C’était il y a trente ans ou presque – et non point quarante. L’auteur de ces lignes ouvrait, pour la première fois, un numéro de Commentaire et, quelque temps auparavant, les Mémoires de Raymond Aron et Le Spectateur engagé. C’était la fin de l’histoire, la chute du Mur, le bicentenaire de la Révolution, un étudiant qui tenait tête à une colonne de chars à Pékin… C’était le temps où l’on croyait fermement que la vérité et la liberté triomphaient et que s’éloignait cette peur qui avait marqué l’enfance d’une génération d’Européens, entre Pershing II et SS20.
C’était le temps aussi de La Connaissance inutile de Jean-François Revel qui dénonçait nos faiblesses coupables, en rappelant que : « La démocratie ne peut vivre sans la vérité, le totalitarisme ne peut vivre sans le mensonge ; la démocratie se suicide si elle se laisse envahir par le mensonge, le totalitarisme s’il se laisse envahir par la vérité. » Cette « vérité bête » qu’un Péguy, presque un siècle plus tôt, voulait dire à tout prix en créant les Cahiers de la Quinzaine contre la discipline intellectuelle que son camp – le parti socialiste s’unifiant – voulait lui imposer. « Taire la vérité, n’est-ce pas déjà mentir ? Qui ne gueule pas la vérité quand il sait la vérité se fait complice des menteurs et des faussaires ! » écrivait-il dans sa Lettre du Provincial en 1900.
Et l’exercice exigeant et souvent solitaire de la vérité n’est possible sans la liberté. Celle de n’appartenir à personne, d’user de sa raison, d’argumenter, de penser contre son parti, contre son pain, de ne se laisser aller ni au conformisme ni à l’anticonformisme qui en est le stupide jumeau…