Un des plus précieux cadeaux qu’on puisse se faire entre amis, c’est encore (il me semble) de se signaler l’un à l’autre de bons livres dont on n’aurait sinon jamais connu l’existence. Depuis plusieurs années déjà Michel Déon et moi entretenons une correspondance dont je ne me rappelle plus maintenant comment elle avait débuté mais qui se poursuit sur une base solide, car elle se nourrit de goûts que nous avons en commun : la mer, les îles, les bons auteurs (Joseph Conrad…). Il y a quelque temps, Déon eut ainsi l’amicale idée de joindre à une de ses lettres la photocopie d’une page des derniers Journaux de guerre d’Ernst Jünger ; il avait justement deviné qu’elle m’intéresserait fort, mais que je ne l’aurais sans doute jamais découverte par moi-même (car je ne suis pas précisément un fervent lecteur de Jünger
). Voici cette page – datée du 28 décembre 1944 : Jünger est rentré chez lui à la campagne, en semi-disgrâce politique, tandis que l’Allemagne achève de s’effondrer dans la Défaite :
« Ai commencé la lecture fort actuelle de récits de naufrages, et tout d’abord Raynal : Les Naufragés. L’ouvrage raconte la robinsonnade de l’auteur et de ses quatre compagnons, échoués sur l’archipel des Auckland au sud de la Nouvelle-Zélande. Les naufragés vivaient de la chair des lions de mer qui sont nombreux dans cette contrée, de poissons, de coquillages, d’œufs d’albatros et de baies sauvages […]. Le climat est rude, pendant des semaines entières, les tempêtes hurlent autour des bastions rocheux où se brise la houle du Pacifique…