« Il s’est donné la peine de naître », répondront in petto, ou susurreront en privé, les jaloux prudents. Prudents qui ont intérêt à l’être, car la popularité de l’homme qui fait son entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade est aujourd’hui sans rivale en France. En public, il serait d’un mauvais goût périlleux d’attribuer à sa classe sociale et à l’ancienne noblesse de la famille d’Ormesson et Le Peletier les raisons exclusives du rare plébiscite dont jouit notre auteur national dans l’électorat de lecteurs et de spectateurs qu’il s’est acquis, tant de droite que de gauche.
Pour autant, on ne saurait réduire Jean d’Ormesson, surtout au moment où il fait son entrée sur le Parnasse, à sa popularité paradoxale de gentilhomme de la République. Ce serait tomber de la sociologie de classes dans celle du « champ littéraire ». Le mythe social vivant, l’homme du monde, le communicateur de tous les succès, autant de masques ou de paravents qui protègent une vie privée jalousement gardée. Chez l’écrivain d’Ormesson, tout est autobiographie biaisée, et rien n’est autobiographique. Ses romans (ni ses propos) ne laissent jamais saisir facilement le fond d’une pensée certes moirée, mais que ses moirures mêmes font échapper aux inquisiteurs indiscrets. Nul ne saura qui est l’historien de La Gloire de l’Empire, témoin invisible installé au balcon des siècles. Au plaisir de Dieu est raconté à la première personne du pluriel, conscience commune à toute une famille qui se remémore une dernière fois ensemble, avant de se disperser pour toujours…