Le voyage du pape en Grande-Bretagne a été plus réussi qu’il n’était prévu. Depuis des mois la presse anglaise et américaine (voir le Herald Tribune, le Financial Times, The Economist, le TLS) menait une sorte de campagne contre « l’évêque de Rome », lui reprochant tout et le reste. On pouvait craindre le pire. Or, les autorités civiles se sont comportées avec déférence, les autorités religieuses anglicanes avec sympathie, les foules catholiques ont été présentes et ont entouré avec ferveur les célébrations de Benoît XVI.
Il faut cependant s’interroger sur ce qu’a de particulier la réticence anglaise, qui est fort différente de l’anticléricalisme français, italien ou espagnol. Elle prend sa source dans deux traditions distinctes, l’une politique, l’autre intellectuelle.
La Réforme en Angleterre n’a pas été comme en Allemagne ou en Suisse un mouvement spontané d’en bas, issue d’un moine comme Luther ou d’un prêtre comme Zwingli. Dans ce royaume fortement organisé, l’État a tout de suite été un acteur principal. L’Église anglaise avait été longtemps particulièrement soumise au Siège romain. Elle s’en détachait progressivement au xv
e siècle, mais c’est le roi Tudor, plus absolu encore à cette époque que le roi de France, qui décida de rompre avec Rome. Henri VIII se pensait catholique. Comme écrivait Tocqueville, le dissident, soit fidèle à Rome, soit luthérien, courait un risque sérieux d’être brûlé comme hérétique ou étripé comme traître. Thomas More, pourtant intime du roi et ex-chancelier, en fit l’expérience (1535)…