Notes
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Il est amusant de noter que l’un de mes premiers livres, L’Infirme Moteur Cérébral, Plaquette d’information, 1967, commençait justement par cette affirmation : « Non il n’y a pas rien à faire ! ».
Rubrique Lecture
Deux petits pas sur le sable mouillé, Anne-Dauphine Julliand, Les Arènes, 2011, 230 pages, 17,50 euros
1Ce livre, remarquablement écrit, dans un style facile, constitue pour moi le témoignage le plus émouvant que j’aie lu récemment sur le sujet. Il raconte les épreuves d’un jeune couple ; ils ont déjà deux enfants et la maman attend le troisième. L’histoire commence sur une plage, quand Anne-Dauphine Julliand remarque que sa petite fille Thaïs, âgée de deux ans, marche d’un pas un peu hésitant, son pied pointant vers l’extérieur. Après une série d’examens incluant les parents, les médecins découvrent que Thaïs est atteinte d’une maladie génétique, la leucodystrophie métachromatique, qui ne lui laisse que quelques années à vivre. Alors l’auteur fait une promesse solennelle à sa fille : « Tu vas avoir une belle vie. Pas une vie comme les autres petites filles, mais une vie dont tu pourras être fière. Et où tu ne manqueras jamais d’amour ». Ce livre relate l’histoire de cette promesse et la beauté de cet amour.
2Après ce choc terrible en survient un autre : quand Azylis, la petite sœur, vient au monde, l’on découvre rapidement qu’elle est atteinte de la même leucodystrophie ! Pour cette petite dernière, une greffe totale de moelle apparaît comme une éventuelle possibilité salvatrice, malheureusement assortie d’un ahurissant parcours du combattant. L’adaptation familiale qui avait pu être réalisée vole alors en éclats, et le couple est contraint de faire appel à l’aide de la famille, des amis, pour permettre cette greffe, à Marseille, tout en continuant à accompagner Thaïs et en l’entourant de l’amour de son père Loïc, de son grand frère Gaspard et de celui de tous les autres, pour l’aider à franchir les différents stades de cette fin de vie annoncée. Ce qui fait dire à l’auteur : « Mes années avec Thaïs m’ont prouvé que l’on peut choisir d’être heureux et d’aimer, malgré les épreuves ».
3Désormais, le récit entremêle la lente perte d’autonomie de Thaïs et le mélange d’espoir et de crainte pour l’avenir d’Azylis. Finalement, malgré le succès de la greffe, la maladie fera son apparition chez la cadette aussi. Les capacités de transcendance et la force de conviction d’Anne-Dauphine Julliand transforment ce texte en un véritable hymne à la vie et à l’amour, que concrétise bien un de ses objectifs, résumé dans cette phrase : « Il faut ajouter de la vie aux jours, lorsqu’on ne peut plus ajouter des jours à la vie ».
4Puis vient l’inéluctable phase terminale et là encore, au milieu d’effroyables difficultés, le courage, la dignité et la pudeur prennent la place de la tristesse et du désespoir. De même, tous ceux qui viennent à l’aide du couple, y compris le service de HAD, le font avec cœur et en sortent grandis. À la fin, bien naturellement, l’auteur ne pouvait plus se détacher de sa fille et le médecin de la HAD, avec une grande tendresse et une infinie discrétion, suggère à la mère l’idée que sa petite fille a peut-être envie de choisir ce moment et de le vivre seule : c’est sans doute là le moment le plus poignant, celui où Anne-Dauphine Julliand explique comment, par amour pour son enfant, elle a accepté de « lâcher prise ».
5Il est impossible de ne pas le lire, d’autant que lorsque vous l’aurez commencé, vous ne pourrez plus le lâcher ! Mais vous risquez d’en sortir en pleurant.
6Roger Salbreux
7Pédopsychiatre
8Secrétaire de rédaction
Handicap, projet et réinsertion. Analyse des processus des constructions identitaires pour les travailleurs handicapés, Bernard Gourmelen, L’Harmattan, 2012, 256 pages, 26 euros
9Ce livre est le fruit de l’expérience, celle d’un formateur devenu ingénieur de formation, titulaire d’un master de sociologie et développement des organisations sociales, ayant pendant presque quarante ans, au sein de plusieurs organismes, contribué à la formation professionnelle de personnes dites « en difficulté » ou à leur insertion socioprofessionnelle. En prenant sa retraite, il a souhaité laisser une trace du savoir et du savoir-faire accumulés, malgré le décalage entre la législation de l’époque, c’est-à-dire la loi du 10 juillet 1987, et celle d’aujourd’hui, à savoir la loi du 11 février 2005.
10Ce n’est pas parce que les actions d’insertion, d’évaluation et d’orientation pour les travailleurs handicapés présentées et analysées remontent à quelque temps, qu’elles n’en ont pas moins un grand intérêt, par leurs aspects exemplaires et novateurs à l’époque et par la pérennité de leur validité. Comment construire un projet professionnel lorsque l’on est dans l’incertitude de ce que l’on peut faire physiquement ? Comment se construire une identité personnelle et professionnelle quand on ne sait pas ce que l’on peut encore faire ou devenir ?
11Pour répondre à ces questions, il a donc fallu que l’auteur s’inspire des travaux théoriques de certains sociologues sur les concepts ou notions d’identité, de handicap et de projet. S’appuyant, pour guider ses stagiaires, sur la double confrontation entre leurs tentatives d’élaboration d’un projet professionnel et leurs possibilités d’intégration de leur handicap, Bernard Gourmelen s’est efforcé de décrire leurs trajectoires de vie et, après une étude soigneuse de ces données, de ressortir de ce thésaurus les indicateurs permettant de mieux repérer pourquoi ils avaient ou non le potentiel pour se réinsérer. C’est en cela que ce livre demeure très actuel, même s’il s’adresse à des adultes. Les notions de projet et de trajectoire de vie sont en effet devenues essentielles dans notre pratique quotidienne.
12Cet ouvrage est destiné à tous les acteurs qui concourent à l’insertion et à l’orientation des travailleurs handicapés, certes, mais aussi à l’orientation des personnes et même des enfants handicapés.
13R. S.
Je me souviens…, Boris Cyrulnik, L’esprit du temps, 2009, 89 pages, 9,50 euros
14« Ça fait soixante-quatre ans que je n’ai rien pu dire, c’est la première fois que je le fais ». Par cette phrase clé, l’auteur, que l’on ne présente plus, explique ce retour sur son enfance, à ce moment de son histoire pendant la dernière guerre mondiale où il était dans un combat pour sa survie.
15À 6 ans, il réussit à s’échapper de la synagogue où il avait été enfermé par les Allemands en vue de le déporter, comme d’autres enfants et leurs familles. Il est alors recueilli par une institutrice et « placé » dans une ferme où son quotidien consistait à compter les moutons, à ne pas dire son nom, bref à se protéger pour survivre. « Les rêves d’avenir sont apparus plus tard, dès que j’ai eu une structure affective, une famille d’accueil, une charpente stable ».
16Dans les lignes émouvantes de cette « confession » tardive et très personnelle, Boris Cyrulnik réfléchit très finement aux mécanismes de la mémoire, du tempérament et de la résilience, à la nature de l’émotion enfouie et aux blocages qui l’empêchaient de revenir sur les lieux de cette triste aventure.
17Il émet l’hypothèse que, de cette enfance « fracassée », il a finalement pu faire quelque chose, acquérir une curiosité insatiable, une « rage de comprendre », d’où résulte qu’il fût un enfant bavard comme une pie et qui explique en partie sa vocation de devenir psychiatre. Il développe avec humour comment il s’en est toujours tiré en faisant le pitre et nous montre surtout son insoumission aux contingences, aux hommes et aux idées toutes faites.
18Stimulant et revigorant.
19Odile Salbreux
20Pédopsychiatre
Dire la maladie et le handicap. De l’épreuve à la réflexion éthique, Marie-Hélène Boucand, Érès, 2011, 207 pages, 12 euros
21Voici un livre bouleversant dont je vous recommande la lecture. Il s’agit d’un médecin hospitalier qui s’est orientée par vocation vers les personnes les plus démunies et a rapidement pris conscience du peu d’intérêt que les soignants portent à ces malades atteints de pathologies incurables. « Au sein de la médecine de rééducation, je m’orientais auprès des personnes cérébro-lésées et blessées médullaires. Le handicap s’était introduit chez mon plus proche parent : ma mère. Le combattre chez d’autres était une façon de ma battre avec elle ». Bien qu’impliquée, elle a essayé de tenir dans ce milieu assez mortifère, jusqu’à ce qu’elle soit elle-même atteinte et passe de l’autre côté de la barrière.
22Alors, tout a basculé : elle a commencé à avoir de graves problèmes de santé en lien avec une maladie génétique dite orpheline, le syndrome d’Ehlers-Danlos. Elle a dû abandonner son travail et se réinventer une nouvelle vie, conquérir à nouveau son indépendance et sa dignité au-delà même de la maladie. Elle a finalement pu reprendre des engagements associatifs en faveur des personnes handicapées et en travaillant à la MDPH.
23Inutile de dire que ce témoignage s’accompagne d’une réflexion profonde sur la condition de l’homme souffrant.
24Dans sa préface, Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à Paris Sud 11, écrit : « Ce témoignage est un appel à l’existence, autrement, dans une lente progression sur les versants abrupts et exposés. Mais avec la force et l’intelligence d’une expérience du quotidien de la maladie et de ses extrêmes, aux limites de ce qui se pense et se dit. Ce récit de vie apparaît dès lors exceptionnel dans sa capacité à nous restituer avec simplicité des paroles vraies. Elles nous touchent profondément, dans notre vulnérabilité d’homme et la richesse insoupçonnée de nos sollicitudes ».
25À lire absolument.
26R. S.
Le projet individuel. Repères pour une pratique avec les personnes gravement handicapées mentales, Philippe Chavaroche, Érès, 2009 (rééd.), 132 pages, 10 euros
27Ce livre déjà ancien et analysé dans les colonnes du numéro 24 de Contraste lors de sa première édition, reste d’une grande actualité. En effet, depuis 2002, le bouleversement législatif de ces dernières années a mis le projet individuel au centre de nos préoccupations, tout comme il a mis la personne au centre du « dispositif ».
28Or, le projet individuel a toujours été une référence incontournable de l’accompagnement des personnes handicapées, unanimement partagée par les acteurs du travail éducatif et social comme un appel à l’expression du sujet sur son propre devenir. Il convient toutefois de distinguer projet individuel et projet de vie, ce qui n’est pas exactement la même chose.
29Même si les équipes se sont appropriées depuis longtemps ces deux aspects nouveaux du champ social et médico-social, les pratiques n’ont pas toujours su éviter certaines dérives, qui tiennent à la fois aux pesanteurs du système institutionnel, à l’asymétrie existant entre la position des établissements ou services et la personne accueillie et au caractère paradoxal de l’injonction administrative qui consiste à demander aux personnes en très grande difficulté, d’élaborer un projet qu’elles ne pourront certainement pas mener à son terme, du fait même de leur état. Ces « variations » ne laissent pas de poser plusieurs questions que Philippe Chavaroche détaille avec clarté. Pourquoi cette notion de projet individuel s’impose-t-elle maintenant dans notre société ? Que signifie-t-elle pour les personnes présentant des handicaps mentaux graves ? Qu’en est-il de leur possibilité de s’inscrire de manière autonome dans un futur dont elles concevraient et maîtriseraient la teneur ?
30Qui fait le projet et pour qui ? Ne risque-t-on pas d’y trouver écrits noir sur blanc tous les stéréotypes de notre époque, comme « l’autonomie », le « bien-être » ou les « progrès » ? N’est-ce pas le meilleur moyen d’enfermer la personne dans une vision réductrice de son avenir, dans un « programme » normatif auquel elle devra se conformer ?
31Loin de proposer une « méthodologie » prête à l’emploi du projet individuel, comme il en existe déjà, Philippe Chavaroche nous appelle à une réflexion sur cette pratique. Comme tous les outils utilisés dans le champ de l’accompagnement des personnes en situation de fragilité, le projet individuel et son maniement doivent être soumis à l’analyse et à la critique afin d’écarter le danger toujours présent d’un effacement du sujet derrière la toute-puissance « projective » des professionnels ou de ses proches.
32Le projet individuel d’une personne gravement handicapée ne peut être qu’un cheminement clinique où ce qui compte est, non pas ce que l’on voudrait qu’elle soit, mais ce qu’elle est, souvent de façon très précaire, dans sa grande difficulté de vie.
33R. S.
Handicapés : l’accueil depuis l’enfance, Suzy Cohen, L’Harmattan, 2007, 254 pages, 22 euros
34Rare performance, Suzy Cohen réussit à permettre tout à la fois aux parents de retrouver le témoignage de leur souffrance, aux professionnels de mesurer la variété des mesures éducatives et ré-adaptatives mises en œuvre çà et là et aux politiques de comprendre la richesse imaginative des institutions et services dont certains voudraient aujourd’hui la disparition.
35Témoignages émouvants, dialogues passionnés, exemples vivants recueillis au cours d’une large enquête menée avec rigueur dans les écoles, ce livre est tout cela à la fois. L’auteur montre que l’enfant handicapé peut et doit bénéficier d’une continuité éducative et accéder aux loisirs et, plus tard, au travail. Dans un style accessible à tous les publics, elle décrit, après un aperçu historique, la nature et les origines de divers handicaps, la douloureuse révélation du handicap et la nécessité de sa prise en compte dans la famille, à l’école et dans la vie courante.
36Gaston Mialaret, professeur honoraire de Sciences de l’éducation, écrit dans sa préface : « Tous les citoyens conscients des valeurs d’humanité que porte en lui tout être humain, comprendront mieux, à la lecture de cet ouvrage, la nécessité des efforts de toutes sortes déjà faits et à faire dans le futur pour mieux accueillir ces enfants dans nos institutions éducatives ».
37Les familles se reconnaîtront dans le récit des drames engendrés par la situation d’enfants durement éprouvés et trouveront des motifs d’espoir dans les efforts réalisés pour surmonter les difficultés. Cerise sur le gâteau, l’illustration de la couverture est réalisée par une artiste
38R. S.
Les aides médico-psychologiques : prendre soin au quotidien, Béatrice Aimé, Michel Baquedano, Blandine Ponet, Marie-Claude Poujoulet, Denis Turrel, Érès, 2009, (rééd.) 170 pages, 15 euros
39Quel chemin parcouru depuis le premier arrêté de 1972 définissant la profession d’aide médico-psychologique et dans la mise en œuvre duquel j’ai moi-même tenu une place non négligeable ! Le nouvel arrêté du 11 avril 2006 présente désormais cette profession comme la « première qualification de la filière éducative » et en soumet l’exercice à un diplôme d’État. Ce n’est que justice après tant d’années d’extension successives de la compétence et des attributions de ces aides précieux(ses) qui se définissaient eux-mêmes comme des « gardiens de la vie », et ceci malgré la méconnaissance générale de leur rôle en dehors des établissements et services pour personnes lourdement handicapées.
40Pourtant, ils n’ont cessé depuis lors de chercher à construire leur identité et à obtenir la reconnaissance de la spécificité et de l’ambition de leur corps professionnel : prendre soin au quotidien. Il est en effet difficile de rendre compte de cette dimension, à la fois humble et complexe, peu visible et peu spectaculaire, faite de ces « petits riens » assurés au jour le jour et qui établissent la grandeur du travail des AMP. En quoi peut-on dire que les AMP sont les sentinelles, les guetteurs de l’inconfort, de la souffrance, du mal-être, qu’ils soient physique, psychique ou social ?
41Quelles représentations les aides médico-psychologiques ont-ils de leur métier ? Comment conçoivent-ils leur engagement auprès des personnes de tous âges gravement handicapées, au sein de diverses institutions ? Comment les autres acteurs de l’accompagnement (directeurs, juristes, médecins, paramédicaux, psychologues, etc.) perçoivent-ils la fonction d’AMP ?
42Il s’agit d’un livre collectif, rédigé par plusieurs formateurs d’AMP, mais aussi par plusieurs aides médico-psychologiques et qu’il est très utile de lire pour comprendre la place de cette profession dans le champ qui est le nôtre.
43R. S.
Pour les enfants polyhandicapés. Une pédagogie innovante, Annick Bataille, Érès, 2011, 411 pages, 20 euros
44Ce livre est introduit par une préface d’Élisabeth Zucman, qui rappelle rapidement l’évolution des idées sur les enfants polyhandicapés, depuis le temps révolu des encéphalopathies pour lesquelles « il n’y à rien à faire » [1], jusqu’à la reconnaissance actuelle de leurs capacités de participation sociale. L’auteur remarque que, malgré les nombreuses souffrances que les enfants polyhandicapés endurent, dans des domaines excessivement variés, ils restent des enfants, deviennent des adolescents, puis des adultes avec des besoins, des désirs, des émotions, l’envie de vivre, de découvrir de nouvelles sensations, d’apprendre et de communiquer.
45À partir de sa formation d’éducatrice, de sa connaissance du développement du jeune enfant et de sa passion inventive en matière de pédagogie, Annick Bataille a élaboré tout au long de sa carrière, une pratique éducative adaptée aux difficultés multiples de ces enfants, pédagogie qui, en reconnaissant leurs compétences, leur offre une voie pour s’épanouir.
46Dans une écriture simple au service d’un texte bien documenté, agrémenté de nombreux témoignages de familles, de professionnels et d’anecdotes d’enfants, l’auteur montre tous les aspects éducatifs de la vie quotidienne des enfants, indique les très nombreuses activités à leur proposer dans un programme personnalisé. Celles-ci ne sont pas simplement occupationnelles, elles favorisent le bien-être de l’enfant et lui permettent certains progrès.
47Annick Bataille entre dans tous les détails, y compris les recettes de repas mixés, de sorte que les parents comme les professionnels pourront trouver dans ce « testament » des idées concrètes pour stimuler leur imagination afin de mieux écouter, mieux comprendre et mieux accompagner les enfants.
48R. S.
Professionnels auprès des personnes handicapées, Charles Gardou (Dir.), Érès, 2010, 206 pages, 23 euros
49C. Gardou, le retour ! Voici donc un nouveau livre de l’éminent professeur lyonnais. En réalité, il s’agit de la réédition revue et corrigée d’un ouvrage sorti en 1997. Qui plus est, au lieu de donner la parole aux handicapés eux-mêmes, ou à leurs parents, comme cet auteur le fait d’habitude, il fait entendre ici les voix de ceux et celles qui s’en occupent et s’en préoccupent. Parmi ces professionnels, on citera le regretté S. Tomkiewicz, E. Zucman, J. Ladsous, R. Scelles, J. Rouzel, N. Diéderich. Que l’on soit psychiatre, médecin-rééducateur, éducateur spécialisé, psychologue ou sociologue, kinésithérapeute ou psychomotricien, la confrontation quotidienne à la différence, à la souffrance, à la fragilité, à l’impuissance, au manque, etc. provoque des sentiments et des actions complexes. Entre rejet, déni, angoisse, réparation et activisme. Avec beaucoup de sincérité, les différents participants à cet ouvrage exposent leurs pratiques, comme autant de combats vis-à-vis d’eux-mêmes et des personnes handicapées. Ils interrogent ainsi leurs émotions, leurs prescriptions, leur vocabulaire. Il ne s’agit là rien moins que de transformer un savoir professionnel, technique et parcellaire, en communication globale et humanisante. Il n’y a pas de science sans conscience de l’être humain, sans reconnaissance de nos limites et de nos devoirs. Comme dirait le philosophe, comme le réel, l’Autre sera toujours source d’une rencontre inquiétante, étrange, signifiante et salutaire. Un livre clair, riche, dense, indispensable pour tordre le cou à toute idée de normalité ou de normalisation.
50Jean-Tristan Richard
51Psychologue, Psychanalyste, Directeur adjoint CAMSP
52Institut de puériculture et de périnatalogie de Paris
« Ces enfants qui ne jouent pas le jeu ». Revue Savoirs et Clinique, Érès, 2010, n°11, 140 pages, 17 euros
53Ces enfants-là ne seraient pas comme les autres en ce qu’ils nous posent des problèmes ! Ils sont autistes, psychotiques, placés en familles d’accueil, déscolarisés, agressifs, suicidaires, etc. La revue lacanienne Savoirs et Clinique propose ici quelques réflexions théoriques et vignettes cliniques à propos de ces enfants. Au-delà d’un apparent refus de s’intégrer dans leur famille et dans le corps social (école, etc.) – ce qui fait qu’on veut dépister au plus tôt ces asociaux – il s’agit d’entendre chez eux les souffrances psychiques enkystées et les conflits inarticulés qui constituent l’origine et le mécanisme de leurs symptômes. On rappellera encore ici deux anciens numéros de cette revue : « L’enfant-objet » (n°1), et « L’enfant devant la loi » (n°4).
54J-T. R
Dits de divan, Valérie Blanco, L’Harmattan, 2010, 102 pages, 11 euros
55Si l’on reste dans le l’univers post-lacanien, on mentionnera cet opuscule généraliste sur la psychanalyse. L’auteure présente quelques concepts issus des théories de J. Lacan en les illustrant par quelques brèves vignettes cliniques. Il en résulte un exposé agréable, clair et courageux. De fait, ces « dits » sont écrits de manière alerte et accessible. L’exposé résumé de quelques concepts comme ceux de castration, réel, imaginaire, symbolique, jouissance, etc. est toujours vivant. Enfin, les illustrations des propos des patients et de ceux de cette analyste ne peuvent, évidemment, que nous interroger sur ce que nous aurions dit à sa place. N’étant pas lacanien, évidemment, nous n’aurions pas fait comme V. Blanco ! Elle semble coller mot à mot aux propos de ses patients, de sorte que c’est plus leur factuel et leur actuel que leur dynamique inconsciente qui semblent convoqués. Cela débouche sur des inter-relations très proches du soutien, pour ne pas dire de l’éducatif et du pédagogique. Je ne suis pas assuré que la cure psychanalytique consiste en une guidance, même si j’y vois une sorte d’accompagnement. Cela étant, il s’agit là d’une sorte d’initiation tout à fait recommandable. Même si je lui préfère l’ouvrage de S. Korff-Sausse paru en 2001 aux éditions Hachette (Dialogue avec mon psychanalyste), voilà qui pourra servir de viatique à tous les professionnels de notre champ d’action hésitant encore à entreprendre un travail sur eux-mêmes et à tous les parents que nous pouvons inviter à rencontrer un psychanalyste.
56J-T. R
Dictionnaire de psychologie, Roland Doron, Françoise Parot et al., PUF, 2007, 768 pages, 22 euros
57Il ne paraît pas souvent des dictionnaires ou vocabulaires de psychologie, environ tous les dix/vingt ans. Celui-ci s’adresse à tous les étudiants comme à tous les professionnels. Il se propose de préciser sans facilité démagogique et sans particularisme d’école plus de deux mille termes, les uns usuels et déjà anciens, les autres moins répandus et plus contemporains. De plus, il s’ouvre aux disciplines connexes. L’ensemble vise ainsi à développer un esprit critique. Chacun pourra donc y trouver son compte et son « content », en dépit, parfois, de quelques présentations résumées de manière un peu abstraite, comme le genre peut y conduire. Ce dictionnaire commence par « abandon », « aboulie », « abréaction », « absentéisme » et se termine par « vulnérabilité », « Zeigarnik effect » et « zone proximale de développement». On le voit, il s’agit là d’une mine de connaissances constituant un outil de travail quotidien. Il se montrera complémentaire, notamment, de l’inépuisable Vocabulaire de la psychanalyse de J. Laplanche et B. Pontalis (PUF), du Dictionnaire de psychologie de N. Sillamy (Larousse) et du Dictionnaire de psychanalyse et de psychologie de E. Caralp et A. Gallo (Milan).
58J-T. R
La psychanalyse : une remise en jeu, Jean-Paul Matot, René Roussillon, PUF, 2010, 278 pages, 25 euros
59René Roussillon est en passe de devenir en France le nouveau « André Green ». Je veux dire qu’il tisse, comme lui, depuis près de trente ans une œuvre originale et occupe une place de plus en plus importante dans la communauté psychanalytique. Sa bibliographie, en fin d’ouvrage, ne compte pas moins de dix pages ! Ce livre à plusieurs voix (éducateurs spécialisés, psychologues, psychanalystes, psychiatres, assistantes sociales, infirmières, psychomotriciennes, institutrices, etc.) entend la synthétiser et la discuter. A partir des ouvrages, articles et conférences de cet éminent praticien-chercheur, il offre ainsi au lecteur une sorte d’espace de travail, autant basé sur la réflexion que sur la pratique, de nos activités. Des textes de R. Roussillon, des commentaires, des présentations de cas, des discussions et des interviews composent un ensemble très vivant. Les trois thèmes favoris de R. Roussillon sont bien évidemment très présents : la naissance de la pensée, les souffrances du narcissisme et les fonctions du cadre thérapeutique mis en place, d’où l’importance d’une formation initiale « sérieuse ». Le tout est réalisé d’une manière particulièrement créative, nouant à chaque fois théorie et clinique, acceptant et repoussant les limites des paradoxes inhérents à l’existence. Chacun s’y reconnaîtra et pourra poursuivre son propre chemin. Précisons que ce « compendium » constitue à lui seul une sorte de séminaire. Ce sont des rencontres entre des praticiens belges et français qui sont à l’origine de ce livre. Outre donc d’apporter une bibliographie exhaustive des travaux de R. Roussillon, il aborde plus particulièrement, de façon très accessible et très approfondie, l’itinéraire singulier d’un psychanalyste, sa confrontation aux phénomènes transférentiels, les vicissitudes réflexives des relations entre soi et autrui, la prise en charge des enfants en difficulté, les souffrances de la construction identitaire, la question du dispositif thérapeutique et du travail institutionnel, avec la transitionnalité et la symbolisation, de même que l’objet malléable. Sur ce dernier point, par exemple, on retiendra que R. Roussillon prône une adaptation du cadre thérapeutique aux nouvelles réalités cliniques, tout en défendant les trois principes majeurs de la cure psychanalytique: l’offre d’associativité, la liberté accueillie de celle-ci et l’analyse du transfert. De là qu’il égratigne au passage le neuro-cognitivisme qui, pour confirmer que l’esprit humain fonctionne par associations, débouche sur des prises en charge basées uniquement sur la rééducation qui, en plus, ne tiennent pas compte des effets de la confrontation à la pathologie sur les intervenants. C’est en ce sens que ce livre constitue, comme le titre l’annonce, une véritable réflexion générale sur la psychanalyse d’aujourd’hui. A lire sans tarder, plaisir garanti ! Il n’est nul besoin de se croire prophète pour prévoir qu’il constituera une référence incontournable pendant quelques décennies. Car, au vrai, chacune de ses pages nous invite à réfléchir à nous-mêmes et à tous ceux, enfants ou parents, dont nous nous occupons.
60J-T. R
La consultation transculturelle de la famille, Alfredo Ancora, L’Harmattan, 2010, 274 pages, 26,50 euros
61Alfredo Ancora est un psychiatre italien et psychothérapeute systémicien spécialisé dans les prises en charge des familles de cultures autres. Il travaille à Rome, Sienne et Milan. Se référant à Gregory Bateson et à Mara Selvini Palazzoli, bien sûr, il connaît tous les travaux de G. Devereux, H. Collomb, T. Nathan, M-R. Moro, F. Laplantine, M-C. et E. Ortigues, etc. Cet ouvrage date de 2000 ; il représente la synthèse des recherches menées pendant près de trente ans et comporte cinq parties principales. La première rappelle l’importance des études de G. Bateson, mais aussi d’autres pionniers, ethnologues ou psychiatres, dans la construction d’une approche clinique véritablement transculturelle. La condition d’un soin avec un patient « exotique » implique ce « trans » entre deux cultures. La deuxième partie rend compte précisément de la nécessité de bien connaître les croyances et rites relatifs aux maladies et aux médecines de la culture du patient. Cela implique des rencontres et une écoute empathique, ainsi que l’illustrent quelques cas. La troisième partie articule les processus de constitution d’une culture avec ceux qui conduisent à émigrer. La figure de l’étranger apparaît. L’exemple albanais en Italie est ici développé. La quatrième partie expose le fonctionnement d’un centre de soin transculturel romain prenant en charge aussi des familles italiennes, tandis que la cinquième décrit son travail auprès des familles étrangères : roumaines, yougoslaves, africaines, etc. L’ouvrage se clôt par un exemplaire du questionnaire d’accueil à remplir proposé aux familles prises en charge. Il est important de noter qu’au fil des pages, A. Ancora critique le bureaucratisme des systèmes de santé, la fixation sur les données statistiques et les prévisions épidémiologiques, la dérive pseudo-scientifique au nom de l’objectivité, tous éléments qui mènent à la pensée unique, mondiale, au profit d’une immersion souple, « nomade », prête à échanger et à se transformer. Que l’on soit psychiatre, psychologue, assistant social ou infirmier, c’est ainsi que l’on s’imprégnera d’un rôle nouveau et captivant, celui d’« opérateur de frontières ». Cet ouvrage est un « classique » en Italie, il le sera très bientôt en France. Il n’est pas sans nous rappeler le travail de B. Titran, décédé il y a peu, travail effectué dans le Nord de notre pays.
62J-T. R
Manifeste pour une vraie politique de l’enfance. Coup de gueule, Patrick Ben Soussan, Érès, 2011, 80 pages, 5 euros
63Dans la veine de l’ouvrage de S. Hessel sont parus divers ouvrages, sur la sexualité notamment. Autant de petits livres noirs de notre modernité. C’est à P. Ben Soussan, psychiatre marseillais bien connu de nos lecteurs, que l’on doit ce cri du cœur quant à la situation de l’accueil de la petite enfance dans notre pays. Inféodé au modèle américain, celui-ci s’avère basé sur une dichotomie simpliste : d’un côté, la réalité, celle des futurs délinquants et autres pédophiles, de l’autre, l’idéal, celui d’enfants parfaits. Or, il ne saurait y avoir de développement sans difficultés. Pour ne pas considérer cela, nos politiques et nos savants prônent, par décrets, arrêtés, articles et déclarations péremptoires, le « flicage » précoce de nos chers bambins. Décidé à témoigner après des années de silence, P. Ben Soussan se met en colère. Il dénonce les non-politiques de l’enfance à l’œuvre derrière le tumulte médiatique des politiciens et la pseudoscience des chercheurs rivés à quelques observations tronquées et quelques idéologies alarmistes. Bref, on cultive la peur et la culpabilité. Cela au lieu de préconiser des mesures concrètes de soutien aux parents et d’accueil des jeunes enfants. Ainsi, P. Ben Soussan ne fait pas seulement qu’écrire un « livre noir » de plus : au-delà de la dénonciation vigoureuse, grâce à l’humour et quelques formules bien « trempées », il montre le chemin vers un monde autre. Semé d’embûches et imprévisible. Constituant non des lieux de garde et de surveillance, mais des lieux de vie. Comme le dit un proverbe bamiléké qu’il cite : « L’avenir est un enfant dans le sein »… Plus que revigorant !
64J-T. R
Notes
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Il est amusant de noter que l’un de mes premiers livres, L’Infirme Moteur Cérébral, Plaquette d’information, 1967, commençait justement par cette affirmation : « Non il n’y a pas rien à faire ! ».