Michel De Jaeghere. — Alors que l’histoire de l’Europe ne manque ni de saints ni de docteurs chrétiens, n’est-il pas étrange d’avoir recours à un personnage que l’Église s’est abstenue de donner aux fidèles comme exemple, et dont la doctrine est suspectée d’avoir part à un jansénisme qu’elle a condamné comme hérétique ?Pierre Manent. — Vous savez sans doute qu’une association d’excellents esprits milite pour l’ouverture d’un procès en béatification de Pascal, et que le pape François lui-même s’est déclaré favorable à la démarche… Personnellement je ne suis pas convaincu qu’il serait judicieux de mettre Pascal sur nos autels. Ce serait lui ôter l’extraordinaire liberté et la singularité qui le définissent et qui en ont fait le compagnon d’innombrables esprits en tous pays, ces esprits que l’exemple de Pascal seul rattache au christianisme, qui ne prennent celui-ci au sérieux que sur la foi de Pascal, si j’ose dire. Enveloppez-le du manteau de la sainteté officielle, vous faites fuir toutes ces âmes rétives. Pascal est le saint du seuil, laissons-le sur le seuil.
Pascal ne se substitue pas aux saints et aux docteurs que vous évoquez. Il ne les rend pas inutiles. Thomas et surtout Augustin l’ont instruit de sa religion. Il n’est pas théologien et ne veut pas l’être. Il veut être un chrétien exactement instruit de sa religion afin de la mettre en pratique dans toute sa rigueur. Il se propose donc de la ramener à son centre, ou à ce qui en est le nerf. L’Église est une institution puissamment construite dans toutes ses parties, un immense appareil doctrinal et juridique, et c’est très bien ainsi…