Le projet de loi de réforme de l’enseignement supérieur, l’agitation étudiante, l’avenir de l’Université et des grandes écoles, autant de sujets importants sur lesquels Raymond Aron nous donne aujourd’hui son analyse, aussi bien en tant qu’universitaire qu’en tant que philosophe, sociologue et journaliste.Question. — Quel jugement portez-vous sur le projet de loi sur l’enseignement supérieur, qui suscite un important mouvement d’opposition chez les étudiants et les enseignants ?Raymond Aron. — Le premier et peut-être le plus grand défaut du projet de loi présenté par le gouvernement au Parlement, c’est d’exister. J’entends par là que la prétention, qui est celle du ministre de l’Éducation nationale, de réorganiser fondamentalement l’enseignement supérieur, comme on l’avait fait en 1968, est une erreur radicale. Bien entendu, l’enseignement supérieur français ne se trouve pas dans une situation admirable. Mais l’illusion, c’est qu’une loi de cet ordre peut poser, d’un seul coup, les fondements d’universités différentes de ce qu’elles sont.
Seconde remarque essentielle : sur presque la plupart des questions importantes et discutables, la loi renvoie à des décrets d’application. La conséquence inévitable d’un tel texte, qu’on pourrait appeler une « loi-cadre », est la mise en question des intentions réelles des hommes au pouvoir. Or, ce que ces hommes ont dit dans le passé, comme leurs liens avec les syndicats de gauche et le Parti communiste, nous donnent le droit de suspecter à la fois leurs objectifs et leurs conceptions ultimes…