrivés dans une nouvelle famille qui avait déjà des enfants : enfants uniquement adoptés (25 %), enfants uniquement biologiques (13 %) ou enfants biologiques et adoptés (9 %). On se reportera au compte rendu de cette enquête dans les Actualités sociales hebdomadaires (ash), n° 2848 du 21/02/14 et n° 2926 du 25/09/15. Ici, les deux auteurs, qui ont aussi invité quatre autres contributeurs, ont choisi d’essayer de spécifier les enjeux psychologiques de l’adoption internationale. Pour cela, ils nous présentent d’abord un rappel panoramique du développement de l’enfant, en insistant plus particulièrement sur les besoins et les capacités précoces tels qu’ils apparaissent aujourd’hui grâce aux travaux récents de pédopsychiatres, psychologues, psychanalystes, pédiatres, etc. Puis, ils analysent les enjeux psychiques mobilisés par l’accueil d’un enfant étranger chez les parents adoptifs. Ils mettent ici l’accent sur les écueils et les différences selon les pays d’origine (Ukraine, Russie, Guinée, Haïti, Colombie, Maroc, etc.). Vient ensuite l’abord des enjeux psychiques du côté des enfants adoptés. Il permet de développer les questions du déracinement, de l’identité, de l’abandon, de l’adaptation, de la quête des origines, etc. Un nouveau chapitre propose de lister les facteurs de réussite et les facteurs d’échec de l’adoption internationale et de répertorier les principales difficultés psychopathologiques rencontrées, notamment à l’adolescence. Enfin, les deux auteurs principaux témoignent de leur expérience sur le terrain, c’est-à-dire au sein de leurs consultations d’orientation et d’accueil dans le cadre d’un service spécialisé en région Midi-Pyrénées, la coca de Toulouse. Trois exemples de prises en charge psychothérapique les conduisent à d’intéressantes réflexions cliniques sur le cadre, le transfert, la relation aux parents, le travail en petits groupes, etc., propres aux enfants et parents « nés » de l’adoption internationale. Voilà donc un ouvrage circonstancié sur un thème souvent mentionné mais rarement développé qui pourra aider tous les professionnels de la petite enfance.
97J.-T. R.
98♦ ♦ ♦
Rencontre avec Michel Soulé. De la psychiatrie de l’enfant à la psychiatrie fœtale, Sylvain Missonnier (sous la direction de). Toulouse, érès, coll. « Rencontre avec », 2015, 268 p., 15 €
99Voilà une collection au sein des éditions érès que je ne connaissais pas. Elle s’appelle « Rencontre avec », est dirigée par M. Dugnat et a déjà croisé T. Brazelton, C. Balier, R. Gentis, M. Sapir, etc. Ce volume est donc consacré à Michel Soulé. Pionnier de la pédopsychiatrie psychanalytique française avec S. Lebovici et R. Diatkine, plus, bien sûr, quelques praticiens moins connus, il a suivi un cursus personnel et professionnel unique. S. Missonnier rapporte ici le texte d’un long entretien en cinq séances avec lui à la charnière des années 2001-2002. Cela constitue une excellente présentation des divers champs d’intérêt de M. Soulé depuis son entrée en médecine pédiatrique. Ceux que l’on retrouvera dans les pages suivantes de l’ouvrage : la prévention psychosociale, les enfants à risques, le placement et l’adoption, la vie fœtale, le rôle du placenta, les troubles psychosomatiques fonctionnels, la formation des personnels, etc. Les pages qui concernent ces thèmes sont constituées d’articles (inédits ou oubliés) écrits de la main même de M. Soulé. Elles sont suivies pour finir de trois commentaires, comme autant de témoignages vibrants, émanant de B. Golse, P. Delion et S. Missonnier quant à la finesse, l’originalité et l’humour de celui qui nous quittait en 2012. À lire nécessairement et, sans doute, à relire si nécessaire !
100J.-T. R.
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Du sensoriel au sens social. Naissance de la pertinence et de la normativité sociale chez le bébé. Florence Lafine. Paris, L’Harmattan, 2015, 274 p., 28 €
102Le vocable latin habitus, que l’on traduit généralement par « habitude », s’origine dans le grec hexis. Pour Platon, c’est une modalité de connaissance active et participante. Pour Aristote, il s’agit d’une disposition acquise durable. La notion retrouvera un intérêt beaucoup plus tard, dans le champ de la sociologie naissante, dans les années 1930-1940. Ainsi, M. Mauss y verra la résultante des liens de l’individu à la société, d’ordres physiques, psychiques, sociaux et culturels. N. Elias la définira comme une sorte d’empreinte du social sur la personnalité de l’individu. Il faudra encore attendre une quarantaine d’années, avec les travaux de P. Bourdieu, pour qu’elle devienne un concept sociologique opérant. Pour ce dernier, l’habitus est un ensemble dynamique de dispositions socioculturelles inscrites dans l’identité individuelle. Elle constitue ainsi un système évolutif de représentations personnelles né de l’inscription des humains dans une organisation sociale donnée. Ainsi est-elle une manière de vivre, de ressentir et de penser par imprégnations successives des expériences sociales vécues dès la naissance et forme-t-elle la matrice de toutes les conduites et attitudes. Concrètement, tout cela varie dans le temps et dans l’espace, mais aussi à la même époque et au même endroit, dans chaque classe sociale, dans chaque famille. Les bruits, les odeurs, les manières de parler, les modes de portage, les techniques d’endormissement, les façons de nourrir, les tenues vestimentaires, les principes d’éducation, etc., déterminent de manière obligée et insue un habitus singulier qui intègre les codes sociaux. Ce façonnage n’existe pas qu’à partir de la naissance, il est déjà présent dans la cavité utérine lorsque l’enfant n’est pas encore né. C’est ce que montre ce livre qu’on doit à une infirmière en néonatalogie devenue sociologue. Partant des sensations jusqu’aux négociations, en passant par les perceptions – d’où trois chapitres successifs – c’est-à-dire en se référant à la sensorialité fœtale comme aux expériences ultérieures du bébé, l’auteure démonte les fondements de l’édification de cet habitus. On retrouve là exposées d’une manière originale des données psychanalytiques classiques si l’on veut bien se souvenir d’un S. Freud disant que la psychologie individuelle est au départ une psychologie collective et formalisant les concepts d’introjection et d’identification, de surmoi et d’idéal du moi ou d’un D.W. Winnicott énonçant qu’un bébé tout seul cela n’existe pas ou évoquant une part obligée de faux self dans la construction subjective de chacun. Cela dit, F. Lafine a choisi de ne pas utiliser le corpus psychanalytique. De fait, ses propos s’organisent uniquement à partir des données de la neuropsychologie et des analyses d’enregistrements vidéo des interactions mère-enfant. Toutefois, ils aboutissent à une même conclusion : le corps est d’emblée le lieu de conditionnements normatifs complexes et évolutifs. Un ouvrage véritablement intéressant.
103J.-T. R.
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Monstres contemporains. Médecine, société et psychanalyse. Céline Masson, Catherine Desprats-Péquignot (sous la direction de). Paris, In Press, 2015, 306 p., 21 €
105C’est toujours avec plaisir que l’on retrouve les écrits de Céline Masson, Catherine Desprats-Péquignot, Suzanne Ferrières-Pestureau, Simone Korff-Sausse et Michèle Moreau-Ricaud, toutes des femmes spécialistes de la tératologie vue sous l’angle psychanalytique. À leurs noms s’ajoutent ici ceux d’autres contributrices et de quelques contributeurs, qui sont neurochirurgien en psychiatrie, psychologues, artiste plasticienne, psychanalystes, psychologues, etc. L’objectif de ce nouvel ouvrage est de proposer plusieurs abords de la monstruosité dans notre modernité, abords exclusivement centrés sur le regard (ce qui pose, mais sans aucunement la traiter, la question des monstres chez les aveugles). Sa lecture nous amène, notamment, à revisiter les réflexions philosophiques sur le normal et l’anormal (G. Ganghilhem et M. Foucault), à mieux saisir la fabrication des monstres dans la psyché de l’enfant, à noter l’importance des représentations du monstrueux dans l’art depuis le Moyen Âge jusqu’à aujourd’hui, à peser la place des monstres dans la médecine contemporaine, quitte à critiquer vigoureusement ses progrès, à interroger encore ce qu’on nomme de nos jours la clinique de l’extrême, à nous remémorer les mythes du Golem et de Frankenstein, à envisager la place des monstres sur les réseaux sociaux et Internet ou You Tube, à découvrir la trajectoire de cet ancien soldat de l’us Navy devenu à coups de prothèses « homme-tigre », à réfléchir sur le rôle des dialectiques Blanc/Noir et homme/femme dans la construction des monstres, à prendre conscience de l’apparition de nouveaux monstres (les pervers qui font la une des journaux ou les morts-vivants en camps d’extermination, y compris dans les œuvres des musiciens juifs), en mesurant ici le poids des humiliations subies dans le passé par tout un peuple dans le passage à l’acte individuel (à l’instar du peuple grec pendant la dictature des colonels et du crime de N. Koemtzis [2]), et, enfin, à aborder quelques auteurs modernes, dont les romans ou poèmes exposent des héros monstrueux (ici, Les Bienveillantes de J. Littell et divers livres de C. Angot, ainsi qu’un poète russe). In fine, un ouvrage très érudit et très fin, pour ne pas dire très peu dispensable.
106J.-T. R.
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Psychologie clinique du handicap : 13 études de cas, Marjorie Poussin, Anna-Rita Galiano (sous la direction de). Paris, In Press, 2014, 346 p., 15 €
108M. Poussin et A.-R. Galiano ont réuni autour d’elles près de vingt psychologues cliniciens ou universitaires, de France et de Belgique, afin d’exposer le travail concret conduit auprès d’enfants et d’adultes présentant un handicap : moteur, génétique, intellectuel, sensoriel, autisme, amputation, etc. De l’observation à l’orientation, en passant par le diagnostic et la prise en charge mise en place, chaque situation étant illustrée par un ou deux cas cliniques dans des contextes institutionnels différents (service de néonatalogie, institut médico-éducatif, maison d’enfants à caractère social, centre de rééducation motrice, établissement et service d’aide par le travail, foyer, etc.), ils offrent ainsi un vaste panorama aux étudiants et aux professionnels débutants. Il en ressort que s’il n’y a aucune psychologie spécifique au handicap, la survenue de celui-ci modifie la personnalité du sujet ainsi que son environnement. D’où la nécessité d’interventions compréhensives que ce guide pratique entend présenter. De fait, il offre au lecteur d’assister « en live » au travail du psychologue : entretien, test d’efficience intellectuelle ou de personnalité, psychothérapie, psychodrame, génogramme, etc. Chaque chapitre est suivi d’une brève mais pertinente recommandation de bibliographie.
109J.-T. R.
Évasion
Bateau de papier, Olav Håkonson Hauge. Traduit par Anne-Marie Soulier Illustré par Sandrine Cnudde. Toulouse, érès, coll. « Po&Psy », 2014, 10 €
110Olav Håkonson Hauge (1908-1994), poète norvégien de renommée nationale, est encore appelé « le jardinier d’Ulvik », du nom du village au bord d’un fjord où il passa sa vie, entre écrire et cultiver ses pommiers.
111Dès sa quinzième année, se croyant peu doué pour les sciences, cet homme d’origine paysanne abandonne ses études mais il se passionne pour la lecture qu’il découvre grâce aux rares visites d’un oncle émigré aux États-Unis. C’est ainsi qu’il lit et annote des centaines de livres, allant d’Omar Khayyam ou Bashô à Emerson, Thoreau, Pound Yeats, Whitman, Blake, Dickinson, en passant par Baudelaire, Char, Bachelard, Corbière, etc. Annotations qui composent, à côté de la mention de ses récoltes, les quelque 5000 pages de son Journal de l’âme, commencé à cette époque adolescente.
112Dès lors, il n’a plus qu’un seul objectif : écrire de la poésie. En 1946, à 38 ans, il entre dans le monde littéraire avec un premier recueil de poèmes qui sera suivi de nombreux autres, jusqu’à atteindre, dans les années 1970, une sorte de gloire nationale.
113Néanmoins ce parcours sera ponctué pendant trente ans de passages en enfer : Olav Hauge, atteint de schizophrénie, ne cessera de faire le va-et-vient entre son village d’Ulvik et l’hôpital psychiatrique de Valen. C’est dans les accalmies qu’il écrira.
114Le jardinier-poète a appris seul le français, l’anglais, l’allemand, pour lire et plus tard traduire Rimbaud, Char, Crane, Browning, Brecht, Celan… Il fait des vers d’une simplicité déconcertante mais si magnétique, qu’ils vont droit au cœur de toute une population, y compris des nouvelles générations urbaines.
115En 2008, date anniversaire de sa naissance, la Norvège a célébré tout au long de l’année sa poésie.
116L’un de ses poèmes, intitulé « C’est le rêve », qui est utilisé en Norvège en mille occasions, des plus familiales aux plus officielles, est entré dans le Sangbok (livre de chants) des églises luthériennes. D’une forme classique à ses débuts, la poésie de Olav Hauge s’est progressivement affranchie de tous les codes, faisant de lui un important rénovateur de la poésie norvégienne. Il a publié une quinzaine de recueils de poèmes, ainsi que six volumes de traductions diverses.
117Vie de paradoxes, que celle de cet homme simple, autodidacte, sédentaire qui a lu, traduit et commenté les plus grands poètes étrangers ; mais qui, s’étant heurté pendant trente ans aux « écueils » de la schizophrénie, a néanmoins publié une quinzaine de recueils et est aujourd’hui célébré par la Norvège comme une gloire nationale. Un homme que, sans aucun doute, l’« écueil » poésie aura « sauvé »…
118Cette sélection de vingt-huit poèmes brefs a été établie et traduite du norvégien par Anne-Marie Soulier. La photo est due à Sandrine Cnudde. Édition bilingue. Bonne lecture !
119Roger Salbreux
120Pédopsychiatre
121Secrétaire de rédaction
Notes
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[1]
Traduction approximative : gribouillis. Cf. Claude Chassagny qui écrit : « Chacun choisit un crayon de couleur différent. Celui qui commence ferme les yeux et gribouille : il laisse son crayon se promener librement sur la feuille, sans du tout le diriger. Puis il rouvre les yeux et découvre le tracé qu’il a produit. Il tend alors la feuille à son partenaire qui transforme en un dessin signifiant tout ou partie du gribouillage, selon ce qu’il y voit. Puis, nouvelle feuille blanche, nous échangeons les rôles. Bien souvent, nous quittons à regret ce jeu auquel nous consacrerons une grande partie des séances suivantes, tant il est riche de plaisirs et de découverte » (ndlr).
-
[2]
Allusion au crime d’honneur. Cf. Marina Kousouri (2010), « Le Zeibekiko Long pour Nikos Clinique des crimes d’honneur en Grèce contemporaine. Recherches sur l’envers morbide de l’idéal », Recherches en psychanalyse, 1, 9, p. 200 (ndlr).