Suis-je devenu paranoïaque ? Chaque jour, j’éprouve l’impression irrésistible que les journaux, spécialement ceux du matin à la radio, font tout pour m’extorquer un sentiment que je déteste, mais auquel, comme tout le monde, je finis par céder : l’indignation
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Tout est bon pour y parvenir : un ministre qui aurait un compte en Suisse, un acteur exilé fiscal, un ex-futur président de la République soupçonné de proxénétisme, un prince anglais qui compare la guerre à un jeu vidéo, une Française condamnée à tort au Mexique, un chef de la police qui a fabriqué des preuves, des parents qui ont torturé leur fille, une grand-mère morte de froid dans le parc d’une clinique : les motifs ne manquent jamais, et cette liste, qui n’a rien d’exhaustif, s’allonge indéfiniment au fil des semaines.
Au regard de l’histoire, ces événements sont tous anecdotiques. Si atroces ou choquants soient-ils, ils ne présentent guère d’intérêt réel. Leur commentaire n’apportera jamais à personne la moindre clef de compréhension du monde. Ils n’en font pas moins la une, voire des unes à répétition, sans aucun profit sur le plan intellectuel. Comment expliquer ce décalage entre ce que la presse pourrait être – une contribution éclairée, au sens de la tradition des Lumières, à la compréhension de l’époque – et ce qu’elle est, de fait, quand elle surfe sur l’émotionnel pur ? Je vous propose deux clefs de lecture, l’une que j’emprunterai à Tocqueville et l’autre à Heidegger – cela dit non par cuistrerie, mais pour rendre à César ce qui est à César…