J’ai déjà écrit l’essentiel de ce que j’avais à dire sur Vixencent Auriol, cet homme simple intelligent et généreux, savoureux et bon, qui aurait aujourd’hui près de cent ans et qui ne s’attendait certes pas, dans sa carrière socialiste, à être un jour le chef de l’État, le premier élu d’une République nouvelle et quatrième. Dans cette haute fonction, dont il avait brocardé jadis un titulaire avec une fougue qui entraîna des poursuites, il fut digne de sa tâche. Il y prit goût d’ailleurs, et il aurait bien voulu, en fin de septennat, qu’on le priât de rester à l’Élysée, ce qui n’eût pas été si mal. On eût évité l’affligeant spectacle, en décembre 1953, de tant de tours de scrutin pour aboutir à l’aimable René Coty.
C’est en prison (où nos chambrettes-cellules se touchaient) que j’ai découvert cet homme simple et sincère. Là est née une franche amitié, qu’il a rompue lui-même par un excès de véhémence le jour où il a désigné comme traîtres et lâches ceux – dont j’étais – qui avaient voté « pour » à Vichy, le 10 juillet 1940. J’ai cessé alors de le voir. Il entra dans l’oubli de ma mémoire, mais une secrète tendresse continuait de m’attacher discrètement à lui.
Je l’avais déjà connu en 1924 lorsque, membre du brain-trust de la commission des Finances du Sénat, j’assurais parfois la liaison entre elle et le président de la commission des Finances de la Chambre qui était Vincent Auriol, spécialiste financier du parti socialiste, arrivé au pouvoir par le cartel des gauches…