1L’épilepsie a toujours été l’objet de représentations collectives sociales et culturelles particulières qui rendent difficile l’intégration sociale de l’enfant épileptique, mais aussi l’acceptation de son handicap par ses parents. Sur le plan historique, l’épileptique est depuis toujours l’objet d’une stigmatisation. « Et comme il approchait, le démon le jeta sur le sol et le secoua de convulsions. Mais Jésus menaça l’esprit impur, guérit l’enfant et le remit à son père. » Ceci est extrait de l’Évangile selon saint Luc. L’épilepsie appartient au champ du sacré : c’est une malédiction, une punition pour faute qui s’adresse aux coupables mais aussi à leurs descendants. La prière constitue alors le seul remède. Cette conception prévaudra jusqu’au xviiie siècle où peu à peu l’épilepsie est désacralisée et rentre dans le champ médical. Sous l’impulsion de Tissot, médecin moraliste, les troubles sont attribués à une hypersexualité ; la castration en devient le traitement.
2Peu après, avec les aliénistes du xixe siècle, la maladie épileptique est assimilée à une maladie mentale dangereuse et héréditaire qui constitue l’un des socles de la criminalité. À la fin du xixe siècle, Charcot isole le concept d’hystéro-épilepsie, affection pour laquelle il proposait l’hypnose, et l’on sait que c’est à partir de là que Freud a fondé sa théorie sur les névroses. Mais son élève, Joseph Babinski, déclare que Charcot avait « inventé l’hystéro-épilepsie plutôt qu’il ne l’avait découverte ». Les patients chez qui on l’avait diagnostiquée ne s’étaient d’abord plaints que de neurasthénie et de dépression. Charcot les avait persuadés qu’ils étaient victimes d’hystéro-épilepsie et qu’ils devaient joindre le groupe de patients atteints de cette maladie qu’il traitait. L’intérêt que leur exprimait Charcot, les encouragements répétés du personnel et l’exemple de leurs compagnons d’hospitalisation finirent par pousser ces patients à accepter la façon dont le médecin les voyait et à afficher les symptômes qu’on attendait d’eux. Ces symptômes ressemblaient à ceux de l’épilepsie, selon Babinski, en raison d’une décision des autorités municipales d’hospitaliser sous un même toit les épileptiques et les hystériques (chacun des groupes souffrant d’un mal « épisodique »). Les patients hystériques, déjà susceptibles à la suggestion et à la persuasion, étaient soumis en continu à la vie au sein du service où ils se trouvaient et aux attentes neuropsychiatriques de Charcot. Ils finissaient tout simplement par imiter les crises d’épilepsie dont ils étaient témoins quotidiennement (McHugh, Slavney, 1998).
3Les années 1930 avec le développement des moyens électro-encéphalographiques marquent un nouveau tournant : c’est l’ère neurologique de l’épilepsie qui se poursuit de nos jours. Cependant dans les représentations collectives subsistent les images de malédiction, de dangerosité pour autrui, de contagion possible et de folie. Il existe de plus une culpabilité massive dans la famille du fait de la représentation héréditaire de la maladie.
Les représentations de l’épilepsie
4Lorsque l’on s’intéresse aux représentations de l’épilepsie dans différentes cultures, on retrouve des éléments similaires. Miletto (1981) retrouve chez les Dogons du Mali des attitudes de répugnance et de peur, et note que la survenue de la crise amène l’entourage à se retirer en laissant le malade tout seul ; cependant, en cas de danger immédiat, les proches savent vaincre leur répugnance pour éloigner le malade. Miletto relève également la notion de contagion à l’origine d’un certain nombre de précautions : l’entourage évite de manger avec le malade, lui fournit une nourriture qu’il devra prendre dans une vaisselle personnelle. Pour qui connaît les traditions du repas africain dans le plat communautaire, on repère ici quel écart par rapport à la coutume et aux valeurs de solidarité réalisent de telles attitudes.
5Les représentations anthropologiques de l’épilepsie dans ces sociétés traditionnelles animistes sont inséparables du système de croyances sacrées. Ce qui est essentiel dans ces cultures, c’est la force vitale circulant entre les vivants et les morts (les ancêtres) le long d’un continuum, naissance-mort. Maladie surnaturelle, l’épilepsie est conçue, représentée, comme un désordre dans les relations entre les vivants et les morts, conduisant à une possession par un esprit. C’est à la faveur de ce désordre que la personne malade est entrée en contact avec le monde surnaturel des esprits. La crise d’épilepsie est rapprochée de la mort et culturellement rapportée à un aller et retour au cours duquel le malade a eu accès au monde invisible ; quand la crise se termine, c’est que le malade est revenu parmi les vivants. Ces explications animistes de l’épilepsie ont évolué et en Afrique sud-saharienne, elles ont assimilé d’autres références culturelles, en particulier empruntées à la culture arabe.
6Dans l’enquête d’Adotevi et Stephany (1986) menée chez les Wolofs du Sénégal, il ressort que l’épilepsie est rapportée à une attaque par un djinn, esprit qui se manifeste souvent sous la forme d’un tourbillon de vent. Cette représentation concerne surtout les crises d’épilepsie chez les femmes enceintes et les bébés. Dans la conception traditionnelle, pendant sa grossesse, la femme africaine est ouverte et particulièrement vulnérable, à ce titre elle fait l’objet d’attentions et de précautions rituelles visant à la protéger.
7En milieu traditionnel mélanésien (Nouvelle-Calédonie), le même type de précautions entoure la femme enceinte ; il consiste en une interdiction complète des rapports sexuels au-delà du quatrième mois de grossesse. Le nouveau-né est soumis à une surveillance rigoureuse de la fermeture des fontanelles que l’on cherche à contrôler à l’aide d’emplâtres végétaux. Ainsi chez les Canaques de Lifou l’épilepsie est rapportée à une fissure cérébrale sous la fontanelle antérieure liée à certaines négligences de la mère qui n’a pas respecté certains interdits, par exemple exposer son dos au totem (Bourret, Zeldine, 1978).
Alexandre
8Il est remarquable que l’on retrouve des contenus analogues dans différentes cultures, y compris dans la nôtre, comme en témoigne l’observation suivante. Nous avons connu Alexandre au centre d’action médicosociale précoce lorsqu’il avait 19 mois. Il avait été adressé par un service de neuropédiatrie parisien, après avoir été hospitalisé à six reprises pour des crises d’épilepsie. Les différents traitements anticomitiaux avaient été jusque-là peu efficaces : Alexandre continuait à faire des crises à la fréquence d’une par semaine environ. Alexandre est le seul enfant de ses parents. Ceux-ci paraissent dans un grand désarroi. Ils se raccrochent à un espoir, celui que l’épilepsie d’Alexandre puisse relever d’une intervention chirurgicale : la stéréotaxie a en effet été envisagée devant le caractère localisé du foyer épileptogène. Cette perspective est vécue par les parents comme une possibilité d’éradication de la maladie.
9L’hypothèse étiologique retenue par les neuropédiatres est celle d’une lésion corticale secondaire à un accouchement traumatique par forceps. Cliniquement, Alexandre se présente comme un enfant inquiétant du fait de troubles relationnels importants. On établit difficilement une relation avec lui. C’est un enfant qui a acquis la marche depuis environ un mois lors de notre première consultation. Il a des déambulations permanentes, particulières. Son activité est stéréotypée : il prend des jouets à un coin de la pièce et les ramène méthodiquement à un autre endroit, un par un, sans jamais s’arrêter. Une fois qu’il a terminé, il répète la même chose en sens inverse. Durant cette activité, il est frénétique, transpirant, imperturbable, complètement absorbé par sa tâche. Ses gestes paraissent anxieux et précipités. Il ne tient pas compte des personnes qui sont autour de lui. Ses allers-retours sont infinis : lorsqu’on l’entrave dans son activité, il essaye de forcer le passage et paraît totalement décontenancé si on l’empêche de continuer.
10L’attitude de ses parents est particulière : ils assistent à ce spectacle en banalisant ce comportement, le commentant simplement ainsi : « Il a le sens du rangement. » Ils expriment une inquiétude quant à l’épilepsie, mais, par ailleurs, dénient totalement les comportements pathologiques d’Alexandre. Alexandre ne dit aucun mot, il réagit rarement lorsqu’on l’appelle. Il semble ne pas se soucier du tout des autres. Éventuellement, il utilise les personnes comme des objets. Il vient apporter des jouets qu’il pose dans mes mains ou dans celles de sa mère, puis qu’il vient rechercher ensuite.
11L’anamnèse met en évidence qu’il s’agit d’un enfant dont la naissance a été très attendue. La grossesse s’est bien passée et, d’après les parents, il n’a posé aucun problème dans les premiers mois. Les parents notent un fléchissement de son développement après l’apparition de la première crise épileptique qui a eu lieu à l’âge de 13 mois.
12L’histoire est la suivante. Le père d’Alexandre, beaucoup plus âgé que sa femme, a eu un enfant d’un premier mariage. Cet enfant, Stéphane, est décédé dans un accident de voiture à l’âge de 19 ans et demi. Il s’était séparé précocement de sa première femme alors que celle-ci présentait des troubles psychiques. Lors de la séparation, il a obtenu la garde de Stéphane, qu’il a confié à sa propre mère qui l’a élevé, à la campagne en Normandie. Il s’est remarié un peu plus tard et le nouveau couple allait régulièrement voir Stéphane. Stéphane conduisait la voiture lors de l’accident où il a trouvé la mort.
13Alexandre est né trois ans après cet accident. Sa première crise épileptique a eu lieu le jour du quatrième anniversaire de la mort de Stéphane. Les parents d’Alexandre, qui assistaient à la crise, ont été bouleversés. Ils ont eu la conviction qu’Alexandre était en train de mourir.
14Alexandre a été pris en charge au camsp par une psychomotricienne à raison de deux séances par semaine. Ces séances avaient lieu en présence de sa maman. Durant plusieurs semaines, le comportement d’Alexandre ne changeait pas. Les séances étaient toujours les mêmes : il allait et venait, compulsivement, entre deux points de la pièce, transportant des jouets frénétiquement. Il était très difficile d’établir une relation avec lui : rien ne l’intéressait, en dehors de ce type d’activité stéréotypée.
15Alors que la psychomotricienne était vraiment en difficulté, sa maman continuait à banaliser ces conduites et n’y voyait pas de sujet d’inquiétude. Les entretiens étaient centrés sur les crises qu’il faisait ou qu’il ne faisait pas. L’indication chirurgicale avait été récusée et seules les solutions médicamenteuses étaient préconisées, celles-ci étant peu efficaces. Le père, très occupé par ses activités professionnelles, ne venait pratiquement plus au camsp. Devant le peu de progrès d’Alexandre, nous avons insisté pour que le père participe aux consultations.
16Nous avons appris, lors d’une consultation avec le père, que sa propre mère, la grand-mère paternelle d’Alexandre, n’était pas au courant de la maladie de son petit-fils alors qu’elle le voyait très régulièrement avec ses parents. Le papa d’Alexandre argumentait que sa mère avait été « choquée » par la mort de son premier petit-fils ; elle déniait sa mort et, sur un mode délirant, faisait comme s’il était encore vivant. Sa chambre était restée comme au moment de sa mort puisque, disait-elle, « il allait revenir bientôt ». Le père, pour ne pas contrarier sa mère, « jouait le jeu » du délire de sa mère en donnant des nouvelles imaginaires de son fils aîné.
17À partir de là, le père nous a révélé qu’il était impressionné par le fait que dans cette maison, Alexandre allait systématiquement vers les objets et les endroits que Stéphane avait aimés. Il avait le sentiment qu’Alexandre était en proie à des phénomènes surnaturels de communication avec son frère aîné mort. Il décrivait des angoisses particulières dès qu’Alexandre s’approchait de certains lieux qui avaient été importants pour son fils aîné. Tout ceci n’était pas énoncé sur le mode d’une conviction délirante, mais plutôt sur un mode de questionnement qui s’appuyait sur des croyances culturelles locales concernant l’influence de l’âme des morts sur les vivants. Pour son père, l’âme de Stéphane vivait dans Alexandre et l’épilepsie prenait pour lui une signification de répétition d’expériences de mort qu’Alexandre essayait de maîtriser, une sorte de conjuration de la mort. Il nous avoua qu’il avait consulté plusieurs mages ou guérisseurs divers. Sa femme, la maman d’Alexandre, partageait ces représentations.
18Cet entretien nous a permis d’insister sur la différenciation entre Stéphane et Alexandre et sur la nécessité de « mettre le passé au passé ». Par la suite, Alexandre a beaucoup changé. On a commencé à avoir une relation avec lui et il a progressivement abandonné ses activités stéréotypées. Ses parents ont commencé à le percevoir comme un enfant vivant, bien que les crises d’épilepsie continuassent régulièrement.
19Dans cette observation, un traumatisme, celui du vécu de la première crise d’Alexandre, en réveille un autre, celui de la mort du fils aîné. L’effet de la crise sur les parents, par cette répétition traumatique, a eu des conséquences désastreuses sur la structuration psychique de l’enfant, qui n’a pu avoir d’existence propre durant plusieurs mois pour ses parents. La prise de conscience du traumatisme et de sa répétition a eu l’effet de « dégeler » les représentations et a permis à Alexandre de prendre sa propre place en existant pour lui-même.
20On sous-estime souvent l’impact du traumatisme de l’annonce du handicap sur le processus de parentalité et par conséquent sur la structuration psychique de l’enfant. Il est en effet établi aujourd’hui que la révélation du handicap vient interrompre le fragile processus de parentalité, plongeant les parents dans une perplexité dont l’issue peut se faire aux dépens du développement psychique de l’enfant. C’est d’ailleurs à partir de ce constat qu’ont été créés les centres d’action médicosociale précoce il y a maintenant une trentaine d’années, pour accompagner les parents au moment où ils découvrent le handicap de l’enfant.
21L’intense activité imaginaire qui a lieu chez les parents pendant la période de grossesse et après la naissance de l’enfant permet de faire exister l’enfant psychiquement en l’inscrivant dans une histoire dans laquelle il prendra une place. L’adéquation entre l’enfant attendu (provenant du désir d’enfant des parents) et l’enfant rencontré (l’enfant réel avec ses particularités et ses compétences) se fait progressivement.
22Or l’annonce du handicap vient toujours perturber gravement ce processus. La rêverie imaginaire qui existait autour de l’enfant se fige en une représentation étrangère à tout ce qui avait pu s’imaginer jusque-là. Ceci entraîne une dissolution des repères. Il s’agit d’une séparation brutale : l’enfant devient un autre, un étranger. Cet effet de vide provoque une sidération. Il s’agit d’un véritable traumatisme psychique. Les parents, pris entre culpabilité et tentative de réparation, doivent construire une histoire face à ce vide : il s’agit pour eux de donner un sens à cet événement, ceci dans une tentative de dépasser le traumatisme.
23Nous savons que l’accueil que les professionnels réservent aux parents à ce moment, leur capacité d’empathie, le partage émotionnel sont des facteurs essentiels à ce travail pour dépasser le traumatisme. On évoque trop rapidement en général un diagnostic de dépression chez les parents à ce moment-là alors que ce qui est en question ce sont les effets d’un traumatisme qui, selon les termes de Ferenczi, « agit comme un anesthésique face à un choc inattendu, non préparé et écrasant… ».
24Ce choc traumatique se traduit par l’impossibilité de faire un travail psychique de lien et par l’incapacité de vivre émotionnellement cette catastrophe. Le dialogue avec les parents est difficile : « Ils savent tout, mais ne sentent rien », selon la formule de Gianna Tissier (Sarfaty et coll., 2000). D’où la nécessité de créer un cadre sécurisant autour de l’enfant où parents et professionnels partagent les émotions suscitées par l’enfant. C’est à partir de cette expérience que le traumatisme pourra être reconnu, parlé et dépassé.
25Souvent les parents essaieront de donner du sens à la survenue du handicap afin que les choses soient plus supportables : ils élaboreront une théorie personnelle qui rendra ainsi la culpabilité plus acceptable. Mais il est très important d’accéder à la construction étiologique des parents. En effet la théorie élaborée peut mener à une impasse et entraver le développement de l’enfant. C’est ce qui s’est passé dans l’observation d’Alexandre. Le compromis qui permettait de faire vivre Stéphane empêchait Alexandre d’exister pour lui-même. Le partage des représentations permet de trouver des issues.
26Mais en pratique, il n’est pas aisé pour un consultant médical d’accéder à la construction étiologique des parents. Les croyances culturelles, souvent irrationnelles, sont fréquemment l’objet d’une certaine honte face au médecin qui est supposé détenir le savoir, et demeurent souvent cachées. Pour que ces contenus puissent être échangés, il convient de se mettre en position de recevoir un savoir des parents, savoir que nous n’avons pas. Cela suppose une disponibilité, une certaine humilité face à notre ignorance, une capacité d’écoute et une absence totale de jugement sur ce qui est transmis par la famille. C’est par le partage qu’une pensée dynamique pourra voir le jour et évoluer vers un échange dialectique. De la même manière, il convient de ne pas imposer nos modèles théoriques psychopathologiques. Nous devons penser ces modèles comme des fictions qui nous permettent d’appréhender la réalité psychique sans avoir la prétention de détenir la vérité sur l’autre. La crise épileptique (quand elle est généralisée) fait vivre aux parents une expérience de mort. Ceci renforce le traumatisme et entraîne des attitudes de surprotection à l’égard de l’enfant. Les interdictions classiques qui s’imposent à tous les épileptiques sont souvent renforcées par des mesures de prudence qui empêchent toute autonomisation de l’enfant. La gestion de l’autonomie de l’enfant avec un certain niveau de prise de risque est souvent difficile à manier pour les professionnels qui ont souvent eu à connaître des accidents, quelquefois mortels, liés à des crises. Et pourtant la prise de risque est une condition de l’autonomisation.
27Mais la difficulté et les angoisses des parents face au handicap ne sont pas les seuls facteurs qui impactent la construction psychique. L’autre facteur tout aussi important est l’effet des crises elles-mêmes sur la construction de l’enfant. Le jeune enfant construit le monde environnant par une activité de liaison continue où il fait correspondre ses perceptions avec les traces mnésiques des perceptions antérieures pour fabriquer un système représentatif cohérent. Les conditions de ce travail constructif sont à la fois un système perceptif qui fonctionne, une capacité d’analyse des différents canaux sensoriels et de synthèse des signaux reçus, et une continuité suffisante dans l’environnement pour que les perceptions puissent être compréhensibles. La continuité doit donc être interne et externe. On connaît le rôle de l’environnement dans la construction de l’enfant, et tous les travaux sur les carences de soins maternels ont montré la nécessité de cette continuité. Elle est assurée essentiellement par la mère, ou bien par celui ou celle qui en tient lieu, et par les liens entre les différentes personnes qui s’occupent de l’enfant.
28Mais on envisage moins souvent la nécessité de continuité interne. Le système perceptif de l’enfant doit fonctionner suffisamment bien pour intégrer les différents événements vécus. Or l’épilepsie amène une discontinuité très importante. La crise crée un chaos psychique tel qu’il faut plusieurs heures et quelquefois plusieurs jours à l’enfant pour retrouver un fonctionnement normal. Cet effet désorganisateur est d’autant plus important que l’enfant est jeune et que les crises sont fréquentes. C’est ainsi que les maladies épileptiques qui surviennent à un âge très jeune, comme par exemple le syndrome de West, ont un pronostic psychique d’autant plus sombre que la maladie a commencé tôt. D’où l’importance d’agir le plus tôt possible sur les crises.
29De la même manière, plusieurs affections cérébrales qui comportent une épilepsie génèrent dans un nombre important de cas des troubles envahissants du développement. C’est le cas du syndrome de West, nous l’avons vu, mais aussi du syndrome de Lennox-Gastaut. On peut faire l’hypothèse également que l’autisme, quand il est associé à la sclérose tubéreuse de Bourneville, est lié directement à l’épilepsie précoce que l’on observe souvent dans cette affection.
Conclusion
30En conclusion, l’enfant épileptique sera particulièrement vulnérable, à la fois de par l’effet de ses manifestations cliniques sur son entourage mais aussi de par l’entrave que constituent les crises à la construction de la personne. On a longtemps considéré les troubles psychiques comme des phénomènes morbides associés à la maladie épileptique alors qu’il nous semble que souvent les troubles, qu’ils soient cognitifs ou altérant l’organisation de la personnalité, sont la conséquence à la fois des perturbations familiales liées au traumatisme de l’annonce de la maladie et de l’effet des crises sur la construction psychique. Si on ne peut médicalement que partiellement lutter contre la survenue des crises, on peut certainement en atténuer les effets psychiques en aidant les parents à créer autour de l’enfant un contenant qui puisse atténuer chez lui les effets de la discontinuité. Cela suppose d’aider les parents à mieux vivre la maladie de leur enfant et de les encourager à parler à l’enfant de sa maladie.
Bibliographie
Bibliographie
- Adotevi, F. ; Stephany, F. 1986. « Représentation culturelle de l’épilepsie au Sénégal, région du Cap Vert et du Fleuve », Médecine tropicale, vol. 41, 3, p. 283-288.
- Bourret, D. ; Zeldine, G. 1978. « La folie canaque. À propos de l’étiologie traditionnelle des maladies mentales en culture mélanésienne », Évolution psychiatrique, 13, 3, p. 548-559.
- Grasso, F. 2012. « Effets post-traumatiques du handicap sur le système perceptif et sur le psychisme des parents. Analyse et nouvelle proposition d’accompagnement des parentalités difficiles », La psychiatrie de l’enfant, tome LV, fascicule 2, p. 297-484.
- McHugh, P.R. ; Slavney, P.R. 1998. The Perspectives of Psychiatry, Baltimore, Johns Hopkins University Press.
- Miletto, G. 1981. « Vues traditionnelles sur l’épilepsie chez les Dogons », Médecine tropicale, 41, 3, p. 291-296.
- Sarfaty, J. ; Tissier, G. ; Wojakovski, M. 2000. « L’approche de l’enfant atteint d’un handicap et de ses parents. Traitements précoces, traitements conjoints », Bulletin du groupe waimh francophone, avril 2000, vol. 7, n° 2 p. 256.
- Soulas, B. 1978. « Deuil et apparition des crises épileptiques chez l’enfant », Revue française de psychanalyse, 42, 3, p. 389-410.
Mots-clés éditeurs : traumatisme psychique, épilepsie de l'enfant, développement psychique de l'enfant, annonce du diagnostic
Mise en ligne 05/11/2013
https://doi.org/10.3917/cont.038.0143