Contraste 2014/1 N° 39

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Article de revue

Les observations repas et le groupe goûter. (Re)voir la vie avec appétit

Pages 327 à 340

Notes

English version
« L’oralité représente l’ensemble des fonctions dévolues à la bouche. »
(V. Abadie, 2012)

Intérêt de la prise en charge en camsp des troubles alimentaires

1« Il mange mal » ; « les repas, c’est la galère et ça dure deux heures » ; « il avale tout rond » ; « il refuse tout ce que je lui propose » ; « elle ne mange que des aliments blancs » ; « les gâteaux, j’ai trop peur, je ne lui en donne pas »... Au camsp, il n’est pas rare d’entendre ce type de remarques. Autant de plaintes qui montrent que l’un des premiers liens qui unit la maman et son bébé, ce lien nourricier qui semble si naturel et si facile, ne l’est pas dans certains cas et nécessite que l’on s’en préoccupe précocement.

2Les problèmes d’alimentation altèrent la confiance en lui du parent en tant que « nourrisseur ». Ce qui peut entraver la mise en place des relations précoces mère-bébé et susciter de vives angoisses concernant la survie de l’enfant.

3À la naissance, le nouveau-né est entièrement dépendant de l’adulte pour se nourrir. En agissant précocement, entre 0 et 6 ans, nous détectons les problèmes de dysoralité. Nous aidons et accompagnons les premiers liens parents-bébé. Ceci évite à l’enfant de développer des troubles du comportement alimentaire.

Origine des troubles

4Si quelques enfants ont dès leur naissance des troubles de la succion-déglutition, c’est le plus souvent au moment de la diversification alimentaire, vers 5-6 mois, que les difficultés commencent. Certains enfants sont dans l’incapacité d’avoir une alimentation orale suffisante leur permettant d’assurer une croissance staturo-pondérale correcte. Ils doivent ainsi « bénéficier » d’une nutrition artificielle (sonde naso-gastrique, gastrostomie). D’autres ont une alimentation laborieuse avec des fausses routes et pour une partie les difficultés sont uniquement transitoires.

5Cette dysoralité peut être reliée à de nombreuses problématiques rencontrées au camsp :

  • une extrême prématurité ;
  • des pathologies néonatales diverses (séquence de Pierre-Robin, fente vélo-palatine, syndrome de charge, trisomie 21, syndrome de Prader-Willi, syndrome d’Angelman, dépression, ted, imc, etc.) ;
  • des troubles de la relation mère-bébé ;
  • un retard de parole et de langage.

Pourquoi les observations repas

6C’est au cours de la consultation médicale que les parents évoquent, de façon spontanée ou suite à des questions du médecin, leurs difficultés face à l’alimentation. Les observations repas au camsp répondent donc à une demande fréquente des parents et permettent d’objectiver avec eux les problématiques et les aides possibles.

7Actuellement ces observations sont proposées par une puéricultrice et une orthophoniste, sur des temps de repas ou de goûter. Elles durent entre quarante-cinq et quatre-vingts minutes.

Les observations repas

Intérêts du binôme orthophoniste-puéricultrice

8Les observations repas sont le plus souvent proposées aux familles lors de la consultation avec un médecin référent. Elles se font en binôme : orthophoniste et puéricultrice. Nos deux formations, très différentes mais complémentaires, nous permettent d’avoir une vision plus globale de l’enfant, du parent et de leur problématique.

9La puéricultrice a un regard attentif sur le maternage, l’installation de l’enfant et la courbe staturo-pondérale. Elle tend à dédramatiser la situation, tout en étant attentive aux aspects caloriques du repas. Pour sa part, l’orthophoniste a un regard plus technique sur l’acte de succion, de déglutition, de mastication, de respiration, ainsi que sur le matériel utilisé et les textures proposées. Toutes deux sont attentives à la communication et aux liens parents-enfant.

Organisation, déroulement et conseils

10Nous prenons un premier contact avec les familles par téléphone ou lors de leur passage au camsp. Nous trouvons un créneau adapté à l’enfant et à sa famille, sur un temps de repas. Nous demandons aux parents d’apporter un repas habituel, les aliments posant problème et la vaisselle utilisée. Enfin, nous nous renseignons sur le mode d’installation lors des repas, afin de préparer au mieux la venue de l’enfant à l’observation.

11Le jour de l’observation, nous nous efforçons de mettre les parents et l’enfant dans un contexte positif et à l’aise. Nous les accueillons dans une salle où le matériel est adapté à l’enfant.

12L’orthophoniste commence par jouer avec l’enfant dans le but de le mettre en confiance. Pendant ce temps, la puéricultrice retrace avec les parents l’anamnèse alimentaire de leur enfant.

13Après ce temps de rencontre, le parent installe l’enfant pour le repas et le fait manger comme à son habitude. Si des aliments posent problème, nous commençons par les proposer à l’enfant. Progressivement, nous commentons : le positif comme les difficultés. Nous transmettons nos conseils. Néanmoins, il est important de prioriser les besoins de l’enfant et de ne pas assommer le parent de conseils.

14Les temps d’observation repas nous conduisent à aborder plusieurs axes avec les parents. Ainsi, nos conseils portent sur différents domaines.

L’environnement

15Avant de commencer le repas, il peut être utile de faire participer l’enfant à sa préparation. Ainsi, il va prendre plaisir à toucher, transformer, sentir ; il pourra de cette manière s’approprier les aliments et mieux les accepter ensuite.

16Par ailleurs, l’instauration de rituels (se laver les mains, mettre la table, préparer le repas) permet à l’enfant d’avoir des repères autour du temps de repas. Cela le sécurise et met du sens autour de l’acte de manger.

17Enfin, il est important que le repas se déroule dans un univers calme, convivial, soutenant et dès que possible en famille.

Les installations et les équipements

18Pour manger sans risque, l’enfant doit être installé dans un contenant (chaise haute, transat, fauteuil moulé) adapté à sa morphologie, à ses difficultés motrices et à sa tonicité.

19Le matériel utilisé (cuillère, assiette, verre) doit également être adapté (cuillère pas trop large ni trop profonde) et varié (verre à encoche, biberon, paille, verre à bec, verre normal) si besoin. Cet axe est à approfondir dans le but de rendre l’enfant le plus autonome et confortable possible.

Les apports

20Nous devons nous assurer que l’enfant reçoive des apports caloriques suffisants. Si ce n’est pas le cas, il faut enrichir les plats, augmenter les quantités ou faire appel à une diététicienne. Pour d’autres enfants atteints de pathologies telles que le syndrome de Prader-Willy, il est utile d’adopter des régimes spécifiques (pauvres en sucre, sans gluten) afin d’anticiper des risques futurs d’obésité ou des troubles des conduites alimentaires. Nous accompagnons les parents dans la mise en place et le suivi de ces besoins particuliers.

21En parallèle, nous aidons les parents à faire évoluer les textures des aliments pour que celles-ci soient adaptées aux compétences de leur enfant. Proposer une texture plus difficile à mâcher en début de repas puis passer à une texture plus facile lorsque des signes de fatigue apparaissent. Faire évoluer progressivement les textures des plats : mixé, mouliné, granuleux, écrasé, petits morceaux tendres, petits morceaux.

La nutrition artificielle

22Grâce à un travail conjoint avec les médecins et les parents, nous tentons d’accompagner l’enfant dans son sevrage de la nutrition artificielle en rétablissant l’alternance faim-satiété, en donnant l’alimentation en discontinu, en diminuant les quantités. Tout ceci s’accompagne de stimulations oro-faciales.

L’acquisition de la praxie de mastication

23Cette problématique est la plus fréquente chez les enfants suivis en camsp. Pour commencer, il est important d’expliquer aux parents que cet apprentissage prend du temps (plusieurs années) et nécessite un entraînement quotidien lors des repas. Pour ce faire, ils peuvent adapter les textures, déposer les aliments sur les côtés de la bouche, commenter la mastication de l’enfant, lui montrer comment mâcher et réaliser des exercices praxiques avec l’orthophoniste.

L’hypotonie de la sphère oro-faciale

24L’hypotonie est très fréquente chez les enfants que nous voyons et entraîne un manque de force à la mastication, des fuites labiales, une protrusion de langue, un défaut de mobilité linguale et vélaire ayant un impact sur l’alimentation. Ceci nécessite de réaliser avec l’enfant des stimulations, des massages et des exercices praxiques. Il faut également éviter de donner de trop grandes cuillerées et ne pas faire durer le repas plus de trente minutes.

Les troubles de la succion-déglutition et l’hyper ou l’hyposensibilité

25Quand il existe des troubles de la succion-déglutition avérés, il est indispensable de faire des examens ORL objectivant ces difficultés. À la suite de ces examens, nous pouvons donner des conseils de posture (tête légèrement penchée en avant, tenir le menton lors de la tétée avec l’index), de texture, de matériel (verre à encoche pour éviter l’hyperextension de la tête) et de stimulations (masser le plancher buccal pour déclencher le réflexe de déglutition).

26Il est également important de détecter une hyper ou hyposensibilité impactant la prise d’aliments. Une désensibilisation est indispensable chez les enfants hypersensibles (Senez, 2002).

Les aspects psychologiques et la sélectivité alimentaire

27En cas de refus massif, phobie ou antécédents familiaux de trouble des conduites alimentaires, nous travaillons en partenariat avec les pédopsychiatres et/ou psychologues. Il faut tenter de dédramatiser les repas, laisser le temps à l’enfant de s’approprier la nourriture et de se constituer son « moi lingual ». Pour cela, le recours aux rituels sécurisants, à des aspects ludiques, des ustensiles attrayants peut être utile.

28Concernant la sélectivité, il faut aider les parents à ne pas se décourager, à continuer à proposer une certaine diversité malgré les refus, à ruser en changeant l’aspect des aliments (spaghettis de carotte) et à ne pas suppléer le refus du salé par du sucré.

29Chacun des enfants que nous voyons présente une ou plusieurs des difficultés évoquées dans ces différents domaines. Nous conseillons petit à petit les parents pour trouver ensemble des solutions adaptées à leur enfant.

30Nous effectuons des essais alimentaires, mais également des essais d’installation (fauteuil girafe, chaise haute) et de matériel (cuillère, verre). Les séances sont vraiment personnalisées car chaque enfant, du fait de son âge, de sa pathologie, de son histoire et de sa famille est différent, avec un rapport à l’alimentation qui lui est propre.

31Nous apportons une écoute bienveillante aux parents, chacune avec notre sensibilité et notre personnalité. Il s’agit de les rassurer et de les conseiller. Nous nous attachons à gratifier les compétences maternelles de ces mamans en souffrance face aux difficultés de leur enfant.

32À la fin de chaque observation, nous rappelons les conseils importants et fixons une nouvelle date de rencontre. Celle-ci varie d’une famille à l’autre : deux semaines, deux mois, six mois. Les familles savent qu’elles peuvent nous joindre plus tôt si nécessaire.

33La relation de confiance dans la triade : professionnels, parents et enfant est primordiale. C’est pourquoi il est souvent nécessaire de voir l’enfant et ses parents plusieurs fois.

Constats cliniques

34Nos expériences dans le domaine nous ont conduites à observer l’évolution de la société autour de l’alimentation du jeune enfant. Nous avons fait trois grands constats.

35Tout d’abord, les familles mènent des vies trépidantes, les parents devant jongler avec leur travail, les horaires d’école ou de crèche, les horaires de la baby-sitter et les rendez-vous au camsp. Ils ont donc peu de temps pour préparer les repas, d’où le recours aux plats préparés, pour eux comme pour leur enfant. Ces plats infantiles sont adaptés aux besoins nutritifs des enfants en fonction de l’âge, mais façonnent d’une façon particulière le goût et peuvent être inadaptés pour des enfants avec des besoins spécifiques.

36De plus, certains parents n’osent pas se faire confiance en préparant eux-mêmes les plats, croyant que les petits pots savent mieux répondre aux besoins de leur enfant.

37D’autre part, parents et enfants ont peu l’occasion de prendre des repas ensemble du fait de rythmes de vie décalés. Ainsi certains moments de plaisir partagé et de rassemblement peuvent se perdre au profit de simples instants d’apports nutritifs.

38Et souvent, les parents ont des difficultés à savoir adapter l’alimentation pour leur enfant qui grandit et ont juste besoin d’un soutien bienveillant pour oser.

Vignettes cliniques

39Nous avons notamment reçu B., âgé de 15 mois, porteur d’une trisomie 21. B. a une langue qui est très protruse. Il n’a pas encore acquis les mouvements linguaux verticaux. Par ailleurs, il mastique peu, avale directement la purée ou l’écrase au palais avec sa langue. Il tient fragilement assis. Chez les enfants porteurs de trisomie 21, il est fréquent de rencontrer des difficultés lors de la diversification alimentaire (extrême sélectivité de goûts, refus des textures non mixées, refus des aliments salés), une hypotonie bucco-faciale et des difficultés d’acquisition de la praxie de mastication.

40Nous avons donné des conseils de positionnement à la maman. Nous lui avons recommandé une cuillère plus étroite pour pouvoir placer la purée sur les côtés de la bouche et montré une technique d’appui lingual à l’aide de la cuillère afin de développer les mouvements verticaux. Le suivi alimentaire se poursuit autour de l’évolution des textures, de l’hydratation et de la mastication.

41Autre cas, celui de M., une petite fille de 18 mois atteinte d’une infirmité motrice d’origine cérébrale (imoc). Lors de la première observation repas, M. n’ouvre pas volontairement la bouche. Lorsque les aliments sont déposés dans sa bouche, elle les recrache ou les garde en bouche. Le bolus a du mal à être acheminé vers la base de langue et la langue est peu mobile. De plus, M. ne sent pas toujours lorsque sa maman lui dépose la cuillerée dans la bouche. À cela s’ajoutent des fausses routes trachéo-bronchiques et par régurgitation. Par ailleurs, M. ne semble pas prendre de plaisir lors des repas et la maman explique vivre une galère chaque soir pour la nourrir. Une partie de notre travail a consisté à montrer à cette maman comment stimuler par pressions la sensibilité intrabuccale de sa fille. En parallèle, nous avons réfléchi avec la kinésithérapeute à l’adaptation des textures pour limiter les fausses routes ainsi qu’à l’installation de M. Ensuite, nous avons entamé un travail autour du plaisir de manger, de la découverte du goût et du « lâcher-prise » à certains moments. Nous avons également accompagné la crèche de M. en proposant un protocole alimentaire en accord avec le médecin référent.

42Enfin, P., âgé de 17 mois, présente un retard global de développement. Il nous est envoyé par la pédiatre car les parents signalent qu’« il mange mal » et « a besoin d’être distrait pour accepter de manger ». Lors de la première observation repas, la maman évoque une problématique familiale particulière (maman et grand-mère maternelle) autour de l’alimentation. Ce premier repas a été très agité, P. s’étant mis à hurler dès l’ouverture du petit pot, puis à déambuler dans toute la salle, la maman courant derrière lui avec la cuillère pour tenter de le nourrir. Nous avons tenté de déculpabiliser la maman par rapport à son propre vécu de l’alimentation. Nous l’avons rassurée en dédramatisant la situation (courbe staturo-pondérale normale) et en la conseillant : instaurer du plaisir partagé et des rituels autour des repas. Trois mois plus tard, nous avons revu P. et sa maman. Nous notons une amélioration : il accepte de rester à table pendant le repas, mais la maman continue à le distraire pour qu’il accepte les cuillerées. À ce stade, il refuse tous les morceaux, sauf les gâteaux apéritifs. Nous avons souligné ses progrès pour soutenir la maman et l’encourager à poursuivre les adaptations. Nous lui avons conseillé de continuer à prendre les repas en famille pour décentrer l’attention de P., de le laisser manger seul et toucher les aliments.

43Nous avons également abordé la question d’un suivi psychologique.

44En parallèle, P. présente une hypotonie bucco-faciale et un retard de parole et de langage. Un suivi orthophonique hebdomadaire a donc débuté. Il a également intégré le groupe goûter. Il est très content d’y participer, prend plaisir à mélanger les ingrédients à l’aide des ustensiles, mais ne veut pas les toucher avec ses mains.

45Aujourd’hui, à la maison, les repas sont plus faciles, il mange seul, réclame de la nourriture et semble prendre du plaisir.

Des observations repas au groupe goûter

Naissance et modalités du groupe

46Suite aux observations repas, il nous a semblé que certains enfants bénéficieraient d’une prise en charge plus régulière, différente et sous une autre forme qu’un repas. C’est de ce constat qu’est né le groupe goûter.

47Ce groupe a lieu une fois par mois, pendant une heure trente, sur un temps de goûter. Il est composé d’un groupe semi-ouvert de trois à six enfants, âgés de 2 ans et demi à 6 ans, ayant des troubles d’oralité alimentaire d’origines diverses. Deux professionnels, une orthophoniste et une puéricultrice, encadrent ce groupe.

Déroulement

48Le principe est de proposer à ces enfants un espace où ils s’approprient la nourriture en osant toucher, sentir, transformer, goûter à l’envie, sans le regard de leurs parents.

49Pendant plus d’une heure, les enfants découvrent des ingrédients et réalisent une recette de gâteau sucré ou salé, une boisson et une compote ou une crème. Chaque séance met à l’honneur un fruit ou un légume de saison.

50Ils découvrent également le rituel du repas et de l’hygiène. Chaque groupe débute par le lavage des mains et l’enfilage du tablier de cuisinier.

51Une fois les délices réalisés, avec la participation active des enfants, nous dressons une belle table. Les parents nous rejoignent pour goûter ensemble.

52Pendant toute la durée de la séance, nous photographions les enfants. Ceci permet de réaliser un cahier pour chacun. Ainsi, parents et enfants ont un cahier dans lequel sont collées les recettes réalisées et les photos de chaque séance. Cela a une grande importance car les enfants en sont très fiers et les parents ont une trace concrète de ce qui se déroule pendant leur absence. Une maman nous a dit, au sujet de ce cahier : « C’est le plus beau cadeau que vous puissiez nous faire. » De plus, des parents nous confient, par la suite, qu’ils ont refait les recettes.

53La manipulation des ingrédients permet aux enfants de s’approprier cette nourriture qui les angoissait au préalable. Progressivement, ils sont plus à l’aise, plus détendus et s’autorisent davantage à toucher, sentir : « ça sent bon la vanille », transformer, voire goûter : « c’est pas bon la farine », « j’adore le chocolat ». Leurs visages se sont modifiés sur les photographies. Ils ont gagné en dextérité et connaissent tous les gestes servant à cuisiner. Ils prennent du plaisir à casser les œufs, vider le verre mesureur dans le saladier, étaler du jaune d’œuf avec le pinceau… Une collègue a croisé une petite de 3 ans qui participe au groupe dans la salle d’attente. Elle s’est adressée à elle en lui disant qu’elle attendait le début du groupe goûter, la petite s’est alors mise à faire le geste de « mélanger ».

54Le choix de ne faire intervenir les parents qu’en fin de groupe permet d’éviter certaines tensions présentes à la maison autour de l’alimentation. De plus, les enfants sont très heureux et fiers de présenter leurs réalisations à leurs parents lorsque ceux-ci les rejoignent. Du côté des parents, cet espace est bien respecté et ils sont souvent épatés de la réalisation de leur enfant. Une fierté mutuelle s’installe rapidement et laisse la place à de petits changements qui sont de grands pas sur le chemin de l’oralité. À la fin d’un groupe, un papa a montré à sa fille comment lécher la crème au chocolat. Il a alors fallu deux secondes à la petite et à sa voisine pour en faire autant. Ce jour-là, cette dernière a dit : « J’ai faim. » Le papa était très ému, car c’était la première fois que sa fille de 4 ans prononçait cette phrase.

55Le groupe goûter, c’est beaucoup d’émotions partagées. Après un an d’existence, l’intérêt de ce groupe au camsp est incontestable.

L’orthophonie : une prise en charge globale

56Dans le cadre du bilan et du suivi individuel orthophonique du jeune enfant de 0 à 6 ans, il est indispensable d’observer, d’évaluer, de questionner et de prendre en charge les troubles de l’oralité verbale mais aussi alimentaire. Cela permet d’agir précocement, de mieux anticiper et comprendre certains troubles.

57En effet, entre 0 et 1 an, période de l’oralité primaire (cris, vocalisations, succion et déglutition) puis plus tard lors de la période de l’oralité secondaire (passage à la cuillère, mastication, babillage rudimentaire, mixte puis canonique), l’alimentation et le langage se développent conjointement et s’influencent mutuellement. En grandissant, l’enfant mastique de plus en plus finement. Il développe ainsi ses gnosies et ses praxies qui vont lui permettre d’enrichir ses productions phonémiques et de se constituer un premier lexique qui est bien souvent un vocabulaire alimentaire.

58Parler, manger, respirer, déglutir, sucer, crier mettent en jeu les mêmes zones oro-faciales mais aussi les mêmes zones corticales (zones frontales et pariétales).

Vignette clinique

59À 6 mois, nous avons reçu S. et sa maman. S. est porteuse d’un syndrome de Stickler associé à une séquence de Pierre Robin. Elle a une trachéotomie et une gastrostomie. La prise en charge a débuté par une séance conjointe, puéricultrice et orthophoniste, autour de la relation mère-enfant et de tentatives de reprise de l’alimentation par la bouche. Après l’urano-staphylorraphie [1], S. s’est complètement renfermée et l’accès au visage était impossible. Nous avons donc adapté le contenu des séances en repassant par un accès plus global.

60Pendant des mois, la rééducation a consisté à manipuler des yaourts, des crèmes desserts et des mousses à l’aide des mains, en étant devant le miroir. Petit à petit, S. s’est autorisée à en mettre sur ses jambes, ses bras et quelquefois sur son visage. Par la suite, nous avons introduit les cuillères pour la manipulation, des jeux de dînette et une poupée. Nous sommes progressivement revenues à un cadre plus classique en nous asseyant à la petite table. S. était plus détendue et plus en confiance. Ainsi, le visage était de nouveau accessible aux massages et aux stimulations.

61Par ailleurs, nous finissions chaque séance par des jeux autour du langage auxquels S. est très sensible. Puis l’apport en eau dans la gastrostomie a été diminué, ce qui a assoiffé S. Après plusieurs jours, elle s’est mise à boire de l’eau plate. Pendant des semaines, elle n’a accepté que l’eau, puis quelques cuillerées de yaourt nature. En parallèle du suivi orthophonique, elle a participé au groupe goûter à partir de 20 mois.

62Aujourd’hui, ses progrès se poursuivent. Elle peut désormais manger un yaourt entier en tube. Nous continuons les stimulations oro-faciales, le soutien au langage, le travail du vélum et le groupe goûter.

Conclusion

63Le point commun entre tous ces patients est leurs difficultés autour de l’alimentation. Les observations repas permettent de les objectiver et de trouver des solutions allant du simple conseil pratique au suivi orthophonique hebdomadaire, en passant par le groupe goûter ou les observations repas plus rapprochées.

Bibliographie

Bibliographie

  • Abadie, V. ; Thouvenin, B. ; Peigné, C. ; Ouss, L. 2012. Les journées de groupe oralité de l’hôpital Necker : « Les difficultés alimentaires du jeune enfant ».
  • Déclic, 2012. Troubles de l’alimentation, guides Déclic, Lyon, Handicap international, coll. « Santé ».
  • Senez, C. 2002. Rééducation des troubles de l’alimentation et de la déglutition dans les pathologies d’origine congénitale et les encéphalopathies acquises, Marseille, Solal.
  • Thibault, C. 2010. « Oralité et maladies rares : pour une intervention orthophonique précoce », Ortho magazine, vol. 16, n° 91, p. 18-23.
  • Thibault, C. ; Abadie, V. ; Couly, G. ; Manach, Y. 2007. Orthophonie et oralité. La sphère oro-faciale de l’enfant, troubles et thérapeutiques, Issy-les-Moulineaux, Masson, coll. « Orthophonie ».

Mots-clés éditeurs : soutien parental, observation repas, écoute attentive, groupe goûter, troubles de l'alimentation

Mise en ligne 14/04/2014

https://doi.org/10.3917/cont.039.0327

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