Avant la guerre
– ici nous disons, tout court, « avant » – les défilés des modèles de la saison, dans les salons de la couture parisienne, étaient des spectacles frivoles. Les heures de l’après-midi s’y consumaient légères, et beaucoup de femmes y trouvaient la satisfaction de leurs penchants les plus vifs : la curiosité, la coquetterie et la médisance. N’oublions pas la gourmandise, on ne marchandait pas, alors, le thé excellent et le toast, l’orangeade, et partout fleurissaient ces lys d’un blanc verdissant dont les femmes soutenaient, sereines, l’insoutenable parfum…
Ils ont bien changé, le caractère et la signification de ces petites expositions strictement féminines… Strictement ? J’y ai noté autrefois la présence d’un grand nombre d’hommes, un peu confus et grisés de tant de femmes et de robes et d’arômes. Aujourd’hui… Jamais printemps ne fut accueilli, sollicité par des vœux plus vifs, ni plus anxieux. Jamais saison d’éclosion ne connut labeur plus fiévreux, plus difficile. Disons, vite, que nous la sentons déjà récompensée. Sur mainte façade derrière laquelle bourdonne et s’élabore l’élégance de Paris, nos yeux croient lire : « Ici l’on travaille. » Ils ne se trompent pas.
Ce n’est pas que Paris parisien ait fait trêve, depuis trois ans, à son activité, qu’il ait failli à prouver sa force de survivance. Aucun des maîtres de la couture n’a rien abdiqué de son devoir, et des prérogatives honorables, pénibles, têtues, qu’il lui confère. Besoin d’inventer, d’innover et de conduire, urgence de sauver la nef secouée et la charge d’âmes qu’elle porte ; autant d’articles de foi sur lesquels la corporation n’a pas transigé…