Contraste 2016/1 N° 43

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Article de revue

L’amblyopie strabique

Pages 217 à 232

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1Généralement, strabisme et amblyopie sont très intimement liés. L’amblyopie peut provoquer le strabisme et le strabisme l’amblyopie, et ce de différentes manières. Dans l’amblyopie strabique, c’est le strabisme qui provoque l’amblyopie.

L’amblyopie strabique : trouble du développement visuel

2Notre système visuel est un système de vision binoculaire comportant une part sensorielle et une part motrice qui sont interdépendantes. Le trouble qu’est l’amblyopie strabique correspond à une atteinte combinée d’un des éléments de chaque part : déviation des axes visuels pour la part motrice (le strabisme) impliquant un déficit d’acuité visuelle pour la part sensorielle (l’amblyopie).

3Le strabisme est un défaut de parallélisme des axes visuels empêchant la perception de la même image sur la fovéa (vision centrale) de chaque œil simultanément, rendant impossible toute fusion. Le non-respect des conditions permettant une vision binoculaire favorise la fixation constante d’un seul œil (cause d’amblyopie de l’autre œil non fixant) ou l’alternance.

Quelques distinctions faites dans les strabismes

4On distingue souvent en pratique :

  • les strabismes dits précoces (ou congénitaux) des strabismes acquis dits d’apparition tardive. Les strabismes précoces étant des strabismes apparus avant l’âge de quelques mois de vie. En effet, l’âge d’apparition du strabisme donne une indication sur le niveau de développement du système visuel binoculaire et donc de ses possibilités. De même, il donne une information sur l’existence de signes fonctionnels comme la diplopie, à un âge où il est parfois difficile de l’exprimer ;
  • les strabismes à grand angle, ou esthétiquement visibles, des micro-strabismes : le dépistage et le diagnostic de strabisme sont d’autant plus aisés que le strabisme est visible, contrairement aux micro-strabismes correspondant à des microdéviations très peu ou non visibles ;
  • les strabismes alternants des non alternants : en effet, cette caractéristique du strabisme fait soupçonner une amblyopie à traiter d’autant plus rapidement qu’un œil est constamment fixateur ;
  • les strabismes constants des intermittents : l’intermittence du strabisme laisse supposer des épisodes de vision binoculaire. La fréquence de la déviation strabique et l’œil préféré sont alors à étudier afin d’évaluer la gêne et le risque éventuel d’apparition d’une amblyopie.

5L’amblyopie est un trouble du développement de la vision apparaissant chez l’enfant entre 0 et 6 ans, période de développement du système visuel. Elle correspond à une diminution unilatérale ou bilatérale des aptitudes visuelles centrales après correction optique d’une éventuelle amétropie. L’acuité visuelle se trouve inférieure à la valeur normale pour l’âge. Plusieurs éléments peuvent entraver le développement de cette vision centrale (pathologies congénitales ou acquises de l’œil, défaut de réfraction corrigé tardivement, etc.).

Les différents types d’amblyopie

6L’amblyopie dite organique est due à une lésion de la rétine ou des voies visuelles. Elle peut être unilatérale ou bilatérale et son traitement correspond le plus souvent directement au traitement médical ou chirurgical de la pathologie de l’œil qui la provoque (comme une cataracte congénitale) dans le cas où l’atteinte est curable. Ce type d’amblyopie non traitée peut parfois être à l’origine d’une déviation strabique.

7L’amblyopie fonctionnelle correspond également à une diminution uni ou bilatérale de l’acuité visuelle due à une suppression gênant la fixation normale, par défaut direct de fixation des strabismes, ou par défaut de réfraction important d’un œil ou des deux yeux dans les fortes amétropies unilatérales ou bilatérales.

L’amblyopie fonctionnelle due à un défaut de réfraction

8Le défaut de réfraction peut être unilatéral, bilatéral symétrique, ou bilatéral asymétrique (anisométropie). Le défaut réfractif, correspondant à une hypermétropie, une myopie ou un astigmatisme doit être contrôlé et corrigé par une correction optique adaptée. L’acuité visuelle se trouve améliorée, mais l’amblyopie reste tout de même présente malgré la correction optique.

9Le défaut visuel unilatéral non ou mal corrigé peut être à l’origine d’une déviation strabique. Il est le plus souvent découvert par le contrôle visuel scolaire ou lors d’une consultation ophtalmologique de contrôle lorsqu’il existe des antécédents familiaux.

10En effet, l’amblyopie unilatérale et même bilatérale peuvent passer le plus souvent inaperçues, l’enfant ayant un comportement visuel peu différent selon l’âge et sa sollicitation visuelle. Lorsque la fixation est un peu plus sollicitée, l’enfant peut avoir tendance à se rapprocher des objets de fixation ou fermer un œil.

L’amblyopie fonctionnelle due à un strabisme (ou amblyopie strabique)

11Cette amblyopie peut être bilatérale symétrique comme pour les nystagmus congénitaux avec torticolis de fixation. Ces enfants ont le plus souvent une direction du regard où le nystagmus est très réduit, permettant la meilleure acuité visuelle possible mais qui reste souvent basse. Ce torticolis de fixation est à respecter s’il ne présente pas de risque articulaire. Dans les torticolis plus importants, une prismation orthoptique au niveau des deux yeux peut permettre de redresser la tête. Dans les cas où le torticolis est très important et que les prismes sont insuffisants, le recours à la chirurgie musculaire du strabisme est possible.

12L’amblyopie peut être unilatérale, ce qu’on retrouve le plus souvent dans le strabisme à fixation unilatérale non alternante. La déviation des axes visuels favorise l’amblyopie dans le cas d’un strabisme constant avec un œil fixateur et l’autre œil constamment dévié.

13En effet, l’œil constamment dévié (le plus souvent en convergence ou en divergence, parfois de façon verticale) présente un risque accru de développer une amblyopie par manque de fixation. L’absence ou la présence insuffisante du temps de fixation entrave le développement normal de la vision permise par cette même fixation.

14La détection de ces strabismes constants avec le même œil fixateur est plus aisée dans les strabismes à grand angle de déviation, esthétiquement visibles, comme dans les strabismes précoces de l’enfant en convergent ou divergent. Ils peuvent être associés à un torticolis de fixation permettant un meilleur confort de l’œil fixant. Le dépistage et la prise en charge de l’amblyopie et du strabisme sont donc plus aisés et corrigeables précocement.

15Le danger se trouve dans les strabismes constants à petit angle, esthétiquement peu ou non visibles, des microstrabismes. L’œil dévié ne fixe pas suffisamment, ce qui favorise discrètement le développement de cette amblyopie. On peut alors retrouver un peu par hasard, lors d’un examen systématique, une amblyopie profonde d’un œil passée inaperçue.

16Nous développons donc ici tout spécialement l’amblyopie strabique de l’enfant (amblyopie fonctionnelle due à un strabisme) dont le diagnostic, le traitement et la surveillance conjoints de l’ophtalmologie et de l’orthoptie sont indispensables.

Dépistage et diagnostic de l’amblyopie strabique

Le dépistage

17Le dépistage de l’amblyopie est souvent fait lors du dépistage visuel scolaire, lors d’une consultation chez le pédiatre ou le médecin généraliste, sur une déviation visible et parfois sans aucune déviation des axes visuels esthétiquement visible comme pour les microstrabismes où l’amblyopie semble présente sans déviation strabique.

Le diagnostic

18Bien que l’amblyopie strabique soit provoquée par la présence d’un strabisme, un microstrabisme passé inaperçu peut être également découvert par la présence d’une amblyopie.

La consultation ophtalmologique

19Lorsque le strabisme est esthétiquement visible et confirmé, le diagnostic d’amblyopie est fait dans le même temps par le contrôle de l’acuité visuelle de chaque œil à l’âge verbal, ou par un test de réaction à l’occlusion monoculaire à l’âge préverbal.

20Inversement, le contrôle de l’acuité visuelle (et/ou de la réfraction) lors d’une consultation ophtalmologique peut et doit faire soupçonner une microdéviation strabique surtout dans le cas d’une anisoacuité (différence de vision entre les deux yeux non corrigée par une correction optique) ou d’une anisométropie.

21Le contrôle ophtalmologique doit être effectué en cas de pathologie familiale de l’œil, mais également en cas d’antécédents familiaux d’amétropie ou de strabisme.

22La suspicion d’un strabisme chez le tout-petit est également un motif de consultation ophtalmologique, tout comme une attitude d’alerte visuelle comme le rapprochement des objets de fixation ou la fermeture fréquente d’un œil.

23– À l’âge préverbal (environ entre 6-8 mois et 2 ans), l’examen ophtalmologique correspond à un examen systématique comprenant : l’inspection (position vicieuse de la tête, aspect esthétique des axes visuels, comportement visuel, etc.), l’interrogatoire (antécédents généraux et familiaux), une étude de la fixation et des mouvements oculaires, un test à l’écran unilatéral et alterné (décrit plus loin), un examen du fond d’œil et une mesure de la réfraction sous cycloplégie.

24– À l’âge verbal (environ à partir de 2 ans), l’examen ophtalmologique comprend les examens précédents avec, au préalable, une mesure de l’acuité visuelle. Celle-ci étant effectuée en monoculaire, puis en binoculaire, le plus souvent avec des dessins ou des lettres séparées ou groupées, avec description directe ou par appariement (selon le caractère et le degré d’investissement de l’enfant examiné).

25Cet examen ophtalmologique mettra en évidence une éventuelle amétropie symétrique ou asymétrique à corriger totalement. Il peut également mettre en évidence une déviation strabique avec ou sans amétropie. On pourra entamer un traitement selon l’urgence, ou demander l’examen complémentaire qu’est le bilan orthoptique pour confirmer le diagnostic et le type de traitement à prescrire, puis surveiller et ajuster ce traitement.

26Cet examen doit être complété par un examen de la fonction visuelle binoculaire (sensorielle et motrice), afin de détecter précisément la présence, la valeur et la constance de la déviation strabique, ainsi que son impact sur la part sensorielle : le bilan orthoptique qui, lui, doit être fait avec et sans la correction de l’amétropie prescrite. Il s’accompagne d’un suivi par contrôle de la déviation strabique (même minime) et du contrôle régulier de l’acuité visuelle.

Le bilan orthoptique

27Le bilan orthoptique est un examen complémentaire effectué sur prescription médicale de l’ophtalmologiste, du pédiatre ou du médecin généraliste. Selon la demande médicale, un examen complet est à effectuer pour une exploration de la vision sensorielle et motrice. Le bilan orthoptique comporte donc un bilan sensoriel et un bilan moteur.

28À l’âge préverbal, le bilan orthoptique comporte une étude de la fixation, une recherche d’amblyopie par un examen de réaction comportementale à l’occlusion monoculaire, une étude de la présence et de la qualité de la vision stéréoscopique avec un test bien adapté à l’âge (stéréotest de Lang), une recherche de la déviation des axes visuels au test de l’écran unilatéral (ou cover test unilatéral qui permet de mettre en évidence la déviation strabique en cachant l’œil fixateur et en observant le mouvement de fixation de l’œil non fixateur) ou aux reflets cornéens (test de Hirschberg complété par le test de Krimsky). On contrôle l’existence d’une alternance, on fait un examen de la motilité et de la motricité oculaire avec des cibles de fixation attrayantes qui, selon la capacité de fixation, nécessite une stimulation plus ou moins importante. Ces examens s’effectuent en vision de près et de loin selon l’âge, le bébé ayant peu la capacité de soutenir une fixation en vision de loin. Ce bilan est également adapté en cas d’atteintes des capacités motrices globales et du langage.

29À l’âge verbal, l’examen est plus aisé, même si toujours à adapter selon la coopération de l’enfant. Les tests effectués, plus précis, tels que l’écran unilatéral et alterné en vision de loin puis en vision de près, peuvent être complétés par une mesure de la déviation strabique aux prismes pour la quantifier, et par des tests de vision des reliefs également (stéréotests de Wirt ou tno).

30Le bilan orthoptique aide au diagnostic du strabisme et à la surveillance de son évolution (angle de déviation et possibilité d’alternance).

31De la même manière, la mesure de l’acuité visuelle à l’âge verbal est alors faisable aux dessins ou aux lettres en vision de loin comme en vision de près, avec ou sans la correction optique, de façon directe ou indirecte par appariement. Cette mesure de l’acuité visuelle, plus précise, permet le diagnostic et la surveillance de l’amblyopie.

Exemple d’Adèle : doute sur un strabisme à l’âge préverbal

32La maman se présente en consultation d’ophtalmologie pour une suspicion de strabisme pour sa fille Adèle âgée de 1 an.

33Résumé de l’examen ophtalmologique : antécédent de myopie de la maman. L’examen ne révèle aucune déviation des axes visuels, les mouvements oculaires sont normaux et le fond d’œil est normal. L’examen de la réfraction révèle un minime astigmatisme normal pour l’âge, non corrigé. Un nouvel examen de contrôle sera à effectuer six mois plus tard.

34Lors de ce nouvel examen, la maman décrit une déviation un peu plus fréquente de l’œil droit qu’elle remarque en divergence.

35Un bilan orthoptique précédant l’examen ophtalmologique est alors demandé et effectué le même jour, mettant en évidence une divergence intermittente de l’œil droit uniquement en vision de loin (voir ci-dessous l’exemple de l’un des bilans orthoptiques).

36Bilan orthoptique[1]

37• Stéréotest de Lang (sc) : montre les trois formes sans les nommer.

38• Réaction comportementale de défense à l’occlusion monoculaire (sc) : même réaction odg (bonne).

39reflets (Hirschberg sc) : semblent centrés en vp.

40Écran (unilatéral et alterné) : sc : xxt od non mesurable ; x’6-8.

41contrôle : en vl sc : semble le plus souvent phorique (fermeture de son od quand passage en tropie).

42• Motilité : minime syndrome v.

43• Réflexe de convergence : bon.

44Conclusion : divergence fréquente de l’œil droit en fin d’examen en vision de loin et vision de près.

45L’examen ophtalmologique effectué sous cycloplégie après le bilan orthoptique retrouve une minime amétropie ne nécessitant pas de prescription. Une explication est donnée à la maman quant au suivi, à la probable évolution et à la surveillance à apporter. Une occlusion totale de l’œil gauche est alors prescrite temporairement pour 45 min par jour en prévention du risque d’amblyopie.

Les différentes étapes de la prise en charge

Traitement de l’amétropie

46Le contrôle de l’acuité visuelle par le pédiatre ou le médecin généraliste, puis par un ophtalmologiste ou un orthoptiste est nécessaire. Il permet de diagnostiquer le défaut d’acuité visuelle et +/- l’existence d’un strabisme, et de le traiter. Le contrôle de la réfraction doit être fait à l’âge préverbal et verbal par un ophtalmologiste après un examen sous cycloplégie (instillation de gouttes qui bloquent l’accommodation). Les jeunes patients voient flou pendant les quelques heures suivant l’examen.

47Le défaut de réfraction existant, une correction optique doit être prescrite si nécessité, selon l’importance de l’amétropie. La correction optique totale étant à prescrire si le défaut est important et associé à une déviation strabique évidente.

Traitement de l’amblyopie

48Le traitement est donné par l’ophtalmologiste et soutenu par l’orthoptiste. L’amblyopie est corrigeable avant la fin de la période de développement des voies visuelles, qui correspond théoriquement à l’âge de 6-7 ans. Passé cet âge, l’acuité visuelle restera non récupérable. Les buts du traitement sont l’amélioration de l’acuité visuelle de l’œil amblyope jusqu’à isoacuité (la même acuité visuelle aux deux yeux) et l’alternance de fixation afin que chaque œil puisse fixer spontanément dans la vie courante et conserver l’isoacuité jusqu’à la fin de la période de développement. L’acuité visuelle gagnée sera alors conservée après l’âge limite.

49Selon la profondeur de l’amblyopie et les possibilités d’alternance, le traitement se fait par occlusion totale ou partielle, intermittente ou constante, unilatérale ou alternée, et par pénalisation optique ou par pose de secteurs pour favoriser ou maintenir l’alternance.

50Le type et le rythme de l’occlusion sont à adapter en fonction de l’acuité visuelle de départ (profondeur de l’amblyopie) et des possibilités d’alternance, et seront également à adapter en fonction de l’évolution de l’acuité visuelle et des possibilités d’alternance après contrôle.

51Le traitement d’attaque, par exemple correspondant à une occlusion unilatérale totale constante sur peau de l’œil constamment fixateur (avec correction optique à porter par-dessus), est souvent prescrite pour les amblyopies unilatérales profondes de départ, combinée à un contrôle régulier de l’acuité visuelle puis de l’alternance par l’orthoptiste (ou l’ophtalmologiste).

52Ce traitement par occlusion totale n’est pas recommandé pour les nourrissons de moins d’1 an et les cas de nystagmus manifeste latent, pour lesquels il est préférable de donner respectivement une occlusion intermittente et une pénalisation optique de loin.

53Selon l’amélioration, ce traitement d’attaque est modulé pour passer à un traitement plus souple avec réduction du nombre d’heures de port, passage à l’intermittence ou à l’alternance.

54Le traitement d’entretien, lui, est effectué par une occlusion partielle, souvent à l’aide de filtres Ryser (filtres calibrés de différentes valeurs permettant d’ajuster le niveau d’acuité visuelle permis en vision de loin pour l’œil fixateur). Une pénalisation optique unilatérale (surcorrection optique unilatérale de l’œil fixateur gênant la vision de loin et non de près) ou alternante (avec paires de lunettes surcorrigeant chacune un œil) peut également être proposée. Des exercices orthoptiques peuvent parfois être effectués en cabinet ou donnés à faire en complément de ces traitements pour stimuler la vision de l’œil amblyope.

55La bonne installation de l’isoacuité et de l’alternance obtenue, il est possible de remplacer les occlusions par des secteurs (souvent binasaux, collés sur les verres de lunettes) toujours pour maintenir cette alternance. L’avantage de ce traitement est le bon résultat de la récupération visuelle dans l’amblyopie strabique. L’inconvénient est parfois la difficulté d’acceptation du port de l’occlusion par l’enfant. L’occlusion peut également parfois provoquer la décompensation du strabisme qui apparaît plus important. L’acuité visuelle est alors à privilégier et le strabisme surveillé à traiter dans un second temps.

56Après contrôle et correction optique si nécessaire donnée au préalable, le traitement par occlusion selon le type ainsi que les pénalisations et les secteurs pour permettre l’alternance et traiter l’amblyopie restent, selon les praticiens spécialisés, les moyens les plus efficaces pour traiter l’amblyopie strabique. Le protocole est adaptable, pouvant différer de peu selon les cas et selon les pratiques courantes des spécialistes.

Exemple d’Inès : traitement d’une amblyopie strabique à l’âge verbal

57Inès, âgée de 4ans (très timide), se présente avec ses parents pour un avis chirurgical sur son strabisme convergent à grand angle de l’œil droit.

Résumé de l’examen ophtalmologique

58Antécédents de strabisme dans la famille, avec une sœur déjà opérée d’un strabisme convergent. L’interrogatoire des parents permet de noter l’apparition précoce du strabisme (présent dès la naissance). L’examen ophtalmologique révèle une acuité visuelle difficilement mesurable aux deux yeux (variabilité des réponses) pour une acuité (douteuse) od à 4/10 et og 6/10 avec une correction de forte hypermétropie bilatérale déjà portée. Il lui est recommandé de cacher l’œil gauche par occlusion totale deux heures par jour pendant six mois, avec contrôle orthoptique de l’acuité visuelle tous les mois.

59– Six mois plus tard en consultation : occlusion faite uniquement un jour par semaine sans rendez-vous de contrôle. L’acuité visuelle trouvée est de 10/10 sur l’œil gauche et une mauvaise fixation sans réponse pour l’œil droit. Prescription faite par l’ophtalmologiste d’un port d’occlusion totale de l’œil gauche augmentée à quatre heures par jour pendant trois mois avec contrôle de l’acuité visuelle par l’orthoptiste une fois par mois.

60– Trois mois plus tard, occlusion peu faite, et acuité visuelle bien évaluée à 1/20 sur l’œil droit. Contrôle sous cycloplégie de la réfraction ce même jour et nouvelle prescription faite d’occlusion totale de l’œil gauche en port permanent pendant un mois puis contrôle, avec réexplication donnée aux parents et à Inès sur l’importance de l’occlusion.

61– Un mois plus tard, l’acuité visuelle est mesurée à 2/10 R5, avec constatation de tricherie pendant l’examen et dans la vie courante (petite ouverture en nasal du cache pour fixer avec son œil gauche). Occlusion au même rythme donnée pour un mois en surveillant la tricherie.

62– Un mois plus tard, contrôle orthoptique avec acuité visuelle de l’œil droit trouvée à 4/10. Persévérance à ce rythme avec occlusion totale toute la journée redonnée pendant un mois, puis contrôle orthoptique (voir exemple du bilan orthoptique ci-dessous).

63Bilan orthoptique[2]

64Cache œil gauche bien porté sauf une semaine pendant les vacances de février chez sa mamie.

65av (aux dessins isolés) : od : 8/10 ff R1/4 et og : 10/10 R1/2

66sf : aucun

67examen sous écran unilatéral et alterné : (asc) :

68eseu : Et 45-50 ogf ; E’t 60-65 ogf

69esea : Et 60 ; E’t 70 à 80

70motilité : abduction od difficile mais possible ; minime syndrome v ; dvd

71• Réflexe de convergence : moyen

72synoptophore (asc) : ao =+66 hdt 4 (en dc)

73cat : continuer le cache œil gauche même rythme jusqu’au prochain rendez-vous de contrôle dans un mois.

74Une chirurgie sera envisagée plus tard pour Inès après récupération totale de son œil droit avec isoacuité et alternance (odp).

Traitement chirurgical du strabisme

75Les traitements de l’amétropie et de l’amblyopie strabique précèdent le traitement chirurgical du strabisme. Le but du traitement chirurgical du strabisme est avant tout de réaligner les axes visuels. L’indication de la chirurgie est fonction de l’état sensoriel, du dommage esthétique et moteur dû à un torticolis de fixation.

76En effet, une chirurgie du strabisme peut être indiquée pour un strabisme acquis, constant ou fréquemment intermittent, à grand angle, apparu tardivement avec ou sans diplopie. Il existe également parfois un torticolis associé, plus ou moins important. La récupération sensorielle des acquis binoculaires est alors possible.

77En revanche, pour un strabisme à grand angle apparu précocement, la visée chirurgicale est alors uniquement esthétique et est indiquée en fonction de l’angle de déviation et du préjudice esthétique.

78L’ophtalmologiste décide de la nécessité ou non d’intervenir chirurgicalement, et du moment pour intervenir s’il le juge nécessaire (avant l’entrée au cp).

79S’il existe un microstrabisme sans signe fonctionnel, celui-ci n’est pas à opérer, mais en présence de signes fonctionnels comme une diplopie dans un strabisme acquis normosensoriel, une compensation prismatique peut être proposée par l’orthoptiste pour annuler la gêne par diplopie, particulièrement dérangeante quand l’enfant entre au cp (apprentissage de la lecture et écriture).

Conclusion

80Les amblyopies strabiques doivent être diagnostiquées et traitées précocement. En effet, l’acuité visuelle non récupérée ne sera plus récupérable passé l’âge de développement des voies visuelles. Le diagnostic, la prise en charge et le suivi régulier sont donc indispensables pour favoriser la meilleure acuité visuelle possible et permettre une récupération durable.

Recommandations

81– Une consultation ophtalmologique de contrôle est recommandée en cas d’antécédent d’amétropie ou de strabisme.

82– Un doute sur un strabisme (même intermittent) doit faire consulter un ophtalmologiste ou un orthoptiste.

83– Le traitement par occlusion doit être prescrit par l’ophtalmologiste (souvent après examen orthoptique). En effet, la prévention et le traitement de l’amblyopie strabique du jeune enfant sont indispensables, mais nécessitent des examens rigoureux et adaptés à chaque cas afin de s’assurer de l’intérêt d’une prise en charge contraignante (occlusion par cache, secteurs, etc.), la majorité des strabismes ne nécessitant pas ce type de traitement. Pour les enfants concernés, le traitement peut être difficile à respecter : bien informer les parents et les enfants de l’importance du bon respect et du suivi de la prescription médicale donnée, qui précise le type et le rythme du port.

84– L’observation des enfants (torticolis de fixation, ou attitude de rapprochement aux objets, fermeture fréquente d’un œil) doivent faire suspecter un défaut visuel à faire examiner par un ophtalmologiste ou un orthoptiste.

85– Information à transmettre à l’école pour permettre aux enfants ayant une basse acuité visuelle ou un port d’occlusion d’être placés dans les premiers rangs en classe.

86– Pour un nystagmus connu, le torticolis permet souvent une meilleure acuité visuelle, il est donc à respecter.

87– L’alternance obtenue après un traitement d’occlusion peut sembler aux parents comme une aggravation du strabisme (l’enfant a un strabisme de l’autre œil désormais) : les rassurer en expliquant bien que l’alternance est recherchée et qu’elle est au contraire garante d’une acuité visuelle équilibrée.


Annexe

88sf : signe fonctionnel

89e : ésophorie

90et : ésotropie (strabisme convergent)

91eet : ésophorie-tropie (strabisme convergent intermittent)

92x : exophorie

93xt : exotropie (strabisme divergent)

94xxt : exophorie-tropie (strabisme divergent intermittent)

95pvt : position vicieuse de la tête (ou torticolis)

Bibliographie

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  • Jeanrot, N. ; Jeanrot, F. 2003. Manuel de strabologie : aspects cliniques et thérapeutiques, 2e éd., Paris, Masson.
  • Orssaud, C. 2008. « Vision binoculaire », dans M.-A. Espinasse-Berrod, Strabologie : approches diagnostique et thérapeutique, 2e éd., Paris, Masson, p. 27.

Mots-clés éditeurs : strabisme, isoacuité, amblyopie, bilan orthoptique, réfraction, amétropie, anisométropie

Date de mise en ligne : 27/04/2016

https://doi.org/10.3917/cont.043.0217

Notes

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