Le bilan conjoint
1Le bilan conjoint orthoptiste et psychomotricienne est depuis plusieurs années une modalité d’intervention auprès du très jeune enfant déficient visuel au sein du service d’accompagnement familial et d’éducation précoce du centre Alfred Peyrelongue à Ambarès (Gironde).
2Ce bilan conjoint cherche à recueillir et à synthétiser des éléments cliniques afin de poser une aide au diagnostic et de participer à l’élaboration d’un projet de réadaptation.
3Le support de ce travail – le Brunet-Lézine – permet par l’intermédiaire de l’observation du comportement visuo-psychomoteur une évaluation visuelle de l’enfant entre 0 et 3 ans.
Le Brunet-Lézine
4Ce test est une échelle de développement psychomoteur de la première enfance qui a pour objectif d’évaluer le niveau de développement d’un enfant et de repérer son décalage éventuel par rapport à la moyenne des enfants du même âge.
5Le Brunet-Lézine se compose de 10 items par niveau d’âge répartis selon quatre domaines :
- la posture, qui est l’étude des mouvements de l’enfant en position dorsale, ventrale, assise et debout ;
- la coordination oculomotrice, qui est l’étude de la préhension et du comportement de l’enfant avec les objets ;
- le langage, dans ses fonctions de compréhension et d’expression ;
- la sociabilité, qui correspond au domaine des relations sociales c’est-à-dire la prise de conscience de soi, les relations avec autrui, les mimiques et l’adaptation aux situations sociales.
6Ce test présentait beaucoup d’indicateurs visuels et nous avons adapté certains items en fonction de la pathologie visuelle de l’enfant à évaluer.
7Par exemple :
- la pastille blanche est remplacée par une coccinelle ;
- les dessins à reconnaître sont agrandis ou contrastés ou bien sur papier ivoire, etc. ;
- la position de l’examinateur à gauche n’est pas toujours respectée et dépend de la vision de l’enfant ;
- la présentation des jeux peut être modifiée.
8Le Brunet-Lézine est le support de « nos regards croisés ». D’ailleurs de nombreux auteurs comme Bullinger, Wallon, Ajuriaguerra ou Piaget, pour ne citer qu’eux, insistent sur « la complémentarité des domaines visuel et moteur dans les premières années de vie et le rôle structurant du regard ». Ils font de la vision le noyau autour duquel s’organise la sensorialité.
Intérêts
9Le bilan conjoint présente des intérêts multiples.
10Cette manière de procéder permet à l’orthoptiste lors de la passation du bilan par la psychomotricienne d’une part d’affiner et de compléter son bilan essentiellement au niveau fonctionnel à partir des données sensorielles et optomotrices recueillies et analysées en amont, lorsque la psychomotricienne favorise les postures et la motricité dirigée ; d’autre part d’observer la mise en œuvre de la vision et des stratégies visuelles dans l’action ou le « faire » et de remarquer si le regard soutient l’action ou l’entrave.
11Le diagnostic orthoptique, en lien avec le bilan ophtalmologique, est indispensable pour aider l’équipe et la famille à comprendre ce que l’enfant voit, comment il utilise sa fonction visuelle et également l’incidence de ces facteurs sur son développement. Il est enrichi par les constatations des parents qui « vivent » leur enfant au quotidien.
12Nous observons les ajustements et les modulations de conduites qui renseignent sur la difficulté ou non « de traiter des flux visuels ». De ce fait la psychomotricienne intervient dans les mises en forme et l’orientation du corps afin de favoriser l’attention, la communication ; de mettre en évidence les compétences motrices de l’enfant, pour rendre propice l’observation visuelle et pour évaluer les interactions vision-mouvement-posture.
13Le bilan conjoint informe sur le développement global de l’enfant en réalisant un profil de ses possibilités à un moment donné. Il permet de dégager les centres d’intérêt qui soutiendront une intervention précoce en mettant en évidence les domaines qui restent à stimuler.
14Plusieurs items du Brunet-Lézine faisant redondance avec certains items du bilan orthoptique fonctionnel nous avons privilégié cette méthode d’examen commune. Celle-ci permet de limiter la fatigabilité de l’enfant grâce à l’unité de lieu et de temps, et en réduisant le nombre d’intervenants. Ainsi l’enfant, plus rassuré, est aussi plus disponible. Ce bilan conjoint alliant le visuel et le psychomoteur constitue une approche dynamique dans laquelle l’enfant est acteur. Il permet de le mobiliser dans ses compétences au plus proche de la réalité de son quotidien.
Le bilan conjoint au sein de l’équipe pluridisciplinaire
15Le bilan conjoint s’articule avec les observations des autres professionnels de l’équipe pluridisciplinaire afin de construire une expertise basse vision. Chacun se situe et resitue son action dans un esprit de complémentarité afin d’aboutir à la compréhension des comportements de l’enfant.
16Toutes ces observations interdisciplinaires ne se juxtaposent pas mais s’enrichissent entre elles, s’affinent et se complètent. Elles prennent en compte les différents facteurs de la vision fonctionnelle en faisant appel aux ressources et aux potentialités de chaque enfant.
17Ainsi, en articulant les différentes dimensions de la déficience visuelle, les professionnels élaborent de manière concertée et argumentée un projet de soin, de vie et d’ouverture pour l’enfant et sa famille.
18De ce fait, la demande et les questions des parents sont entendues et prises en compte.
19Les actions à mener, en termes de prévention, de soin, de rééducation sont priorisées et reliées entre elles.
20Dans ce cadre, un accompagnement orthoptiste/psychomotricienne peut être proposé à l’enfant et à sa famille sous forme de séance en binôme.
La rééducation conjointe : l’accompagnement orthoptiste/psychomotricienne
21La définition des modalités d’accompagnement de cette rééducation conjointe s’effectue avec les intervenants et la famille. Les parents sont impliqués de façon globale dans le programme de guidance parentale. Ils doivent en avoir compris la nécessité, les objectifs, les moyens et l’évolution. Cette prise en charge en binôme et en présence des parents s’inscrit dans un processus de « coapprentissage », de collaboration autour d’un projet d’accompagnement. La durée, le rythme des séances et le lieu d’intervention sont déterminés en fonction du contenu du protocole d’éducation visuelle fonctionnelle. Il s’agit d’une réelle prise en compte de la déficience visuelle du bébé afin de favoriser sa disponibilité et son adaptation à des situations réelles proches de son quotidien.
22Dans ce cadre, la psychomotricienne favorise le soutien, la contenance, le rassemblement, les points d’appui pour faciliter « la motricité dirigée et libérée » pour permettre à l’orthoptiste d’aider à la maturation des fonctions visuo-sensorimotrices et spatiales d’une part par le travail de la fixation, des poursuites, des saccades, et d’autre part, par la création de liens entre la vision spatiale et la vision focale.
23Les séances orthoptiste/psychomotricienne vont permettre de prévenir, construire, reconstruire, faire avec cette différence en créant des contextes favorables à l’enfant pour faire des progrès et des apprentissages.
Les objectifs de la rééducation conjointe
24Les objectifs sont multiples :
- Créer un espace d’écoute mutuelle où se construit au travers de rencontres et d’échanges, une réponse plurielle mettant en perspective les possibles pour l’enfant et sa famille. Les parents sont témoins de l’émergence et de la continuité de la construction de leur enfant. Ce dispositif leur offre la possibilité de participer à ce cheminement en sollicitant leur implication et leurs propres compétences parentales afin de s’ajuster au mieux aux difficultés rencontrées (conseils et stratégies pour améliorer le quotidien) ;
- Aider l’enfant à découvrir, à se représenter les éléments constituant le monde extérieur, à s’y projeter, à intervenir, à agir pour le modifier et se l’approprier.
25Il convient de développer et d’optimiser le potentiel visuel dans le faire et l’agir en reliant la compétence visuelle du bébé amblyope à ses compétences sensorimotrices afin d’harmoniser le mouvement et la vision.
Intérêts de la rééducation conjointe
26Il est question de « regards croisés », de complémentarité. Chacune d’entre nous amène une compréhension des besoins de l’enfant.
27Il s’agit de lui permettre d’investir sa corporalité, de développer ses potentialités pluri-sensorielles et d’acquérir un comportement sensorimoteur adapté, en tenant compte des mouvements oculaires et du regard.
28Les professionnels, mettant à disposition leurs connaissances et leur expérience, confortent les parents dans leurs facultés d’adaptation aux modes de fonctionnement et aux besoins particuliers de leur enfant afin d’éviter l’apparition de discordances dans la relation parents-enfant.
29C’est la pierre angulaire de l’accompagnement, situant chacun des partenaires dans son champ d’intervention.
Présentation de cas cliniques. Premier cas clinique : Boris
30Boris est né en août à 34 semaines d’aménorrhée. Il est le deuxième enfant d’une fratrie de trois. C’est le premier né d’une grossesse gémellaire.
31Il présente une souffrance néonatale et une détresse respiratoire sur maladie des membranes hyalines, des mouvements anormaux des quatre membres dans les premiers jours de vie, des mâchonnements et une absence de poursuite oculaire. Sont notés une dysgénésie du corps calleux et un syndrome dysmorphique mineur.
32Bilan ophtalmologique
33Boris est vu par l’ophtalmologiste de l’hôpital en septembre qui note l’absence de reflexe de défense et de réaction à la lumière, un nystagmus pendulaire, un strabisme, une errance du regard.
34Des examens complémentaires sont pratiqués : un fond d’œil qui révèle une absence de myélinisation de la papille signant un retard de maturation ou une atteinte neuro-dégénérative ; un electro-rétinogramme (erg), normal ; et, enfin, la mesure des potentiels évoqués visuels (pev) signalant une difficulté d’identification à droite.
35Premier contact avec le sessad
36Nous rencontrons Boris en janvier. Il a 4 mois (âge non corrigé). Il est adressé par l’ophtalmologiste de l’hôpital.
37Lors du bilan conjoint
38Boris est un bébé calme qui accepte bien notre contact. Cependant, il est passif.
39Nous pouvons obtenir au réseau de Léa à 29 cm une réponse à la palette 0,12 cycle par degré (cpd). Il n’y a pas de mécanisme de défense et le réflexe photo-myotatique (rpm) est faible. Nous notons une absence de contact visuel spontané. Cependant Boris est attentif aux différentes voix, mais nous remarquons qu’il est plus sensible aux stimuli sonores pour les jeux.
40Lors de ce bilan, il n’y a pas de regard relationnel. Ce que nous confirme la maman : il n’y a aucun échange de regard entre eux et Boris même dans le très près ; ce qui est très douloureux pour eux parents. Nous notons aussi qu’il n’y a pas de poursuites sur mires visuelles ou lumineuses. Ainsi qu’une absence du réflexe vestibulo-oculaire.
41Le Brunet-Lézine n’est pas cotable du fait de l’âge corrigé de Boris. Cependant, nous observons une hypotonie axiale avec absence de tenue de la tête. Il n’a pas de point d’ancrage visuel pour l’aider à prendre des appuis visuels. Des mouvements désordonnés des jambes sont notés même s’il est capable de détente. Boris a une préhension de contact, mais l’objet n’est pas amené dans le champ de vision. Nous n’avons pas observé de jeux avec ses mains. Elles sont souvent fermées et posées sur son buste.
42Les préconisations de l’équipe pluridisciplinaire
43Du fait de la situation de malvoyance majeure, un accompagnement par le sessad est proposé à la famille avec :
- la mise en place d’une rééducation orthoptique dans le réseau ;
- la poursuite de la psychomotricité débutée en décembre en libéral ;
- un suivi ophtalmologique régulier par l’ophtalmologiste traitant ;
- un accompagnement éducatif à domicile ;
- un soutien familial et des observations psychologiques régulières afin d’offrir un espace de parole pour permettre un étayage et un travail d’élaboration autour de l’annonce du handicap visuel ;
- la proposition d’une prise en charge conjointe orthoptiste et psychomotricienne en lien avec les professionnels du réseau avec comme objectifs de permettre le redressement postural par l’installation d’une ébauche de fixation en favorisant la prise d’appuis visuels, d’obtenir une accroche visuelle et travailler la motricité conjuguée, de soulager Boris des contraintes posturales de façon à favoriser le captage visuel et à soutenir l’attention visuelle.
44Nous nous appuyons sur un tableau que nous avons élaboré au fil du temps dans lequel nous avons repris et synthétisé les étapes normales du développement visuel et psychomoteur de l’enfant, les particularités en cas d’amblyopie ou de cécité qui ont été observées, les objectifs dégagés de nos bilans respectifs, et enfin les bases sur lesquelles sont donnés les conseils aux parents souvent démunis afin de leur permettre de mieux comprendre le développement de leur enfant et ainsi de leur donner les moyens d’intervenir de façon adaptée dans le quotidien.
45Voici un extrait pour l’âge de 3 mois (âge corrigé de Boris).
46Après quatre mois de prise en charge nous observons des interactions de qualité avec l’adulte (sourire, jargon). Les ajustements toniques sont plus adaptés (fixation fugitive sur cible contrastée tête maintenue ; maintien et redressement de la tête ; le dos est plus ferme).
47La vision de Boris entraîne une modification de sa posture et enclenche l’activation motrice lui permettant d’atteindre la cible repérée visuellement. Il fait quelques tentatives de préhension vers un objet. Nous cherchons à favoriser le développement de la communication et développer le plaisir et le désir de voir.
48Tout au long des séances nous remarquons une amélioration des capacités perceptives de Boris : une ébauche de poursuite même s’il y a encore de nombreuses ruptures ; un allongement de sa reconnaissance visuelle ; l’apparition de saccades d’attraction sur cible noir/blanc en faisant grâce à un bruit ou un objet déclenchant la fixation dans l’espace visuel. Nous poursuivons la rééducation de la dynamique oculaire.
49Boris montre un intérêt de plus en plus grand pour les objets très contrastés et structurés (damiers). Nous favorisons la posture asymétrique qui peut être considérée comme un point d’équilibre autour duquel s’organise (coordination gauche/droite) le bébé (ballon).
50L’acuité visuelle de Boris a évolué puisqu’elle est passée en quatre mois de la palette 0.12 cpd à la palette 4.0 cpd des réseaux de Léa.
Second cas clinique : Bella
51Bella est née en avril à terme. Elle est la première enfant d’une fratrie de deux. Entre 3 semaines et 3 mois, elle est hospitalisée plusieurs fois pour une myocardite virale. C’est lors de l’une de ces hospitalisations que le neurologue remarque un nystagmus. Elle est vue par un ophtalmologiste en libéral en août qui confirme le nystagmus avec :
- prescription optique d’hypermétropie de + 4 odg ;
- pas de poursuite visuelle au-delà de 50 cm ;
- fo : réseau vasculaire grêle.
52Des examens complémentaires sont prescrits :
- erg : est évocateur d’une amblyopie organique par rétinopathie ;
- pev : ininterprétables ;
- Audiogramme : normal.
53Premier contact avec le sessad en décembre
54Bella a 7 mois.
55Elle est donc adressée par l’ophtalmologiste pour un bilan pluridisciplinaire dans le cadre d’une dystrophie des cônes précoce et sévère, avec nystagmus congénital associé à un retard psychomoteur.
56Lors du bilan conjoint, en présence des parents Bella n’a pas de réaction de défense à la présentation d’une source lumineuse forte ou d’un objet. Le réflexe photomoteur est faible odg. On note un nystagmus horizonto-rotatoire. Sur stimulus visuel pur, on n’observe pas de fixation, ni d’ébauche de poursuite. Il n’y a pas de regard relationnel, et le BBV à 57 cm = 1/30.
57Bella porte à présent une correction de : od : (110°+2.5) +3.25 et og (80°+1.25)+3.5.
58Avec sa correction optique, elle semble redresser sa posture et mieux orienter son regard. Il a été conseillé aux parents de la lui mettre le plus possible lors des temps d’échanges.
59Bella tourne la tête et oriente le regard sur stimulus sonore : ses yeux sont mobiles mais ne fixent pas une cible en particulier. Elle ne recherche pas l’objet lumineux en fuite. Elle ne répond pas à un sourire silencieux.
60Le quotient de développement global de Bella (45) est bien en dessous de la moyenne pour son âge. Les résultats sont hétérogènes avec une dispersion allant de 2 mois (27) à 4 mois (60) pour les âges de développement. C’est au niveau de la posture qu’elle est le plus avancée. Elle est dynamique et mobilise tout son corps. Elle tient assise avec un minimum de soutien mais ses ajustements toniques ne sont pas de bonne qualité.
61C’est dans le domaine de la socialisation et des coordinations qu’elle obtient les plus faibles résultats. En effet, elle est peu expressive, mais vocalise. La préhension volontaire n’est pas acquise. Elle peut secouer un hochet ou le porter à la bouche mais seule la préhension de contact est efficace. Ces résultats sont explicables du fait des difficultés visuelles qui perturbent très tôt les moyens d’interaction et de prise d’information du bébé. Sa maman ne semble pas pouvoir repérer et traduire les signes discrets (mouvements, pleurs, cris…) émis par sa petite fille.
62Conclusion du bilan conjoint
63Bella est un bébé de 7 mois qui présente une déficience visuelle sévère entraînant un retard psychomoteur affectant la communication, l’instrumentalisation du regard et la coordination intermodale.
64Des conseils sont donnés aux parents, à partir de nos observations, sur les différentes sensorialités à développer ; ainsi que sur la façon de soutenir la communication avec leur enfant, en favorisant la parole et les échanges tactiles. Nous avons repris sous forme de tableau (p. 170) ces conseils.
65Du fait de la situation de malvoyance majeure, l’équipe pluridisciplinaire propose un accompagnement éducatif à domicile pour répondre aux demandes et aux préoccupations quotidiennes et pour conseiller et soutenir les parents dans leurs compétences en proposant des adaptations (jouets, environnement…) ainsi qu’un accompagnement familial régulier par le médecin pédo-psychiatre pour un soutien à la parentalité.
66L’équipe préconise la poursuite du suivi régulier par l’ophtalmologiste libéral et la mise en place d’un accompagnement orthoptiste/psychomotricienne afin de favoriser un bon développement sensori-moteur et perceptif.
67Nos axes de travail sont :
- d’éveiller l’appétence visuelle par une stimulation plurisensorielle pour aider Bella à se découvrir et à utiliser ses capacités à explorer de façon à créer une cohérence intermodale ;
- d’établir le contact visuel, de favoriser les échanges et la communication « œil à œil » ;
- d’installer une ébauche de fixation et de poursuite, pour permettre le redressement postural et l’instauration d’une préhension volontaire ;
- de stimuler les appuis périphériques (tonus) multisensoriels pour développer une bonne relation vision/posture/mouvement ;
- d’amener Bella, dans un espace sécurisant et contenant, à vivre (percevoir, sentir, comprendre, agir, éprouver) des expériences motrices et sensorielles facilitant son développement.
68Après un an de prise en charge nous observons que Bella, à 26 mois, est une petite fille peu expressive, silencieuse et passive. Le langage n’est pas en place. Elle ne réagit pas à son prénom.
69Bella n’utilise pas sa vision pour communiquer. Le bébé-vision est en dessous des scores pour une enfant de son âge. Il y a une photophobie importante : elle est équipée de verres classe 2 par l’opticien spécialisé du service. Il est difficile de solliciter les mouvements oculaires en station debout. Pourtant la fonction d’alerte est activée à droite comme à gauche sur les tissus à damier.
70La marche autonome est acquise depuis l’âge de 23 mois. Elle investit l’espace mais sans but. Le contact corporel est difficile et elle n’accepte pas toujours d’être tenue ou contenue. Elle n’accroche pas le regard de l’autre et semble la plupart du temps fuir la relation : l’adulte ne peut pas l’apaiser.
71Bella n’est pas attirée par les petits objets. Les jouets ne sont pas explorés, ni visuellement ni par une autre modalité sensorielle, mais portés à la bouche. Elle ne s’intéresse pas au gribouillage, les livres ou les images ne sont pas investis.
72Nous essayons de créer et motiver le plaisir, le désir de voir et de bouger. Le sonore prend le pas sur le visuel et la vision ne soutient pas la communication.
En conclusion de l’observation de Bella
73Bella présente un retard dans l’instrumentation visuelle et la maturité de la vision fonctionnelle, associé à un retard psychomoteur important avec des troubles de la communication et de la relation.
74Une prise en charge plus soutenue de Bella est proposée aux parents avec la proposition d’intégrer un jardin d’enfants spécialisé, ainsi que la poursuite du dispositif de prise en charge conjointe et du travail à domicile.
75Voici un extrait du tableau (p. 172) montrant les compétences qu’auraient dû acquérir Bella.
Conclusion
76Quand le handicap visuel s’annonce, les perspectives d’avenir se déchirent laissant place au désarroi et aux interrogations.
77La rééducation conjointe, orthoptiste/psychomotricienne, peut être une des réponses. Elle s’inscrit dans le projet de réadaptation élaboré par l’équipe pluridisciplinaire en lien avec la famille.
78Cette mobilisation optimise le parcours de l’enfant en termes d’approche globale du soin et d’accompagnement en les priorisant dans le temps et l’espace, en organisant les articulations et les liens, en ajustant les réponses aux attentes de la famille.
79C’est soutenir et accompagner les parents dans leur long cheminement, sans jamais prendre leur place, en leur reconnaissant des potentialités de parents.
80Ainsi, le bébé déficient visuel redevient un enfant en devenir qui va se construire avec sa déficience visuelle.
81Le parcours ne sera pas aisé, mais des possibles existent : « Dur, Dur d’être un bébé déficient visuel ! »
Bibliographie
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