Notes
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J. Nadel, 1986, Imitation et communication entre jeunes enfants, Paris, PUF ; J. Nadel et G. Butterworth (éds), Imitation in Infancy, 1999, Cambridge University Press ; Imiter pour découvrir l’humain, en coll. avec J. Decely, 2002, Paris, PUF.
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Association SOS préma, 6 rue Escudier, 92100 Boulogne-Billancourt.
Rubrique Lecture
Le handicap au risque des cultures. Variations anthropologiques, Charles Gardou et al. Érès, 2010, 437 pages, 40 euros
1Le dernier ouvrage du professeur Charles Gardou revêt un caractère à la fois unique et exceptionnel.
2Unique, car c’est bien la première fois qu’une vision panoramique du champ du handicap est ainsi proposée et menée à bien.
3« Ouvrage à plusieurs voix » (vingt contributions de chercheurs issus des cinq continents – Océanie, Amérique, Asie, Afrique, Europe), l’objectif est bien d’« explorer les représentations collectives » de ce champ, en quelque sorte de dresser une « fresque anthropologique ». Pari magistralement tenu.
4Exceptionnel, car, au-delà de la diversité des cultures et des situations abordées, il dégage une trame commune à toutes les formes de confrontation au handicap (très bien mise en relief dans l’introduction et la conclusion proposées par Charles Gardou) d’au moins trois caractéristiques bien marquées qui en constituent le cadre contenant, en impulsent la dynamique sous-jacente et expliquent les conduites répondantes d’ajustement. Représentations (lieux de mémoire) et affects (lieux de souffrance) s’y entremêlent dans une recherche anxieuse et ambivalente face au questionnement que provoque le trauma du handicap.
5D’abord, un effet de rupture : histoire de chocs et choc d’histoires, confrontation sidérante au corps déformé, à l’esprit dérangé, et par là au négatif de l’inconnu, de la perte, du manque, de l’altérité, de la faille – soulevant l’éventualité de la défaillance – du moins, mais aussi du trop, alors que l’attendu, préfiguré merveilleux, fait défaut. Le sentiment d’étrangeté, de désarroi et de déroute qui en découle signe une césure générationnelle et filiatrice et entraîne, à partir de l’irruption du désordre, une recherche éperdue, revendicatrice, de justifications à visée de dédommagement et de réparation, sur fond conflictuel et ambivalent de non-acceptation-rejet et d’acceptation-accueil.
6Un second négatif dès lors se superpose et s’imbrique au premier sous forme de résistances et de défenses (de protection et de dégagement), variées selon les cultures, mais fondamentalement proches par ce noyau et pivot central qu’est le face à face avec une image de l’autre et de soi dé-figurée. Ce qui est là en jeu est de l’ordre de l’impensable-irreprésentable et de l’indicible masqué par des mouvements de culpabilité (châtiment et sentiment d’être détruit), de honte (sentiment d’être vu) et d’humiliation (sentiment d’être rabaissé), d’hostilité (colère divine), mais aussi de tentative de dépassement de la dette imaginaire et de sauvegarde de l’autre comme membre de la collectivité, investi alors de pouvoirs tutélaires bénéfiques. Ensuite, l’entrée dans la recherche de la cause : il s’agit de chercher à comprendre l’incompréhensible. Cette recherche indéfinie – linéaire et réductrice – de la cause de la cause, en spirale, mêle explications imaginaires, le plus souvent contradictoires : elles colmatent l’angoisse de base que suscite le double « différent », « fantôme » vécu comme danger et menace par « idées » fantasmées de dégénérescence, de contamination-contagion et de transgression potentielle des interdits fondateurs que représentent les tabous du meurtre et de l’inceste. Cet imaginaire collectif, abondamment présent dans les mythes et les rituels, se nourrit de thématiques faisant appel au religieux, au magique. Comportements conjuratoires, sacrificiels, exorcisants (sollicitation du divin, du devin, du sorcier, du chaman …) – expiatoires à la fois – se concrétisent au travers de démarches qui recèlent finalement un désir, masqué et brouillé, de trouver du sens là où le non-sens, le contresens, le faux sens avaient pu surgir. Irrationnel et rationnel se chevauchent au travers d’un travail souterrain de fixation et d’évitement dans lequel s’affrontent, dans un entre-deux, « forces maléfiques et forces bienveillantes », recourant aux explications – comme point d’ancrage sécurisant – de l’organogenèse, de la sociogenèse moins souvent à celles de la psychogenèse.
7Puis encore, l’adoption d’un mode de fonctionnement – de stratégies -, recherche et témoin d’un compromis de vie le moins souffrant et le plus réassurant possible tant pour soi que pour le groupe familial et pour la collectivité, sauvegarde du lien social à l’encontre de ce que serait le délien. À ce niveau, l’« acceptance » peut trouver place et se faire mise en signification, véritable travail psychique de re-figuration au travers duquel l’autre est moins pensé, moins parlé, moins agi. Ouverture et perspectives, projets communs et partagés deviennent de l’ordre du possible. Ils sont œuvre d’adaptabilité pour peu que l’onde de choc initiale puisse être dépassée, c’est à dire représentée et symbolisée de par la lente acceptation de la non-acceptation. Cette « métamorphose » n’efface pas « l’insensé » originaire, mais le secondarise en termes de reconnaissance ; là où il y avait irruption de la différence se glisse un sentiment partagé de mêmeté et de ressemblance en tant qu’appartenance commune au groupe social.
8Ces mouvements et ces représentations, les reléguées (celles de l’inconscient individuel, familial, collectif) et les déléguées, – supports et ressorts de cette confrontation – se retrouvent et sont repérables dans les différentes présentations des chercheurs. Ils et elles se corporéisent en singularité selon les cultures – et leurs lectures, chapitre par chapitre, est une véritable découverte ethnographique – mais le fond d’universalité qui les caractérise est constamment présent. Ce dont il s’agit est bien l’interrogation sur les origines et ce qu’il en est du soi aux prises avec les processus d’identification et de devenir de tout être en voie d’humanisation.
9On ne peut que recommander vivement la lecture d’une telle somme – « variations anthropologiques » – combien éclairante du fait des analyses en profondeur à la fois fines et nuancées. Elle a le mérite de situer la confrontation au handicap à la fois comme situation, comme relation – par le biais paradoxal de barrières de contact puisqu’il s’agit à la fois de séparer et de réunir –, et par là comme recherche d’un équilibre harmonieux. Si ce processus est atteint – ce qui n’est pas toujours le cas et n’est jamais définitivement acquis parce que fragile – il permet à chaque protagoniste de trouver place et sens dans sa position de sujet à la fois psychique et social. À défaut, par double lien il s’enlise en « intégration ségrégative » équivalent de relégation ; au mieux, il débouche sur l’integrum est : il est devenu libre de …
10Personnes handicapées, familles, professionnels des sciences humaines et sociales, décideurs ne se tromperont pas en prenant connaissance de cet ouvrage qui fera date dans la compréhension des tenants et des aboutissants de la confrontation aux situations de handicaps dans les sociétés humaines.
11Le handicap au risque des cultures pourrait aussi s’intituler Les cultures au risque du handicap, tant il est vrai que la déstabilisation liée au handicap ébranle de façon complexe et paradoxale les repères individuels et sociétaux par ses effets moins de miroir que de réverbération énigmatique : qu’en est-il du rapport à l’autre et, par là, du rapport à soi. C’est bien ce que met en relief cet ouvrage « salutaire » qui arrive à point nommé.
12Jean-Sébastien MORVAN,
13Psychothérapeute, Professeur émérite
14Faculté des sciences humaines et sociales
15Sorbonne université Paris-Descartes
Imiter pour grandir Développement du bébé et de l’enfant avec autisme, Jacqueline Nadel Dunod, 2011, 213 pages, 23 euros
16Jacqueline Nadel est bien connue des chercheurs qui s’intéressent à l’émergence de la pensée, de l’intelligence « sociale », de la communication et du langage chez le tout jeune enfant et cela fait déjà un bon moment que ses articles ou ses ouvrages font autorité en la matière [1]. Ses travaux dans le champ du développement de l’enfant, de ses interactions avec son milieu et plus spécialement de l’imitation, sont tout à fait remarquables et rejoignent ceux, peut-être plus largement connus, sur « l’intelligence sociale » et la « théorie de l’esprit ».
17Cette nouvelle publication pourrait se situer dans l’esprit d’une « vulgarisation » éclairée, à condition d’entendre par là que rien n’a été sacrifié au niveau théorique. L’ouvrage est en effet abondamment illustré, pour compréhension plus aisée des dispositifs expérimentaux et il utilise volontiers les schémas, graphiques et renvois à une rubrique : « pour en savoir plus », donnant ainsi au lecteur toutes facilités pour suivre la pensée de l’auteur, ailleurs plus abstraite. De plus, depuis des années et sur les conseils de Serge Lébovici, Jacqueline Nadel s’est intéressée aux syndromes autistiques et au parti que l’on peut tirer de l’imitation dans l’éducation des enfants autistes. Ces enfants peuvent-ils imiter ? Cela les aide-t-il de pratiquer l’imitation ?
18L’un des objectifs de ce livre est précisément de redonner sa juste place à l’imitation, de permettre aux professionnels de retrouver cette théorisation trop oubliée, de s’en servir pour mieux comprendre le développement de l’enfant et enfin pour améliorer l’éducation des enfants autistes. Dans ce numéro de Contraste consacré aux différentes théories que nous utilisons dans la pratique de la petite enfance handicapée, on ne pouvait éluder un bref effort de présentation de la manière dont Jacqueline Nadel conçoit le développement de l’enfant en bas âge.
19Commençons par illustrer le phénomène par une vignette clinique. Me trouvant au bureau de poste, j’observe un bébé assis à l’arrière d’une voiture d’enfant à deux places, son jumeau lui tournant le dos. Mes yeux se portent sur l’enfant isolé à l’arrière et qui, par la force des choses, explore le monde environnant sur le côté. Il me rend intensément mon regard. Lorsque je suis assez proche de lui, il se soulève, jette brièvement un œil sur mes chaussures, se réinstalle à sa place, attrape son chausson et s’assure que je m’y intéresse. Je demande à la nourrice qui accompagne les enfants quel est leur âge : dix mois !
20Bien en deçà, les capacités d’imitation représentent une des performances les plus précoces de l’espèce. Parmi celles-ci l’attention conjointe et la « lecture du regard » supposent une prédisposition à la perception de la synchronie des événements, une capacité à relier deux manifestations qui surviennent ensemble ou l’une juste après l’autre : cela permet au nourrisson d’anticiper le second phénomène lorsque le premier se produit ou vient de se produire. Cette prévision va devenir une attente et, si l’événement ne survient pas, il s’ensuit forcément une certaine surprise, voire une frustration, et plus tard, l’absence de réponse pourra être perçue de plus comme intentionnelle.
21On comprend dès lors que l’imitation change à la fois d’objet et de signification avec le temps, c’est-à-dire avec le développement : à 25 jours, le fils de René Zazzo tire la langue à son père quand il voit ce dernier la lui tirer ; l’attention du bébé à la qualité du regard sera dès lors permanente et sa « réponse » en phase. Sur la base de l’imitation, l’enfant sera capable dès neuf mois de prendre son « tour de parole » dans les échanges multi-sensoriels avec sa mère. Quand et pourquoi le bébé se sert-il de l’imitation au cours de son développement ?
22On peut se demander si cette dernière n’en est pas en quelque sorte le moteur : ainsi traverse-t-on successivement avec elle les aspects moteurs, cognitifs et émotionnels, du développement, charpentés par l’imitation. De plus, imiter l’autre, c’est aussi répondre à l’intérêt que l’autre vous témoigne. L’aspect relationnel n’est jamais très loin et si, dès 2 mois, le bébé perçoit que sa mère est ou n’est pas « en phase » avec lui, il est déjà capable de scruter le regard de l’autre pour y découvrir ses intentions ou ce qu’il pense. Très marquée par la pensée de H. Wallon, Jacqueline Nadel fait partie de ces chercheurs et de ces cliniciens qui considèrent que c’est sur les interactions et sur l’émotion que se bâtissent sous tous leurs aspects, bien avant le langage, à la fois le développement tonico-émotionnel et l’évolution sensori-motrice de l’enfant, et donc son « monde social », basé sur la proto-communication (voir à ce propos l’article de Roger Lécuyer et Karine Durand dans ce numéro).
23Roger Salbreux
24Pédopsychiatre
25Secrétaire de rédaction
Écouter Haendel, Scarlett et Philippe Reliquet Gallimard, 2011, coll. « Connaissance de l’Inconscient », 173 pages, 14 euros
26Lors d’une réunion du Comité de rédaction de Contraste, nous évoquions le souhait, déjà maintes fois exprimé, de diversifier les notes de lecture, de les étendre aux témoignages, aux romans, au théâtre, au cinéma, la culture d’un bon clinicien ne se limitant pas à la fréquentation des ouvrages savants.
27Comme par hasard, le remarquable témoignage de Scarlett et Philippe Reliquet tombe entre mes mains et je m’avise que je n’ai pas en réserve de meilleur exemple pour illustrer les propos tenus par l’équipe de rédaction. Comme pour le Petit Prince cannibale de Françoise Lefèvre, Garance, la fille de ces deux auteurs, est autiste – pardon – atteinte d’un trouble envahissant du développement – et si le témoignage porte le titre Écouter Haendel, c’est parce que Garance répète inlassablement cette phrase depuis qu’un disque de ce compositeur a servi à l’accompagner vers le sommeil.
28Témoignage, ce livre retrace le cheminement des parents depuis le soupçon et le déni : « Ce n’est rien, un simple retard », jusqu’aux examens, aux interminables attentes chez les grands spécialistes et à leur silence gêné. Puis c’est l’entrée dans le microcosme du handicap, avec ses sigles caractéristiques : MDPH, CLIS, SESSAD, etc. Enfin, la découverte de Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron, grâce au film de G. Truffaut (1970), et les troublantes similitudes de comportement entre Garance et Victor les amènent à des recherches bibliographiques, notamment des deux rapports de J. Itard, ce médecin humaniste précurseur de l’éducation adaptée. Par les sources d’inspiration de ce dernier, ils sont conduits à citer Condillac : « Le plus grand des idées des hommes est dans leur commerce réciproque ».
29Cette belle phrase a en effet frappé ces parents observateurs, « persuadés que le ‘commerce’ avec Garance est la seule façon de l’extraire de l’isolement dans lequel sa perception différente du monde l’a placée [ …], convaincus, comme l’était J. Itard, à la différence de bien de ses contemporains, que c’est en la considérant toujours comme devant appartenir [ …] à la communauté de ses semblables, qu’elle sera un être qui s’acceptera lui-même, sachant avant tout qu’elle est un être accepté. »
30De courts chapitres, souvent deux ou trois pages, nous font découvrir tous les aléas de la vie quotidienne : la promenade qui s’arrête net, la prégnance de la recherche des odeurs, l’absence de tout sens des convenances, la conviction qu’« il faut aller donner à manger à bonne-maman dans sa boîte » (elle a assisté à l’enterrement de sa grand-mère, mais ne conçoit pas la moindre frontière entre la vie et la mort).
31Peut-on imaginer plus belle leçon de clinique ? Et comment ne pas remercier les parents de Garance, les auteurs de ce livre, de la justesse de ton avec laquelle ils réagissent à toutes ces situations auxquelles rien ne les avait préparés.
32R. S.
Tous fragiles, tous humains, Marie-Hélène Boucand, Jean-Paul Delevoye, Guillaume de Fonclare, Bruno Frappat, Julia Kristeva, Michela Marzano, Jean-Marie Petitclerc, Bruno Tardieu et Jean Vanier Albin Michel, 2011, 208 pages, 14 euros
33Jamais la société n’a tant cherché à fuir sa fragilité et jamais elle n’en a autant produit. Cela était pourtant largement prévisible : plus les impératifs de performance sont rudes, plus les failles de la société se révèlent en chacun de nous et plus nous devenons tous insuffisants face à ses exigences société.
34Comme le remarque Erik Pillet, Président de l’Arche en France, dans son avant-propos « Fragilités encore, et toujours interdites ? », depuis que cette association reconnue a décidé de lancer une réflexion collective sur la fragilité, ce mot n’a cessé d’être de plus en plus utilisé par les commentateurs et les hommes politiques. Est-ce un phénomène de mode ou un signe des temps plus ou moins en rapport avec ce qu’il est convenu d’appeler la crise, qui touche toutes les strates de la société et jette une incertitude permanente sur toutes nos préoccupations, qu’elles soient familiales, professionnelles, sociales, environnementales ou morales ?
35Bref, le colloque en question a été organisé et les auteurs de cet ouvrage ont croisé leurs regards, leurs diagnostics, leurs expériences aussi, sur la fragilité humaine, quelles qu’en soient les origines : maladie, handicap, jeunesse, chômage, pauvreté … Ils sont tombés d’accord sur le fait que la fragilité ne doit pas être interdite et doit même être accueillie, en ce qu’elle apporte de richesse et de fécondité à note monde guetté par la déshumanisation. Mais elle ne doit pas non plus être « vénérée, idéalisée ou romanticisée », dans la mesure où la maladie, le handicap ou la misère provoquent des souffrances terribles, insupportables … Dans une telle situation, notre seule possibilité est de faire face, l’attitude courageuse n’est pas de nier, mais d’accepter ce qui ne peut être changé, de lutter pour ce qui peut encore l’être. Tourner le dos en somme à ce qui est devenu de nos jours la réaction quasi unanime de la plupart de nos concitoyens : nier la misère, nier la maladie, nier la mort, pour mieux feindre d’accomplir notre rêve de toute puissance. Apprenons à vivre avec la fragilité, elle nous apprendra à vivre, tout simplement. Il s’agit là d’un pari de société, à relever tant au niveau collectif qu’individuel.
36R. S.
Le soleil peut attendre, Monique Pelletier Éditions Anne Carrière, 2011, 197 pages, 17 euros
37Ce livre n’est pas le premier ouvrage de cet auteur qui avait déjà largement dévoilé dans La Ligne brisée (Flammarion, 1995) la fracture qu’avait instaurée dans sa vie la survenue en 1978 d’une thrombose de la carotide chez son mari, Jean-Marc, qui le laissait ce dernier hémiplégique et aphasique. Dans ce nouveau récit, mi-autobiographie, mi-réflexion sur notre époque, Monique Pelletier replace ce terrible moment où sa vie a basculé, dans l’ensemble d’une existence riche et diversifiée. Après une enfance bourgeoise, mais qui a quand même connu les affres de la dernière guerre, elle a en effet effectué l’apprentissage de sa profession d’avocat, a pris le temps d’avoir et d’élever sept enfants, tout en se consacrant à sa profession, à la défense de la condition féminine, à la dénonciation des conditions de vie en prison, à l’amélioration des pratiques de la « pénitentiaire », etc.
38Ces hobbies, auxquels s’ajoutent d’autres fonctions (assesseur au tribunal pour enfants de Nanterre, directrice de l’École des parents et des éducateurs où le Dr. André Berge officiait dans les années 80), l’ont conduite vers la politique, où elle est entrée résolument grâce à un rapport sur l’état de la drogue en France (1977) que lui avait commandé Valéry Giscard d’Estaing. Du jour au lendemain, elle devient secrétaire d’État à la Justice auprès d’Alain Peyrefitte qui, la voyant très active, s’arrange pour la promouvoir au poste de ministre à la Condition féminine, puis à la Condition féminine et à la Famille.
39On connaît la suite où, à la fin de cette année 1978, tout s’est brisé. Elle est néanmoins restée au gouvernement et a permis de rendre définitive en 1979 la loi Veil, votée en 1974 pour cinq ans. Après la défaite du 10 mai 1981 et l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, Monique Pelletier a repris sa robe d’avocat, s’est reconstitué une clientèle et en 2000, en pleine cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin, elle remplace Roland Dumas au Conseil constitutionnel pour 4 ans.
40Dans ce dernier ouvrage, Monique Pelletier apparaît, nonobstant son âge, pleine de vitalité et nous livre sans fard le fil rouge qui sous-tend l’ensemble de ses activités professionnelles pourtant si diverses : chercher « à améliorer le sort des jeunes, des toxicomanes, des parents en difficulté, des personnes handicapées et des femmes ». Ce n’est sans doute pas par hasard qu’elle préside actuellement le Conseil national handicap.
41R. S.
Les inséparables, Annie Stammler L’Harmattan, 2011, 32 pages, illustré en quadrichromie, 11,50 euros
42On connaît le talent d’Annie Stammler, psychiatre, psychanalyste, pour raconter, sous la forme de contes pour enfants, de très jolies histoires mettant en scènes des oiseaux auxquels elle prête les éprouvés et les conflits que tout pédopsychiatre est amené à rencontrer et à traiter chez les enfants et les adolescents, même les plus gravement handicapés. Cette fois, elle joue sur le nom générique d’« Inséparables » qui est celui d’une sorte de perroquets communément appelés « oiseaux d’amour », pour traiter le sujet des difficultés de séparation.
43Très loin, dans la pampa, en Argentine, dans un grand arbre, vivent Elsa et Léo, un couple de ces perroquets merveilleux que l’on vient voir danser de très loin alentour. Comme tout couple, ils ont des enfants : ils ont bien de la peine à élever le premier, Poliste, tant ce dernier est vorace, surtout dans les premiers temps. On lui apprend à voler, on le coucoune, mais voilà, devenu adulte, Poliste, refuse de quitter le nid familial.
44Ne sachant plus très bien comment résoudre ce problème, les parents lui proposent un marché, celui d’aider un peu à nourrir le prochain oisillon, dont l’œuf est prêt à éclore. Poliste accepte et sa s œur, Bella, n’aura évidemment d’yeux que pour lui, de telle façon que la situation se noue : ils deviennent inséparables !
45En fin de compte, au gré des épisodes et notamment d’un voyage chez la tante Firmina, Poliste part avec Tixio, une inconnue aux yeux bridés, sans un regard pour sa sœur. Bella est évidemment désespéré : elle reste prostrée, refuse la moindre nourriture, elle maigrit et son état devient préoccupant. Ce n’est qu’avec de grandes difficultés que la tante Firmina parviendra à la ramener au nid familial.
46Finalement Bella se laissera séduire par un certain Virlo et pourra ainsi vivre sa propre vie, de telle sorte qu’Elsa et Léo recommenceront à danser pour le plus grand plaisir des spectateurs. Les ouvrages d’Annie Stammler se proposent d’être utilisés par les professionnels en tant qu’outils de travail.
47R. S.
L’énigme du handicap Traces, trames, trajectoires, Jean-Sébastien Morvan Érès, 2010, 256 pages, 25 euros
48Jean-Sébastien Morvan est un psychologue spécialiste des déficiences intellectuelles, mais aussi motrices. Après des années de pratique dans des institutions spécialisées dans ces deux champs, il s’est orienté vers la recherche et l’enseignement. Ses travaux sont aussi connus au Québec qu’en France. Ils s’appuient sur l’idée de base que tout handicap doit toujours être envisagé de façon psychodynamique. En ce domaine, comme dans tous les autres, rien n’est figé, tout est évolutif. Chaque existence constitue une trajectoire singulière. Ce livre constitue lui aussi un itinéraire particulier, puisqu’il rassemble des articles échelonnés entre 1982 et 2006. Avec ce beau titre pour les regrouper, J.-S. Morvan insiste sur l’idée que toute situation de handicap représente une expérience traumatisante qui laisse des traces et se trame tout au long de l’existence. Et cela s’avère infiltrer aussi bien la personne handicapée que ses parents et ses soignants. On trouvera ici plus particulièrement d’importantes réflexions sur l’organisation des représentations du handicap chez les éducateurs et les enseignants, sur les méthodes de rééducation fonctionnelle (appareillage d’aide à la marche) et cognitive (méthode Feuerstein), ainsi que sur les processus d’intégration scolaire et de désinstitutionnalisation. Ces problématiques sont abordées sous un angle de recherche universitaire, voulant coordonner subjectivité clinique et appréciation objectivante. C’est souligner à la fois sa force et sa limite. Au-delà, on appréciera le rapprochement incessant entre les avatars de la question de l’identité de la personne handicapée et ceux de la question de l’identité de ses proches : familles et rééducateurs. En d’autres termes, il n’y a pas rencontre avec une personne handicapée sans travail sur soi et acceptation de l’incomplétude de la nature humaine.
49Certes, on conviendra ici avec l’auteur que tout handicap génère effroi et étrangeté, mais l’énigme qu’il recèle gagnerait à être davantage interprétée à l’aune de ce que nous apprennent les psychanalystes qui s’y confrontent. Hormis quelques références incontournables à S. Freud, D. W. Winnicott ou F. Dolto et quelques autres, aucune mention ou presque des travaux de S. Korf-Sausse, de nous-même, des écrits colligés chaque année dans Contraste, etc. Le handicap ne constitue pas nécessairement un « désordre », voire un « chaos », mais plutôt un autre ordre, non celui du deuil, comme il est exposé (alors que personne n’est décédé), mais celui d’une castration impossible ou d’un roc de la réalité. Cela noté, comme le dit C. Gardou dans sa préface, parce qu’il est centré sur le principe qu’un changement, une ouverture, un progrès est toujours possible, ce livre donne à la fois à mieux penser et à mieux agir.
50Jean-Tristan Richard
51Psychologue-analyste (75012)
52Directeur adjoint CAMSP-IPP (75014)
Comprendre les déficiences intellectuelles, Samuel Gonzales-Puell L’Harmattan, 2010, 322 pages, 29 euros
53Voici très longtemps que l’on avait eu à lire un ouvrage complet et actualisé sur la déficience intellectuelle, si l’on excepte le numéro spécial de Contraste consacré à ce thème paru en 2005. Celui-ci est dû à un psychologue-psychanalyste bruxellois à la fois chercheur et praticien. Il nous propose une approche clinique accessible, voire démystifiante, et critique tant au plan du diagnostic qu’à celui du pronostic. Ainsi brosse-t-il un panorama de l’influence des facteurs neurologiques et génétiques, sans omettre celle des facteurs environnementaux. Il présente d’abord les différentes théories relatives à l’intelligence, jusqu’aux plus modernes, puis aborde les différentes causes susceptibles de l’altérer, avant d’en préciser la place au sein des maladies physiques et des maladies psychiques.
54On trouvera donc sous sa plume un très riche exposé des différentes facettes de l’intelligence et des présentations des anomalies chromosomiques (X fragile, trisomie 21, Willi-Prader, etc.), des névroses et des troubles envahissants du développement (psychoses et autismes), des infections néonatales (méningite, rubéole, traumatisme crânien, etc.), des troubles toxico-métaboliques (plomb, pesticides, etc.), de l’épilepsie, mais aussi des réflexions sur l’importance des facteurs de malnutrition et socioculturels, pour autant que, aujourd’hui comme hier, nombre de déficiences intellectuelles apparaissent dans des milieux défavorisés. Certes, on a regretté l’absence de perspectives critiques sur la notion de quotient intellectuel et de références au concept d’inhibition intellectuelle, ou quelques chiffres assenés comme vérités au vu d’une ou deux études (par exemple, quant au déficit cognitif soi-disant très fréquent chez les anciens grands prématurés), mais on a apprécié le souci pragmatique d’aide au développement des fonctions cognitives et l’abord du devenir et du vieillissement des personnes concernées. Ainsi, l’auteur clôt-il son ouvrage par leur fin de vie et leur représentation de la mort. Une véritable somme indispensable.
55J.-T. R
Handicap, identité sexuelle et vie sexuelle, Albert Ciccone, Simone Korf-Sausse, Sylvain Missonnier, Roger Salbreux, Régine Scelles et al. Érès, 2010, 272 pages, 25 euros
56Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par rappeler que dans l’un de mes derniers ouvrages parus, à savoir Nouveaux Regards sur le handicap (L’Harmattan, 2009, 280 pages, 25 euros), à la suite de ma rencontre avec un adolescent présentant une anomalie des organes génitaux, j’avais développé tout un chapitre sur la construction de l’identité sexuelle. Presque une centaine de pages, théoriques et cliniques, faisant le tour des données génétiques, biologiques, neurologiques, éthologiques, sociologiques, idéologiques, psychologiques et psychanalytiques de cette question. On retrouvera donc dans ce livre collectif quelques allusions à ces données. Mais surtout, on en verra les implications concrètes sur la vie des personnes handicapées. Nul n’ignore combien les parents d’enfants handicapés s’en veulent d’avoir eu des rapports sexuels ce jour-là pour ce « résultat-là » et s’interrogent sur ce à quoi cette progéniture hors norme pourrait donner naissance à son tour. On le sait encore, par delà les connaissances objectives en matière de génétique et d’accident chromosomique, la sexualité est toujours à relier à l’altérité, au plaisir et à l’interdit, à la distinction masculin/féminin, aux liens hétérosexualité et homosexualité, à la bisexualité, à la masturbation, à la notion de couple, etc. Ainsi, C. Chiland nous rappelle ici les fondements difficultueux de la construction du sentiment d’appartenir à tel genre : l’identité sexuée n’est pas un long fleuve tranquille. S. Korf-Sausse éclaire la dynamique inconsciente de la faute et de la transmission à la fois chez les parents et chez leur enfant handicapé. R. Salbreux explique pourquoi le fœtus déjà repéré comme « anormal » devient un attracteur du fantasme d’asexualité et de l’idéologie de l’eugénisme. S. Missonnier poursuit ce thème en mettant l’accent sur les conséquences des développements modernes en matière prénatale (échographie, diagnostic anténatal, processus de parentalisation). Quant à R. Scelles, elle expose comment le devenir homme ou le devenir femme, dans le contexte d’un handicap, influe sur le développement psychoaffectif des frères et sœurs. Ensuite, D. Vaginay, J.-P. Durif, H. -J. Sticker et autres auteurs articulent l’ensemble de ces problématiques à la dimension sociale. Il n’y a pas de handicap sans regard social comme il n’y a pas de sexualité sans regard social. L’étude des images publicitaires, des représentations de la masculinité et de la féminité, de façon anthropologique ou dans le monde des livres destinés à la jeunesse, s’avère riche d’enseignement et de questionnement. Enfin, cet ouvrage aborde quelques questions directement cliniques. A. Brun se penche ainsi sur les relations sexuelles du couple dont l’un des membres est handicapé, N. Dumet sur le « corps monstrueux » de l’obèse, R. Pérétié et K. Guériche sur le sexe du handicapé ou le sexe handicapé, dans le cadre d’aberrations touchant directement les organes génitaux. À l’évidence, ce livre, issu d’un séminaire interuniversitaire, constituera une référence initiale et nécessaire à toutes les futures études portant sur cette question des rapports entre sexualité et handicap et à toutes les interrogations, intemporelles, sur le désir de parentalité des personnes handicapées et sur le rôle des professionnels qui les accompagnent.
57J.-T. R
Le petit frère de Lola est arrivé en avance, Association SOS préma [2], 12 euros
58Voici deux livres à destination des enfants, mais qui pourront être intéressants pour les parents et les professionnels, car ils explicitent de façon didactique et imagée des problématiques auxquelles nous sommes confrontés dans les CAMSP. Le Petit Frère de Lola est arrivé en avance raconte, du point de vue de la jeune Lola, l’arrivée d’un petit frère grand prématuré et quelles vont en être les conséquences au sein de sa famille. Bien sûr cet ouvrage donne des pistes pour expliquer à un jeune enfant ce qui se passe pour un bébé hospitalisé en néonatologie, mais il permet aussi de mieux comprendre l’ouragan que traverse l’ensemble de la famille suite à une naissance prématurée. De jolies illustrations rendent l’ouvrage attrayant et plein d’émotions. À conseiller à tous ceux qui côtoient à un moment des enfants nés prématurément.
59Catherine Jeannin
60Neuropédiatre responsable du CAMSP « Le moulin vert »
Et encore à l’envers, Christine Teruel et Julie Eugène Éditions Arphilvolis, 2008, 11,88 euros
61Tout le monde connaît le roi Dagobert, mais tout le monde ne sait pas pourquoi il avait du mal à s’habiller. C’est avec de jolies illustrations pastel et des explications très pragmatiques que cet ouvrage, soutenu par le SESAD APF des Landes et l’Association bigourdane pour le développement de la neuropédiatrie, nous fait comprendre les difficultés quotidiennes d’un enfant dyspraxique. Il est destiné aux enfants à partir de 6 ans, mais là aussi pour les parents et les professionnels, il permettra de mieux comprendre ces enfants et leurs efforts au quotidien. Ceux qui les entourent pourront s’inspirer du Sintéloi, le vieux sage du livre, pour leur apporter une aide.
62Éditions Arphilvolis, bd de l’Occitanie 47360 Prayssas.
63C. J.
Cent milliards de neurones en quête d’auteur Aux origines de la pensée, Édouard de Perrot L’Harmattan, 2010, 220 pages, 21 euros
64Comme vous le savez, nous vivons dans un monde et une époque formidables ! Les chanteurs, acteurs, footballeurs, politiciens, rentiers, auteurs d’un jour, golden boys, chefs d’entreprises pharmaceutiques et autres leaders de sociétés de biens de consommation lucratives, pseudo-chercheurs des gènes de l’autisme et promoteurs de méthodes pour effacer, via la chirurgie, la médication ou le conditionnement, comme la prescription d’acide folique, l’hormonothérapie ou la surstimulation, la trisomie ou le Willi-Prader, orateurs présents dans tous les congrès, et autres histrions, mêlant psychanalyse édulcorée et pseudoscience nouvelle, continuent à gagner des millions d’euros, tandis que les vrais chercheurs, praticiens, écrivains et artistes, ainsi que les autres véritables travailleurs du quotidien, dont nous sommes, galèrent avec des sous-salaires. Cela n’est pas véritablement nouveau, mais finit par agacer. De nature pacifique et pacifiste, nous ne sommes guère attirés par des défilés bruyants ou des occupations de ministères. Pour autant, nous ne sommes pas totalement inactifs, comme en témoignent nombre d’interventions des uns et des autres dans nos colloques et de mobilisations dans des manifestes pleins de vie, dans la rue ou sur des pétitions en ligne. Cela étant, la rencontre entre les secteurs sanitaires et médico-sociaux tarde à être effective. Les petits hôpitaux sont sommés de fermer, le nombre de lits d’accueil de psychiatrie adulte et infantile continue de baisser, le recours aux médecins spécialistes dans les PMI, les IME, les ESAT, les MAS et les FAM s’avère de plus en plus aléatoire. Les voix de ceux qui entendent défendre un service public et soignant se font de plus en plus entendre, même si c’est très mal et plus qu’insuffisant. Face aux discours hégémoniques de la génétique et de la neurologie, ils se proposent de témoigner des liens indissolubles entre le corps et l’esprit. Tel est le propos d’E. de Perrot. Ce psychiatre et psychothérapeute suisse ambitionne de dépasser le débat entre les chercheurs de ces deux domaines. Pour cela, il défend la thèse que si le cerveau pense, c’est toujours en lien avec ce qu’il vit dans ses relations. Au-delà du matérialisme ambiant, il s’avère en effet que la psyché commence à exister lorsque l’esprit s’envole, mêlant la mémoire et le rêve. Cet ouvrage s’appuie autant sur la psychanalyse que sur la philosophie (ainsi, notre auteur cite volontiers H. Bergson, P. Ric œur, A. Lalande, M. de Biran, M. Merleau-Ponty, etc.) ; il constitue, au final, une critique radicale du biologisme et du neuro-cognitivisme ambiants devenus « bon enfant ». Bref, tout est à reconsidérer avec objectivité, bon sens et honnêteté.
65Jean-Tristan RICHARD
66Psychologue-analyste (75012)
67Directeur adjoint CAMSP-IPP (75014)
Imposture ou psychanalyse ? Masud Khan, Jacques Lacan et quelques autres, Michael Larivière Payot, coll. « Manuels Payot », 2010, 160 pages, 16 euros
68La psychanalyse a toujours côtoyé le scandale. Dans un proche passé, ce sont Masud Khan (1924-1989) et Jacques Lacan (1901-1981) qui ont défrayé la chronique. Le premier, originaire du Pakistan, élevé en Angleterre, disciple de D. Winnicott, spécialiste des états limites, féru de culture française, est devenu aujourd’hui un pervers psychopathe infréquentable. Le second, de culture catholique, formé à la psychiatrie asilaire, ami des surréalistes, revisiteur du freudisme à la lumière de l’anthropologie et de la linguistique structuralistes, est devenu un monstre sacré intouchable. Pourtant, les deux ont fait subir au cadre même de la séance psychanalytique les mêmes transgressions : cures de membres de la famille ou de proches, durée « élastique », cadeaux donnés et reçus, sorties avec les patients et patientes, relations sexuelles avec celles-ci, édictions de conseils, proférations de menaces, etc. Leurs vies privées également témoignaient d’une profonde discordance entre ce qu’ils disaient qu’il fallait faire et ce qu’ils faisaient réellement. Les anecdotes, de première ou seconde main, foisonnent. Dans cet ouvrage, M. Larivière ne choisit ni de condamner, ni d’excuser, même s’il faut – une fois la surprise passée – d’abord en passer par là, au profit d’une difficile troisième voie : essayer de penser ce qui s’est passé. La situation analytique induit ces risques en ce qu’elle convoque le plus aigu de la nature humaine. La formation institutionnelle est censée aider le jeune praticien à ne pas s’y fourvoyer. Mais la réalité est que tous les analystes peuvent être amenés à quelques transgressions et que la question devient celle de distinguer les « petites » des « dommageables » et, dans les deux cas, d’en comprendre les ressorts. Avec un style clair et alerte, M. Larivière ouvre là quelques pistes de réflexion et y associe les erreurs d’autres psychanalystes de génie : S. Freud, C. G. Jung, S. Ferenczi, M. Klein, T. Reik, M. Balint, etc. sans trop s’y attarder. Pour lui, le narcissisme, le mimétisme, le prosélytisme et le dogmatisme qui caractérisent la plupart des psychanalystes témoignent des difficultés identitaires, tant personnelles que professionnelles, non résolues et activées par la pratique des cures, lesquelles mobilisent toujours les questions des origines, de la sexualité et de l’amour. Autant de questions insolubles et vertigineuses.
69Les lecteurs intéressés par les « impostures » de ces deux psychanalystes de légende, M. Khan et J. Lacan, pourront compléter par les Impromptus de Lacan (J. Allouch, Mille et Une Nuits, 2009, 17 euros) et par « L’analyste pervers narcissique : M. Khan » (A. Baudouin, P. Denis et al.) dans Revue française de psychanalyse (2003, n° 3, 29 euros). Pour ceux plus attirés par les réflexions que suscite la pratique analytique, ils découvriront avec plaisir un autre livre du même auteur, paru simultanément chez Stock, Que font vos psychanalystes ? (18,50 euros).
70J.-T. R
L’examen psychologique de l’enfant, Michèle Emmanuelli, Hélène Suarez-Labat (Dir.) Érès, 2010, 156 pages, 12 euros
71Les deux principales auteures sont psychologues et psychanalystes, spécialistes des bilans chez l’enfant. Leurs propos ne remettent jamais en cause le bien-fondé méthodologique, la base épistémologique ni le soubassement idéologique des tests d’intelligence et des tests projectifs. Ils partent du principe que le corpus psychanalytique actuel permet leur utilisation. D’où il ressort que ces épreuves – la WPPSI-R, le WISC-R, le dessin du bonhomme et celui de la famille, le Rorschach, le CAT, etc. – peuvent permettre une évaluation diagnostique, un accompagnement thérapeutique et une ouverture théorique, y compris auprès d’enfants autistes. À l’instar de ce qu’A. Brun avait récemment montré dans son livre sur « L’échelle d’intelligence de Weschler » (L’Harmattan, 2008). Aux côtés de ces deux psychologues, on retiendra surtout trois contributions. Tout d’abord, celle de G. Haag, qui nous propose une vertigineuse approche des premières formes de représentation chez le nourrisson : l’image du corps, le visage, les mains s’élaborent au sein d’une géométrie pulsionnelle et relationnelle quasi théâtrale.
72Ensuite, celle de F. Guignard, qui interroge les clivages entre les performances attendues par le psychologue et l’accès à la dynamique inconsciente espéré par le psychanalyste : le transfert, le conflit, le rêve, le symbole prennent ici de nouveaux et inattendus atours.
73Enfin, celle d’A. Louppe, qui n’omet pas d’interroger l’alpha et l’oméga du bilan : qui l’a demandé ? Et à qui le restitue-ton ? C’est toute la question de la possibilité de la « secondarisation » de la pensée infantile qui ici en jeu, pour l’enfant, ses parents comme pour le « psy ».
74Voici donc un petit ouvrage théorico-clinique nécessaire à tous les examinateurs-testeurs de nos chères têtes blondes (et brunes) !
75J.-T. R
Naître à l’autisme. L’enfant refusé, Jane Murano L’Harmattan, 2010, 105 pages, 11,50 euros
76Avec les mots de tous les jours, Jane Murano nous dépeint les petits « riens » des relations précoces habituelles entre le bébé et sa mère : sourires, paroles, caresses, attentions, etc. Ces petits riens qui servent à fonder l’humanisation, la subjectivation, la « psychéisation ». Ces petits riens qui s’avèrent ainsi essentiels à la constitution d’un fonds psychique solide pour affronter l’altérité. Ici, c’est par leur manque ou leur inadéquation que l’on voit se construire d’emblée, à la place d’une fusion imaginaire préalable nécessaire à la constitution de ce fond, une fission réelle, source de catastrophe relationnelle. Bref, J. Murano nous invite à repérer in vivo la naissance d’un autisme. Elle a choisi pour cela la forme d’un récit, entre fantasmes et souvenirs. Sans aucun jargon théorique lié à une explication neurologique, biologique, génétique ou psychanalytique, à partir des émotions quotidiennes, cette auteure nous relate en réalité son histoire et celle de sa famille et de ses proches. Une très émouvante traversée d’une vie, à lire absolument par toutes les futures mères comme par tous les professionnels confrontés aux enfants psychotiques ou autistes. Même si la plupart d’entre eux, devenus adultes, ne pourront communiquer aussi bien leur trajectoire personnelle et familiale.
77J.-T. R
Devenir parent, naître humain, Sylvain Missonnier PUF, coll. « Le Fil Rouge », 2010, 512 pages, 38 euros
78Sylvain Missonnier est évidemment connu de la plupart des lecteurs de Contraste. Ayant travaillé en CAMSP près de Paris et en services hospitaliers de néonatalogie, il est intervenu dans nombre de nos congrès. Il est l’auteur aussi de moult articles pour diverses revues. Ici, il nous propose une vaste compilation de ces interventions et articles. Reprenant son bâton de pèlerin de la périnatalité, ce psychologue-psychanalyste expose ses thèmes favoris, ses références théoriques, ses expériences cliniques. Pratiquant ainsi, selon sa propre formule, une sorte de « métissage épistémologique », il développe un modèle de la construction de l’intersubjectivité naissante. Pour lui, tout est devenir. Ainsi fait-il à l’idée de virtualité une place centrale.
79Une autre manière de dire que l’anticipation et l’inattendu fabriquent incessamment l’être humain. Les rencontres avec les bébés, les parents, les soignants concourent à illustrer ce passage du prénatal au post-natal dans une optique toujours incertaine. L’enfant imaginaire si complaisamment décrit aujourd’hui apparaît différent et enrichi. L’usage de plus en plus répandu de la sucette acquiert une signification plus large, entre auto-érotisme auto-calmant et relation à l’autre. Tout cela n’est pas sans évoquer D. W. Winnicott … Mais, S. Missonnier accentue davantage la dimension sensorielle des premières relations. Retrouvant également les enseignements de S. Lebovici et M. Soulé, il fait du f œtus un être psychique à part entière, mais pas encore un véritable sujet, d’où quelques considérations éthiques, en particulier au regard des interruptions médicales de grossesse. Cet ouvrage, très dense, très foisonnant, non dénué d’humour, accompagnera le lecteur avec profit pendant de nombreuses années.
80J.-T. R
L’enfant et les apprentissages malmenés, Marika Bergès-Bounes et Jean-Marie Forget Toulouse, Érès, 2010, 284 p., 23 euros
81On le sait: la mode est à la chasse aux enfants victimes d’une maladie supposée génétique et/ou neurologique à base de « dys » : dyspraxie, dysgraphie, dyslexie, dyscalculie, etc. Autant d’organisations pathologiques, connues depuis longtemps et qui seraient de surcroît plus fréquentes. Même si les preuves de ces étiologies organiques ne sont pas avérées, même reliées à une naissance prématurée, dans le contexte de performance et de compétitivité de notre culture, aujourd’hui comme hier, les apprentissages scolaires ne vont jamais de soi. Ils mobilisent le corps autant que l’ensemble de la psyché, dans ses aspects cognitifs comme dans ses aspects affectifs. L’histoire infantile et le milieu social sont aussi de la partie. Tout cela concourt à favoriser ou non l’appétence pour le savoir. Comment comprendre ces enfants et les aider? Faut-il pour cela les dépister au berceau et mettre en place des aménagements pédagogiques de plus en plus spécifiques ? Pour aborder toutes ces questions, Marika Bergès-Bounes a réuni autour d’elle divers professionnels attentifs à la multiplicité des éléments en jeu pour apprendre à lire, écrire et compter. Les auteurs ont à cœur de montrer en quoi la prise en charge en sort complexifiée et multiple. Ré-éducateurs (orthophonistes, ergothérapeutes, etc.), services (SESSAD, RASED, etc.), professeurs, pédopsychiatres et psychologues se mobilisent ici pour déjouer une hâtive stigmatisation en termes de handicap, expliquer les différences d’investissement scolaire chez les garçons et chez les filles et favoriser le processus de subjectivation. Une vraie leçon théorique et clinique toute en nuances et en “préoccupation ” qui captivera autant les pédiatres humanistes que les ré-éducateurs sur le terrain de nos services, avec ou sans enseignants spécialisés.
82J.-T. R
L’enfant insupportable, Marika Bergès-Bounes et Jean-Marie Forget Érès, 2010, 242 pages, 23 euros
83Les consultations pédopsychiatriques, quel que soit leur cadre (CMP, CMPP, CATTP, CAMSP, SESSAD, Hôpitaux, libéral, etc.), sont envahies d’enfants qui défient leurs parents, leurs congénères, leurs enseignants et leurs thérapeutes! Ils ne jouent pas le jeu ! On les dit insupportables, turbulents, caractériels, agités, incasables, etc. Redisons-le : la mode est à la chasse aux enfants victimes d’une maladie supposée génétique et/ou neurologique, ici à base d’hyperkinétisme, de déficit de l’attention ou d’hyperactivité. Comment les comprendre et les aider ? Comme dans l’ouvrage précédemment présenté, M. Bergès-Bounes a réuni différents professionnels particulièrement sensibles aux aspects inconscients et culturels de ces symptômes. En d’autres termes, derrière ceux-ci, il y a des personnes en construction et en difficulté. Que l’on soit pédopsychiatre, psychologue, psychomotricien ou encore enseignant, avant d’étiqueter, de traiter par le médicament, de psychiatriser, il convient donc d’interroger les différents sens de tous ces « mouvements » dans l’espace. Le lecteur trouvera donc dans ce livre plusieurs pistes pour les comprendre et les aborder. Je lui conseillerai de poursuivre sa recherche par la (re-)lecture de J. Bergès, Le Corps dans la neurologie et la psychanalyse (2005) et celle de B. Golse, Les Destins du développement chez l’enfant (2010), tous deux parus chez Érès, avec de captivants points de vue complémentaires sur le sujet.
84J.-T. R
L’accession de l’enfant à la connaissance, Paul Marciano L’Harmattan, 2010, 256 pages, 25 euros
85Dans la « foulée » des deux ouvrages précédents, je suis ravi de vous inviter à lire cet ouvrage synthétique sur les arcanes de la construction psychique des connaissances chez l’enfant. De façon moins clinique, mais avec une assurance théorique tranquille, illustré de quelques vignettes exemplaires, préfacé par le Pr. B. Golse, il entend présenter aux lecteurs un panorama actuel du savoir psychodynamique sur celles-ci. Son auteur est un pédopsychiatre psychanalyste qui exerce à Marseille. Son propos est d’exposer à la fois toutes les facettes pulsionnelles, psychologiques, imaginaires, familiales, socioculturelles, etc. qui tissent l’envie d’acquérir les requis scolaires, les difficultés qui les inhibent et les modalités de prendre en charge ces dernières. Il en résulte une « somme » se référant aussi bien à S. Freud, M. Klein, D. W. Winnicott, W. R. Bion, D. Meltzer, N. Abraham et M. Torok qu’à D. Anzieu, B. Gibello, J. Hochmann, D. Houzel, R. Misès, etc. Le premier chapitre s’attache à définir « l’objet épistémique » ; le deuxième relate l’histoire de Jean, un enfant de 9 ans ; le troisième cerne les dimensions d’incorporation orale et de curiosité sexuelle à la base de toute en vie d’apprendre ; le quatrième décline les différentes formes de rapports à l’enseignement; enfin, le cinquième propose quelques modalités d’intervention thérapeutique possibles articulant les liens entre enfants, parents, enseignants et thérapeutes. On le voit, il s’agit ici pour P. Marciano de faire le point sur l’activité de la pensée. Celle-ci surgit comme activité psychique personnelle ayant dépassé le stade hallucinatoire et les blocages du secret; elle mobilise des envies de réparation et de protection des objets internes de la mère, mais aussi des élaborations de la scène primitive et du langage, de sorte que le père intervient également; ainsi, ses difficultés, aujourd’hui rangées sous la bannière, neuro-génético-cognitiviste, des déficits réunis en termes de « dys », s’éclairent d’un point de vue dynamique et relationnel. L’auteur offre même au lecteur quelques hypothèses novatrices, notamment celle de « création cavitaire ». Au-delà, comme le souligne B. Golse, dans notre monde agité, l’auteur pré sente là un éloge de la spontanéité et de la lenteur. Effectivement, P. Marciano doit convenir, au final, que la pulsion épistémophilique est toujours devant nous et qu’ainsi, toute approche de son fonctionnement est toujours inachevée.
86J.-T. R
L’effet-mère, Dominique Guyomard PUF, 2010, 210 pages, 12 euros
87Il est de bon ton dans les médias et dans les associations de parents de dénoncer la psychanalyse en lui reprochant de culpabiliser les mères. Certes, quelques professionnels ont été maladroits. Trop silencieux, péremptoires ou encore mal interprétés. Pourtant, il serait absurde de partir de là pour nier l’évidence que les mères sont les premières à accueillir au quotidien leur enfant. D. Guyomard nous livre là une approche théorique de cette clinique de ce lien initial nécessaire et indispensable. Citation après citation, l’auteure centre son propos sur la relation mère/fille et transmet en parallèle son expérience. Se réclamant de J. Lacan et de ses épigones, c’est en femme et en mère qu’elle interroge la dimension narcissique de ce lien, pour l’enfant comme pour sa mère. Elle montre qu’au départ, il est constitué de rencontres éphémères; il importe, de fait, que la mère ne soit pas toute à son enfant. C’est le seul moyen pour lui de canaliser ses pulsions, notamment de haine et d’agrippement. Déjà S. Freud nous montrait que c’est la frustration qui crée l’objet externe, ce que J. Lacan et F. Dolto théoriseront sous le nom de « castration symbolique ». Dit autrement, l’effet-mère principal consiste à ouvrir l’enfant au manque et, partant, à l’altérité. C’est dans ce cadre incertain que la mère aide sa fille à construire son identité féminine. Et, dans le sillage de M. Montrelay, pour l’auteure, c’est essentiellement avec le sevrage que la mère aidera sa fille à construire son identité de future mère. Tout cela devant toujours se produire avec plaisir. On mesure évidemment la gageure de ce parcours. C’est cette complexité que l’on retrouve dans les quelques illustrations de cures où transfert et contre-transfert se répondent et où l’on discerne que le narcissisme du lien originaire peut déboucher sur des identifications apaisées, non-surmoïques. La transmission ne deviendra pas alors simple répétition.
88J.-T. R
Soigner ou guérir ?, Nathalie Dumet, Hugues Rousset Érès, 2010, 144 p. (13 euros)
89Il ya longtemps que les Anglo-saxons ont deux termes pour désigner le soin : care (prendre soin, être attentif) et cure (soigner, panser). À l’heure où l’on doit convenir, non sans difficulté il est vrai, que la science n’est pas omnipotente, il s’avère intéressant d’interroger les désirs de toutes les médecines, organiques, psychologiques, sociales, etc. Bref, comment les praticiens que nous sommes les intègrent-ils à leur quotidien ? À la lecture de cet opuscule, on est renvoyé non pas à l’idée bien connue d’A. Paré, selon laquelle l’homme panse et Dieu guérit, mais à celle que la volonté de guérir ne suffit pas pour être efficient. De fait, guérir ne consiste pas à éradiquer tous les symptômes, mais à savoir recueillir et accompagner toutes les souffrances. Au-delà de nos thérapeutiques, il faut en effet compter sur le rôle des facteurs inconscients et des facteurs socioculturels. Certes, ceux-ci peuvent être un frein, mais ils se révèlent tout aussi souvent œuvrer comme un levier. Le corps n’y échappe pas. En dernier ressort, il apparaît que toute prétention à soigner et, a fortiori, à guérir s’inscrit dans une véritable anthropologie. Les rituels religieux en attestent, de même que les recours aux « placebos ». L’expérience accumulée par des milliers de psychanalystes depuis plus d’un siècle éclaire ces associations entre corps, esprit et socius. En d’autres termes, il n’existe que des histoires singulières articulant ces trois domaines. Le général doit donc céder la place à une approche individualisée, même si souvent cette dernière doit être plurielle, partenariale, comme on dit de nos jours. Ce « petit » ouvrage constitue un vaste panorama de ces problématiques qu’on ne saurait que recommander.
90J.-T. R
Quand soudain votre enfant se fait énigme, Odile Boudjelloul L’Harmattan, 2010, 88 pages, 11 euros
91Ce petit livre s’adresse aux parents, mais aussi aux éducateurs. Il tente de les éveiller à repérer les changements, infimes ou spectaculaires, qui affectent un enfant, handicapé ou non. De nouvelles conduites, plus ou moins étranges, voire déviantes, surviennent chez lui. Des troubles du sommeil ou de l’alimentation, des phases de repli et de désinvestissement scolaire, des rites obsessionnels, des inhibitions, des propos et des comportements agressifs, des vols, etc., adviennent donc, mais les tentatives d’échanges avec l’intéressé paraissent bloquées. À l’aide d’exemples concrets, se rapportant le plus souvent à des enfants de moins de 6 ans, l’auteure propose une écoute et une mise en sens. En d’autres termes, elle aide à réinstaurer un dialogue. Au-delà, au titre de la prévention de complications inéluctables à l’adolescence et à l’âge adulte, elle montre combien pouvoir accepter de consulter un professionnel n’est pas une tare, mais une obligation et qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Tout cela en des termes accessibles à tous.
92J.-T. R
Les amoureuses Voyage au bout de la féminité, Clotilde Badal-Leguil Prix Œdipe 2010 des libraires, Le Seuil, 2009, 192 pages, 17 euros
93Si l’on continue à s’intéresser à la question de l’édification de l’identité sexuelle, notamment féminine, et si l’on se souvient de la phrase de S. Freud faisant référence aux liens transfert/contre-transfert et nous disant que nos traitements sont des traitements d’amour, on lira peut-être avec intérêt ce livre de réflexions sur les amoureuses du xixe siècle. On le doit à une philosophe et psychologue s’appuyant autant sur les thèses de J. Lacan que sur le cinéma (S. Coppola, F. H. Donnersmark et D. Lynch). Certes, il ne s’agit là que de quelques trajets d’existence, mais chacun d’eux permettrait d’interroger l’idéologie d’un Eros léger et sans entraves et celle d’un fonctionnement neurocognitif particulier afin de prédire la nouvelle manière de « tomber amoureux ». Comment concilier liberté et soumission ? Comment encore pouvoir défendre l’idée que le futur se fabrique sans se référer au passé ? Contrairement à ce qu’énonce l’auteure, les premières expériences « ratées » sont de toutes les époques (cf. Virgin suicides) ; les amours qui modifient la personnalité de l’un ou l’autre des protagonistes, aussi (cf. La Vie des autres). Idem pour Mulholland Drive : les rêves et les fantasmes issus de l’inconscient infantile influent en permanence sur nos passions actuelles. On oscille toujours entre exposition et déni. C. Leguil n’y échappe pas ! De fait, de tout temps, l’aventure amoureuse est au départ et à l’arrivée d’abord une expérience étrange mêlant plaisir et souffrance où rien ne se passe comme prévu. Elle peut sans doute mener, parfois, à une meilleure connaissance de soi, comme elle semble le défendre, mais elle constitue avant toute chose, comme elle en convient malgré elle, une épreuve initiatique source d’angoisse, de confrontation au secret et de résistance à l’altérité. Voilà qui n’est pas – qu’on nous pardonne ici cette autoréférence – sans rappeler notre propre premier ouvrage publié, Que restet-il de l’amour après Freud ? (L’Harmattan, 1997). Le livre de C. Leguil, lui, s’apparente plus à une analyse littéraire ou cinématographique qu’à une réelle étude clinique. Même le recours aux thèses de J. Lacan, prolixes et complexes, est réduit à sa plus simple expression.
94On le recommandera donc surtout aux cinéphiles récalcitrants à la psychanalyse ! D’ailleurs, il n’est guère ici d’allusions aux sensations génitales précoces, aux identifications primaires, du garçon et de la fille, à la mère et au père, à leurs côtés masculin, féminin, maternel et paternel à tous deux, à la bisexualité, à l’œdipe, etc. Autant d’éléments au cœur de notre ouvrage précité ! Comme de notre chapitre sur la construction de l’identité sexuelle dans notre livre Nouveaux Regards sur le handicap (L’Harmattan, 2009 ; cf. R. Salbreux, dans Contraste, 2010, n° 31-32) et de l’ouvrage d’A. Ciccone et al. ci-devant présenté, en particulier dans le chapitre rédigé par C. Chiland. Au mieux, ce livre, faute de vraiment pénétrer au cœur de la féminité, comme son sous-titre l’annonce, témoignera de la difficulté de son élaboration et favorisera notre empathie lors des rencontres avec les mères des enfants que nous accueillons, qui sont évidemment aussi des femmes.
95J-T. R
Rubrique Cinéma
La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm
96Et si on allait au cinéma : La guerre est déclarée, c’est l’histoire d’un jeune couple confronté à la maladie gravissime de leur enfant, une tumeur cérébrale qui va nécessiter chirurgie et traitement de haute technicité. C’est l’histoire des parents, de leur manière de tenir, de combattre, de voir les choses ou de ne pas les voir, de les entendre ou de ne pas les entendre, de s’aimer et d’aimer leur enfant, de faire ou ne pas faire confiance aux professionnels, de continuer à vivre.
97Ce film, pour nous professionnels de la petite enfance en difficultés, nous permet de partager un moment le point de vue et le ressenti des parents ; il est à ce titre fort intéressant et pourrait être un soutien à la formation de certains.
98Nous qui, par nos métiers, sommes confrontés à de telles situations dramatiques, nous pourrions craindre de ne pas passer un moment agréable comme on l’espère quand on va au cinéma. Et bien si, sans être une cinéphile avertie je vous certifie avoir passé un bon moment avec des bonnes doses d’humour, d’émotions, et avoir gardé en moi de jolies images.
99Il est encore en salle et a été fort bien accueilli par la critique, alors n’hésitez pas.
100Catherine Jeannin
101Neuropédiatre responsable du CAMSP du Moulin vert
Notes
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[1]
J. Nadel, 1986, Imitation et communication entre jeunes enfants, Paris, PUF ; J. Nadel et G. Butterworth (éds), Imitation in Infancy, 1999, Cambridge University Press ; Imiter pour découvrir l’humain, en coll. avec J. Decely, 2002, Paris, PUF.
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[2]
Association SOS préma, 6 rue Escudier, 92100 Boulogne-Billancourt.