Contraste 2009/1 N° 30

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Article de revue

Groupe de communication et d'habiletés sociales pour jeunes enfants autistes

Pages 133 à 147

Notes

  • [1]
    Orthophoniste, Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris.
  • [2]
    La proxémie, nommée par Edward T. Hall, est la distance physique qui s’établit entre des personnes prises dans des interactions.
English version

1« Je n’imaginais pas ce que pouvait être une école maternelle. Dès l’entrée dans le hall, j’avais été assaillie par le bruit, l’agitation et la présence de tous ces enfants, ce qui m’avait saturé l’esprit en une demi-seconde. Ils avaient dit “amusant” mais tout semblait affreux. Une sinistre impression : maman songeait à partir. Je ne comprenais pas qu’elle pensait à m’abandonner là ; pour moi c’en était trop. Où étais-je ? D’où sortaient tous ces visages vides ? Était-ce ici que j’habitais désormais ? Il fallait que je m’en aille. Il fallait que je m’éloigne de tous ces bruits, de tous ces visages vides !... Deux cent cinquante voix imprévisibles et tous ces bras et toutes ces jambes... je criais et donnais des coups de pied. Je mordais, déchirais, griffais. Maman, gênée, était rentrée avec moi. »

2Ce sont les souvenirs de Gunilla Gerland (personne autiste de haut niveau) à propos de son premier contact avec l’école maternelle. Nombre d’enfants autistes vivent à peu près la même expérience, tant le monde de l’école avec ses règles et ses codes leur paraît incompréhensible. Pourquoi ?

3Pour les personnes peu informées, l’énigme de l’autisme réside dans la bizarrerie de ces enfants qui, n’ayant pas compris les codes de communication sociale, montrent des visages impassibles, fuient les personnes qui s’approchent pour les aider et s’enferment dans des comportements étranges, déroutants.

4Décrit pour la première fois par Léo Kanner en 1943, l’autisme est un trouble global et précoce du développement apparaissant avant l’âge de 3 ans, caractérisé par un fonctionnement déviant et/ou retardé des interactions sociales, de la communication verbale et non verbale ainsi que du comportement.

5L’autisme, comme le syndrome d’Asperger (décrit par Hans Asperger en 1944), fait partie des troubles envahissants du développement (TED), lesquels englobent également le TED NS (troubles envahissants du développement non spécifiés), ou autisme atypique.

6Pour les professionnels ayant en charge ces enfants, l’énigme de l’autisme est davantage liée au problème de l’étiologie. En effet, les causes précises de ce syndrome sont encore inconnues, malgré le foisonnement de recherches en génétique, en biologie, en imagerie cérébrale. Ces recherches ont permis des avancées importantes, mais la meilleure façon d’aider les enfants autistes est encore d’essayer de comprendre leur fonctionnement particulier.

7Pourquoi les enfants atteints d’autisme réagissent-ils parfois si différemment de nous ? Ils ont une façon d’appréhender le monde différente de la nôtre, car ils ont un fonctionnement cognitif particulier. Ils éprouvent de grandes difficultés à appréhender les symboles, or le fonctionnement de la société est régi par des symboles. Cela commence par le langage, car les sons désignent, c’est-à-dire symbolisent, des choses, des actes, des pensées, des sentiments. On sait que les enfants autistes ont les pires difficultés avec le langage. Les signes de tête, les sourires, le regard, les mimiques, les poignées de main sont encore des symboles que régissent les codes sociaux. On sait que les enfants autistes ont de grandes difficultés de socialisation.

8Jim Sinclair (atteint du syndrome d’Asperger) dit : « Ce dont j’ai besoin, c’est d’un manuel d’orientation pour extra-terrestres. Être autiste, ça ne veut pas dire être inhumain, mais ça veut dire être étranger. Ça veut dire que ce qui est normal pour les autres ne l’est pas pour moi et ce qui est normal pour moi ne l’est pas pour les autres. D’une certaine manière, je suis très mal équipé pour survivre dans ce monde, comme un extra-terrestre échoué sur la terre sans manuel d’orientation. »

9Temple Grandin (personne autiste de haut niveau) décrit également une façon différente de comprendre le monde : « Parfois, quand je vois les gens, je me sens comme une anthropologue sur la planète Mars ; et alors aucune cassette vidéo ne me permet de comprendre ce que font les gens. Mes pensées sont visuelles, je ne pense pas en mots, je pense en images. »

10Les enfants atteints d’autisme ont besoin d’un manuel d’orientation, d’aides visuelles, car l’autisme et les troubles apparentés les empêchent d’acquérir spontanément certaines compétences. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a une incapacité totale mais que les apprentissages nécessitent des adaptations et des aménagements tenant compte du fonctionnement cognitif et des particularités comportementales. Lorsqu’on parle d’adaptations et d’aménagements dans l’autisme, on veut dire structuration et visualisation.

11Les enfants atteints d’autisme et du syndrome d’Asperger vivent dans un monde qu’ils ne comprennent pas, ou difficilement, et au sein duquel ils ne peuvent pas, ou difficilement, se faire comprendre.

12Ces enfants ont parfois un comportement déroutant et, pour les aider, nous devons connaître leurs difficultés, mais aussi utiliser leurs compétences. C’est ainsi que :

  • ils n’aiment pas le changement et sont rassurés lorsque les activités sont routinières, prévues et prévisibles, et trop de bruits et/ou trop de mouvements sont souvent gênants et peuvent entraîner un besoin d’isolement ou des troubles du comportement ;
  • leur façon d’appréhender le monde est très « concrète », ils se fient à ce qu’ils voient et comprennent le langage de façon littérale (n’ont pas accès au langage figuré/imagé, à l’implicite). Ils ne comprennent pas les consignes collectives car ne se sentent pas concernés quand l’enseignant s’adresse à tous les enfants (on ne leur parle pas à eux directement). Ils sont hyperlogiques et visuels ;
  • ils apprennent par associations, empilant une succession d’informations qu’ils mémorisent parfois avec la capacité d’un ordinateur, mais ces informations ne sont pas organisées en fonction du sens. Parfois, ils font des associations qui entraînent des erreurs d’interprétation (par exemple, l’enseignant efface le tableau en disant aux enfants : « Maintenant nous allons chanter » ; lorsque l’enseignant effacera le tableau un autre jour, l’enfant pensera « maintenant nous allons chanter » et se trouvera très déconcerté si ce qu’il a prévu ne se produit pas). Ce qui est vrai dans un certain contexte avec certaines personnes ne l’est pas forcément dans une autre situation avec des personnes différentes. Le sens caché est pour eux insaisissable et ils ont besoin de contrôler le déroulement complet d’une action, besoin de la reprendre intégralement lorsqu’une interruption est intervenue avant la fin ;
  • tout ce qui est « social » leur est « étranger », ils ont souvent de grandes difficultés à comprendre les règles sociales, à lire les émotions et à comprendre le ton de la voix des personnes qui les entourent ; ils ont également des difficultés à adopter une mimique et une prosodie adaptées à la situation (ils peuvent rire quand on les gronde sans pour autant être insolents, mais ils ne savent pas comment se comporter) ;
  • ils ne savent pas qu’ils ne savent pas et ne vont pas demander l’aide de l’adulte ; ils ne sont pas flexibles, lorsqu’une règle est établie, ils la respectent scrupuleusement et entendent que tout le monde la respecte (ils n’hésitent pas à reprendre, « corriger » celui ou celle, adulte ou enfant, qui « désobéit ») ; de plus ils ont souvent une excellente mémoire et n’oublieront pas la règle ;
  • ils ont parfois des intérêts particuliers pour des objets ou des sujets ; il faut savoir utiliser ces intérêts pour récompenser un effort, permettre un temps de « pause », mais le recours à ces intérêts doit être « réglementé » pour ne pas envahir toutes les activités.

Arguments pour la création d’un groupe d’enfants autistes

13Les différentes prises en charge proposées aux enfants autistes vont leur permettre de développer des capacités de communication et d’interaction, d’apprendre les règles sociales, de progresser sur le plan du comportement, sans compter tous les apprentissages dans les domaines linguistique, ludique, moteur…

14Toutefois, notre expérience auprès de jeunes enfants autistes au sein d’une unité d’évaluation nous avait conduite à constater les limites des rééducations individuelles pour travailler en relation duelle les situations de communication sociale chez les jeunes enfants. En effet, le recours aux jeux de rôle, aux scénarios sociaux tels qu’ils sont proposés aux enfants plus âgés, aux adolescents et aux adultes autistes, n’est pas possible avec de jeunes enfants.

15De plus, à l’époque de la création de ce groupe, notre équipe était animée de la volonté d’intégrer et de maintenir le plus possible ces enfants autistes au sein de l’école maternelle (l’intégration scolaire n’était pas de règle, elle était alors plus difficile et plus rare, sans l’aide d’auxiliaires de vie scolaire, sans projet scolaire personnalisé…). L’enfant autiste qui avait développé certains savoirs, des comportements adaptés en milieu familial, se trouvait (du fait de ses difficultés de généralisation) incapable de transposer ses compétences du milieu familial au milieu scolaire ; les parents ne reconnaissaient pas l’enfant que l’enseignant leur décrivait, tant les difficultés apparaissaient importantes, et une incompréhension entre les parents et l’enseignant s’installait insidieusement.

16À travers nos contacts avec les écoles, nous avions constaté une forte émergence de demandes d’aide et de soutien. En effet, les enseignants évoquaient très souvent des difficultés par rapport à la dimension collective de la prise en charge au sein d’une classe (moments de regroupement, prise en compte des consignes collectives, acceptation des changements d’activité…). L’idée de ce groupe avait alors germé, nous avons accueilli le premier groupe d’enfants de classe maternelle en 1998 et travaillé en partenariat avec les parents et l’école.

Modalités d’accueil et de fonctionnement du groupe

17Le groupe accueille six enfants de 3 à 6 ans, une fois par semaine pendant une année scolaire (hors périodes de vacances scolaires). La durée de la séance est de une heure et demie, à laquelle s’ajoute un moment d’échanges informels avec les parents à l’issue de la séance. Ce temps additionnel nous permet de recueillir des informations concernant des événements familiaux et/ou scolaires et d’échanger sur le déroulement du groupe. Plusieurs professionnels animent ce groupe : une éducatrice spécialisée, une orthophoniste, une infirmière (ces trois personnes travaillent dans l’unité d’évaluation des jeunes enfants) et un psychologue. Toutes ces personnes sont formées à l’autisme. L’équipe est en relations régulières avec les médecins référents des enfants du groupe. Les contacts avec les professionnels qui assurent les prises en charge individuelles et avec l’école se font à la demande des parents et/ou des intéressés. Certaines séances sont filmées (avec l’accord des parents) ; elles sont diffusées lors des réunions des groupes de parents.

18Les groupes de parents (environ quatre groupes sont proposés pendant l’année) nous permettent d’échanger, d’apporter aux parents une meilleure connaissance de ce qui est proposé à leurs enfants pendant les groupes, de leur montrer leur enfant dans une situation qu’ils ont parfois peu l’occasion d’expérimenter. En effet, le comportement des enfants est parfois très différent dans cette situation de groupe de ce que les parents observent en milieu familial : elle se rapproche plutôt de ce que l’enfant peut vivre en classe.

19Les parents sont les personnes qui connaissent le mieux leur enfant. Tout naturellement, ils vont s’adapter à ses difficultés en anticipant ses réactions, en l’aidant avant qu’il ait besoin d’en faire la demande. Les troubles du comportement de l’enfant en milieu scolaire résultent de ses difficultés d’adaptation à un milieu différent, de sorte qu’ils sont souvent moindres, différents, voire inexistants dans le cercle familial (pour certains enfants qui ne connaissent aucune frustration).

20Ces groupes nous permettent de proposer aux parents de continuer le travail fait pendant les séances, d’aborder des difficultés de la vie quotidienne en élaborant des solutions possibles, de trouver avec eux des stratégies pouvant aider les enfants dans des situations particulières (souvent génératrices de troubles du comportement) : courses dans une grande surface, jeux au square, fêtes familiales, visites chez des amis, relations avec la fratrie…

21Il est très fréquent également de revenir, au cours de ces réunions avec les parents, sur le diagnostic et surtout sur les particularités de fonctionnement et de comportement observées chez l’enfant autiste. Tous ou presque tous les domaines de fonctionnement de l’enfant sont affectés à des degrés différents et il est souvent difficile pour les parents de faire la part entre les difficultés liées à l’autisme et celles, tout à fait normales, liées au développement de leur enfant. Il s’agit de soutenir les parents dans une meilleure compréhension des difficultés et des compétences de leur enfant.

Objectifs de travail du groupe

22Les objectifs de travail consistent à proposer à un petit groupe d’enfants autistes des situations proches de celles que les enfants peuvent rencontrer à l’école (au sein de la classe et au cours des récréations) et de leur « apprendre » des stratégies aidant à la compréhension de la situation et leur permettant d’adopter un comportement adapté. Pour ce faire, nous tenons compte du fonctionnement particulier des enfants autistes et nous nous appuyons sur leurs compétences – en particulier les compétences visuelles – et sur leur appétence pour ce qui est clairement structuré. L’adulte sert de modèle, puis va guider l’enfant autiste lors de la mise en place de la stratégie étudiée. Ainsi, nous allons mettre en place ou soutenir les pré-requis à l’échange en travaillant l’attention conjointe. Celle-ci n’est pas seulement une orientation statique commune à deux personnes mais bien la capacité à partager avec autrui un événement, à attirer son attention et à la maintenir vers un objet, une personne, dans le but d’obtenir une observation commune et conjointe. Elle suppose une co-orientation des personnes en présence vers un objet.

23Les comportements permettant cette attention conjointe vont être abordés pendant les séances. Nous allons donc travailler le contact visuel : utiliser et comprendre le contact visuel et la direction du regard (regarder dans la direction du regard du partenaire pour regarder la personne ou l’objet que le partenaire regarde), utiliser et comprendre le pointage du doigt, alterner le regard entre un objet intéressant et le partenaire (regard référentiel).

24Le regard est important mais il faut également adopter une attitude convenable. Les enfants vont travailler sur l’attitude corporelle, la proxémie [2] : savoir comment manifester son intérêt, savoir manifester qu’on veut prendre la parole, savoir adopter une distance confortable et convenable lors d’une conversation (ni trop près, ni trop loin de l’interlocuteur). Il faut également comprendre puis utiliser les gestes communicatifs, si automatiques pour nous comme, par exemple, faire signe à quelqu’un de s’approcher ou de s’arrêter… Les enfants vont apprendre comment attirer l’attention de l’adulte (si appeler la personne ne suffit pas, il faut s’approcher d’elle, la regarder, éventuellement la toucher…). Il faut aussi, et c’est tout aussi important, savoir écouter l’autre.

25Les troubles du comportement sont fréquents et souvent facteurs d’exclusion. Ces comportements bizarres (cris, stéréotypies motrices comme taper dans les mains, secouer les mains, tourner en rond, se balancer…, répéter toujours la même phrase, parler très fort…) sont socialement gênants. Toutefois, ils sont parfois le moyen que l’enfant a trouvé pour attirer l’attention de l’adulte. La réduction de ces comportements ne passe pas par l’utilisation de moyens dissuasifs ou « aversifs », mais plutôt par une ignorance du comportement gênant (jusqu’à son extinction puisque n’ayant pas l’effet escompté pour l’enfant) et son remplacement par un comportement adapté. Ce qui va permettre une meilleure régulation du comportement au sein du groupe, c’est-à-dire que nous allons développer chez l’enfant sa capacité à modifier son comportement en fonction du contexte environnant, ce qui suppose que l’enfant ait appris à être sensible aux informations émanant de cet environnement.

26Un travail sur la stabilité motrice et les capacités attentionnelles est nécessaire si l’on veut que l’enfant puisse partager en classe les mêmes activités que ses pairs. Chez l’enfant autiste, l’instabilité motrice, les difficultés attentionnelles (qui peuvent être différentes de celles qui sont observées chez l’enfant ayant un déficit attentionnel associé à une hyperactivité) proviennent souvent d’un manque d’intérêt. Elles sont gênantes, voire invalidantes en milieu scolaire, car l’enfant va se lever et quitter l’activité proposée par l’enseignant et chercher à tout prix à retrouver une activité plus plaisante.

27Dans le groupe, les enfants sont donc amenés à respecter les moments d’écoute, de stabilité, à gérer leur temps libre, les moments de transition entre deux activités. Nous utilisons des emplois du temps visuels (le programme de chaque séance de groupe est présenté sous la forme de dessins successifs, illustrant les activités proposées). Lorsqu’une activité est terminée, nous la barrons d’un trait, ainsi l’enfant sait ce qui va suivre et quand le groupe arrivera à son terme, ce qui va lui permettre d’anticiper et de se représenter l’activité suivante (avec pour conséquence une diminution de l’intolérance au changement, si fréquente chez les enfants autistes).

28Nous pouvons aussi proposer des activités réalisées lors des séances précédentes, mais sous une forme différente, afin de motiver l’enfant et l’amener à participer à une activité redoutée par lui en raison de la difficulté de la tâche, de sa présentation dérangeante (couleur, texture) ou de son manque d’intérêt… en aménageant ensuite une activité agréable.

29Les troubles du comportement sont souvent liés à une intolérance à la frustration et ils vont entraîner parfois une exclusion scolaire. Nous allons donc aider l’enfant autiste à affronter ces situations difficiles pour lui, en tenant compte de sa façon de comprendre les situations. L’enfant autiste aime les routines, nous allons l’aider à se séparer de ses objets « préférés » (ticket de métro, doudou, bout de papier, de ficelle et parfois objets insolites) en les déposant au début de la séance dans une boîte prévue à cet effet, disposée toujours au même endroit. La situation est expliquée, ritualisée, le temps de « dépôt » peut être progressivement allongé, et l’enfant est félicité à chaque tentative fructueuse. L’enfant pourra récupérer l’objet à la fin de la séance.

30Comme nous l’avons constaté, l’enfant autiste aime recommencer les activités connues qui lui ont plu et cela parfois au détriment de toute autre activité, de sorte que la demande de l’enfant pour telle ou telle activité devient persévérante et gênante pour le déroulement du groupe. Pour qu’il puisse apprendre à ne pas faire ou demander sans cesse une activité préférée, il est nécessaire que l’adulte l’aide à anticiper (recours au programme visuel) ; chaque effort, chaque petit progrès est vivement encouragé, et l’enfant félicité.

31Tout apprentissage passe par l’imitation, laquelle est souvent déficitaire chez l’enfant autiste ou apparaît plus tardivement, l’entraînant dans des comportements d’imitation non appropriés, compte tenu de son âge : il s’agit souvent de comportements acceptables chez les très jeunes enfants, car ils favorisent chez eux une communication sociale avant l’apparition du langage. Nous allons donc essayer de développer une imitation « utile », par exemple : prendre l’autre pour modèle dans le déroulement d’un parcours moteur, apprendre à distinguer imitation pertinente et non pertinente, en fonction du contexte (si je gronde X parce qu’il crie et que toi tu te mets à crier, qu’est-ce que je vais faire ?). Or, les parents sont souvent déroutés par ces imitations non pertinentes, et les enseignants gênés par ces comportements qui entraînent souvent toute la classe dans un chahut généralisé.

32Développer des comportements de communication et d’échange au sein du groupe est un de nos objectifs principaux. Les enfants vont apprendre comment demander de l’aide, attendre leur tour, comprendre et s’ajuster aux consignes collectives. L’enfant autiste comprend le langage de façon littérale, il est très concret et développe une logique qui lui est propre : lorsque l’enseignant énonce une consigne de regroupement adressée à tous les enfants, l’enfant autiste peut ne pas obéir à cette consigne, car il ne se sent pas concerné ; en effet, lui s’appelle X et l’enseignant a dit « tous les enfants », il n’a donc pas été sollicité et ne réagit pas.

33Faire et exprimer des choix est souvent problématique ; chaque enfant doit être sollicité et guidé pour développer cette fonction de communication. De même, il nous faudra aider l’enfant à développer ses initiatives, ce qui lui fait souvent cruellement défaut et contribue à l’enfermer dans des activités répétitives.

34Partager un jeu en tenant compte du ou des partenaires devra également faire partie d’apprentissages dans des contextes variés. Savoir partager un jeu est souvent un préalable pour développer des relations amicales. L’enfant autiste a envie d’avoir des copains mais ne sait comment s’y prendre et ses tentatives souvent maladroites aboutissent à un rejet de la part de ses pairs. Apprendre à aller vers l’autre, à solliciter un enfant, à lui demander de partager le même jeu ou le même jouet permet de s’intégrer dans un groupe. Savoir respecter le refus ou repousser un enfant « gênant », tous ces actes de communication sont indispensables pour développer une communication sociale.

35Les situations conversationnelles seront abordées en s’appuyant sur des documents visuels que nous auront confiés les parents (photos d’une sortie familiale, de vacances, d’événements familiaux…), cela nous permet de guider et de soutenir l’enfant au cours de son récit mais aussi d’aider les autres enfants à poser des questions à l’enfant narrateur.

36Un travail sur la « théorie de l’esprit » est abordé vers le milieu de l’année. Avoir une théorie de l’esprit, c’est être capable d’attribuer des états mentaux à soi-même et aux autres. Ce qui fait cruellement défaut à l’enfant autiste, entraînant des inadaptations sociales, un manque d’empathie.

37Le travail proposé va passer par le jeu, en particulier le jeu de « faire semblant » ou simulation. Ainsi, l’enfant va être amené à élaborer des représentations internes (représentations du second ordre) distinctes des représentations réelles (représentations du premier ordre). Différentes formes de simulation sont expérimentées : la substitution d’objets (par exemple : manger avec un crayon), l’attribution de propriétés simulées (la voiture est considérée comme étant en panne), la création d’objets imaginaires (l’enfant simule la présence d’un objet ou d’une personne). Cette capacité de représentations du second ordre est une étape importante et nécessaire pour le développement des habiletés sociales. En effet, une communication adaptée entre deux personnes ne peut s’établir que si chacune d’entre elles peut concevoir que l’autre a un état mental différent du sien.

38Développer la compréhension et l’expression des émotions est une tâche immense mais nécessaire à une bonne adaptation sociale. L’émotion est un concept difficile à définir. Si l’on s’en tient à l’aspect psychologique, on peut dire qu’une émotion est un état ressenti et conscient. Du point de vue comportemental, l’émotion est un changement corporel qui suit la perception de quelque chose. Si on a du mal à définir l’émotion, on peut tout de même assurer qu’elle est intégrée à la relation. Éprouver une émotion nécessite des capacités de représentation (on n’est triste que si l’on peut se représenter la personne ou l’objet disparu). Les enfants autistes ont des difficultés apparaissant précocement dans la production des émotions et dans leur régulation en fonction du contexte environnant.

39Nous allons aider les enfants à identifier et à verbaliser les émotions simples puis plus complexes. Ils devront ensuite apprendre à reconnaître leurs causes en fonction du contexte et adapter la réponse affective pendant une interaction sociale. Ils vont apprendre également à comprendre et à utiliser les verbes comme « croire », « penser », « savoir »… ; nous les aiderons à établir un lien entre un état mental, la situation et le comportement adapté. Par exemple : lorsque je perds à un jeu, je peux être déçu, parfois en colère, mais je ne crie pas, je ne jette pas le jeu par terre, je n’agresse pas le gagnant, et l’émotion est moins forte (en intensité) que celle que j’éprouve quand mon petit frère a cassé mon jouet favori.

40Nous allons attirer l’attention de l’enfant sur l’émotion décodée sur le visage du partenaire dans une situation donnée pour ainsi pouvoir prédire l’état mental et le comportement de ce partenaire. Les situations de farce, de plaisanterie et de mensonge sont souvent mal comprises par l’enfant autiste, qui a une compréhension au pied de la lettre. Une exposition à ces situations permettra à l’enfant de mieux les comprendre et les accepter.

41Tous ces points sont travaillés à partir d’activités volontairement simples, ludiques et proches de la réalité quotidienne des enfants (ce qui permet de faire un parallèle avec ce qui peut être proposé en classe, à la maison…), dans un but de généralisation des expériences. Les activités sont aménagées de façon à permettre aux enfants de « réussir » et, à mesure qu’ils progressent, les situations sont de moins en moins aménagées, pour ressembler finalement aux situations de l’école. Par exemple : pour apprendre à jouer en récréation, l’activité est très structurée au début, puis l’enfant apprend à développer ses propres comportements adaptés à la situation. Le guidage proposé par l’adulte est personnalisé pour chaque enfant en fonction de ses compétences et difficultés.

42De même, nous allons introduire des éléments « perturbateurs » pour habituer les enfants à faire face aux « imprévus » afin qu’ils ne s’attachent pas de façon rigide au programme visuel établi au début du groupe (une activité prévue peut être supprimée par manque de temps, une case de l’emploi du temps contient un point d’interrogation pour amener les enfants à accepter une activité qui n’est pas prévue…). L’objectif final de ce groupe est la généralisation des acquis. Pour cette raison, le travail en partenariat avec les parents est indispensable. Dans la même démarche de généralisation et pour favoriser une meilleure prise en compte des besoins réels de l’enfant, nous prenons contact (si les parents le souhaitent) avec l’école et les professionnels qui travaillent en situation duelle avec l’enfant (orthophoniste, psychomotricien, psychologue…).

Bibliographie

Bibliographie

  • Gerland G. (2005), Une personne à part entière, Cahors, AFD.
  • Grandin T. (1997), Penser en images, Paris, Odile Jacob.
  • Sinclair J. (1992), « Ne nous pleurez pas », in Schopler E., Mesibov G., High Functioning Individuals with Autism, New York Plenum Press, p. 294-302.

Notes

  • [1]
    Orthophoniste, Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris.
  • [2]
    La proxémie, nommée par Edward T. Hall, est la distance physique qui s’établit entre des personnes prises dans des interactions.
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