Notes
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[*]
Denise Landron, professeur d’enseignement général de collège en Seine-Saint-Denis, retraitée, dden à Sevran, adhérente de dsp (Droit aux soins et à une place adaptée pour les enfants handicapés).
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[**]
Michel Landron, directeur d’école retraité, dden, invité à la concertation « Pour une loi de refondation de l’École » portant sur « Un accompagnement efficace pour les élèves en situation de handicap ».
michelandron@wanadoo.fr -
[1]
dden : délégués départementaux de l’Éducation nationale. Désignés par l’inspecteur d’Académie après avis du comité départemental de l’Éducation nationale, nommés pour veiller aux bonnes conditions de la vie scolaire, leurs missions sont définies dans la Section 5 du Code de l’Éducation. Fédération des dden, 124 rue La Fayette, 75010 Paris – 01 47 70 09 59.
-
[2]
Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté. Normalement composé d’un psychologue scolaire, d’enseignants spécialisés dans l’aide pédagogique (titulaires de l’option E du capsais devenu capa-sh), de rééducateurs pour l’aide éducative (option G du capa-sh).
-
[3]
Le remplacement des enseignants est assuré par des enseignants titulaires-remplaçants pour des remplacements courts et ponctuels, des remplacements longs, les remplacements pendant les stages de formation continue… Affectés sur des postes à l’année pour pourvoir des postes vacants (la diminution chaque année des postes mis au concours aboutit à des pénuries), il manque cruellement dans les écoles dès le mois d’octobre. Environ cinquante classes en moyenne sont sans enseignant chaque jour en Seine-Saint-Denis en octobre 2012.
-
[4]
Rappel des différentes options des enseignants spécialisés (article 3 du décret du 15 juin 1987). Option A : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement des enfants et adolescents handicapés auditifs ; Option B : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement des enfants et adolescents handicapés visuels ou aveugles ; Option C : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement des enfants et adolescents malades somatiques, déficients physiques, handicapés moteurs ; Option D : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement des enfants et adolescents présentant des troubles importants à dominantes psychologiques ; Option E : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement et de l’aide pédagogique auprès des enfants en difficulté à l’école préélémentaire et élémentaire ; Option F : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement et de l’aide pédagogique auprès des adolescents ou des jeunes en difficulté (segpa en collège) ; Option G : enseignants spécialisés chargés de rééducations (arrêté du 7 janvier 1988). Ajoutez : psychologues scolaires, infirmières et médecins scolaires. Les orthophonistes sont de droit privé.
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[5]
École « inclusive » : le terme remplace de plus en plus celui d’intégration. Il vient de l’Union européenne qui préconise l’inclusion des enfants et jeunes handicapés dans les écoles et les classes ordinaires sans tenir compte des importants réseaux d’établissements et de structures spécialisés construits en France depuis la Seconde Guerre mondiale grâce à la Sécurité sociale (prix de journée, gratuité des soins et des transports) et face au refus de l’État de les prendre en charge dans le cadre de la Fonction publique (sauf les enseignants spécialisés depuis les années 1960).
-
[6]
Maison départementale des personnes handicapées dont la cdaph (Commission départementale pour l’autonomie des personnes handicapées) est une émanation. À la place des cdes (Commission départementale de l’éducation spéciale sous tutelle des préfets et composée de personnels qualifiés pour trouver les solutions adaptées à chaque cas), la mdph mise en place par la loi du 11 février 2005 est sous la responsabilité du conseil général pour travailler à l’intégration des enfants handicapés dans les établissements scolaires ordinaires.
-
[7]
Établissement public autonome centre Simone-Delthil (Saint-Denis) : établissement public départemental assurant, dans le cadre de trois sessad, le suivi médico-social d’enfants et de jeunes handicapés sensoriels ou atteints de troubles spécifiques du langage. Le service de prévention de l’établissement assure, par conventionnement avec le conseil général de Seine-Saint-Denis, des consultations des troubles visuels et/ou du langage pour les enfants âgés de 0 à 6 ans et domiciliés dans le département.
« La théorie est sèche, mon ami, mais l’arbre de la vie est toujours vert. »
1En faisant une règle générale de la scolarisation dans le milieu ordinaire de l’enfant « en situation de handicap », la loi du 11 février 2005 dite « pour l’égalité des chances » ne pouvait manquer de soulever des contradictions, des heurts et des conflits.
2Les différents professionnels de l’Éducation nationale et du secteur médico-social, les parents, les responsables chargés à tous les niveaux de mettre en œuvre des principes généraux dits « d’intégration », et maintenant « d’inclusion », se trouvent très souvent dans des situations ingérables parce qu’inadaptées aux besoins de l’enfant concerné.
3Nous avons donc résolument pris le contre-pied de démarches idéologiques, même pavées de bonnes intentions, essayant de faire entrer la réalité vivante dans le moule d’une normalité abstraite.
4La vérité est toujours concrète. Nous avons donc basé notre travail sur les difficultés précises rencontrées dans la recherche de réponses adaptées aux besoins de chaque enfant handicapé et/ou en grande difficulté selon la nature et le degré de son handicap.
5Cette contribution est donc plus un reportage qu’une thèse. Mais trouver des solutions adaptées au cas par cas, en fonction des besoins de l’enfant identifiés par les professionnels qualifiés concernés, est-il possible par décret en fonction de présupposés idéologiques ou politiques incantatoires ?
6***
7Les délégués départementaux de l’Éducation nationale [1] que nous sommes ont notamment pour mission d’effectuer une visite d’école la plus complète possible pour remettre un compte-rendu aux autorités de l’Éducation nationale et à la mairie. Notre regard se veut impartial, neutre, au-dessus des intérêts particuliers et des idéologies, afin de faire valoir les conditions réelles de fonctionnement d’une école publique chargée d’assurer l’instruction des jeunes du quartier, du bourg ou du village à égalité de droits. Nous essayons d’être à l’écoute des préoccupations des uns et des autres dans les écoles, aussi bien des enseignants, des professionnels du médico-social que des parents.
8N’est-il pas légitime de dire au maire de la commune qu’il serait nécessaire de repeindre les murs des classes et des couloirs si l’on veut éduquer les jeunes générations au sérieux et à la beauté, plutôt que de les habituer à la négligence et à la crasse ? Sans aucun doute. N’est-il pas tout aussi légitime de dire au directeur académique des services de l’Éducation nationale (dasen, par exemple Inspecteur d’académie) que cinquante-sept élèves de cette école élémentaire rencontrant des difficultés scolaires nécessiteraient la présence d’un rased [2] complet pour les aider dans leur parcours scolaire à les surmonter, ou même simplement à les limiter ? Certainement.
9Mais faudrait-il taire les conditions concrètes réelles de classes maternelles et élémentaires ordinaires de vingt-cinq élèves et plus, parfois à plusieurs niveaux, intégrant des enfants présentant des handicaps, des troubles graves et des difficultés sérieuses dans leur scolarité ou leur comportement ? Les signaler n’est pas une preuve de mauvaise volonté de l’enseignant ou de l’école, comme nous l’avons malheureusement entendu, c’est un devoir, car on ne peut rien entreprendre sans diagnostic. La politique de l’autruche dans ce domaine est au mieux une crainte, au pire une hypocrisie. C’est en tout cas néfaste pour les élèves concernés.
10Regarder la réalité en face est le premier acte obligé pour venir en aide à ces enfants handicapés et/ou en grande difficulté, dont « la différence » n’est pas inventée mais mérite au contraire toute notre attention.
11Laissons donc les faits répondre par eux-mêmes.
Un cours préparatoire ordinaire dans une école élémentaire ordinaire
12Le petit G. arrive en cp, sans dossier, sans signalement. Il est seulement dit à l’enseignante : « C’est un cas. » Elle est expérimentée et a déjà vu bien « des cas » dans ses classes. Elle se rend vite compte que cet élève, très intelligent, déjà d’un autre niveau scolaire que ses autres élèves (belle écriture, lecture parfaite), est néanmoins gravement perturbé : troubles d’identité, changeant de voix il s’appelle lui-même par plusieurs prénoms. Il fabule, s’endort, fugue, se cache dans la cour pour ne pas entrer en classe… Il est parfois d’une extrême violence. Il va jusqu’à tenter d’étrangler, en classe, une petite fille, obligeant l’administration à appeler l’hôpital…
13L’enseignante se renseigne. En maternelle, l’enfant a fréquenté plusieurs écoles de la ville… Quand c’est trop difficile, les autorités le changent d’école. Inutile de faire un signalement écrit, pas de dossier. L’idée générale, très prégnante, est que les enseignants doivent se débrouiller, que ce n’est pas si grave…
14Les incidents se multiplient faisant courir des risques aux vingt-deux autres élèves du cp. Quatre-vingts pour cent de l’attention et de l’énergie de l’enseignante sont concentrés sur cet élève, évidemment au détriment des autres. Elle ne peut le quitter des yeux, même à la récréation, et vérifie que la grille de l’école est bien fermée à clef, jusqu’à dix fois par jour : l’école est à deux pas du canal. Épuisant. L’inspectrice de l’Éducation nationale de la circonscription est alertée. Mais réunion après réunion, aucune décision n’est prise. La maman, dans le déni complet, ne veut rien savoir et le dit avec véhémence. La possibilité de faire appel à un juge pour enfant a même été évoquée.
15Huit mois, cela dure huit mois !
16En avril, après l’étranglement de la petite fille, les parents de la classe et de l’école interviennent. L’enfant est changé d’école avec une enseignante remplaçante dépêchée spécialement pour s’occuper de lui, le chercher le matin, le ramener le soir et l’accompagner tout au long de la journée. Pendant ce temps, l’autre l’enseignante épuisée tombe malade quinze jours et n’est remplacée que pendant cinq jours [3].
17Que devient l’enfant à cette rentrée scolaire ? Il est en ce1 mais encore dans une autre d’école. Il n’y vient plus cependant que la moitié de la journée et a parfois une avs avec lui. Mais toujours pas de dossier, les enseignants n’ont rien reçu de la mdph malgré le travail de « l’enseignante référente ». Quant aux soins dont il a, à l’évidence, besoin, aucune institution médico-sociale n’a été saisie pour les prendre en charge.
Quand tout le monde va mal
18On imagine facilement les tensions que ces situations provoquent et même les polémiques entre les parents de ces enfants aux graves troubles du comportement et les parents des autres élèves, entre les enseignants eux-mêmes sur les démarches à entreprendre ou non, avec l’administration qui gère le manque de moyens et de places adaptés, avec des militants associatifs (et même syndicaux) pour qui l’école doit être « inclusive pour tous » et qui dénoncent les enseignants osant faire un signalement. Le « vous voulez vous en débarrasser » résonne comme un terrible acte d’accusation qui pousse à faire régner la loi du silence.
19Nous avons connu une enseignante de cp, dans une école de Seine-et-Marne, dont le député-maire a exigé le licenciement parce qu’elle demandait une prise en charge adaptée d’un enfant sourd intégré d’office dans sa classe sans aucun accompagnement spécialisé d’aucune sorte. Heureusement, l’inspecteur d’académie n’a pas obtempéré… malgré un conseil de discipline de plusieurs heures !
20Comment un enseignant, qui n’est ni spécialisé [4], ni médecin, ni pédopsychiatre, ni psychologue scolaire, ni codeur, ni éducateur spécialisé, peut-il faire cohabiter les soins nécessaires avec ses obligations professionnelles, la compassion due à ces enfants très perturbés ou handicapés, les relations avec des parents, dans le déni souvent ou bien épuisés et démoralisés eux-mêmes ? Comment ne pas blesser les parents en grande souffrance ? Ne pas en rajouter ? Aider ? Donner des conseils ? Peser tous les écrits aux parents « qui les lisent et les relisent sans cesse » ?
21Certains signalent et doivent parfois supporter les ricanements sur leur prétendue « incompétence », les réflexions sur leur inhumanité, les remarques désobligeantes sur leur « égoïsme catégoriel » ou leur « culture corporative ».
22D’autres se renferment, le sourire disparaît, le plaisir d’enseigner s’émousse. La crainte de relations conflictuelles avec leur hiérarchie – qui oppose les règles générales édictées dans la loi de 2005 à des mesures précises adaptées pourtant indispensables pour l’enfant – se conjugue avec la pression de parents à qui on a fait croire que l’inscription de leur enfant dans l’école du quartier était la réponse magique à leurs angoisses. Sans compter l’hostilité des « intégristes de l’intégration » pour qui le dévouement remplacerait très bien les qualifications professionnelles, ou « les pédagogistes » pour qui il y aurait des réponses pédagogiques à des questions médico-sociales !
23Pour éviter la multiplication de tous ces drames, peut-on faire autrement que de ne prendre en compte que les besoins en soins et en scolarisation adaptée de ces enfants handicapés et/ou en grande difficulté, pour qui l’inclusion automatique dans une classe ordinaire génère beaucoup plus de difficultés qu’elle n’en résout ?
24À moins évidemment de transformer l’école en garderie. Certains franchissent allègrement ce pas en revendiquant, au nom de « l’école inclusive [5] », un pps (projet personnalisé de scolarisation) pour chacun de tous les élèves. Autrement dit, un enseignement individualisé à la carte pour tous. Le souci de suivre des programmes scolaires par année et par discipline, qui constituent pourtant les fondations de l’école républicaine, disparaîtrait ; mais les examens et diplômes nationaux aussi, garants de l’égalité des droits.
25Nous n’avons heureusement jamais rencontré de parents d’enfants handicapés et/ou en grande difficulté réclamant l’abolition de tous les programmes scolaires annuels pour rendre possible l’inclusion automatique de leur enfant dans les classes ordinaires. Ils demandent seulement aux pouvoirs publics de garantir l’accès de leur enfant aux meilleurs soins et à la meilleure scolarisation adaptée au degré et à la nature de leur handicap, dans l’école quand c’est possible, dans un établissement ou une structure spécialisée quand c’est nécessaire. N’est-ce pas là qu’intervient la coopération des professionnels de l’éducation, du médico-social et des parents, coopération qui devient inutile s’il s’agit seulement de trouver un avs pour accompagner un enfant handicapé à l’école ?
Dans une école maternelle ordinaire
26L’idée reçue est que l’école maternelle n’étant pas sous la domination de programmes scolaires rigides, l’inclusion dans les classes d’enfants handicapés et/ou en grande difficulté ne poserait guère de problèmes et ne nécessiterait pas vraiment une coopération parents/enseignants/professionnels du médico-social. Cette idée ne plaide évidemment pas en faveur d’un développement des camsp (qui ne relèvent d’ailleurs pas du champ d’action des mdph).
27On assiste donc à une forte tendance à inclure automatiquement dans les classes maternelles des enfants en grande difficulté dont la mdph [6] n’entendra jamais parler avant que la situation ne devienne vraiment très grave et totalement ingérable. Mais combien de temps et d’énergie perdus ? Quel mépris aussi pour l’école maternelle publique qui en France est tout sauf « une garderie ».
28Au conseil d’école de juin 2012, les structures des classes de cette école maternelle de banlieue, déjà prévues pour la rentrée, doivent être modifiées. Il est annoncé la scolarisation de deux nouveaux enfants malentendants en plus des trois déjà scolarisés (plus deux autres à l’école élémentaire). Cinq enfants malentendants répartis dans quatre classes dont deux dans la même, l’un utilisant la langue des signes et l’autre la langue parlée-complétée (lpc). Une avs spécialisée langue des signes n’est jamais venue. Sur quatre classes de vingt-cinq élèves chacune, trois sont à double niveau (petite section-moyenne section et moyenne section-grande section) et l’école accueille déjà une élève en situation de handicap avec un avs et une autre « en attente d’avs ».
29L’école est « pôle d’accueil d’enfants malentendants » sur la base d’une convention rédigée en 2009, signée par l’inspecteur d’académie, la directrice du camsp, le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales et le maire de la ville, mais jamais renouvelée depuis.
30Cette convention (difficilement retrouvée et ignorée des nouveaux enseignants) spécifie notamment que « la collectivité territoriale s’engage à mettre à disposition les locaux nécessaires et les plus adaptés ». L’isolation et l’insonorisation des murs des classes n’ont toujours pas été faites, juste une petite salle cet été. Depuis trois ans les enseignants et les enfants travaillent dans un bruit indescriptible, car les classes communiquent par un mur qui ne va pas jusqu’au plafond. Si un enfant hurle, ce sont cinquante enfants et les deux enseignantes qui doivent se boucher les oreilles. Le calme est pourtant fortement conseillé pour les enfants qui utilisent la méthode « parlée-complétée », car les enfants presque sourds entendent un bruit perpétuel, comme un moteur d’avion. Ce calme, ils ne l’ont jamais…
31Comment ne pas comprendre l’inquiétude des enseignants, fidèles au poste, dont le dévouement est total, mais aussi des parents ? Il n’y a quasiment plus de remplaçants disponibles sur la circonscription (ils ont été mis sur des postes vacants à l’année) et l’an dernier déjà la plupart des absences n’ont pas été remplacées. Dans ces écoles, on va travailler avec 39° de fièvre quitte à contaminer les enfants !
32Cette école maternelle, étant « pôle de regroupement pour les enfants sourds », n’a pas droit aux avs pour ces enfants.
33À chaque fois que l’enseignant doit faire une réunion de l’équipe éducative (ree) avec le directeur et les différents professionnels concernés, au moins trois fois une à deux heures dans l’année, il doit laisser sa classe, et les élèves sont répartis dans les trois autres classes qui ont alors de trente-trois à trente-huit élèves dans des classes non équipées pour en accueillir autant. Des enfants sont assis par terre et un bruit épouvantable envahit l’école non insonorisée. On ne compte pas ici le nombre de fois où il a fallu refaire des dossiers égarés dans les méandres de la mdph…
34Examinons une classe de cette école maternelle très ordinaire : quatre enfants handicapés (deux élèves sourds : une langue des signes et un lpc, un élève dyspraxique venu d’une autre école à la demande de la maman, un élève en difficulté scolaire sérieuse (sans mémoire, même immédiate, non encore dépisté), soit 4 ree, soit 12 h à 24 heures dans l’année où ces enfants devraient avoir un remplaçant.
35Trois personnes du centre Delthil [7], « les codeurs », interviennent une fois par semaine (deux heures) dans l’école pour apprendre la langue des signes aux enfants. L’une est en congé maternité, elle ne sera pas remplacée ; ils ne sont donc plus que deux. Les enseignants ne parlent pas la langue des signes ; et même s’ils la parlaient, ils ont en charge vingt-cinq élèves ou plus qui ne la parlent pas.
36Pas d’avs pour ces enfants et pas d’atsem en grande section dans cette école. « Lors du premier conseil d’école auquel étaient invités les responsables et intervenants du centre Delthil, il apparaissait que les enseignants, animés par le souci de la réussite de tous leurs élèves, adaptaient constamment leurs emplois du temps à la présence ou non de ces intervenants spécifiques », écrit le dden de l’école dans une lettre au dasen.
Obtenir une clis spécialisée avec un maître A pour enfants malentendants
37La coopération entre parents et professionnels va ici jouer tout son rôle. La parole entre eux est libre et maîtrisée, le dialogue sincère et respectueux des uns et des autres.
38Une motion commune est donc discutée, amendée, finalisée. Que faut-il pour ces enfants malentendants et pour l’école ?
39Il faut évidemment, comme dans toutes les écoles, assurer le remplacement de tous les enseignants absents, donc recruter des enseignants stagiaires de la fonction publique de l’État pour pourvoir tous les postes vacants (au moins 250 dans la Seine-Saint-Denis). Recruter des vacataires ou contractuels pour quelques semaines ou quelques mois n’est pas vraiment une solution pour pourvoir des postes permanents, même s’ils présentent l’avantage, pour l’État, d’être facilement transférables à terme aux collectivités territoriales.
40Mais ici, pour tous, c’est une évidence : il faut une clis spécialisée avec un enseignant spécialisé (maître A) et « les codeurs » nécessaires avec des heures suffisantes pour un apprentissage rapide et efficace (sans opposer langue des signes et lpc). Le dossier constitué est, depuis juin dernier, sur le bureau du dasen, qui a reçu une délégation porteuse de cette demande. Le conseil général (dont dépend le centre Delthil) et la mdph vont être saisis officiellement, ainsi que la municipalité qui a milité en faveur de ce « pôle de regroupement d’enfants malentendants » qui viennent de plusieurs communes…
41Nous nous excusons d’être aussi précis mais « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » disait un intervenant dans une réunion dite de « concertation » organisée par le gouvernement dans le cadre de son projet de loi « pour la refondation de l’école ». Un autre intervenant n’a-t-il pas apostrophé la sénatrice du Nord qui présidait la séance parce qu’elle avait constaté que des regroupements d’enfants malentendants dans une école avaient donné de bons résultats ? Elle a été vertement accusée d’être « ségrégationniste » en s’opposant à la scolarisation automatique de tous les enfants, quel que soit leur handicap, dans la classe ordinaire de l’école de leur quartier. Cet intervenant ne s’intéressait sans doute pas à la situation concrète et devait se contenter du slogan de « l’École inclusive ».
42Évidemment, ce point de vue visant à imposer la dictature de « la normalité inclusive » ne nécessite aucune collaboration entre parents-enseignants-professionnels du médico-social pour étudier au cas par cas ce qui est le mieux à la fois pour ces enfants et pour les autres. Il suffit d’obéir à la « normalité ». Nous nous permettrons de préférer le dialogue « en notre âme et conscience » plutôt que la servilité à des diktats dont nous ne pouvons ignorer, en période de réduction des dépenses publiques, qu’ils servent le plus souvent à imposer les solutions les moins coûteuses pour l’État et la Sécurité sociale.
Une clis ordinaire dans une autre école ordinaire
43Il n’est malheureusement souvent pas suffisant de disposer d’une clis dans une école ordinaire (ou d’une ulis en collège) pour que les parents et les professionnels soient certains que l’enfant handicapé est bien pris en charge. Leur vigilance s’impose. De l’aveu même des autorités ministérielles de l’Éducation nationale, plus de 70 % des clis sont tenues par des enseignants non spécialisés.
44Une enseignante de clis 1 nous a fait part de ses interrogations : « Comment faire quand un enfant hurle, se roule par terre, se déplace tout le temps, m’apostrophe sans arrêt, s’échappe quand le car doit ramener les enfants de la piscine… ou refuse de s’habiller et se promène nu sur les bords de la piscine ? Il a fallu une avs pour commencer à stabiliser la classe. Elle est formidable, elle adore son boulot. Mais elle a encore moins de qualification que moi et son contrat n’a pas été renouvelé à la rentrée. »
45Nous avons vu la maman de cet enfant. Il a été diagnostiqué « autiste » par l’hôpital qui estime impossible une scolarisation en ulis. Il a fallu des mois d’un infernal parcours du combattant (admirables mamans qui supportent cela) pour obtenir enfin une notification de la mdph. Grâce à la coopération des enseignants, l’aide du dden de l’école, l’intervention de professionnels du médico-social, du médecin pédopsychiatre, de représentants d’associations à la mdph…, la notification est enfin obtenue pour permettre à l’enfant sa scolarisation dans un établissement spécialisé.
46Il reste alors à trouver cet établissement avec une place pour lui. C’est aux parents de faire toutes les démarches. Inouï, mais vrai. Et pour les « autistes » on trouve plus facilement une place en Belgique qu’en France, mais il a 10 ans et le suivi médical est très important. Encore plusieurs mois de galère pour trouver une place dans un établissement pas trop loin du domicile des parents.
47La coopération et les aides apportées par les professionnels du médico-social et de l’Éducation nationale ont finalement abouti : il est depuis quatre mois en emp (externat médico-pédagogique), « et il est heureux » nous écrit la maman. Elle s’inquiète tout de même que son fils n’ait plus que quatre heures d’enseignement par semaine. Pour lui, qui sait lire et écrire, l’unité d’enseignement, et non une classe spécialisée dans l’emp, risque de se traduire par une régression. Mais la discussion est possible et c’est essentiel, chacun conservant sa place et son rôle.
Nous connaissions la clis, nous découvrons l’emp
48Pour cinquante enfants, vingt-quatre personnes dont deux médecins et une infirmière, quatre psychologues ou psychomotriciens, huit éducateurs spécialisés, trois administratifs, quatre ouvriers et deux instituteurs.
49Rappelons que pour le même enfant dans une clis de douze élèves (pouvant aller jusqu’à vingt-quatre quand elle est ouverte) : un enseignant (non spécialisé), un avs collectif non qualifié et c’est tout. Une infirmière passe certes dans l’école de dix-sept classes, mais deux demi-journées par semaine seulement et il n’y a qu’un seul médecin scolaire sur toute la ville pour 10 000 enfants (un lycée, cinq collèges et vingt-neuf écoles). Pas de gardien ni d’agent d’entretien dans l’école.
50Un seul commentaire : si nous étions ministres en charge de réductions drastiques des dépenses publiques et de la Sécurité sociale, nous choisirions l’école tout inclusive. Mais ne l’étant pas, nous nous permettons de dire que les besoins de l’enfant pour ses soins et sa scolarité sont pour nous une priorité absolue dans un pays dit « civilisé ».
Notes
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Denise Landron, professeur d’enseignement général de collège en Seine-Saint-Denis, retraitée, dden à Sevran, adhérente de dsp (Droit aux soins et à une place adaptée pour les enfants handicapés).
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Michel Landron, directeur d’école retraité, dden, invité à la concertation « Pour une loi de refondation de l’École » portant sur « Un accompagnement efficace pour les élèves en situation de handicap ».
michelandron@wanadoo.fr -
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dden : délégués départementaux de l’Éducation nationale. Désignés par l’inspecteur d’Académie après avis du comité départemental de l’Éducation nationale, nommés pour veiller aux bonnes conditions de la vie scolaire, leurs missions sont définies dans la Section 5 du Code de l’Éducation. Fédération des dden, 124 rue La Fayette, 75010 Paris – 01 47 70 09 59.
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Réseau d’aide spécialisée aux élèves en difficulté. Normalement composé d’un psychologue scolaire, d’enseignants spécialisés dans l’aide pédagogique (titulaires de l’option E du capsais devenu capa-sh), de rééducateurs pour l’aide éducative (option G du capa-sh).
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Le remplacement des enseignants est assuré par des enseignants titulaires-remplaçants pour des remplacements courts et ponctuels, des remplacements longs, les remplacements pendant les stages de formation continue… Affectés sur des postes à l’année pour pourvoir des postes vacants (la diminution chaque année des postes mis au concours aboutit à des pénuries), il manque cruellement dans les écoles dès le mois d’octobre. Environ cinquante classes en moyenne sont sans enseignant chaque jour en Seine-Saint-Denis en octobre 2012.
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Rappel des différentes options des enseignants spécialisés (article 3 du décret du 15 juin 1987). Option A : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement des enfants et adolescents handicapés auditifs ; Option B : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement des enfants et adolescents handicapés visuels ou aveugles ; Option C : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement des enfants et adolescents malades somatiques, déficients physiques, handicapés moteurs ; Option D : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement des enfants et adolescents présentant des troubles importants à dominantes psychologiques ; Option E : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement et de l’aide pédagogique auprès des enfants en difficulté à l’école préélémentaire et élémentaire ; Option F : enseignants spécialisés chargés de l’enseignement et de l’aide pédagogique auprès des adolescents ou des jeunes en difficulté (segpa en collège) ; Option G : enseignants spécialisés chargés de rééducations (arrêté du 7 janvier 1988). Ajoutez : psychologues scolaires, infirmières et médecins scolaires. Les orthophonistes sont de droit privé.
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École « inclusive » : le terme remplace de plus en plus celui d’intégration. Il vient de l’Union européenne qui préconise l’inclusion des enfants et jeunes handicapés dans les écoles et les classes ordinaires sans tenir compte des importants réseaux d’établissements et de structures spécialisés construits en France depuis la Seconde Guerre mondiale grâce à la Sécurité sociale (prix de journée, gratuité des soins et des transports) et face au refus de l’État de les prendre en charge dans le cadre de la Fonction publique (sauf les enseignants spécialisés depuis les années 1960).
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Maison départementale des personnes handicapées dont la cdaph (Commission départementale pour l’autonomie des personnes handicapées) est une émanation. À la place des cdes (Commission départementale de l’éducation spéciale sous tutelle des préfets et composée de personnels qualifiés pour trouver les solutions adaptées à chaque cas), la mdph mise en place par la loi du 11 février 2005 est sous la responsabilité du conseil général pour travailler à l’intégration des enfants handicapés dans les établissements scolaires ordinaires.
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Établissement public autonome centre Simone-Delthil (Saint-Denis) : établissement public départemental assurant, dans le cadre de trois sessad, le suivi médico-social d’enfants et de jeunes handicapés sensoriels ou atteints de troubles spécifiques du langage. Le service de prévention de l’établissement assure, par conventionnement avec le conseil général de Seine-Saint-Denis, des consultations des troubles visuels et/ou du langage pour les enfants âgés de 0 à 6 ans et domiciliés dans le département.