Dans
L’Illusion libérale, Louis Veuillot ne laissait d’autre alternative aux catholiques libéraux que de finir ou libéraux pénitents ou catholiques impénitents. Comme La Mennais semble avoir vécu pour lui donner raison, et Lacordaire pour lui donner tort, Anne Philibert a choisi de consacrer sa thèse d’histoire contemporaine, dont ce livre est issu, aux dix années au cours desquelles s’est nouée la relation qui a uni celui-ci à celui-là, entre la conversion de Lacordaire et sa rupture avec La Mennais, aux lendemains de la condamnation des théories de celui-ci par le Saint-Siège. L’histoire de cet épisode important dans celle de l’Église comme dans celle du libéralisme en sort sensiblement renouvelée.
Lacordaire n’est en effet pas venu au monde prédicateur tout formé pour occuper, et avec quel éclat, la chaire de Notre-Dame : on ne naît pas dominicain, on le devient. Bourguignon de naissance, il était entré à dix ans, en 1812, au lycée impérial, à Dijon, et, comme tant d’autres, il y avait perdu la foi. Un lent travail intérieur l’y ramena vers 1823-1824, après qu’il eut commencé par se défaire des prestiges dont la lecture de Rousseau l’avait aussi envoûté en politique. Là-dessus, il monta à Paris, dans l’intention de s’y faire recevoir comme avocat ; à l’automne 1823, il était redevenu catholique, et dès l’année suivante, il songeait à la prêtrise : le 29 avril de cette année-là, il entrait au séminaire d’Issy. Son chemin chez les sulpiciens ne fut pas semé de roses. Il était arrivé chez eux dans la joie ; il dut s’y plier à une discipline austère, en vase à peu près clos, où détonnaient aussi bien sa pétulance naturelle que la culture mondaine qu’il avait acquise au préalable, et qui l’armait mieux que d’autres pour mesurer les limites d’une théologie gallicane, qui, en plei…