Pour autant que je le sache, il n’existe pas de version abrégée de ce que l’on considère, à très juste titre, comme l’exposé le plus complet et le plus général de la pensée d’Adorno, c’est-à-dire Dialectique négative. Il serait probablement impossible de résumer cette œuvre et Adorno le savait sans doute parfaitement et l’a fait exprès. On pourrait qualifier ce livre d’incarnation de l’antinomie : un ouvrage philosophique qui cherche à prouver, par l’exemple ou le raisonnement, qu’il est impossible d’écrire des œuvres philosophiques. La difficulté d’en expliquer le contenu ne tient pas seulement à sa syntaxe extrêmement complexe, ce qui est évidemment voulu, ni au jargon hégélien ou néo-hégélien que l’auteur emploie sans essayer de l’expliquer, comme s’il n’y avait pas de langue plus claire au monde. L’obscurité prétentieuse du style et le mépris qu’il témoigne au lecteur pourraient être supportables si le livre n’était pas aussi totalement dépourvu de forme littéraire. C’est à cet égard l’équivalent philosophique de l’informalisme qui s’était manifesté un peu plus tôt dans les arts plastiques, puis dans la musique et dans la littérature. Il est aussi impossible de résumer l’ouvrage d’Adorno que de décrire l’intrigue d’un « antiroman » ou le thème d’une action painting. Sans doute peut-on dire que l’abandon de la forme dans la peinture n’a pas conduit à la destruction de l’art, mais a en fait libéré la peinture pure de l’œuvre « anecdotique » ; de même, bien qu’ils consistent en mots, le roman et le théâtre ont survécu à la perte de la forme (qui ne peut jamais être totale) au point que nous pouvons lire, en les comprenant, Joyce, Musil et Gombrowicz…