Comment n’aurait-elle pas éprouvé la plus vive gratitude et fidélité envers la monarchie et la reine qui avaient fait d’elle, en dépit de sa naissance de femme et de roturière, une grande dame dans l’art de peindre et dans l’art de vivre parmi les compagnies parisiennes les plus titrées et les plus civilisées d’Europe ? C’est à la monarchie, c’est à la reine et à la famille royale qu’elle dut le capital de célébrité supranationale qui lui permit, une fois contrainte d’abandonner derrière elle ses amitiés, sa jeunesse, sa position brillante à Paris et à la Cour, de retrouver ou de rencontrer dans toutes les Cours d’Europe la fleur des aristocraties locales. Elle avait souvent connu à Paris ses modèles, elle les avait quelquefois déjà peints ; dans tous les cas, ses nouveaux modèles la connaissaient déjà de réputation.
Tandis que le régime de cour est en voie de disparaître en France, l’émigrée découvre à Rome, à Naples, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, en attendant Londres, capitale du portrait à la Van Dyck, une Europe française encore intacte, où elle se sent chez elle et où elle est considérée mieux encore qu’elle ne l’était à Paris avant les émeutes et abstraction faite des feuilles volantes dictées par la jalousie et la haine dont Paris l’avait recrue. Cette Parisienne n’avait pas du tout vocation au voyage, mais, une fois lancée, elle y prit goût, et elle n’hésita pas à reprendre la route quand elle eut l’impression qu’elle avait épuisé une clientèle locale à la hauteur de ses prix…