L’argument le plus souvent avancé pour justifier le déboulonnage des statues est qu’elles actent le caractère monumental (au sens du Nietzsche des Considérations intempestives) de grandes figures du passé, à travers elles glorifiées, mais dont les titres de gloire et les valeurs ne correspondent plus forcément à ce que nous acceptons d’admirer aujourd’hui : de ce point de vue, l’écrivain n’est qu’un cas particulier, et on peut vouloir « déboulonner » une figure militaire et politique de premier plan (par exemple Napoléon), un ministre qui, dans ma jeunesse, pouvait passer pour le grand homme d’État français par excellence (Colbert), aussi bien que des hommes de lettres ou des philosophes qui ont pu apparaître, à des époques antérieures, pour des générations bien naïves sans doute, ou complices, mais nombreuses, et souvent enthousiastes, comme des symboles de la liberté d’expression et de la défense des opprimés. Le « déboulonnage » peut cependant reposer sur deux décisions, qui ne sont pas de la même nature : ce qui peut être renié, c’est la grandeur de tel ou tel personnage historique particulier (Voltaire n’est pas si grand que ça, car il était « antisémite », « raciste » et « homophobe », Rousseau n’est pas si grand que ça si on met l’accent sur les rôles jugés stéréotypés où il cantonne le sexe féminin dans l’Émile et dans La Nouvelle Héloïse, Victor Hugo n’est pas si grand que ça si l’on prend la mesure de son paternalisme dans un de ses discours sur l’homme africain, je vais y revenir, etc…