Ce qu’il y a de rafraîchissant, dans les souvenirs de Madeleine Lazard, c’est l’absence complète de jargon, et même du vocabulaire sociologique et politique élémentaire. Par exemple on ne saura jamais la profession de son père. « La première chose que les Français vous demandent, me disait un Mexicain, c’est “Qu’est-ce que fait ton père ?” Ça change des Américains qui demandent : “Combien tu gagnes ?” » Madeleine Lazard élude ces questions. Ce n’est pas qu’elle veuille cacher quoi que ce soit : la maison de son enfance, à Amiens, est celle qu’avait habitée Jules Verne, il y a une bonne pour cirer les parquets, une villa d’été, sur la côte, à Cayeux, où la Kommandantur s’installera pendant la guerre : le lecteur parvient à situer un milieu. Mais c’est progressivement qu’on découvre les coordonnées de l’enfance bourgeoise – catholicisme, sorties au théâtre ou au concert, leçons de piano.
Dans ces Souvenirs du xx
e siècle, on dirait que le communisme n’a jamais existé. Lorsqu’on croise Louis Althusser, ou Jean-Toussaint Desanti, il n’y a pas un mot sur leurs opinions politiques. Madeleine Lazard, qui acclame avec ferveur de Gaulle en janvier 44, à Marrakech, et qui sera plus tard reçue à l’Élysée, semble n’avoir pas conscience des conflits idéologiques : elle est entourée de personnes, non d’appartenances partisanes. Certaines de ces personnes manquent de générosité ou de sens moral (par exemple, Dominique Desanti, qui n’a aucun scrupule à truquer ses reportages). Elles sont jugées au cas par cas, dans leur rapport concret à la narratrice, et non dans leur rapport abstrait à des idées…