À la lecture des Insomniaques, on est d’abord saisi d’un doute : voilà un roman d’une telle maîtrise qu’on juge peu plausible d’avoir affaire, comme l’indique la « quatrième de couverture », au « premier roman » d’une jeune femme de vingt-huit ans. Ne sommes-nous pas victime d’une mystification ? Ne nous refait-on pas le coup d’Émile Ajar ? Faut-il être bien naïf pour ne pas détecter la supercherie d’un maître pris d’un prurit d’incognito et saisi du désir d’être jugé sur son seul talent, et non sur sa réputation ou sur ses titres honorifiques ? Cette Camille de Villeneuve, au patronyme qui pourrait sortir tout droit d’un livre de la comtesse de Ségur, ne serait-elle point le masque d’un académicien facétieux, de quelque Jean d’Ormesson nous livrant une nouvelle version romancée de ses histoires de familles et de son pedigree ? Rien que le sujet du roman pourrait le suggérer ; ce sujet – la chronique d’une famille de petite noblesse confrontée, de 1946 à nos jours, à soixante ans d’histoire – n’est pas en soi d’une grande originalité. Il s’inscrit en tout cas dans une tradition bien établie, celle des sagas familiales, dont le naturalisme a multiplié les exemples dans la plupart des littératures européennes. De Thomas Mann à Martin du Gard, voire de Georges Duhamel et de Maurice Druon à Jean d’Ormesson, à Daphné du Maurier ou à Élisabeth Barbier, en passant par Galsworthy, Philippe Hériat, Perez La décadence d’une famille Galdos et Eça de Queiros ou Lajos de Zilahy, les précédents sont innombrables, qui déroulent le récit de l’ascension et de la décadence d’une famille…