Contraste 2014/1 N° 39

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Article de revue

L'intégration sensorielle : de la théorie à la prise en charge des troubles de l'oralité

Pages 143 à 159

English version

1Océane ne veut pas manger les morceaux : elle peut rester une heure et demie à table et ne consommer qu’une toute petite portion de son repas. Des vomissements apparaissent dès que ses parents insistent un peu.

2Daren sort de l’hôpital à 9 mois. Il a acquis la position assise, mais il ne bouge pas. Il ne touche aucun jouet placé à sa portée et les repousse avec ses pieds. Il n’aime pas prendre son bain, qu’on lui essuie la bouche ou les mains et le brossage des dents est impossible. Il est alimenté par voie entérale et refuse toute nourriture.

3Gabriel présente un réflexe hypernauséeux sévère et il passe des journées difficiles, ne trouvant le sommeil que pour quelques heures. Il ne prend aucun plaisir à manger, à prendre son bain ou à jouer. Toute stimulation est difficilement supportable pour lui, que ce soit le toucher, les sons environnants, les changements de positions, la présence de plusieurs personnes se déplaçant autour de lui.

4Iliès court partout du matin jusqu’au soir, il grimpe, il tourne sur lui-même, il prend des risques et tombe fréquemment. Il casse la plupart des jouets qu’il manipule en force. Il vide son coffre à jouets et jette tout ce qu’il arrive à saisir.

5Océane, Daren, Gabriel et Iliès présentent des troubles de l’intégration neurosensorielle.

Historique et prévalence

6Les troubles de l’intégration neurosensorielle sont peu connus en France, même si les professionnels les repèrent régulièrement dans leur pratique. C’est dans les années 1960 qu’aux États-Unis des recherches ont été entreprises sur ce sujet. Jane Ayres, occupationnal therapist, et psychologue, a publié de nombreux ouvrages et des bilans de 1960 à 1980. Ceci a permis l’utilisation d’outils pour diagnostiquer et rééduquer les enfants présentant des difficultés dès leur plus jeune âge.

7Ce sont les professionnels connus sous le nom de occupational therapists et spécialisés dans ce domaine qui prennent en charge ces troubles en Amérique du Nord, que ce soit chez l’enfant ou chez l’adulte. Cette prise en charge se fait en lien avec d’autres membres de l’équipe, les orthophonistes, les kinésithérapeutes, les psychologues, etc.

8D’après Lucy J. Miller, occupational therapist (2010), la prévalence est de 1 sur 20. Chez l’enfant porteur d’un handicap, la prévalence est bien plus importante.

Quelles sont les origines de ces difficultés ?

9Les études effectuées en laboratoire suggèrent que les difficultés rencontrées par les enfants sont liées à un dysfonctionnement des systèmes sympathique et parasympathique. En effet, le système sympathique gère nos réactions de fuite ou de combat alors que le système parasympathique nous permet de retrouver le calme.

10Lucy J. Miller propose l’exemple suivant pour illustrer ce fonctionnement : nous sursautons au son soudain derrière nous mais nous retrouvons immédiatement notre calme lorsque nous apercevons le chat qui vient de faire tomber la poubelle.

figure im1

11Chez l’enfant qui présente des troubles de l’intégration neurosensorielle, la réaction au stimulus est démesurée et le temps nécessaire pour retrouver le calme est beaucoup plus long.

Le processus d’habituation

12De plus, il semblerait que le processus d’habituation qui permet à l’enfant d’intégrer un stimulus perçu au quotidien ne se met pas en place. Ainsi, le tout-petit ne s’habitue pas au contact du sable sous les pieds nus, au son du train qui fait vibrer la maison toutes les trente minutes, au contact de la cuillérée de purée sur les lèvres alors que le biberon n’avait posé aucun problème.

13Donc, l’enfant qui n’entre pas dans la diversification alimentaire à 1 an ne le fera pas plus à l’âge de 3 ans ou de 6 ans. Il se peut même que la liste des aliments acceptés se réduise graduellement car l’enfant a construit des défenses pour se protéger de sensations qui, pour lui, sont désagréables. Il consomme à l’âge de 5 ans la même purée verte de la même marque qu’au début des tentatives faites pour diversifier. Il s’alimente exclusivement de pâtes, de pain et de produits laitiers (c’est blanc). Ou bien tout est avalé sous forme liquide, semi-liquide ou moulinée.

Hyper ou hyposensibilité ?

14Nous réagissons à des informations extérieures qui nous viennent de notre environnement : les stimuli sonores, tactiles, olfactifs ou visuels. Mais nous prenons également en compte les informations qui nous viennent de notre corps : la sensation de faim ou de satiété, notre température corporelle, la douleur, le besoin d’uriner ou d’aller à la selle (l’intéroception), une perte de la sensation d’équilibre (le sens vestibulaire), la force musculaire nécessaire pour pousser la porte du magasin (la proprioception).

15Les réactions de certains enfants sont déconcertantes car ils ne réagissent pas à certains stimuli (la douleur, l’aliment trop chaud) et se mettent à crier au son de l’aspirateur ou du sèche-cheveux. Ils présentent donc une hyposensibilité tactile et à la douleur associée à une hypersensibilité auditive. Les traits cliniques sont une juxtaposition de plusieurs comportements qui, pris de façon isolée, sont légitimes. Mais associés les uns aux autres, ils ne permettent pas à l’enfant, focalisé sur son inconfort, d’être disponible pour bouger, jouer, interagir avec ses pairs et apprendre. Cette petite fille nous explique :

figure im2

16

« je n’aime pas qu’on me lave ou coiffe les cheveux »
« je ne me brosse pas les dents »
« je ne supporte pas la saleté »
« la lumière me gêne »
« l’étiquette de mon pull me gratte »
« je mords les manches de mon chandail »
« je n’aime pas les légumes…ni les fruits »
« je ne fais pas attention à ce que l’on me dit »
« je n’aime pas les câlins »
« je marche sur la pointe des pieds »
« mes copains me disent que je leur fais mal quand on joue »
« je ne sais pas m’habiller seule »
« j’enlève toujours mes chaussettes et mon bonnet »

Quel est le lien avec les troubles de l’oralité ?

17Le moment du repas engage plusieurs sens simultanément. L’enfant tout-venant est en mesure de gérer en même temps plusieurs informations sensorielles : il les perçoit, les intègre et les mémorise en y associant un sens. Il apprend donc à fonctionner sur un mode multimodal.

18Par contre, l’enfant qui présente un trouble de l’intégration neurosensorielle est envahi par une multitude d’informations sensorielles qu’il est incapable d’organiser et il développe peu à peu des comportements inhabituels.

19Par exemple, l’enfant hyposensible peut se comporter de la façon suivante : il bouge constamment sur sa chaise car il ne sait pas où il est dans l’espace ; il mange avec rapidité et a tendance à gober tout rond car il ne sent pas la nourriture dans sa bouche ; il préfère manger avec les mains ou lécher son assiette car il a du mal à utiliser les outils ; il mange des quantités trop importantes car la sensation de satiété passe inaperçue.

20L’enfant hypersensible par contre est lent à se mettre à table car il anticipe déjà ce moment difficile ; il est grognon et exprime clairement qu’il ne veut pas manger à la vue du repas posé sur la table ; malgré les encouragements, il attend un bon moment avant d’accepter sa première bouchée ; il ne prend aucun plaisir à s’alimenter ; il trouve des stratégies de plus en plus élaborées pour éviter de mettre à la bouche ; très vite, le repas est terminé ; si ses parents insistent, il peut rester plus d’une heure à table sans pour autant augmenter la quantité prise ; peu à peu, la liste des aliments qu’il accepte devient immuable ; au fur et à mesure où il progresse, il instaure un protocole très strict (marque du produit, séquence du repas, outils acceptés etc.).

21Tant que l’enfant ne se sera pas habitué aux stimuli et ne les aura pas intégrés, il ne pourra pas modifier son comportement malgré toute sa bonne volonté. La prise en charge doit donc être axée sur la présentation de chacun des stimuli auxquels il est confronté jusqu’à ce que le processus d’habituation soit possible. En effet, sans cette première étape du développement de l’enfant, le socle de la pyramide des apprentissages, telle qu’elle est présentée par Williams et Shellenberger (1996), ne pourra soutenir le reste des apprentissages.

22(de How Does Your Engine Run ? de Mary Sue Williams et Sherry Shellenberger, 1996)

Figure 5

Pyramid of Learning

Figure 5

Pyramid of Learning

(Williams & Shellenberger, 1-4)

Le bilan orthophonique

L’anamnèse

23C’est au cours de l’anamnèse puis de l’examen lui-même qu’un premier état des lieux est fait.

24La parole est donnée aux parents lors de l’anamnèse car très souvent, ils ont bien noté les petites particularités et les petites habitudes de leur enfant. Avec leurs mots, en donnant des exemples précis, ils sont à même de dresser un tableau des réactions d’hyposensibilité, d’hypersensibilité de leur enfant. Les tentatives faites pour diversifier l’alimentation sont revues ainsi que les stratégies élaborées par le tout-petit pour éviter certains stimuli ou, au contraire, chercher à se stimuler. Les parents expliquent également comment ils ont réagi aux refus à chaque repas par des comportements visant à répondre aux attentes du pédiatre : faire entrer les aliments dans une bouche hermétiquement fermée de façon de plus en plus imaginative (attendre l’endormissement pour proposer le biberon, distraire l’enfant récalcitrant, se plier à ses exigences, menacer ou, au contraire, cajoler).

25Lorsque cela est possible, la parole est également donnée à l’enfant qui donne les raisons de ses refus et de ses choix alimentaires. C’est à l’orthophoniste de tenter d’aller au-delà du « j’aime pas » ou du « c’est pas bon ! ».

26L’orthophoniste prend note de l’historique de l’alimentation et des différents moyens utilisés pour parvenir à nourrir l’enfant. Les problèmes rencontrés et les réponses apportées font l’objet d’une discussion avec les parents. Les solutions qu’ils ont trouvées ont fonctionné à un moment donné et parfois ils s’y sont accrochés sans pouvoir passer à autre chose.

27Les interventions sur la sphère bucco-faciale et sur le système digestif sont répertoriées car elles modifient la mobilité et la sensorialité de la zone ciblée. Il en est de même pour les médicaments pris quotidiennement. En effet, certains d’entre eux ont un impact sur la sensation de faim et d’autres modifient le goût des aliments ingérés.

Le repas

28L’examen se fait sur un temps de repas avec des aliments acceptés par l’enfant mais aussi avec ceux qui sont habituellement refusés. Il comprend également un examen de la structure et des fonctions de la sphère bucco-faciale et une observation de son comportement. Les réactions de l’enfant sont notées ainsi que la qualité de la relation parent-enfant, les stratégies mises en place par l’enfant et la façon dont le parent tente de les déjouer.

29L’orthophoniste confirme alors ce qui lui semble être adapté à l’enfant : le rythme des cuillérées, les informations ou les encouragements donnés par les parents, le respect du temps pris par l’enfant pour gérer et avaler la bouchée.

30Lorsque cela est possible, l’orthophoniste propose des outils différents, modifie le positionnement de l’enfant ou le geste utilisé pour la mise en bouche ou celui d’aide à la succion ou à la déglutition. Ceci permet d’ores et déjà d’identifier ce qui va faire partie du projet de prise en charge.

L’examen bucco-facial

31Un examen de la sphère bucco-faciale et des praxies permet de déterminer les capacités de l’enfant ainsi que ce qu’il faut mettre en place pour accéder à une alimentation diversifiée, à l’autonomie et, bien sûr, à la production de la parole.

Le bilan sensoriel

32Ce qui a été répertorié durant l’anamnèse est vérifié en observant la façon dont l’enfant réagit aux divers stimuli, qu’ils soient tactiles, vestibulaires, proprioceptifs, auditifs, visuels, olfactifs ou gustatifs.

Le projet de prise en charge orthophonique

33Le projet est établi avec les parents en prenant en compte leurs priorités et en décrivant de façon claire et précise les étapes à franchir avant d’atteindre le but qu’ils se sont fixé. En effet, avant que l’enfant puisse « manger des morceaux » ou « manger en une demi-heure » ou encore « manger une quantité suffisante », il y a de nombreuses marches à gravir et un effort important à fournir.

34Les axes principaux de la prise en charge sont menés simultanément ou de façon successive selon la disponibilité des parents et des adultes qui encadrent l’enfant au quotidien. En effet, certains parents, comme ceux de Gabriel, rencontrent de telles difficultés au quotidien pour alimenter leur fils mais aussi pour le baigner et assurer un sommeil suffisant qu’ils préfèrent s’investir dès le début dans une stimulation intensive.

35D’autres parents échelonnent leurs efforts en fonction de leur disponibilité et des besoins des autres enfants de la fratrie.

36Quelle que soit la démarche choisie, il est primordial d’agir de façon cohérente avec la famille et d’avoir une approche commune au sein de l’équipe. En effet, les troubles de l’oralité suscitent parfois des avis contraires de la part des membres de la famille, du corps médical et des professionnels qui encadrent l’enfant. Si chacun s’exprime individuellement, les parents se retrouvent ballotés d’une conviction à une autre et ne pourront s’inscrire dans aucune démarche. Alors que si le discours est unifié et que l’action est menée et soutenue par chacun, le partenariat entre les professionnels de l’équipe et la famille formera un socle solide sur lequel la prise en charge se construit.

37Le « Profil sensoriel » développé par Winnie Dunn en 1999 puis traduit en français en 2010 par l’ecpa permet de déterminer clairement comment l’enfant réagit aux stimuli sensoriels et s’il présente une hyporéactivité ou, au contraire, s’il est hypersensible à certaines sensations perçues. Ceci permet de réunir les parents et l’équipe dans une prise en charge commune.

La désensibilisation

38À première vue, c’est la bouche qui est l’objet de toute l’attention de l’orthophoniste. Néanmoins, l’acte de s’alimenter est initié bien avant le moment de la mise en bouche. L’enfant, tout comme l’adulte, commence par observer le plat présenté devant lui. Puis il hume l’odeur qui envahit ses narines. Ce n’est qu’à ce moment que la portion est portée à la bouche, soit à la main, soit avec un couvert. La langue donne alors une multitude d’informations sur la température, la texture et la saveur de l’aliment (sucré, salé, acide, amer).

La vue

39Chez certains enfants, la vue de la moindre denrée suscite une réaction vive. Chez Océane par exemple, la vue d’un yaourt provoque un réflexe hypernauséeux. Chez Daren, cela engendre un refus et parfois la fuite.

40Il est donc essentiel d’accompagner l’enfant dans sa découverte visuelle de ce qui est pour lui assez nouveau, surtout s’il a été alimenté par voie entérale : la nourriture. L’enfant est installé à table pour les repas et est encouragé à participer à sa préparation, en observant, en respirant les saveurs, en manipulant s’il le désire.

41Il peut aussi se familiariser avec les ingrédients et les apprivoiser, comme l’a fait Daren accompagné de son éducatrice en préparant des petits plats : pizza, tarte, gâteau, dessert de semoule, etc. La réaction de peur initiale s’est transformée en plaisir de manipuler certains des ingrédients. D’autres sont encore soigneusement évités à cause de leur texture collante et vont faire partie des prochaines recettes.

42Tout ce qui représente le repas de façon symbolique (la dînette, les aliments en plastique ou en pâte à modeler, les couverts manipulés avec de plus en plus de dextérité) est l’occasion pour l’enfant d’intégrer les différents éléments liés au repas.

L’odorat

43À sa naissance, le nouveau-né a déjà eu l’occasion de découvrir les saveurs des aliments ingérés par sa mère. Il les différencie et les mémorise de telle sorte que son sens de l’odorat est performant dès le début de vie, ce qui lui permet de partir à la découverte de son environnement.

44Daren est né avec un système immunitaire déficient. Il a donc passé ses premières semaines hospitalisé dans une bulle et il a soudainement été privé d’une stimulation olfactive normale. Il a spontanément intégré ce à quoi il a été exposé : son lait hydratant pour le corps et le gel désinfectant sur les mains des soignants. Aujourd’hui, à l’âge de 3 ans, ce sont les deux seules choses qu’il porte spontanément à la bouche et qu’il essaye d’ingérer.

45À travers les activités mentionnées ci-dessus, il est exposé à des odeurs différentes qu’il peut alors mémoriser et intégrer. Il est présent pour les repas, que ce soit à la maison ou à la crèche. Depuis peu, il pose délicatement son index sur le contenu de son assiette et il le porte à ses lèvres. Il accepte donc d’explorer sur le plan tactile, olfactif et peut-être gustatif.

La proprioception

46L’enfant qui ne sait pas où est son corps dans l’espace, qui ne génère pas assez de force musculaire pour porter à la bouche ou qui, au contraire, écrase tout ce qu’il saisit, se trouve en grande difficulté sur le temps du repas. Souvent, l’envie d’apaiser la sensation de faim est présente, mais les mouvements désordonnés des bras, de la tête ou des jambes rendent la tâche bien difficile. Les quantités ingérées sont alors insuffisantes et le repas se termine rapidement.

47L’ergothérapeute et le psychomotricien peuvent proposer une stimulation du système proprioceptif au cours des séances et trouver des stratégies pour aider l’enfant à se poser sur le temps du repas : pressions profondes, apport de vibrations, de boudins lestés, etc.

Le sens vestibulaire

48L’enfant ne se déplace pas pendant le temps du repas mais il doit maintenir une position assise confortable et trouver son équilibre pour se rendre disponible pour coordonner les mouvements fins de la bouche, ceux qui vont lui permettre de saisir la bouchée, de la gérer et de l’avaler.

49D’une part il est nécessaire de vérifier que l’installation soutient l’enfant de façon efficace et d’autre part, un travail sur l’équilibre en dehors du temps de repas peut améliorer l’assise.

Le sens tactile

50Notre cortex sensoriel accorde une grande importance aux mains et à la sphère bucco-faciale. Ces deux zones sont riches d’informations sensorielles et le tout-petit découvre le monde qui l’entoure en manipulant et en portant à la bouche.

51L’enfant hypersensible a plutôt tendance à se protéger de cette multitude de stimuli qu’il est incapable de gérer. Il ferme les mains, ne touche pas ce qui est à sa portée et il se protège de tout ce qui s’approche de trop près en rejetant les mains vers l’arrière.

52Il en est de même pour le visage et la bouche : il se détourne de la main qui vient lui essuyer le visage ; il ferme hermétiquement la bouche ou bien il en bloque l’entrée avec sa langue ; il ne porte rien à la bouche et refuse le biberon ou la cuillère.

53À l’inverse, lorsqu’il est hyposensible et qu’il ne reçoit pas des informations assez claires de ses mains ou de la bouche, il cherche à se stimuler de diverses façons : il porte tout à la bouche (le bavoir, la manche de son pull-over, les objets à sa portée), ce qui crée une salivation importante ; il cherche des pressions profondes en cognant ses mains sur des surfaces dures (le mur, la table, sa tête, sa mâchoire) ou en se mordant ; il cherche la vibration par le biais du bruxisme ou en collant sa tête sur les jouets musicaux, sur tout ce qui vibre (le lave-linge, par exemple).

54Dans un cas comme dans l’autre, une stimulation intensive est à instaurer, la première visant à permettre à l’enfant d’intégrer graduellement les stimuli tactiles et le deuxième répondant aux besoins sensoriels de l’enfant de façon adaptée.

55Seule une approche pluridisciplinaire en partenariat avec la famille répond aux exigences de cette stimulation intensive (huit fois par jour).

56Des outils tels le protocole de Wilbarger, les massages profonds, les jeux vibratoires et les pressions profondes sont à la disposition des ergothérapeutes, des psychomotriciens, des kinésithérapeutes et des orthophonistes.

57Ces stimulations peuvent être reprises au quotidien au domicile ainsi que par les différents intervenants.

58L’orthophoniste s’intéresse de plus près à ce qui se passe autour de la bouche car tant qu’il y a une réaction démesurée au moindre contact tactile, aux variations de température ou bien aux changements de goûts, il est impossible d’engager un travail sur les praxies buccales. En effet, toute l’énergie et l’attention du petit patient sont dirigées sur l’élaboration de stratégies de défense.

59Il est alors nécessaire de désensibiliser la bouche en commençant par les lèvres et en reculant au fur et à mesure où la réaction au stimulus tactile se normalise. Des massages profonds, des tapotements et un brossage de la sphère buccale à plusieurs reprises dans la journée sont recommandés pour favoriser le processus d’habituation.

Les praxies bucco-faciales

60Il est alors possible de tonifier et de mobiliser les muscles du visage, des lèvres, de la langue, des joues et du voile du palais. Le tout-petit n’étant pas encore capable de coopérer, les stimulations proposées sont intégrées aux activités quotidiennes.

61Ainsi, la fermeture de bouche est sollicitée pendant qu’il joue mais aussi pendant la prise du repas. Le tout-petit est tout d’abord accompagné pour arriver à ses fins, puis il est encouragé à faire seul jusqu’à ce que cette position soit intégrée comme étant normale.

62Ce travail peut être proposé en même temps que celui qui vise à replacer la langue en bouche, dans une position normale. Il faut alors muscler la base de la langue et encourager l’enfant à replacer sa langue dans sa bouche.

63Les mouvements latéraux de la langue sont sollicités durant le brossage de dents lorsque l’enfant cherche à entrer en contact avec la brosse avec sa pointe de langue. Il en est de même pendant le repas lorsque la bouchée est déposée sur les molaires ou dans la joue : l’enfant doit aller chercher l’aliment avec sa langue pour le malaxer ou bien le téter.

64Le voile du palais devient de plus en plus mobile au cours des jeux de souffle proposés et lorsque l’enfant boit à la paille.

65Une fois que l’enfant a fait l’acquisition de ces capacités, la séquence qui lui permet de fermer la bouche autour de la bouchée, de téter ou de malaxer le bolus et de le déglutir après une bascule efficace de la langue peut être instaurée.

L’accompagnement parental

66L’approche décrite ne peut fonctionner sans l’adhésion des parents et de la famille. En effet, les stimulations faites en séance avec le petit patient doivent être reprises au quotidien pour être efficaces. Mais ceci est lourd pour les familles qui ont fait de nombreuses tentatives pour parvenir à alimenter leur enfant dans les meilleures conditions possibles et qui ont adopté des stratégies qu’ensuite on leur reproche. Parfois une alimentation par voie entérale a été nécessaire pour assurer la survie de leur enfant. Une fois la sonde naso-gastrique ou le bouton de gastrostomie posé, on ne parle plus de la reprise d’une alimentation par voie orale. Mais de nombreux parents attendent cette reprise avant l’entrée en crèche ou avant l’entrée à l’école.

67Ils ont donc des attentes très précises et nul ne peut assurer le succès de la prise en charge ou quand l’enfant sera à même de manger seul, un repas diversifié avec des morceaux, comme tout autre enfant.

68Les étapes sont nombreuses et le chemin toujours trop lent pour ces parents. Chaque maladie, chaque hospitalisation marque un arrêt de la progression, voire un retour en arrière. Daren, qui acceptait de prendre quelques cuillérées de compote, refuse tout en bloc à son retour d’une hospitalisation pour une crise d’asthme.

69Il nous faut donc informer, expliquer, rassurer et proposer une démarche à la portée du petit patient qui s’enhardit au fur et à mesure qu’il réussit. Mais il faut aussi prendre en compte la disponibilité des parents et leur ressenti.

70Le lien avec le psychologue qui rencontre les parents ainsi que l’enfant est un atout certain dans cette démarche complexe.

71Le contact régulier avec les autres intervenants permet un soutien mutuel lorsque les progrès se font attendre, lorsque l’inquiétude apparaît ou lorsqu’il faut abandonner une démarche qui ne fonctionne pas pour en élaborer une autre.

Conclusion

72La question que l’on pourrait se poser ici est la suivante : quel est l’impact de ce travail sur l’enfant ? Il est vrai qu’il s’agit là d’une prise en charge intensive qui démarre dès le plus jeune âge, à un moment où le lien entre les parents et leur bébé est bien fragile.

73Reprenons donc les histoires de mes petits patients et voyons où ils en sont aujourd’hui.

74Océane a été désensibilisée et elle a pu par la suite développer les praxies bucco-faciales. Il est apparu que la sensibilité à gauche était moins bonne et il a donc fallu encourager la mastication de ce côté ainsi que le transfert du bolus de gauche à droite et inversement.

75Par contre, elle avait développé la fâcheuse habitude de vomir sur commande lorsqu’elle ne voulait pas se coucher par exemple. Changer son lit et son pyjama pour ensuite reprendre une douche avec Papa était beaucoup moins drôle qu’avec Maman et elle n’a donc plus utilisé ce stratagème pour retarder l’heure du coucher.

76Cette petite fille s’est ouverte graduellement à des activités diverses et elle est devenue une vraie pipelette, capable de suivre sa scolarité normalement.

77Daren a vraiment bénéficié de la prise en charge pluridisciplinaire et les acquisitions faites lui permettent aujourd’hui, à 3 ans et demi, de faire son entrée à l’école maternelle. Il participe avec plaisir aux ateliers cuisine proposés par son éducatrice et il s’installe à table avec son frère ; il porte les aliments à la bouche pour ensuite les recracher. Dernièrement, il a pris une cuillérée de dessert à la semoule, l’a mise en bouche et l’a avalée, tout fier de son exploit.

78Sur le plan du langage, la phase d’écholalie dans laquelle il était entré disparaît pour faire place à une vraie intentionnalité communicative. Gabriel a trouvé le sommeil, que ce soit le jour ou la nuit et ceci a permis d’instaurer un rythme à sa journée… et à celle de ses parents. La désensibilisation lui a permis d’accepter une alimentation plus variée et plus équilibrée. Il a donc pris du poids, le souci étant aujourd’hui de faire en sorte qu’il n’en prenne pas trop.

79Gabriel s’est ouvert aux contacts avec son entourage, même si parfois il feint de s’endormir pour éviter une de ses séances de stimulation. Il a certains jeux favoris comme la séance de grimaces avec Papa après son bain. Les activités du quotidien et chez sa nounou sont une source de plaisir et n’engendrent plus les pleurs comme il y a un an.

80Gabriel prend des tours dans l’interaction, il exprime ses sentiments par des mimiques et il commence à varier les sons qu’il produit. Il est ouvert aux situations nouvelles et il s’y habitue beaucoup plus rapidement, comme il a su le montrer à ses parents la première fois où il est allé à la piscine.

81Iliès s’est posé suffisamment pour entrer en relation avec l’autre, pour échanger de façon non verbale puis en signes, puis verbalement. Il entre peu à peu dans les apprentissages, à son rythme.

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Mots-clés éditeurs : oralité alimentaire, prise en charge précoce, axes de prise en charge, sensorialité de l'enfant

Date de mise en ligne : 14/04/2014

https://doi.org/10.3917/cont.039.0143

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