Sylvie Mesure
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— Tu écris un livre intitulé L’Esprit démocratique des lois qui interroge la logique de la dynamique démocratique. Avant de revenir sur cet ouvrage, penses-tu, comme Raymond Boudon, qu’il soit possible de parler d’un progrès moral s’accomplissant dans l’histoire et accompagnant le cheminement démocratique ? Il me semble que l’abolition de la peine de mort constitue un progrès moral de ce type. Quelle est ta position à ce sujet ? N’existe-t-il pas une « morale minimum » qui s’impose ?
Dominique Schnapper
. — La réaction des démocrates à la peine de mort est un des exemples qui me fascinent de l’historicité de nos réactions les plus intimes et les plus morales. Nous n’en supportons plus l’idée aujourd’hui. J’ai vu l’exposition sur la peine de mort au musée d’Orsay avec le même sentiment d’horreur que toi. Pourtant nous avions vécu pendant des décennies sans y prendre garde. C’est une illustration de l’incroyable capacité d’adaptation des hommes qui fait que, dans un autre ordre, certains ont survécu aux camps de concentration. Un autre exemple, évidemment moins grave, est celui du vote des femmes. J’ai souvent interrogé ma mère qui ne manquait pas de personnalité comme tu sais. N’était-elle pas indignée, elle, professeur de lettres, de ne pas voter avant la guerre ? Eh bien, non ! cela allait de soi et cela ne l’humiliait pas. Pour nous, cela paraît incompréhensible. J’ajoute que, dans la conférence de méthode dirigée par René Rémond à Sciences Po en octobre 1953, un des garçons a expliqué qu’il était contre le vote des femmes…