Contraste 2007/2 N° 27

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Article de revue

L'éducation spécialisée, expression d'une relation tourmentée entre le secteur médico-social et le milieu scolaire ordinaire

Pages 201 à 216

Notes

  • [1]
    Docteur en psychologie. Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale.
    Adresse contact : 77 rue du Faubourg-Saint-Nicolas, 21200 Beaune. E-mail : bernard.gossot@club-internet.fr
  • [2]
    Traité de l’Union européenne sur le statut des personnes handicapées, du 7 décembre 1995 - Charte de Luxembourg, de novembre 1996 - Traité d’Amsterdam, du 2 octobre 1997 - Charte des droits fondamentaux de l’Union, Nice, décembre 2000.
  • [3]
    Règles pour l’égalisation des chances des handicapés, ONU, décembre 1993 - Conférence mondiale sur les besoins éducatifs spéciaux, Déclaration de Salamanque, UNESCO, juin 1994.
  • [4]
    Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale, spécial n° 4 du 26 février 2004.
English version

1L’éducation spécialisée, par les professionnels qui l’animent, les dispositifs qui la mettent en œuvre, les structures qui l’illustrent, les formations qu’elle requiert, a constamment été l’objet de débats passionnels, faisant osciller son positionnement entre un monde d’inspiration hospitalière et un univers éducatif qualifié, faute d’autre adjectif, de normal ou d’ordinaire, c’est-à-dire une éducation pour tous. La compréhension des rapports entre ces deux mondes n’échappe pas à une approche historique qui peut éclairer l’état actuel de ce secteur en France, sans en donner forcément une explication exhaustive.

L’histoire, si elle est utile, n’est pas une science exacte

2L’histoire s’écrit à plusieurs mains et la vérité n’existe pas, elle est un dialogue entre une réalité et ses diverses représentations. Aussi, de nombreuses contributions, s’appuyant sur des références diverses, ont présenté la genèse de l’éducation spécialisée. Allant à l’essentiel, on peut dégager trois thèses :

  • Pour les uns, l’éducation spécialisée émane d’une séparation conceptuelle lente et progressive qui a fait des enfants déficients des catégories spécifiques se distinguant des sujets atteints de maladie, et ne relevant plus de ce fait du secteur hospitalier. Mais les lieux d’accueil ont été conçus sur le modèle originel, et la prise en charge de ces jeunes s’est imposée prioritairement sur une dominante sanitaire et médicale.
  • Pour d’autres, l’éducation spécialisée est la conséquence de l’incapacité des pouvoirs publics à prendre en compte une population jugée comme « anormale » et relevant d’abord d’une prise en charge de type « santé ». La puissance publique aurait donné la priorité à des contraintes de gestion quantitative de la population soumise à l’obligation scolaire, léguant, de fait, l’initiative de la création des structures d’accueil aux associations du secteur médico-social.
  • Pour d’autres enfin, c’est dans un contexte de défiance à l’égard de l’école républicaine et des valeurs qu’elle promouvait – notamment dans la période de la Seconde Guerre mondiale – que s’est vue renforcée une approche médico-sociale et que les établissements spécialisés ont reçu un plein soutien et ont connu un plein essor (Chauvière, 1980).
Ces thèses, assez différentes au plan de l’analyse, sont, en réalité, complémentaires, elles constituent des regards différents d’une même réalité. Se limiter à une seule thèse serait réducteur et empreint de partialité. Mais elles ont toutes un point commun : elles expriment le constat selon lequel, dès le début du xxe siècle, l’application des lois fondamentales créant l’école publique, laïque et obligatoire, mettait en évidence que certains enfants atteints de déficiences et dénommés « anormaux » ou « arriérés » étaient difficilement scolarisables dans les classes ordinaires, telle que l’éducation les avait conçues.

3On peut certes considérer que l’État n’a pas complètement assumé ses responsabilités face à la prise en charge – notamment éducative – des enfants porteurs de handicaps. Mais on sait que, pour les thèmes de société les plus sensibles et les plus complexes, bien souvent le législateur ne prend pas l’initiative de leur traitement, il vient concrétiser et officialiser par un texte de loi souvent présenté avec une certaine emphase un fait de société déjà largement engagé de manière empirique et qui s’impose à la nation. C’est sans doute dans ce cadre qu’il faut considérer le rapport de l’État au monde du handicap, et inscrire son action dans les progrès des sciences ainsi que dans l’évolution de la pensée en ce domaine.

Une évolution inéluctable

4Il semble nécessaire d’établir des nuances entre la prise en charge des enfants atteints de déficiences physiques, sensorielles ou motrices, et celle qui concerne les enfants handicapés mentaux.

5Les premiers ont été encadrés très tôt dans des institutions privées, souvent d’obédience religieuse, qui assuraient les soins et une éducation spéciale basés sur des attitudes d’inspiration charitable et des pratiques protectrices. Ces institutions avaient leur économie de fonctionnement, leur philosophie et se situaient hors du dispositif éducatif, bien souvent en défendant leur position singulière et en tenant l’institution scolaire à l’écart.

6Les seconds, considérés d’abord comme arriérés puis, plus tard, comme débiles mentaux, étaient soumis à des soins et à une éducation plus sommaires, dans la mesure où une distinction était faite entre débiles profonds qualifiés de non éducables, débiles moyens considérés comme semi-éducables et débiles légers reconnus éducables. Cette classification a conduit l’Éducation nationale, à l’époque Instruction publique, à créer les classes de perfectionnement pour scolariser les débiles légers, « éducables », et les débiles moyens « sans troubles associés ». Une partie importante de la population des enfants handicapés mentaux ne relevait pas de l’école, non par rejet de l’institution mais par les caractéristiques que leur attribuait une nosographie un peu figée dans les conceptions de l’époque. Les soins dont ils avaient besoin devaient être assurés dans des lieux conçus à cet effet ; les établissements médico-éducatifs ont présenté le modèle le mieux adapté. Certes, l’État a laissé l’initiative de leur création aux familles regroupées en associations et il convient de souligner une certaine défaillance sur ce point, mais ces établissements ont été placés sous la tutelle du ministère chargé de la santé et des affaires sociales, assurant de ce fait la présence engagée et attentionnée de l’État.

7Ainsi s’est trouvé mis en place un dispositif d’éducation spécialisée parallèle à l’école ordinaire, spécifique selon les types de handicaps, où le soin avait une place prépondérante et où l’éducation était centrée essentiellement sur l’acquisition des savoirs nécessaires à la vie quotidienne. Une telle conception était basée sur une représentation très défectologique, disqualifiante et dépréciée du sujet concerné : le handicap étant considéré comme irréversible dans son origine comme dans ses effets, il s’agissait alors de faire acquérir au sujet, compte tenu de sa vulnérabilité, un minimum d’autonomie dans un environnement protégé.

Une école oubliée

8Dans ce contexte, l’éducation dans sa dimension scolaire s’est trouvée secondarisée, voire omise. Dans l’origine et la vie des établissements médico-sociaux, il y a une histoire de désamour avec l’école. Celle-ci n’a pas été très présente et ne s’est imposée d’emblée ni chez les concepteurs, ni chez les acteurs chargés du bon fonctionnement de ces établissements. Ce n’est que progressivement que certains médecins et parents, mais aussi certaines associations émanant des mouvements laïques, se sont inquiétés de la nécessité de faire acquérir des apprentissages scolaires de base aux jeunes déficients et certains établissements ont su se doter de postes, voire d’écoles, publiques ou privées, pour développer cette mission. Mais une telle démarche s’est faite dans l’empirisme et était basée sur le dynamisme des acteurs et sur la bonne volonté des responsables institutionnels locaux, notamment des inspecteurs d’académie. Dans le moins mauvais des cas, les associations recrutaient des éducateurs scolaires, dans le pire des cas, il n’y avait pas d’enseignement.

9Dans le même temps, les progrès de la science et, par conséquent, de la médecine ont fait sortir le handicap de son enfermement. L’irréversibilité de l’atteinte, quelle qu’elle soit, a été relativisée et, surtout, la possibilité de faire progresser le sujet dans ses divers apprentissages a été affirmée, étayée en cela par des recherches d’éminents spécialistes (Misès, Perron, Salbreux, 1994). Les progrès techniques ont doté les enfants déficients sensoriels ou handicapés moteurs de matériel adapté de plus en plus élaboré leur permettant de vivre parmi leurs pairs, éventuellement avec une assistance.

10Par ailleurs la réflexion sur la démocratisation du système éducatif lancée dès les années 60, la définition des missions d’un service public d’éducation conçu et organisé en fonction des élèves, la référence aux expériences conduites à l’étranger (Rault, 2004) ont plaidé pour une scolarisation des enfants en situation de handicap dans les structures ordinaires d’enseignement et ont abouti à une politique d’intégration. Ce changement de paradigme a été officialisé dans deux textes importants qui ont donné à l’école une place essentielle, pleine et entière dans la prise en charge des jeunes handicapés :

  • La loi du 30 juin 1975, qui soumet ces jeunes à l’obligation éducative, en recevant soit une éducation ordinaire soit, à défaut, une éducation spéciale déterminée en fonction des besoins particuliers de chacun d’eux par les commissions d’éducation spéciale. Cette éducation est assurée soit dans les établissements ordinaires soit dans des établissements ou par des services spécialisés. Elle est à la charge de l’État qui assume les dépenses d’enseignement et de première formation professionnelle.
  • Le décret du 27 octobre 1989 relatif à la réforme des annexes XXIV, qui assure la primauté des actions de prévention, la conjonction des soins et de l’éducation, le développement de l’éducation précoce, la redéfinition de l’éducation spéciale et la pleine valorisation des apprentissages scolaires de base (Deveau, 1992).

Une école considérée et convoitée

11On connaît les conséquences de l’application de ces deux textes. Effectivement, des postes ont été créés dès la parution des circulaires de 1978, à la demande des établissements et des associations gestionnaires, des conventions ont été passées avec les autorités académiques, et des enseignants du secteur public ou du secteur privé ont assuré la présence d’une éducation scolaire dans les établissements. Simultanément, la politique d’intégration a connu une phase de dynamisme assez marquée, soutenue en cela par l’augmentation du nombre de places en SESSAD, services susceptibles de favoriser l’accueil des jeunes handicapés en intégration scolaire. De ce fait, on a assisté à un déplacement des personnels du secteur médico-social des établissements spécialisés vers des services spécialisés ayant vocation à intervenir dans les lieux où se trouvent les enfants en situation de handicap, les familles et les établissements ordinaires. Les deux secteurs, le médico-social et l’école, fonctionnant jusque-là en parallèle, parfois dans l’ignorance mutuelle, sont amenés à travailler ensemble, en étroite synergie, pour favoriser l’accueil et la scolarisation des jeunes en situation de handicap.

12Dès lors, un renversement des priorités s’est imposé, la place de l’école est devenue progressivement première, et les conséquences ne sont pas minces. Une étude sur l’accès à l’enseignement des jeunes handicapés avait déjà fait état d’un constat d’importance : « L’éducation scolaire constitue un enjeu central et une exigence absolue pour les parents. » Et, pour en fournir une illustration, un directeur d’établissement déclarait :

13

« Chaque fois qu’il y a un échec de la prise en charge, chaque fois les parents mettent en cause l’échec pédagogique. »

14On pourrait considérer que la politique voulue par le législateur porte ses fruits. Mais l’influence d’un héritage prestigieux fait d’une prise en charge bien adaptée des jeunes reconnus handicapés dans les établissements spécialisés est restée très prégnante. Ce type d’accueil et d’encadrement a nourri une forme de nostalgie chez les différents acteurs éducatifs et médico-sociaux qui n’ont pas toujours bien compris les raisons pour lesquelles il était préférable de placer les enfants et les adolescents « handicapés », donc « diminués », dans les situations inconfortables de la vie ordinaire, alors même qu’ils bénéficiaient d’un cadre sécurisant, de soins appropriés et de personnels spécialisés permanents qui assuraient les meilleures conditions de leur développement. De même, l’obligation éducative concernant ces enfants a été contestée par certains représentants du champ médical et thérapeutique qui ont manifesté une défiance à l’égard de l’institution scolaire et ont perçu l’établissement spécialisé comme un « lieu de réparation ». L’étude conduite par les deux inspections générales a bien montré que la politique d’intégration n’était pas aussi développée que le législateur l’avait souhaitée et que tous les établissements ne s’étaient pas dotés de moyens en postes et en personnels pour scolariser les jeunes handicapés qui ne pouvaient pas être intégrés.

15Changer de paradigme n’est pas chose aisée quand on est persuadé de quitter un milieu protecteur pour aller vers un milieu plus hostile, même si des écrits et des déclarations venant de tous horizons plaident pour une transformation radicale de la pensée et des comportements.

Une école adulée

16La transformation souhaitée a été largement impulsée par les travaux de Philip Wood publiés en 1980 et qui ont constitué le fondement de la Classification internationale des handicaps, laquelle a été élaborée à l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé en 1989 comme nomenclature de référence. Le handicap n’est plus abordé selon une approche nosographique ou comme un fait médical, mais comme un désavantage social. Les catégories sont reconsidérées, notamment le handicap mental à l’égard duquel la notion de débilité est redéfinie et la débilité mentale légère abolie.

17Les classes de perfectionnement n’ont plus lieu d’être et les élèves qui y étaient affectés, des élèves en difficulté scolaire, trop souvent issus de familles de catégories sociales défavorisées ou d’origine non francophone, ont dû fréquenter les classes ordinaires d’une école désormais rénovée. Rénovée par la mise en place des cycles impliquant une différenciation pédagogique, mais aussi par le développement de la politique des zones d’éducation prioritaire. Des dispositifs devaient traiter les difficultés des élèves de manière spécifique et adaptée : les classes d’initiation pour enfants dont la langue maternelle n’était pas le français (CLIN), les classes ou regroupements d’adaptation, les groupes d’aides psychopédagogiques (GAPP) remplacés par les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED).

18On sait que ces dispositifs ont connu des applications diverses et des réussites contrastées, leurs évaluations ont révélé une efficacité toute relative (Moisan, Simon, 1997 ; Gossot, 1997). Cependant, un fait s’impose : l’école ordinaire est le lieu d’accueil de tous les élèves, elle est le lieu où se traite in situ toutes les difficultés que rencontrent les élèves, quelles qu’en soient la nature et l’importance. C’est dans ce cadre philosophique et politique rénové qu’ont été créées, pour accueillir et scolariser les jeunes handicapés, les classes d’intégration scolaire (CLIS) dans le premier degré et les unités pédagogiques d’intégration (UPI) dans le second degré.

19Désormais, les établissements scolaires ont pour mission de s’ouvrir à tous les élèves, y compris aux élèves en situation de handicap, et l’école est définitivement soumise à un devoir de réussite. Si les difficultés scolaires persistent, elles s’expliquent comme le produit d’une inadéquation de l’environnement scolaire aux besoins des élèves. Une nouvelle classification internationale adoptée en mai 2001 par l’OMS sous le titre Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) renforce cette perspective et, s’inscrivant dans la suite des travaux de Wood, considère que le désavantage n’est ni directement, ni proportionnellement défini par la nature et l’importance d’une déficience. Le handicap est l’expression d’un phénomène d’anthropologie sociale. La recherche des solutions aux difficultés doit s’orienter vers la réponse aux besoins particuliers des élèves, direction que nous prescrivent les contextes européen [2] et international [3].

20Dès lors s’impose la terminologie « élèves à besoins éducatifs particuliers » ou « spécifiques » ou « spéciaux » selon les différentes traductions de l’anglais special needs, d’usage récent en France mais parfaitement intégrée dans les textes internationaux, même si elle recouvre des limites encore floues et mal stabilisées. L’identification des besoins éducatifs particuliers suppose de ne pas préjuger des réponses apportées à chacun.

21S’appuyant sur la pratique avertie d’une évaluation pluridisciplinaire, elle affecte des outils, des moyens et des méthodes d’action à chaque élève, sans que préalablement soit établie l’appartenance à une catégorie institutionnellement définie. C’est la situation singulière analysée dans toutes ses composantes qui dicte l’action à conduire et suscite la construction d’une réponse coordonnée, reposant sur un projet individualisé élaboré par tous les partenaires.

22Tel est l’esprit de la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui, même si elle continue à employer le terme de handicap – ce qui est regrettable –, dans son article L. 114-1 stipule que « l’action poursuivie vise à assurer l’accès de l’enfant, de l’adolescent ou de l’adulte handicapé aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et son maintien dans un cadre ordinaire de scolarité, de travail et de vie. Elle garantit l’accompagnement et le soutien des familles et des proches des personnes handicapées ».

23Une lecture un peu rapide et parfois interprétée, voire fantasmée, de la loi laisserait croire que tous les élèves en situation de handicap doivent être désormais accueillis à l’école ordinaire. Certes, le législateur a voulu que la politique en matière d’éducation aille plus loin que la simple intégration scolaire, mais il n’a pas inscrit dans la loi la suppression des établissements du secteur médico-social, bien au contraire. S’il a prévu que « tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école ou dans l’un des établissements le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence » (Art. L. 112-1), il a bien mentionné aussi qu’il peut être scolarisé « si nécessaire, au sein de dispositifs adaptés lorsque le mode de scolarisation répond à ses besoins » (Art. L. 351-1). Il a complété dans le même article : « L’enseignement est également assuré par des personnels qualifiés relevant du ministère chargé de l’éducation lorsque la situation de l’enfant ou de l’adolescent présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant nécessite un séjour dans un établissement de santé ou un établissement médico-social. »

24L’école ordinaire devient le cadre de référence et trouve une place centrale dans la prise en charge des élèves en situation de handicap. Pour chacun d’eux, une évaluation des compétences et des besoins aboutit à la définition de mesures visant à construire un parcours de vie dans le cadre d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS). Ce travail d’élaboration, conduit par une équipe pluridisciplinaire d’évaluation, appelle une participation active des parents. Il s’agit là d’une démarche qui rompt avec les pratiques des commissions d’éducation spéciale, trop souvent focalisées sur l’orientation et adoptant un fonctionnement trop exclusivement administratif. Ce projet propose des modalités de déroulement de la scolarité coordonnées avec des mesures permettant son accompagnement. Deux conséquences se dégagent nettement :

  • Les établissements sont invités à adopter un fonctionnement souple. Ils s’inscrivent ainsi comme un élément d’un dispositif complexe qui est mis en œuvre pour réaliser le parcours scolaire d’un élève. Une logique de filière et d’orientation, objectivée par une articulation de classes ou de structures spécialisées, est abandonnée au bénéfice d’une logique de parcours dont l’essence même est constituée par le projet de l’élève. Ils deviennent des lieux de ressources spécifiques pour des prises en charge personnalisées, lorsque l’évaluation du projet personnalisé fait apparaître la nécessité pour un enfant ou un adolescent en situation de handicap d’une éducation spécialisée, associée étroitement à des soins médicaux ou paramédicaux. L’objectif de cette prise en charge reste la perspective d’une intégration scolaire dans le milieu scolaire ordinaire lorsque l’évolution de l’intéressé le suggérera.
Les établissements médico-sociaux doivent donc être considérés comme des lieux de passage privilégiés, des moments plus ou moins longs où les élèves en situation de handicap bénéficient d’un encadrement spécialisé en continu, dans tous les domaines, afin de les amener à surmonter leurs grandes difficultés à certains moments de leur cursus scolaire, mais aussi de leur itinéraire de vie.
  • Un travail de partenariat est à construire pour que les différents acteurs, enseignants, professionnels du secteur médico-social, mais aussi parents, œuvrent de concert pour réaliser ce projet personnalisé de scolarisation, partie déterminante du projet de vie. Le partenariat ne s’improvise pas, il demande à être préparé et appelle une implication forte des différents membres.
Ainsi paraît-il désormais inutile et dépassé d’opposer milieu ordinaire et secteur médico-social, éducation normale et éducation spécialisée. Dans le cadre de la réalisation de son parcours scolaire, un enfant en situation de handicap ou atteint d’une maladie invalidante peut fréquenter l’école ou l’établissement de son quartier, avec les accompagnements appropriés et, en fonction de ses besoins particuliers, être amené à se rendre dans un établissement spécialisé. Il ne s’agit pas là d’une orientation mais d’un passage privilégié, plus ou moins momentané. La loi du 11 février 2005 invite à mettre en synergie les différentes institutions afin qu’elles adaptent leur fonctionnement à la bonne réalisation du PPS.

La question de la formation des enseignants spécialisés

25Alors que l’école est devenue désormais le lieu de référence, la formation des enseignants spécialisés se serait-elle dégradée ? Dans ce domaine également, un bref rappel historique permet de comprendre une évolution inévitable.

26Après la création des classes de perfectionnement, un diplôme d’État a été créé en 1909 pour sanctionner une formation spécialisée, le certificat d’aptitude à l’enseignement des arriérés (CAEA), complété par le certificat d’aptitude à l’enseignement des écoles de plein air (CAEPA) en 1939. En 1963, ces diplômes ont été remplacés par le certificat d’aptitude à l’éducation des enfants et adolescents déficients ou inadaptés (CAEI), préparé dans les deux centres nationaux de Beaumont-sur-Oise et de Suresnes ainsi que dans des centres régionaux annexés aux écoles normales d’instituteurs. Le CAEI a été décliné en autant d’options qu’il existait de types de handicaps dans la conception de l’époque. Les formations prévues ainsi dépendaient de la classification nosographique et étaient centrées sur des spécialisations cloisonnées, destinant les enseignants à exercer dans des classes ou des structures spécialisées correspondant au type de handicap retenu.

27Le CAEI a été rénové en 1984 puis remplacé en 1987 par le certificat d’aptitude aux actions pédagogiques spécialisées d’adaptation et d’intégration scolaires (CAPSAIS). Il s’agissait alors de former des enseignants à une spécialisation moins axée sur le type de handicap, moins cloisonnée et davantage orientée vers les pratiques pédagogiques conduites en faveur des sujets dans un cadre déterminé, notamment dans une perspective d’intégration scolaire.

28Dans tous les cas, ces formations s’adressaient uniquement à des enseignants du premier degré, ayant bénéficié d’une formation postbac d’une année ou parfois de deux années au maximum. Il s’agissait donc de prodiguer une formation théorique assez consistante, parfois au détriment d’une formation professionnelle véritable.

29La nouvelle formation mise en place en 2004 est à destination des enseignants du premier degré mais aussi du second degré. Le certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (CAPA-SH) vise le premier public. Le certificat complémentaire pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap (2CA-SH) est destiné au second [4]. Ces certifications prennent en compte l’évolution des conceptions et du regard sur le handicap, la demande sociale des familles ainsi que les injonctions des instances européennes en matière de scolarisation des élèves en situation de handicap. Elles sont conçues sur la base de trois unités de formation :

  • UF1 : pratiques pédagogiques différenciées et adaptées aux besoins particuliers des élèves,
  • UF2 : pratiques professionnelles au sein d’une équipe pluricatégorielle,
  • UF3 : pratiques professionnelles prenant en compte les données de l’environnement familial, scolaire et social.
S’adressant à des enseignants ayant une formation universitaire, professeurs des écoles (CAPA-SH) et professeurs de lycée et collège ainsi qu’aux professeurs de lycée professionnel (2CA-SH), c’est-à-dire à des personnels ayant au minimum bac+3 et un ou deux ans de formation en institut universitaire de formation des maîtres (IUFM), ces préparations se veulent avant tout professionnelles et, réalisées à partir d’une pratique de terrain, elles associent mise en situation, analyse de la pratique et théorisation. Elles sont basées sur un référentiel de compétences très élaboré et s’inscrivent dans le modèle d’une formation en alternance, modèle adopté par toutes les formations professionnelles actuelles. Aussi est-il erroné de penser que la nouvelle formation des enseignants spécialisés a été réduite ; au contraire, les temps d’exercice, dès lors qu’ils sont suivis et exploités par des formateurs, font partie du temps de formation. L’expérience de trois années de ces nouvelles formations en révèle la qualité. Cette formation, précédée par la mise en place de modules d’initiation à l’accueil du handicap pour toutes les formations assurées en IUFM et complétée par des actions de formation continue spécialisées, participe de la construction d’une culture commune (Gossot, à paraître) et de la formation tout au long de la vie.

30Par les textes législatifs et réglementaires récents, l’État a pris des engagements fondamentaux dans tous les domaines concernant l’accompagnement des jeunes à besoins éducatifs particuliers. Il inscrit son action dans une politique globale en harmonie avec les politiques des pays de l’Union européenne et de nombreux pays étrangers. Il ne doit pas décevoir, et les familles ainsi que les associations seront vigilantes quant à la concrétisation de ces engagements. Les professionnels impliqués dans cette politique, qu’ils soient de l’Éducation nationale ou du secteur médico-social, ne doivent pas disperser leur énergie dans des débats stériles ou dans une défense d’institutions qui ont eu leur heure de gloire mais qui ne sont plus adaptées. Ils sont invités à conjuguer leurs compétences et leurs efforts pour que les jeunes qui leur sont confiés puissent bénéficier de leur droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale et exercer pleinement leur citoyenneté parmi leurs pairs.

Bibliographie

Bibliographie

  • Chauvière M. (1980), Enfance inadaptée et l’héritage de Vichy, Paris, Éditions ouvrières/Économie et Humanisme (en cours de réédition).
  • Deveau A. (1992), Genèse des annexes XXIV, Paris, CTNERHI.
  • Gossot B. (1997), « Les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, examen de quelques situations départementales », rapport de l’IGEN, Éditions CNDP, Hachette.
  • Gossot B. (à paraître), « Vers une culture commune ? », revue Reliance, Institut des sciences et pratiques d’éducation et de formation, Université Lumière-Lyon 2.
  • Misès R., Perron R., Salbreux R. (1994), Retards et troubles de l’intelligence chez l’enfant, Paris, Éditions ESF.
  • Moisan C., Simon J. (1997), « Les déterminants de la réussite scolaire en zone d’éducation prioritaire », rapport de l’IGEN (rapport Moisan-Simon), Éditions CNDP, Hachette.
  • Rault C. (Ed.) (2004), Diversité des besoins éducatifs : des réponses en Europe et ailleurs, Paris, L’Harmattan.

Notes

  • [1]
    Docteur en psychologie. Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale.
    Adresse contact : 77 rue du Faubourg-Saint-Nicolas, 21200 Beaune. E-mail : bernard.gossot@club-internet.fr
  • [2]
    Traité de l’Union européenne sur le statut des personnes handicapées, du 7 décembre 1995 - Charte de Luxembourg, de novembre 1996 - Traité d’Amsterdam, du 2 octobre 1997 - Charte des droits fondamentaux de l’Union, Nice, décembre 2000.
  • [3]
    Règles pour l’égalisation des chances des handicapés, ONU, décembre 1993 - Conférence mondiale sur les besoins éducatifs spéciaux, Déclaration de Salamanque, UNESCO, juin 1994.
  • [4]
    Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale, spécial n° 4 du 26 février 2004.
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