Notes
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Cinquième titre de la collection « À l’aube de la vie ».
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Cinéaste, administrateur de l’association DID (Documents pour l’intégration et le développement).
1Lorsqu’en 1995 Monique Saladin et moi-même avons imaginé la collection « À l’aube de la vie » avec Serge Lebovici, ce dernier avait tout de suite intégré la notion de handicap dans l’ensemble des titres qu’il souhaitait que nous traitions. Cela nous convenait tout à fait puisque, depuis 1981, nous faisions des films ayant pour thème l’insertion sociale et professionnelle en milieu ordinaire des personnes handicapées. C’est à l’occasion de la sortie, un an auparavant, du vingt-septième film de notre vidéothèque (qui en compte aujourd’hui plus de soixante-dix), Sois sage, ô ma douleur, que nous avions fait la connaissance du Pr Serge Lebovici. Une longue et passionnante collaboration s’est établie avec lui, qui ne prit fin qu’à sa mort, en août 2000.
2L’idée que nous avions proposée à Serge Lebovici était de réaliser des documents de formation et de transmission en partant de sa pratique clinique filmée, largement commentée, avec une dimension plus théorique développée dans un livre qui accompagnerait les documents vidéo. Cette idée avait immédiatement séduit Lebovici, qui avait alors conçu tout un ensemble de titres à traiter : la collection est née de cette façon. Elle s’est appelée « À l’aube de la vie ». Le premier coffret a été celui consacré à la pratique de Serge Lebovici, Éléments de la psychopathologie du bébé, dont il disait volontiers : « C’est ma transmission ! ».
3Aujourd’hui, la collection compte cinq titres, dont le dernier, Annoncer un handicap et accompagner, est diffusé en deux DVD doubles, soit quatre DVD, pour six heures de vidéo, accompagnés du livre publié chez Érès.
4Lorsque nous avons commencé à réfléchir à la réalisation de ce document, nous nous sommes entendu dire : « Arrêtez de choisir vos collaborateurs à Paris ! Venez donc un peu plus en province… » Ces propos émanaient surtout de Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre qui venait d’être nommé à Marseille et qui souhaitait participer à ce document sur l’annonce, sujet qui le concernait particulièrement. C’est ainsi qu’il s’est vu confier la coordination de ce travail par Bernard Golse, qui venait de prendre le relais à la tête de la collection à la mort de Serge Lebovici.
5Une première réunion eut donc lieu à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, pour réunir la plupart des intervenants qui allaient nous aider à construire cette ambitieuse réflexion. Nous étions en 2001… La Fondation de France venait de nous accorder une subvention pour ce projet, dont le montant s’élevait à un tiers du devis. Pour nous, c’était une grande première, puisque nous n’avions jamais reçu le moindre soutien pour les trois premiers titres réalisés et que chacun d’entre eux nous avait coûté environ un million et demi de francs pour deux ans et demi de travail par titre. Cette subvention était donc la bienvenue.
Le tournage
6Nous avons constitué un petit groupe de travail qui avait pour mission de nous aider à élaborer les contenus et, surtout, à vérifier que nous étions bien dans la ligne éditoriale de la collection. Puis les tournages ont commencé. Nous sommes descendus dans la région de Marseille et d’Aix-en-Provence pour y interroger des professionnels qui travaillaient dans des CAMSP (centres d’action médico-sociale précoce), lieux privilégiés pour rencontrer des familles concernées.
7Les CAMSP sont des structures étonnantes qui accueillent les enfants, de 0 à 6 ans, ayant des problèmes de tous ordres. Leurs salles d’attente donnent tout de suite le ton de ce qui s’y passe. Lorsqu’on est là en observateur, on se dit que ça ne doit pas être évident pour les familles de pousser la porte, la première fois qu’ils viennent consulter pour leur enfant. Des parents nous ont dit, en parlant de ce moment intense : « Je me demandais ce que je venais faire là, si notre place était bien là ! » Les mères ou les pères sont assis, observant leur enfant en train de jouer avec les autres enfants dans la piscine à balles de toutes les couleurs, attendant que la spécialiste (en grande majorité, ce sont des femmes…) dont il dépend vienne le chercher pour sa séance de travail.
8Ce qui nous a frappés lorsque nous avons commencé à tourner, c’est le lieu d’échange que représente cette salle d’attente pour les parents. En effet, la régularité et la fréquence des séances des enfants font que les parents se retrouvent là aux mêmes heures et, très vite, ils font connaissance et se racontent leur vie faite de difficultés et de souffrance. Et lorsqu’une mère paraît un peu plus déprimée, les autres sont là pour lui remonter le moral.
9Lors de notre premier tournage à Aix, nous avons pu rencontrer un certain nombre de familles qui ont accepté de nous livrer ce qu’elles avaient vécu au moment où on leur avait annoncé que leur enfant avait un problème et, ensuite, leur parcours avec cet enfant et les structures de soins. Tous étaient d’accord pour dire que, le premier choc passé, l’arrivée au CAMSP avait représenté un grand soulagement pour eux. Leur enfant était pris en charge par de bons spécialistes.
10De plus, les parents avaient la possibilité, dans certains CAMSP, de participer à un groupe de parole comme celui que nous avons suivi au CAMSP de Versailles, qui a donné le film Paroles données. Les familles qui participaient à ce groupe de parole expliquaient très bien le soutien moral important que représentent les autres participants, ainsi que les amitiés qui avaient pu naître à l’occasion de la fréquentation de ce groupe, dirigé par Sylvain Missonnier, dont la formation psychanalytique lui permettait de contenir le groupe tout en lui laissant la liberté d’évoluer.
11À Aix, nous avons suivi quelques enfants dans les séances de travail faites soit en individuel, soit en groupe, et parallèlement nous avons interviewé leurs parents. Le plus impressionnant a été le travail d’un groupe d’enfants, âgés de 5 à 6 ans, très agités et encadrés par la psychologue et deux éducatrices. Dès l’entrée dans la vaste salle de psycho-motricité, les enfants courent dans tous les sens et font voler tous les objets, en mousse ou en plastique, à travers la pièce… Et ça n’arrête pas pendant toute la durée de la séance. Les encadrants ressortent épuisés de tels moments, mais heureux d’avoir pu sentir un progrès chez l’un ou l’autre, même fugitif…
12Dans les CAMSP, les travaux en groupe se font beaucoup à différents niveaux. Ils favorisent la socialisation et permettent des interactions que le travail individuel n’offre pas. C’est ce que nous expliquait la pédopsychiatre psychanalyste qui supervisait le travail de la psychologue, d’un éducateur et d’un orthophoniste au cours d’une séance de travail dans laquelle nous avions été accueillis avec la caméra.
13Le travail en groupe favorise la création et l’échange entre les enfants. C’est cette jolie histoire d’un papillon vert qui intervient au cours d’une séance difficile où les enfants s’étaient enfermés dans un jeu dont ils n’arrivaient pas à sortir et, tout d’un coup, l’un d’entre eux invente la présence d’un papillon vert, et tout le groupe se met alors à suivre les évolutions de ce papillon salvateur. Pour la pédopsychiatre, qui ne connaît les enfants qu’à travers les récits des intervenants, ce groupe a considérablement évolué depuis les débuts de son travail.
14Nous avons enregistré de longs entretiens avec la pédopsychiatre, la psychologue et certains des intervenants habituels des enfants. Le CAMSP d’Aix a été notre base pendant quelques semaines, mais comme nous n’avions pas pu interviewer tous les professionnels qui nous intéressaient, nous avons proposé de revenir à Aix au moment où nous irions tourner au CAMSP de La Timone, à Marseille, où Patrick Ben Soussan venait d’obtenir une vacation.
15En attendant, nous avons fait un détour par le CAMSP d’Orange, où Catherine Grange voulait évoquer une expérience singulière et unique d’accueil des parents par d’autres parents. Cette pratique avait provoqué une réflexion au niveau national, car les professionnels n’étaient pas favorables à ce type d’accueil. Nous pensions qu’il était important de pouvoir évoquer cette expérience dans le travail que nous étions en train de réaliser.
16De retour à Paris, nous avons entrepris toute une série d’entretiens dans le service du Pr Ponsot, à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Une grande humanité se dégageait de toutes ces interviews ; nous avions l’impression que, d’une part, notre travail commençait à vraiment prendre tournure, mais que, d’autre part, faire le tour de la question représentait un énorme chantier… Le montage allait être long et difficile, comme pour chacun des titres précédents de cette collection !
17Nous ne pouvions pas oublier d’aller interviewer sur ce sujet Annie Barois, professeur émérite à Garches, que nous avions longuement filmée lors de tournages réalisés pour l’AFM (Association française contre les myopathies). Avec son bon sens et ses énormes qualités humaines, elle nous a livré toute sa pratique, avec également ses doutes et ses erreurs. C’est au cours de cet entretien qu’elle nous a dit : « Maintenant que je suis à la retraite, je peux faire des consultations de trois heures si c’est nécessaire. » Elle nous a aussi expliqué que sa ligne téléphonique était toujours disponible pour les familles. Des entretiens de cette qualité vous marquent pour toujours.
18Autre personnage étonnant, Stanislav Tomkiewicz, que nous avons eu la chance d’enregistrer sur ce thème un mois avant sa mort. Il nous a raconté, avec son humour grinçant, comment l’annonce d’un problème était vécue par les médecins lorsqu’il avait commencé, cinquante ans plus tôt. Là encore, une pratique faite de grande humanité…
Le montage
19Tous les témoignages des « grands anciens » concordent, si bien que lorsque nous avons commencé le montage de ce document fleuve, le prologue s’est imposé à nous, c’est-à-dire que nous leur avons donné la parole pour qu’ils nous disent par où ils étaient passés, Stanislav Tomkiewicz en tête… Après analyse, on se rend compte qu’il y a heureusement quelques changements dans les grands services, mais il y a aussi toujours des parents pour vous dire de quelle façon aberrante, encore aujourd’hui, on leur a annoncé le handicap de leur enfant. Et tous les professionnels sont bien d’accord pour dire qu’il n’y a pas de recette pour faire une annonce, mais ils sont aussi d’accord sur tout ce qu’il faut absolument éviter de dire ou de faire.
20Au cours des différents tournages que nous avons effectués, nous avons connu deux situations à propos d’une même pathologie, qu’il nous a semblé essentiel de rapprocher au montage parce qu’elles étaient très caricaturales dans leurs différences.
21D’un côté, une jeune famille de paysans bretons à qui on annonce, un vendredi soir par téléphone, que leur fille est atteinte d’une amyotrophie spinale de type 2, et à qui on propose de venir le samedi après-midi découvrir, en même temps que le médecin, ce que recouvre cette maladie, avec pour effet l’effondrement des parents qui, en sortant du cabinet médical, auraient souhaité « aller se jeter dans le port ».
22De l’autre, une annonce de la même pathologie faite à un couple plus mûr par un médecin qui prend la peine de passer du temps avec eux pour faire le tour de toutes les questions qui se posent à l’annonce d’un tel diagnostic. Le couple nous a raconté comment ils se sont senti magnifiquement soutenus par le médecin, qui leur a ainsi permis d’affronter la nouvelle réalité de leur enfant.
23Avec ces deux situations, nous étions au cœur du problème de l’annonce et de l’accompagnement. Bien sûr, la réussite, entre guillemets, dépend des qualités humaines du praticien, mais aussi du temps qu’il va accorder à cette famille à qui il annonce une énorme catastrophe, un tremblement de terre…
24Les deux premiers DVD sont consacrés à l’annonce en milieu hospitalier, avec les témoignages des praticiens et des familles. Nous y avons intégré un certain nombre d’extraits des films que nous avions réalisés sur les problèmes de handicap. Le troisième DVD est plus spécifiquement consacré à l’annonce qui suit le test présymptomatique, comme dans le cas de la chorée de Huntington, où la maladie se déclare très tardivement, et où le test qui permet de savoir si on est porteur ou non ne peut se faire qu’à partir de 18 ans… Le dernier des quatre DVD qui composent ce document est consacré au travail des CAMSP et donc à l’accompagnement. Il devrait intéresser tous les professionnels concernés par ce champ d’activité.
Le message
25L’annonce d’un diagnostic sévère est un moment terrible pour les parents, mais aussi pour les praticiens, qui sont nécessairement très mal à l’aise dans ces situations, comme le disent Patrick Ben Soussan, « Il ne peut pas y avoir d’annonce heureuse », et Roger Salbreux, « Il n’y a pas de bonne manière d’annoncer une mauvaise nouvelle. »
26C’est donc un huis clos difficile où seule l’empathie et l’humanité du praticien peuvent atténuer un peu l’impact terrible des mots qui sont prononcés à cet instant-là et qui vont bouleverser à jamais cette famille. Ensuite arrive le long parcours du combattant pour la vie de l’enfant handicapé ; c’est tout ce qui va être mis en place pour favoriser le meilleur développement possible de l’enfant en fonction de ses compétences. C’est le moment où les parents vont être orientés vers un CAMSP, qui prend en charge de façon pluridisciplinaire les enfants de 0 à 6 ans.
27Les CAMSP ont une mission de soutien à l’insertion dans la vie normale des enfants dont ils s’occupent. Tout le travail des différents intervenants auprès d’un enfant consiste à lui permettre de vivre le mieux possible avec ses difficultés. Le travail que nous avons réalisé montre bien le questionnement permanent des professionnels et la demande très forte des parents.
28Un autre élément particulièrement important concernant l’annonce est cette idée d’annonce progressive que nous avons trouvée dans les quelques CAMSP avec lesquels nous avons travaillé. La participation active des parents fait que ce sont eux, les parents, en observant finement leur enfant au jour le jour, qui vont parler au praticien de leurs découvertes. Ce dernier pourra alors confirmer ou expliquer plus en détail certaines difficultés, permettant ainsi aux parents de découvrir progressivement la réalité de leur enfant, qui n’est pas tout à fait celui qu’ils attendaient.
29Nous avons pu mettre en évidence ce processus avec six films réalisés avec l’équipe de l’antenne du CAMSP Janine-Lévy à l’hôpital Armand-Trousseau, à Paris. Nous avons longuement tourné toutes les consultations de quelques familles, et nous avons mis quelques extraits de ce passionnant travail pluridisciplinaire dans ce document sur l’annonce du handicap et son accompagnement.
30Les témoignages des parents restent l’élément le plus important de tout ce travail, car ce sont eux qui nous font découvrir toute l’ampleur du bouleversement causé par l’annonce d’un diagnostic sévère. Et même si le praticien n’a pas l’impression d’avoir dit les choses de la manière dont les parents les restituent, ce qui compte c’est ce qu’ils en ont gardé et qu’ils nous disent avoir entendu, même vingt ans après…
31Pour les praticiens, ces documents sont essentiels, car il leur faut savoir comment leurs paroles vont être reçues à ce moment précis de l’annonce du diagnostic, « pour que parents et professionnels ne soient plus aliénés à ce seul effet du discours, et que dans cette situation extrême, les paroles ne s’écrivent pas comme un destin », comme le précise Patrick Ben Soussan.
32Serge Lebovici expliquait très bien tout l’intérêt qu’il trouvait à regarder de nombreuses fois les bandes vidéo tournées pendant ses consultations car, disait-il, « à la dixième vision, je découvre encore des choses que je n’avais pas vues »…
33C’est évidemment dans cette optique que nous avons réalisé cette collection : donner des outils de formation à ceux qui ont la charge de transmettre, et donner les moyens d’information à ceux qui pratiquent déjà dans le domaine, et il nous semble que ce titre, Annoncer un handicap et accompagner, est bien dans cette démarche.
Notes
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Cinquième titre de la collection « À l’aube de la vie ».
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Cinéaste, administrateur de l’association DID (Documents pour l’intégration et le développement).