Si l’on veut bien quitter un instant notre lucarne hexagonale, personne ne parle de sentiment antifrançais dans les dix pays les plus prospères d’Afrique : Nigeria, Afrique du Sud, Égypte, Algérie, Maroc, Kenya, Angola, Éthiopie, Ghana et Tanzanie. Hormis la « rente mémorielle » algérienne, il faut plonger aux 11e (Côte d’Ivoire), 15e (Cameroun) et 19e rangs (Sénégal) en termes de PIB pour qu’affleure la question d’un tel sentiment.
Relativisons donc cette inquiétude qui ne cesse de nous gagner. Surtout, remettons les choses à l’endroit : en Afrique comme dans tout le « Sud global », ce qui s’exprime avant tout est un sentiment anti-occidental. D’où provient-il ?
D’une part, avec l’effondrement de l’URSS en 1991, deux visions du monde s’opposèrent : l’une, avec la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama, entrevoyait un monde libéral délivré des idéologies ; l’autre, avec le « choc des civilisations » de Samuel Huntington, prédisait à l’inverse une confrontation civilisationnelle attisée par des substrats religieux. Avec le recul du temps, la cause semble entendue, mais n’oublions pas que le « choc des civilisations » porte en lui le rejet de l’autre. D’autre part, l’Occident, vainqueur du communisme, commit par arrogance quelques erreurs d’appréciation : l’une fut de penser qu’une large diffusion de l’économie de marché suffirait à conduire tout naturellement la communauté internationale vers la démocratie représentative ; l’autre de croire que notre conception universaliste des droits de l’homme était consensuelle et, à ce titre, légitimement prosélyte…